Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,
présentées le 21 novembre 1967 ( 1 )
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
M. Bauer, requérant dans l'affaire dans laquelle nous devons conclure aujourd'hui, est fonctionnaire de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Au moment où il a formé son recours, il exerçait les fonctions d'administrateur principal à la ci-devant Haute Autorité. C'est à cette dernière qu'il a intenté ce procès, après avoir constaté que son nom ne figurait pas au tableau d'avancement porté à la connaissance du personnel le 7 décembre 1966. Cependant, par son recours, M. Bauer vise, non
pas à faire annuler la liste des fonctionnaires proposés pour une promotion ou certaines promotions qui auraient été décidées, mais bien à se faire communiquer les rapports de notation dont il a fait l'objet. Avant de l'introduire, il avait adressé le 13 février au président de la Haute Autorité une lettre dans laquelle, en se référant à l'article 43, alinéa 2, du statut des fonctionnaires, il demandait à «prendre connaissance du rapport» («Einsicht in die Beurteilung») qui avait déterminé son
exclusion du tableau d'avancement. Par note du 3 mars 1967, le président de la Haute Autorité a répondu que les fonctionnaires ne sauraient faire valoir aucun droit à être promus, l'article 45 du statut précisant que les promotions se font au choix. Il ajoutait que, selon la jurisprudence de la Cour, les décisions accordant des promotions ne doivent pas être motivées à l'égard des candidats évincés et que, dès lors, il n'y a pas davantage lieu de motiver la non-inscription d'un fonctionnaire au
tableau d'avancement.
Tel est l'acte administratif dont M. Bauer a cru devoir se plaindre. Il a donc saisi la Cour et conclu à ce qu'elle réforme la décision de refus du président de la Haute Autorité et dise qu'il y a lieu de communiquer au requérant les rapports de notation établis à son sujet, notamment celui du 11 mai 1966.
Ce n'est, semble-t-il, qu'à la suite de la requête introductive d'instance que les services de la Haute Autorité ont compris exactement la portée des griefs de M. Bauer. En tout cas, la requête une fois signifiée, il a été convoqué chez le directeur du personnel, qui lui a délivré une photocopie du rapport du 11 mai 1966 (seul rapport de notation existant à son sujet). En outre, sur la demande du requérant, une seconde copie de ce rapport a été expédiée le 29 mai 1967 à l'avocat qu'il avait choisi.
La Haute Autorité a estimé que, de la sorte, le litige était désormais dénué de tout objet: tel est l'avis dont elle a fait part au requérant par écrit. Néanmoins, pour satisfaire au désir exprimé le 31 mai 1967 par le conseil de M. Bauer, elle a déposé auprès de la Cour un mémoire dans lequel, conformément à ce qui lui était demandé, elle se déclarait disposée à supporter les dépens que le requérant avait exposés jusqu'alors.
La Haute Autorité ayant toutefois fait également observer dans son mémoire qu'il était permis de douter de la recevabilité du recours, motif pris de ce que les conclusions qui y étaient formulées différaient du contenu de la demande adressée le 13 février 1967 à son président (ce qui expliquerait la réaction de celui-ci), le requérant a encore déposé une réplique. Il y allègue que le litige ne serait devenu sans objet que si l'acquiescement de la Haute Autorité n'avait été assorti d'aucune réserve,
c'est-à-dire si elle avait également accepté de reconnaître la recevabilité de sa demande initiale et l'intérêt légitime qu'il avait à l'introduire. Aussi demande-t-il à la Cour de dire que la communication du rapport du 11 mai 1966, accompagnée de l'offre que fait la Haute Autorité de prendre à sa charge les dépens par lui exposés jusqu'au dépôt du mémoire en défense, constitue un acquiescement pur et simple, valant et pour la recevabilité et pour le bien-fondé de sa demande originaire.
Cela étant, il s'agit donc de savoir ce qui reste à trancher par la Cour dans cette affaire d'une portée à vrai dire fort limitée.
Discussion juridique
Dans les procès où il n'y a pas lieu à statuer, la Cour le déclare dans son arrêt et, aux termes de l'article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure, elle règle librement les dépens. En principe, elle n'a plus à se prononcer sur les points de droit soulevés au cours du procès; tout au plus convient-il qu'elle les soumette à une appréciation sommaire pour les besoins de sa décision sur les dépens.
Pour savoir si on peut dire qu'il n'y a pas lieu à statuer, il faut comparer les conclusions articulées dans la requête avec l'événement qui, aux yeux d'une des parties, est de nature à conduire au non-lieu.
Dans l'espèce, cette comparaison ne présente pas de difficultés pour ce qui est des conclusions de M. Bauer tendant à faire condamner la Haute Autorité à lui communiquer les rapports de notation dont il avait fait l'objet. En effet, la Haute Autorité a intégralement procédé à cette communication; elle l'a même fait à l'égard de l'avocat du requérant (ce qui n'était pas nécessaire) : il est donc certain qu'au sens de notre règlement de procédure, il n'y a pas lieu de statuer sur ce chef des
conclusions.
Par conséquent, il reste uniquement à savoir si, vraiment, il échet que la Cour fasse de plus amples constatations au regard de la recevabilité et du bien-fondé de la demande que le requérant avait adressée au président de la Haute Autorité. Nous ne voyons pas qu'elle ait lieu de le faire, pour ce qui est de sa décision sur les dépens, puisque la Haute Autorité a inconditionnellement déclaré qu'elle était disposée à supporter les dépens exposés par le requérant jusqu'à la date du dépôt du mémoire en
défense. Mais, de toute façon, la Cour ne doit pas en dire davantage, parce qu'on ne saurait reconnaître que le requérant a un intérêt légitime à voir prononcer la constatation qu'il requiert. Dans une situation du genre de celle à laquelle nous avons affaire, l'intérêt à voir prononcer pareille constatation pourrait tout au plus être admis si les parties étaient en désaccord sur l'interprétation de l'article 43 du statut des fonctionnaires et sur les droits que ces derniers peuvent en tirer. Mais
il appert que tel n'est pas le cas. Si le président de la Haute Autorité n'a pas donné suite à la demande du 13 février 1967, cela s'explique simplement par le fait qu'il a cru que M. Bauer voulait se plaindre de ne pas avoir été promu et demandait à connaître les motifs ayant déterminé son éviction.
On est dès lors forcé de rejeter comme irrecevable le chef de conclusions que le requérant a formulé dans sa réplique.
Cela nous amène à récapituler comme suit le résultat de notre examen :
— La Cour doit déclarer qu'il n'y a pas lieu à statuer sur le chef principal des conclusions du requérant.
— Faute d'intérêt legitime, le chef de conclusions présenté dans la réplique doit être rejeté comme irrecevable.
— Les dépens exposés jusqu'au dépôt du mémoire en défense sont à la charge de la Commission. Quant à ceux qui sont postérieurs, ils incombent au requérant, conformément à l'article 70, 2e proposition, du règlement de procédure.
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( 1 ) Traduit de l'allemand.