Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer,
présentées le 12 juin 1968 ( 1 )
Sommaire
Introduction (les faits, les conclusions des parties)
Discussion juridique
A — Les conclusions en annulation
I — Griefs relatifs à la procédure
1. Violation de l'article 4, alinéa 2, de l'annexe IX au statut des fonctionnaires
2. Violation de l'article 6 de l'annexe IX au statut des fonctionnaires
3. Violation des droits de la défense
4. Violation de l'article 7 de l'annexe IX au statut des fonctionnaires (audition du requérant par l'autorité investie du pouvoir de nomination)
II — L'exactitude de certaines constatations faites par la Commission dans la décision disciplinaire
1. La prétendue contradiction entre les constatations contenues dans la décision disciplinaire et les résultats de l'enquête effectuée au cours de la procédure disciplinaire .
2. Le requérant a-t-il reçu précédemment plusieurs admonestations auxquelles il n'a pas donné suite?
III — Le degré de la sanction
1. La promesse du requérant de restituer le rapport de notation
2. La déception du requérant par suite de l'abandon du projet «Bird»
B — Les conclusions tendant au paiement des arriérés de traitement
C — Les conclusions en dommages-intérêts
I — Dommage matériel
II — Dommage moral
D — Récapitulation et conclusions
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
Nos conclusions d'aujourd'hui portent sur une procédure disciplinaire qui s'est terminée par la révocation du requérant qui était fonctionnaire à la Commission de la Communauté européenne de l'énergie atomique. — Voici brièvement les faits que nous devons avoir présents à l'esprit.
Le requérant est de nationalité néerlandaise; après ses études, faites à Delft, il a travaillé pendant plusieurs années comme «natuurkundig ingenieur» ainsi que comme spécialiste du traitement électronique de l'information chez IBM; c'est le 1er avril 1960 qu'il est entré en fonctions à la Commission de la C.E.E.A. A compter du 3 juillet 1961, il a été affecté au centre de recherches nucléaires d'Ispra, et plus précisément au Centre européen du traitement de l'information scientifique (C.E.T.I.S.).
Il y était occupé en qualité de «project-leader» à un travail auquel on avait donné le nom de «Bird» mais dont les détails nous importent peu. Des raisons budgétaires ayant imposé fin décembre 1962 l'abandon du projet «Bird», la direction du centre de recherches nucléaires a dû donner une autre affectation au requérant et à son équipe. Des difficultés tenant à la personne du requérant semblent avoir surgi, car il aurait refusé d'assumer les nouvelles fonctions qu'on voulait lui confier. C'est ce qui
a amené la Commission à lui adresser le 23 juin 1965 de sérieux reproches et à faire état de la nécessité pour lui d'entreprendre de nouvelles activités. Effectivement, une décision de la direction du centre du 22 novembre 1965 lui a conféré de nouvelles attributions en le mutant à la bibliothèque dudit centre. Aux termes de la description qui en a été établie le 6 décembre 1965, son emploi devait y consister à suivre les publications relatives à l'électronique, à la technique de régulation et au
«scientific management», à mettre sur pied un service rapide d'information pour les membres des groupes s'occupant de recherches dans ces divers domaines, à effectuer des recherches de documentation et à dresser des bibliographies ad hoc, à établir des comptes rendus et à fournir, des renseignements techniques. Mais il semble que l'exercice de cette activité n'ait pas donné satisfaction aux intéressés. En tout cas, après une première réclamation du 27 janvier 1966, le supérieur hiérarchique du
requérant s'est vu amené à demander le 17 août 1966 à la direction du centre de lui donner une autre affectation. C'est à la même époque (cf. décision du 19 août 1966) que le directeur du centre a dû infliger un blâme au requérant en raison de manquements répétés à la ponctualité. Enfin, il y a eu de longues discussions à propos d'un travail demandé par le directeur du centre le 23 août 1966; le requérant a tout d'abord refusé de l'exécuter, se bornant finalement, le 16 décembre 1966, à fournir un
«informal-report».
Telles sont les raisons pour lesquelles l'autorité investie du pouvoir de nomination a cru devoir faire sanctionner formellement le comportement du requérant dans le service. A titre d'introduction à une procédure disciplinaire, il a été entendu le 10 janvier 1967 conformément à l'article 87 du statut des fonctionnaires par trois fonctionnaires mandatés par la Commission. Voici les points sur lesquels a porté cette audition: manque de ponctualité et absences injustifiées, non-restitution d'un
rapport de notation et exercice des fonctions à la bibliothèque. Le 5 avril 1967, la Commission a décidé formellement d'ouvrir la procédure disciplinaire. Le 13 du même mois, elle a transmis au conseil de discipline son rapport sur le comportement reproché au requérant. Ce rapport énumère et commente les points qui ont fait l'objet de l'audition de M. Van Eick. Les travaux du conseil de discipline, constitué le 17 avril, ont commencé le 28 de ce mois par une première séance, au cours de laquelle une
enquête a été ordonnée. Il y a eu ensuite des offres de preuve, faites par le requérant le 1er juin 1967, et d'autres séances du conseil de discipline. Au cours d'une dernière séance, qui s'est tenue le 21 juin, plusieurs témoins ont été entendus et l'avocat du requérant a eu la parole pour une plaidoirie finale. Le 23 juin 1967, le conseil de discipline a transmis à la Commission son avis sur l'ensemble des faits en cause. Cet avis retient des manquements aux obligations dont le requérant était
tenu dans l'accomplissement de ses fonctions à la bibliothèque, des absences injustifiées et des manquements à la ponctualité ainsi que la non-restitution d'un rapport de notation. La sanction disciplinaire proposée consistait dans la rétrogradation du requérant avec classement au grade A/7, échelon 6… Une dernière audition du requérant devait avoir lieu ensuite; aussi, dès le 22 juin 1967, la Commission a-t-elle chargé un directeur à la direction générale de l'administration et du personnel d'y
procéder. C'est le 29 juin 1967 que le requérant devait être entendu, mais cela s'est révélé impossible, M. Van Eick ne s'étant pas présenté. Le 4 juillet 1967, la Commission a dès lors décidé, sans l'avoir entendu, de sanctionner les infractions énoncées dans l'avis du conseil de discipline, de prononcer la sanction disciplinaire la plus sévère, c'est-à-dire la révocation, et de fixer au1er août 1967 la date du départ. Cette décision a été communiquée au requérant par une lettre de la direction
générale de l'administration et du personnel du 5 juillet 1967.
C'est cette décision qui a fait l'objet du recours que nous devons examiner à présent. Il est parvenu à la Cour le 13 octobre 1967 et le requérant y conclut à ce qu'il plaise à la Cour :
1o Déclarer nuls et de nul effet la procédure suivie devant le conseil de discipline, l'avis émis le 23 juin 1967 par ledit conseil ainsi que la décision de la Commission du 4 juillet 1967 prévoyant sa révocation;
2o Déclarer qu'il a droit à bénéficier, à partir du 1er août 1967, de son traitement et de tous les avantages afférents à sa situation de fonctionnaire;
3o Condamner la Commission à payer les sommes dues de ce chef, soit, sous réserve de parfaire en cours d'instance, 100000 francs belges;
4o Condamner la Commission à payer, à titre de dommages-intérêts pour préjudice matériel, la somme de 25000 francs belges, sous réserve de parfaire en cours d'instance;
5o Condamner la Commission à payer, à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, la somme de 100000 francs belges, sous réserve de parfaire en cours d'instance.
A l'appui de ces conclusions, le requérant a invoqué une longue série de moyens, que nous allons étudier dans un instant. Il fait principalement état de prétendues irrégularités dans le déroulement de la procédure disciplinaire. En deuxième lieu, il conteste l'exactitude de certaines constatations contenues dans la décision disciplinaire. Enfin, il critique le fait que certaines circonstances atténuantes n'aient pas été prises en considération.
La Commission a répliqué en concluant au rejet intégral du recours comme non fondé.
Discussion juridique
Pour entamer la discussion juridique de cette affaire, dans laquelle aucun problème de recevabilité ne se pose de l'avis même de la Commission, il paraît indiqué de commencer par examiner les conclusions en annulation. Nous le ferons en trois étapes, portant tout d'abord sur une série de griefs de procédure, ensuite sur des observations relatives à l'exactitude des constatations faites par la Commission et enfin sur des considérations relatives au degré de la sanction disciplinaire.
A — Les conclusions en annulation
I — Griefs relatifs à la procédure
1. Violation de l'article 4, alinéa 2, de l'annexe IX au statut des fonctionnaires
En premier lieu, le requérant fait valoir qu'au cours de la procédure disciplinaire, le droit que l'article 4, alinéa 2, de l'annexe IX au statut des fonctionnaires lui reconnaît de citer des témoins pour être entendus par le conseil de discipline a été violé: alors qu'il avait remis une liste désignant nommément au moins huit témoins, seuls trois de ceux-ci ont été retenus pour être entendus.
Il est exact que l'article 4 de l'annexe IX au statut des fonctionnaires prévoit, tant pour l'institution que pour le fonctionnaire, le droit de «citer des témoins» («Zeugen benennen», «citare testimoni», «getuigen oproepen»). Nous devons toutefois nous demander s'il est exact que, comme le croit le requérant, ce droit a comme corollaire l'obligation absolue pour le conseil de discipline d'ordonner l'audition des témoins cités ou bien si, conformément à la thèse de la Commission, le conseil de
discipline a le pouvoir, en tant qu'organe d'instruction, de choisir à sa discrétion les témoins à entendre dans la mesure où leur audition paraît nécessaire. Il est certain que le texte de la disposition invoquée ne permet pas à lui seul de répondre clairement à cette question. Pour le faire, nous devrons dès lors nous référer au sens et au rôle de la procédure disciplinaire et tenir compte aussi du droit disciplinaire national, c'est-à-dire que nous devrons appliquer une méthode d'interprétation à
laquelle la Cour a déjà eu recours à plusieurs reprises en cas de lacune et d'incertitude du droit communautaire.
Les parties se sont étendues longuement sur la nature de la procédure disciplinaire: le requérant a exposé qu'il s'agit d'une procédure qui est apparentée à la procédure pénale et qui doit obéir largement aux formes judiciaires; la Commission a relevé le caractère inquisitoire de la procédure qui, aux termes du droit communautaire, est mise en œuvre par un organe consultatif dans le cadre de l'administration et en vue de la préparation de la décision disciplinaire… Quant à notre opinion à ce sujet,
elle se rapproche plutôt de celle du requérant, compte tenu non seulement du système du droit disciplinaire en vigueur, mais aussi de l'attitude de principe adoptée par la Cour sur la structure de la procédure administrative en général. En effet, le conseil de discipline joue un rôle très important dans le droit disciplinaire de la Communauté. A la demande de l'autorité investie du pouvoir de nomination, il effectue des enquêtes qui sont destinées à constater les infractions disciplinaires et à
déterminer les circonstances importantes pour établir le degré de la sanction. C'est lui qui propose ensuite la sanction disciplinaire et c'est enfin en s'appuyant sur son avis que l'autorité investie du pouvoir de nomination qui, pour sa part, ne procède à aucune enquête, décide de la mesure disciplinaire à prendre. Si nous tenons compte de ces éléments, nous ne pouvons guère hésiter à dire que les fonctions du conseil de discipline se rapprochent fortement de celles d'une juridiction
d'instruction. Si nous considérons en outre que la tendance générale de notre jurisprudence est en faveur d'un déroulement consciencieux des procédures administratives, qu'elle désire voir assortir de toutes les garanties nécessaires pour les intéressés, et cela notamment en raison du fait que, dans les Communautés, la protection juridictionnelle est limitée à une seule juridiction, et si on pense aux graves incidences que peuvent avoir les mesures disciplinaires, qui vont, le cas échéant, jusqu'à
la révocation, on est certainement forcé de se rallier à l'opinion selon laquelle la procédure disciplinaire doit revêtir le plus possible les formes judiciaires: Cela ne nous permet cependant pas encore de nous faire une opinion définitive sur le grief examiné ici, parce que la thèse du requérant ne peut triompher que s'il est possible de prouver qu'une procédure se déroulant dans les formes judiciaires implique précisément le principe défendu par le requérant. Or, nous avons l'impression qu'il est
permis d'en douter.
Pour le prouver, nous n'entreprendrons pas d'établir un aperçu comparatif des procédures disciplinaires qui présentent sur certains points de sensibles différences dans les divers États membres, mais nous nous bornerons à nous référer au droit allemand, en reconnaissant, à la suite d'éminents spécialistes ( 2 ), que c'est là que les formes judiciaires de la procédure disciplinaire sont le plus accentuées. Effectivement, dans sa dernière version, celle du 20 juillet 1967, la
«Bundes-Disziplinarordnung», qui traite précisément aussi des règles qui nous intéressent ici, contient un paragraphe 68, aux termes duquel «le Bundes-Disziplinaranwalt et le fonctionnaire peuvent demander une nouvelle audition de témoins et d'experts et faire d'autres offres de preuves», et elle dispose encore, au paragraphe 74, pour l'audience principale devant le «Bundes-Disziplinargericht», qu'«il faut administrer les preuves demandées conformément au paragraphe 68, à moins que l'administration
de la preuve ne soit irrecevable que le fait à prouver ne soit de notoriété publique, qu'il ne soit sans importance pour la décision ou qu'il ne soit déjà prouvé ou puisse être tenu pour vrai ou que le moyen de preuve ne soit inaccessible». Cela semble en effet, du moins à première vue, fournir un argument important en faveur de l'exactitude de la thèse du requérant. Mais il ne faut pas perdre de vue que ce paragraphe 68 dispose en outre que «l'offre de preuve doit être accompagnée de l'indication
des faits au sujet desquels la preuve doit être administrée», ce qui vise indubitablement, et c'est parfaitement raisonnable, à limiter l'obligation d'accueillir les preuves. En d'autres termes, le «Bundes-Disziplinargericht» n'est tenu de donner suite aux offres de preuve que si le fonctionnaire qui les fait expose concrètement les faits sur lesquels il estime que des éclaircissements sont nécessaires et, ajoutons-le immédiatement, s'il explique en outre les raisons pour lesquelles le fait en
question doit être considéré comme important pour la procédure disciplinaire. Nous voyons en effet que c'est le seul moyen d'éviter un gonflement arbitraire de la procédure disciplinaire et le ralentissement qui en résulte, et cela sans restreindre indument les droits de la défense de l'intéressé.
Appliquons maintenant au cas qui nous occupe ce principe qui, notons-le bien, est applicable en droit national pour une authentique procédure juridictionnelle et dont, dès lors, il ne nous paraît pas parfaitement certain qu'il domine également dans toute sa rigueur la procédure disciplinaire communautaire. Au cours de la procédure disciplinaire, le requérant lui-même, après avoir été invité le 8 mai 1967 à citer ses témoins avec l'indication des faits sur lesquels devait porter leur témoignage, a
adressé le 1er juin 1967 au président du conseil de discipline une lettre dans laquelle, «sous réserve d'une consultation ultérieure avec [ses] défenseurs», il a dressé une liste provisoire de témoins. Cette liste énumère une série de personnes en les désignant nommément, pour d'autres témoins elle n'indique pas les noms, mais les circonstances de l'affaire permettent de les identifier facilement, et enfin elle mentionne d'une façon générale «diverses autres personnes, suivant la nécessité ou
l'opportunité». En outre, pour chaque personne, un renvoi à une liste jointe de 45 documents (mémorandums, lettres, rapports, notes, réclamations, notes de service, rapports de notation, rapport d'intégration et commentaires à leur sujet) indique à quelles circonstances leur déposition doit se rapporter. A la suite de cela, une lettre du 13 juin a fait savoir au requérant qu'il était prévu d'entendre trois des témoins qu'il avait cités. Cette audition a finalement eu lieu au cours de la séance du
conseil de discipline du 21 juin, et cela en présence de l'avocat du requérant, qui a ensuite prononcé sa plaidoirie finale.
Que ressort-il de tout cela? Nous avons tout d'abord l'impression qu'il n'est guère possible de parler d'une indication précise des faits sur lesquels les témoins devaient être entendus et d'une explication de l'importance qu'ils pouvaient revêtir pour la décision, le requérant ayant forcé le conseil de discipline à se faire lui-même une opinion à ce sujet à partir d'une masse de documents. Cela ne constitue certainement pas une citation de témoins correcte et telle qu'elle aurait pu au moins
entraîner l'obligation de rejeter expressément l'offre de preuve; d'ailleurs, même au cours de la procédure devant la Cour, le requérant n'a pas indiqué, pour les témoins qu'il citait, les faits qui devaient être mis en lumière. Relevons encore que, dans sa plaidoirie finale, l'avocat du requérant ne semble pas avoir souligné l'importance des offres de preuve initiales, alors qu'il a cru devoir provoquer un élargissement de l'enquête en produisant des documents. Sans doute ne pourra-t-on pas en
faire état en alléguant qu'il est impossible d'invoquer un grief au cours de la procédure juridictionnelle lorsqu'il n'a pas été invoqué devant le conseil de discipline, parce que, si ce principe existe en procédure civile (cf., par exemple, le paragraphe 295 de la «Zivilprozessordnung»), en droit pénal et disciplinaire la péremption d'un droit ne se produit que dans des circonstances particulières (par exemple, en cas de dol). Mais cette circonstance nous paraît être importante parce que, dans la
lettre qu'il a adressée au conseil de discipline le 1er juin 1967, le requérant lui-même s'est réservé le droit de consulter ultérieurement son avocat et n'a parlé que d'une: «liste provisoire des témoins». Lorsque, malgré cela et même après avoir reçu notification de la décision limitée d'admission des preuves du 13 juin 1967, le requérant et son avocat n'ont pas réagi en répétant leur demande originaire, la seule interprétation que le conseil de discipline pouvait donner de cette attitude, c'est
que le requérant ne persistait pas à demander qu'il soit donné intégralement suite à son offre de preuve.
Par conséquent, compte tenu du déroulement de la procédure que nous avons décrit, et même en appliquant des critères rigoureux, il n'y a effectivement pas lieu de retenir une violation de l'article 4 de l'annexe IX par le conseil de discipline,, ce qui nous force à rejeter le premier moyen.;
2. Violation de l'article 6 de l'annexe IX au statut des fonctionnaires
En deuxième lieu, le requérant estime que certains actes d'instruction accomplis au cours de la procédure disciplinaire n'ont pas le caractère contradictoire. En disant cela, il pense à deux éléments: tout d'abord, au fait que le conseil de discipline a réclamé des documents qui ont été examinés et résumés par le rapporteur en son absence; ensuite, à un rapport qu'un membre du conseil de discipline aurait fait sur le projet: «Bird» dont il avait eu la direction dans le temps. Cela aurait également
eu lieu en son absence et sans qu'un résumé en ait été fait dans les procès-verbaux qui lui ont été transmis.
Ce grief exige que nous examinions de plus près l'article 6 de l'annexe IX au statut des fonctionnaires et que nous cherchions à déterminer ce qui s'est passé au cours de la procédure disciplinaire.
Selon l'article 6, le conseil de discipline peut ordonner une enquête «contradictoire». Cette disposition constitue l'expression du principe que seuls peuvent être utilisés dans la procédure disciplinaire les résultats de l'enquête au sujet desquels l'intéressé a pu se prononcer, tout comme en procédure pénale où, comme on le sait, le jugement ne peut se fonder que sur des constatations qui ont fait l'objet des débats oraux.
Or, en ce qui concerne la demande de production de documents en vue d'éclaircir certains faits, le seul sens que l'on puisse donner au principe que nous venons de citer, c'est que le fonctionnaire intéressé doit, lui aussi, avoir connaissance du contenu des documents et qu'il a le droit de présenter ses observations à leur sujet. En revanche, notre droit disciplinaire ne prescrit nulle part que ces documents doivent être lus ou résumés au cours d'une séance spéciale du conseil de discipline et en
présence du fonctionnaire accusé ni qu'il faut lui donner ensuite la possibilité de les discuter oralement, bien que, le cas échéant, cela puisse évidemment être à tout le moins opportun pour mettre consciencieusement les faits en lumière. Mais puisqu'en réalité le requérant a reçu copie des documents réclamés et qu'il a pu présenter ses observations à leur sujet, il est permis de dire que les conditions exigées par l'article 6 ont été remplies. En effet, il est exact que, si nous suivions le
requérant jusqu'au bout de ses exigences, cela reviendrait à peu près à prétendre être présent au moment où le conseil de discipline apprécie les preuves écrites et en tire des conclusions; mais cela équivaudrait à une participation à la délibération, ce qui, évidemment, est tout aussi impossible dans une procédure disciplinaire que dans une procédure judiciaire.
Quant à l'autre grief relatif au prétendu rapport sur le projet «Bird», fait en l'absence du requérant, les déclarations de la Commission font douter qu'il s'agisse véritablement d'un acte d'instruction au sens de l'article 6, c'est-à-dire d'un acte tendant à découvrir et à mettre en lumière des faits importants pour la décision. A notre avis, la Commission a amplement démontré qu'il s'est simplement agi d'obtenir des explications scientifiques objectives sur l'objet du rapport «Bird» (que le
requérant connaissait évidemment, puisqu'il avait collaboré à sa rédaction) et de fournir aux membres du conseil de discipline les éléments de compréhension nécessaires pour apprécier ce rapport. Il est clair qu'un acte de ce genre peut faire l'objet des délibérations purement internes du conseil de discipline. Certes, pour éviter toute impression défavorable, il aurait peut-être mieux valu donner aussi ces explications-là en présence du requérant. Mais le fait qu'on n'ait pas procédé de cette façon
et que le requérant n'ait pas eu la possibilité de faire pour sa part les déclarations nécessaires ne peut certainement pas être considéré comme une violation du caractère contradictoire qui, selon l'article 6, doit être conféré aux actes d'instruction du conseil de discipline.
Par conséquent, contrairement à ce qu'estime le requérant, la procédure disciplinaire n'a pas été dépourvue du caractère contradictoire; dès lors, le deuxième grief de procédure articulé par M. Van Eick porte également à faux.
3. Violation des droits de la défense
Comme troisième grief, le requérant allègue que son avocat n'a pas eu assez de temps pour préparer sa plaidoirie, étant donné qu'il a dû la prononcer trois quarts d'heure seulement après la dernière audition des témoins.
Si, comme cela semble être le cas à première vue, il fallait supposer que ce grief porte purement et simplement sur la possibilité de préparer la plaidoirie, il devrait effectivement paraître étonnant. En réalité, la défense commence à se préparer dès le premier acte de la procédure disciplinaire, c'est-à-dire l'audition en vertu de l'article 87 du statut des fonctionnaires; elle continue après la notification du rapport ouvrant la procédure disciplinaire (en réalité, c'est peu de temps après cette
notification, le 24 avril, que le requérant s'est assuré l'assistance d'un avocat) ; elle est complétée après l'accomplissement de divers actes d'instruction (réclamation de certaines pièces, qui a eu lieu assez longtemps avant la dernière séance du conseil de discipline) et finalement il ne s'agit plus que d'utiliser d'ultimes constatations tirées de l'audition des témoins, tâche pour laquelle, en l'espèce, le temps dont le défenseur a disposé était certainement suffisant, vu le faible
développement de l'enquête. Souvent il n'en va pas autrement même dans les affaires pénales, c'est-à-dire que la plaidoirie est prononcée immédiatement après l'audition des témoins, et cela aussi dans le cas où le dossier ne contient pas encore les procès-verbaux d'audition des témoins. A tout le moins, lorsqu'un avocat croit ne pas disposer d'assez de temps, peut-on s'attendre à ce qu'il le fasse savoir, pour la sauvegarde des droits de la défense; mais, en l'espèce, rien de tel ne s'est produit.
Cependant, en examinant les choses de plus près, on s'aperçoit que le grief du requérant ne doit pas être compris dans le sens que nous venons de décrire: en réalité, il vise l'impossibilité de rédiger la plaidoirie par écrit et de soumettre ce document au conseil de discipline pour qu'il le fasse suivre à l'autorité investie du pouvoir de nomination, appelée à statuer. Quelques remarques complémentaires sont nécessaires à ce propos.
Tout d'abord, indépendamment du fait que l'avocat du requérant n'a pas non plus présenté d'observations écrites antérieurement, on pourrait relever que s'il paraissait opportun ou nécessaire aux fins de la procédure disciplinaire de fixer par écrit la plaidoirie finale, cela aurait pu se faire par bande magnétique (ce qui n'a pas eu lieu), ou bien, et ceci est plus important, par la remise ultérieure d'une note écrite, procédé pour lequel le temps nécessaire n'a pas manqué, puisque, après la
plaidoirie du21 juin, l'avis du conseil de discipline n'a été émis que le 23 juin et communiqué à l'autorité investie du pouvoir de nomination que le 26 juin. D'autre part, en droit disciplinaire communautaire, la rédaction par écrit de la plaidoirie finale devant le conseil de discipline n'est pas nécessaire, parce qu'elle est destinée à ce seul conseil, et non pas à l'autorité investie du pouvoir de nomination. En effet, l'article 7 de l'annexe IX indique clairement que c'est sur la base de toutes
les enquêtes effectuées et de la défense du requérant que le conseil de discipline doit se faire une opinion qu'il communique à l'autorité investie du pouvoir de nomination sous la forme d'un avis. De son côté, pour arrêter sa décision définitive, l'autorité investie du pouvoir de nomination s'appuie uniquement sur cet avis ainsi que sur l'audition de l'intéressé (à laquelle, de l'avis de la Commission elle-même, son avocat peut assister) ; en revanche, il n'est pas prévu que l'ensemble du dossier
disciplinaire soit soumis à l'autorité investie du pouvoir de nomination et que celle-ci se fasse une opinion après s'être livrée à un examen complet de ce dossier comme si elle constituait une juridiction disciplinaire de second degré.
Par conséquent, a aucun point de vue il n'est possible d'accueillir le grief par lequel le requérant allègue que son défenseur n'a eu ni le temps ni la possibilité de bien préparer sa plaidoirie.
4. Violation de l'article 7 de l'annexe IX au statut des fonctionnaires (audition du requérant par l'autorité investie du pouvoir de nomination)
Comme vous le savez, l'article 7, alinéa 3, de l'annexe IX au statut des fonctionnaires dispose que le fonctionnaire intéressé doit être entendu après notification de l'avis du conseil de discipline à l'autorité investie du pouvoir de nomination et avant que celle-ci ne statue définitivement sur la mesure disciplinaire.
D'après la volonté de la Commission, telle qu'elle s'est manifestée dans une décision du 22 juin 1967, il devait être procédé à cette audition par un fonctionnaire, à ce mandaté, de la direction générale de l'administration du personnel. Dès que cette décision a été prise, le fonctionnaire en question s'est mis en devoir de prendre contact avec le requérant; après un premier échec de sa tentative, il y est parvenu le 27 juin 1967. Un entretien a eu lieu, au cours duquel le requérant a eu
communication du dossier disciplinaire, de l'avis du conseil de discipline et des procès-verbaux de ses séances. Il semble en outre qu'il ait été convenu de se réunir à nouveau le 28 juin en vue de l'audition. Cette date n'a cependant pas pu être respectée: après l'heure convenue, le requérant a fait savoir par téléphone que son avocat, à la présence de qui il tenait, n'était pas libre; un nouveau rendez-vous a dès lors été fixé pour le 29 juin à 11 heures du matin. Déjà au cours de cet entretien
téléphonique, le requérant a également souligné qu'il souffrait des dents et qu'il désirait rentrer au plus tôt de Bruxelles à Ispra pour se faire soigner par son dentiste. Et effectivement, l'audition convenue pour le 29 juin n'a pas davantage eu lieu. Au lieu de voir le requérant se présenter, le fonctionnaire chargé de l'audition a reçu une lettre que celui-ci avait expédiée le 28 juin pour expliquer qu'il ne pouvait pas comparaître à l'audition par suite de maux de dents. Le premier signe de vie
que le requérant ait donné ensuite a consisté dans une lettre du 2 juillet 1967, expédiée d'Ispra, et qui est parvenue à Bruxelles le 5 juillet 1967, c'est-à-dire à une date à laquelle le fonctionnaire chargé de l'audition avait déjà établi et fait parvenir à la Commission un rapport sur l'affaire, à la suite duquel celle-ci a décidé, le 4 juillet, d'infliger au requérant la mesure disciplinaire attaquée.
Cet exposé du déroulement de la procédure pose une série de questions délicates. Sans doute n'est-ce pas le cas en ce qui concerne les objections par lesquelles le requérant relève l'absence de dispositions précises d'exécution (au sens de l'article 110 du statut des fonctionnaires) pour le déroulement de la procédure d'audition, notamment de dispositions relatives au délai de convocation et à la possibilité, lorsque le fonctionnaire fait défaut, de statuer sans l'entendre, après l'avoir mis au
préalable en demeure de comparaître. En effet, on pourra répondre que la procédure d'audition est réalisable même en l'absence de dispositions particulières, que le délai de convocation est resté dans des limites raisonnables et qu'il va de soi qu'il est possible de statuer sans avoir entendu le fonctionnaire quand, sans excuse, il fait défaut.
Au contraire, la situation pourrait se renverser, et cela au détriment du requérant, s'il fallait rechercher s'il avait réellement un motif péremptoire d'empêchement et s'il a apporté en temps utile un commencement de preuve suffisant, seul moyen possible de faire fixer une nouvelle date pour l'audition. En effet, jusqu'à présent, le requérant n'a pas apporté la preuve irréfutable qu'il a été empêché d'une façon impérieuse de respecter la date fixée pour l'audition, puisqu'il s'est borné (et
d'ailleurs uniquement à l'occasion du recours) à produire le certificat d'un dentiste déclarant qu'il était en traitement depuis le 6 mai 1967. Au surplus, on pourrait aussi se demander si le requérant a bien invoqué cette excuse en temps utile, car, abstraction faite de la simple lettre adressée le 28 juin au fonctionnaire chargé de l'audition, il n'a donné de ses nouvelles que par une lettre du 2 juillet expédiée d'Ispra, et cet écrit par lequel il se déclarait disposé à comparaître à l'audition
est parvenu à Bruxelles après la dernière séance au cours de laquelle la Commission pouvait statuer: on sait, en effet, que son mandat expirait le 5 juillet. En admettant la légalité d'une délégation du pouvoir de procéder à l'audition, force serait donc de constater que, si l'audition n'a pas eu lieu, c'est par suite d'un comportement du requérant, pour lequel celui-ci n'a pas prouvé à temps qu'il avait une excuse, et que, par conséquent, il n'y aurait pas de vice de procédure justifiant
l'annulation de la mesure disciplinaire.
Toutefois, ce n'est pas la le problème principal soulevé par le grief que nous sommes en train d'examiner ici. Ce qu'il faut se demander avant tout, c'est si la Commission avait vraiment le droit de déléguer un fonctionnaire pour procéder à l'audition prescrite par l'article 7 de l'annexe IX ou si elle devait au contraire le faire elle-même. Si, en effet, la Commission n'a pas ce pouvoir de délégation, c'est à elle seule qu'il faut imputer le défaut d'audition du requérant, puisqu'elle a clairement
manifesté l'intention de ne pas y procéder elle-même et il faut constater qu'il y a eu une infraction aux règles de procédure qui justifie l'annulation de la mesure disciplinaire.
En ce qui concerne cette question, que nous estimons être la plus importante de la présente affaire, il semble qu'effectivement le texte de l'article 7 de l'annexe IX milite en faveur de la thèse du requérant, surtout quand on le compare à l'article 87 du statut. Si, en effet, l'article 87 déclare que «l'intéressé doit être préalablement entendu», ce qui n'exclut pas une délégation (comme cela a été le cas pour la première audition du requérant), en revanche, l'article 7, alinéa 3, utilise la
formule suivante : «l'intéressé ayant été entendu par elle» (c'est-à-dire l'autorité investie du pouvoir de nomination), ce qui semble impliquer la nécessité d'une audition directe. Il en va de même pour l'exégèse du texte allemand du statut qui déclare, d'une part, à l'article 87 : «der Beamte ist vorher zu hören» et, d'autre part, à l'article 7 de l'annexe IX : «sie (c'est-à-dire “die Anstellungsbehörde”) hat den Beamten vorher zu hören». Mais, en outre, cette interprétation trouve un appui dans
la «ratio legis» de l'article 7. Cet article est destine à garantir que, comme en procédure pénale, avant l'adoption de la décision disciplinaire, l'intéressé ait la possibilité de prendre une dernière fois la parole devant l'autorité appelée à statuer, parce qu'il n'est pas exclu que l'impression personnelle qui peut naître à cette occasion exerce une influence sur une décision pouvant être grave, alors que cette impression ne pourrait être transmise que de manière tout à fait insuffisante par une
tierce personne. Au surplus, la délégation s'insérerait mal dans le système en vigueur: en effet, puisque, au stade principal, y compris la première audition de l'intéressé, la procédure disciplinaire se déroule devant un collège de fonctionnaires qui n'a qu'un rôle consultatif, il n'y aurait aucun sens à confier également la dernière audition de l'intéressé à un fonctionnaire qui cette fois-ci serait seul. C'est à bon droit que le requérant parle à cet égard d'un «double emploi» parfaitement
illogique.
Enfin, il n'est pas possible de soutenir à l'encontre de l'interprétation que nous avons exposée jusqu'ici que, si la Commission doit procéder elle-même à la dernière audition de l'intéressé dans les procédures disciplinaires, cela représente un surcroît de travail qu'on ne peut exiger d'elle en raison de l'étendue de ses autres attributions. L'argument ne porte guère, vu le nombre limité des procédures disciplinaires graves et notamment en considération du fait que la Commission s'est réservé le
pouvoir de décision, au titre d'autorité investie du pouvoir de nomination (du moins pour la catégorie A), dans les affaires courantes du droit de la fonction publique, qui occasionnent certainement plus de travail. Mais si la Commission (ou d'autres institutions) devaient vraiment être considérées comme surchargées par la mise en œuvre des règles de procédure du droit disciplinaire, le seul remède consisterait dans la délégation du pouvoir d'adopter les mesures disciplinaires elles-mêmes. Mais tant
que ce remède n'a pas été envisagé, il n'est pas possible de déroger au principe selon lequel le pouvoir de décision en matière disciplinaire et la dernière audition du fonctionnaire intéressé doivent être réunis dans les mêmes mains.
Certes, compte tenu du comportement du requérant, on ne peut guère considérer comme satisfaisant le résultat auquel les considérations qui précèdent nous amènent. Cependant, vu l'importance de la règle de procédure qui est en jeu, il ne reste pas d'autre possibilité que de voir dans le défaut d'audition du requérant une grave irrégularité de procédure qui, si elle n'oblige pas à annuler l'ensemble de la procédure disciplinaire, notamment l'avis du conseil de discipline, force cependant à annuler la
décision disciplinaire prise par la Commission.
II — L'exactitude de certaines constatations faites par la Commission dans la décision disciplinaire
Compte tenu de la netteté de ce résultat, les autres moyens invoqués à l'appui des conclusions en annulation peuvent faire l'objet d'un examen relativement bref.
1. La prétendue contradiction entre les constatations contenues dans la décision disciplinaire et les résultats de l'enquête effectuée au cours de la procédure disciplinaire
Il en va notamment ainsi pour le grief par lequel le requérant déclare que, quand la décision attaquée relève qu'il n'a pas fait preuve d'initiative au service de la bibliothèque d'Ispra et qu'il a même refusé d'exécuter certains travaux qui lui étaient demandés, cela est en contradiction avec la déclaration du témoin Eder et avec certaines pièces de la procédure disciplinaire et que c'est inexact, la référence qu'il a faite au niveau des travaux qu'on lui demandait constituant, non pas un prétexte,
mais une réclamation parfaitement justifiée.
A la lecture de la déposition du témoin Eder au cours de la procédure disciplinaire, on s'aperçoit d'emblée qu'elle ne fournit d'indications que sur un travail bien déterminé qui avait été confié au requérant et sur son résultat, mais qu'elle ne contient aucun élément qui puisse permettre de se faire une opinion sur l'initiative déployée par le requérant à la bibliothèque et confirmer ainsi la prétendue contradiction.
En ce qui concerne la contradiction alléguée entre les constatations contenues dans la décision attaquée et les pièces de la procédure disciplinaire, notamment à propos du refus du requérant d'exécuter des tâches qu'on lui avait demandé d'assumer, force est de dire que toute vérification est impossible, étant donné qu'on ne nous a pas indiqué avec précision de quelles pièces il s'agit.
Enfin, faute d'explications détaillées et précises, nous ne pouvons pas non plus contrôler la pertinence des observations faites par le requérant au sujet du niveau de ses fonctions à la bibliothèque. Bornons-nous à rétorquer aux observations du requérant qu'elles ne semblent pas avoir été présentées sous une forme aussi nette au cours de la procédure disciplinaire elle-même, dans laquelle il n'a été question que de certains doutes qu'il était possible de concevoir à cet égard. C'est ainsi que
s'explique l'avis du conseil de discipline : «considérant que le doute que peut émettre un fonctionnaire sur le niveau de son emploi ne le dispense en aucun cas d'accomplir les travaux qui lui incombent».
Dès lors, les moyens que nous venons d'examiner ne fournissent pas de motif supplémentaire d'annulation.
2. Le requérant a-t-il reçu précédemment plusieurs admonestations auxquelles il n'a pas donné suite?
La décision disciplinaire relève que, dans l'appréciation du comportement du requérant, il a fallu retenir comme circonstance aggravante le fait que, dans le passé, il s'est vu rappeler plusieurs fois en vain la nécessité de satisfaire à ses obligations professionnelles. Le requérant a fait observer au cours du procès que cette constatation est inexacte, parce qu'en réalité il n'aurait fait l'objet que d'une seule admonestation, celle qui lui a été adressée par la lettre du 23 juin 1965 de la
direction générale de l'administration et du personnel, et cela avant son entrée à la bibliothèque d'Ispra, c'est-à-dire à une époque non visée par la procédure disciplinaire.
Mais ici aussi l'examen du dossier indique immédiatement que le point de vue du requérant n'est pas exact. Le rapport ouvrant la procédure disciplinaire parle expressément de «graves critiques» auxquelles le comportement du requérant a donné lieu à plusieurs reprises. En outre, cinq annexes au moins à ce rapport indiquent clairement que, même après son entrée à la bibliothèque et après un premier blâme, le requérant s'est vu rappeler à plusieurs reprises le respect de ses obligations
professionnelles, qu'il s'agisse d'absences non autorisées, du respect de l'horaire de service ou de la restitution du rapport de notation de 1965. Ces documents parlent aussi de plusieurs admonestations orales adressées au requérant. Aussi est-il impossible de contester l'exactitude de la constatation faite par la Commission, car il est évident qu'on se trouve en présence d'admonestations à prendre en considération, non seulement lorsqu'elles émanent directement de l'autorité investie du pouvoir de
nomination, mais également lorsque les supérieurs hiérarchiques immédiats d'un fonctionnaire croient devoir les lui adresser.
III — Le degré de la sanction
Un troisième et dernier groupe de griefs invoqués à l'appui des conclusions en annulation consiste en des considérations relatives au degré de la sanction disciplinaire: pour utiliser les termes du requérant, elles concernent le fait pour la Commission de ne pas avoir pris en considération des circonstances atténuantes, bien que l'avis du conseil de discipline en ait fait état pour proposer une sanction disciplinaire inférieure à celle qui a été infligée.
A ce propos, nous ne devons pas nous arrêter longuement à la question de savoir si, comme le droit pénal, le droit disciplinaire connaît en principe la notion de circonstances atténuantes. Comme, en effet, en droit disciplinaire, l'ensemble du comportement du fonctionnaire dans le service doit, pour bien faire, être pris en considération, il est parfaitement possible que de bons services et d'autres circonstances influencent le jugement d'ensemble porté sur lui et entraînent l'adoption d'une
sanction disciplinaire inférieure à la sanction maximale. Cela peut être regardé (même si ce n'est pas rigoureusement exact) comme une prise en considération de circonstances atténuantes.
A cet égard, le requérant estime qu'il faut tenir compte de deux éléments que la Commission a eu le tort de négliger.
1. La promesse formelle qu'il a faite au conseil de discipline de restituer dans les plus brefs délais le rapport de notation qui lui avait été réclamé
L'avis du conseil de discipline présente la non-restitution du rapport de notation comme un fait incontesté. Cet avis déclare textuellement ensuite : «Considérant toutefois qu'au cours des débats M. August Van Eick s'est engagé à restituer ce rapport dans les plus brefs délais; considérant que ce fait constitue un témoignage de mauvaise volonté de la part de M. August Van Eick».
Le requérant estime que logiquement, compte tenu du mot «toutefois», l'avis aurait dû porter, non pas «mauvaise volonté», mais bien «bonne volonté». Il soutient que l'avis du conseil de discipline contient donc une erreur manifeste. En réalité, il a eu l'intention de prendre en considération une circonstance atténuante et la Commission a eu le tort de ne pas la retenir, sans motiver cette attitude dans sa décision disciplinaire.
C'est là toutefois un raisonnement que nous ne pourrons guère suivre. En réalité, on ne voit pas comment, lorsque, après plusieurs rappels infructueux, le requérant s'est finalement déclaré disposé au cours de la procédure disciplinaire à renvoyer le rapport de notation, cela constituerait une circonstance autorisant à apprécier son comportement avec plus de bienveillance. En vérité, le requérant n'a fait qu'annoncer l'exécution d'une obligation qui va de soi pour tout fonctionnaire.
Par conséquent, même en supposant qu'à cet égard le conseil de discipline ait véritablement voulu relever une circonstance atténuante (mais le texte de son avis empêche de le croire), le fait que la Commission ne se soit pas ralliée à sa façon de voir ne pourrait pas être considéré comme une dérogation incompréhensible, ou nécessitant d'être motivée, à l'avis du conseil de discipline, et cela d'autant moins que les choses en sont restées à une simple promesse et que, comme nous l'avons appris à
l'audience, la restitution du rapport n'a pas encore eu lieu à ce jour.
2. La déception du requérant par suite de l'abandon du projet «Bird»
Il en va de même pour la constatation du conseil de discipline selon laquelle le comportement du requérant doit être apprécié à la lumière de l'abandon du projet «Bird» auquel M. Van Eick s'était consacré jusqu'en 1962. Cela expliquerait une certaine déception et un certain désappointement du requérant qui pourraient faire apprécier ses manquements avec plus de bienveillance. Voilà encore une considération que la Commission n'a pas reprise à son compte, et nous estimons qu'il n'est pas possible non
plus de lui adresser de critique à ce sujet-là.
En vérité, l'appréciation disciplinaire du comportement d'un fonctionnaire implique des jugements de valeur dont tous les détails ne peuvent pas être contrôlés ensuite au cours de la procédure judiciaire. La seule chose à vérifier, c'est si cette appréciation apparaît au total comme adéquate, convaincante et compréhensible. Or, tel paraît bien être le cas pour le point qui nous intéresse ici. N'oublions pas que c'est en 1962 que le projet «Bird» a été abandonné, alors que la procédure disciplinaire
portait sur le comportement du requérant en 1966. Il est donc parfaitement compréhensible qu'en raison de ce facteur chronologique la Commission ait refusé de parler d'une véritable circonstance atténuante pouvant justifier l'indulgence envers le comportement ultérieur du requérant. Au surplus, il n'était pas non plus nécessaire pour elle de justifier spécialement sa décision de porter une appréciation qui différait de l'avis du conseil de discipline. Si notre jurisprudence consacre d'une manière
générale le principe que les motifs d'une décision ne doivent pas se prononcer en détail sur les considérations d'un organe consultatif participant à l'élaboration de ladite décision, rien ne permet d'appliquer une règle différente pour la procédure disciplinaire.
Par conséquent, les observations du requérant sur le degré de la sanction ne fournissent pas non plus une raison supplémentaire de fond ou de forme permettant d'annuler la décision disciplinaire.
B — Les conclusions tendant au paiement des arriérés de traitement
Par les points 2 et 3 de ses conclusions, le requérant réclame le paiement du traitement et des autres avantages qui lui auraient été dus en cas de maintien en fonctions.
Si vous nous suivez et si vous annulez la décision disciplinaire, c'est-à-dire la révocation du requérant, vous devrez également donner suite aux conclusions tendant au paiement des arriérés, puisque, par suite de l'annulation de la décision de révocation, le requérant doit être considéré comme se trouvant toujours en fonctions à la Commission.
En revanche, contrairement aux conclusions de la requête, nous estimons que la Cour ne devrait pas prononcer une condamnation à une somme déterminée; elle devra au contraire laisser à la Commission le soin de calculer le détail des arriérés de traitement.
Quant à savoir s'il y a lieu pour la Cour de dire que la somme à calculer doit être diminuée des émoluments que le requérant aurait perçus chez un autre employeur après sa révocation, on peut en douter, si on tient compte des indications fournies par le requérant à l'occasion de sa demande d'assistance judiciaire gratuite. Nous croyons toutefois que rien ne s'oppose à ce que la Cour fasse cette constatation, comme elle l'a fait dans les affaires 80-63 et 110-63 (Recueil, X-1964, p. 798, et XI-1965,
p. 825), relatives, on s'en souvient, à des cas de refus d'intégration. En outre, la Cour devrait ordonner qu'il y a lieu de déduire les sommes que le requérant a touchées à l'occasion de son départ, étant donné que leur versement n'est pas justifié en cas de maintien en fonctions.
C — Les conclusions en dommages-intérêts
Il nous reste enfin à parler de deux chefs de conclusions par lesquels le requérant demande que la Commission soit condamnée à réparer le dommage matériel et moral qui lui a été causé par la décision disciplinaire. Ici aussi nous pouvons être très bref.
I — Dommage matériel
A titre de réparation pour dommage matériel, le requérant demande 25000 FB, en alléguant que c'est là la somme qu'il a dû dépenser à l'occasion de sa défense au cours de la procédure disciplinaire.
A cet égard, force est de constater que l'article 10 de l'annexe IX au statut des fonctionnaires réglemente expressément la question de savoir qui doit supporter les dépens des procédures disciplinaires. Aux termes de cette réglementation, le fonctionnaire ne doit supporter «les frais occasionnés par [son] initiative…, et notamment les honoraires dus à un défenseur n'appartenant pas aux trois Communautés européennes» que dans le cas où la procédure disciplinaire aboutit à une des sanctions prévues à
l'article 86, paragraphe 2, alinéas c à g, du statut, tandis que, dans tous les autres cas, il faut logiquement en conclure que c'est l'autorité investie du pouvoir de nomination qui doit supporter les frais de la défense.
Sans doute, dans l'espèce, l'annulation de la décision disciplinaire fait-elle disparaître la condamnation conditionnant l'application de l'article 10. Néanmoins, étant donné que, comme nous l'avons vu, la procédure suivie devant le conseil de discipline ne présente pas d'irrégularités et que l'avis dudit conseil n'appelle pas non plus de critiques, il faut s'attendre à ce que la Commission rende une. nouvelle décision disciplinaire après avoir entendu régulièrement le requérant. Par conséquent, ce
n'est que si aucune décision disciplinaire n'était prise ou si le requérant ne se voyait infliger qu'un avertissement ou un blâme qu'il y aurait lieu de statuer sur les conclusions qu'il a présentées sur les dépens. Actuellement, une telle décision serait prématurée.
Tout au plus pourrait-on se demander s'il est possible de reconnaître dès à présent au requérant le droit d'être indemnisé des frais qu'il a été amené à exposer pour comparaître à l'audition fixée en violation du statut, et cela motif pris de ce que cette convocation constituait une faute de service. Mais il semble qu'il n'y ait pas davantage de raison de le faire. Il est à supposer que le requérant n'a pas eu d'honoraires spéciaux à verser à son avocat à cette occasion: en effet, il n'y a pas eu
d'audition et dès lors M. Van Eick n'a pas dû être assisté par son conseil. Quant à ses frais de déplacement, il faut supposer qu'ils lui ont déjà été remboursés, puisqu'une lettre que le directeur du centre de recherches lui a adressée le 26 juin 1967 déclare que «le voyage à Bruxelles pourra être déclaré en tant que mission».
Force est des lors de rejeter les conclusions par lesquelles le requérant réclame 25000 FB à titre de réparation du préjudice matériel.
II — Dommage moral
Le requérant réclame 100000 FB à titre de réparation du dommage moral.
Nous estimons toutefois que cette réclamation n'est pas fondée. Même si on admet (et c'est défendable) qu'il faut voir une faute de service dans l'absence d'audition régulière du requérant, il n'en reste pas moins que la preuve n'est pas apportée que c'est précisément cet élément qui a causé un préjudice moral au requérant. Au surplus, il ne faut pas perdre de vue que l'annulation de la décision de révocation attaquée a pour conséquence que le requérant doit être regardé comme restant en fonctions à
la Commission, et on peut considérer que cela a pour effet de compenser le préjudice moral qu'il pourrait éventuellement avoir subi.
Il est donc certain que les conclusions par lesquelles il demande la réparation du dommage moral doivent être rejetées.
D — Récapitulation
Voici dès lors les conclusions que nous formulons:
Les conclusions par lesquelles le requérant demande l'annulation de la décision de la Commission du 4 juillet 1967 prononçant sa révocation sont recevables et fondées. Pour le surplus, ses conclusions en annulation doivent être rejetées comme non fondées, en tant qu'elles portent sur la procédure disciplinaire et sur l'avis émis par le conseil de discipline le 23 juin 1967.
La Commission doit être condamnée à payer au requérant les émoluments auxquels il aurait eu droit s'il avait été maintenu en fonctions après le 1er août 1967. Les arriérés à lui verser doivent le cas échéant être diminués des émoluments nets dont il pourrait avoir bénéficié en raison d'une activité professionnelle exercée en dehors de la Communauté après sa révocation ainsi que des sommes qui lui ont été versées à l'occasion de son licenciement.
Les conclusions par lesquelles le requérant réclame 25000 FB à titre de réparation du préjudice matériel doivent être rejetées.
Il en est de même pour celles par lesquelles il réclame 100000 FB à titre de réparation du préjudice moral.
Etant donné que le requérant triomphe partiellement dans son recours, nous estimons qu'il est justifié de mettre à la charge de la Commission la moitié des dépens qu'il a exposés. En tout cas, conformément à l'article 76, paragraphe 5, du règlement de procédure, il y a lieu de prononcer la distraction, au profit de la caisse de la Cour, de la somme de 15000 FB qui a été avancée à l'avocat du requérant en vertu de l'ordonnance du 3 avril 1968 par laquelle ce dernier a été admis au bénéfice de
l'assistance judiciaire gratuite, cette somme devant être prelevée sur la part des dépens à supporter par la Commission.
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( 1 ) Traduit de l'allemand.
( 2 ) Cf. Institut belge des sciences administratives: L'exercice de la fonction disciplinaire dans les administrations centrales des pays du Marché commun, p. 71.