CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JOSEPH GAND,
PRÉSENTÉES LE 21 MAI 1969
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
La demande d'interprétation de certains articles du traité de Rome que vous a adressée le juge de paix du 2e canton d'Anvers est importante à plus d'un titre. D'abord, parce qu'elle est née d'un litige qui a trait à la cotisation à laquelle les importateurs de diamant brut sont assujettis au profit du Fonds social pour les ouvriers diamantaires, cotisation instituée par les lois belges des 12 avril 1960 et 28 juillet 1962; le juge national, avant de vous saisir, a longuement examiné le problème,
souvent débattu, des rapports entre le traité et la loi postérieure et l'a résolu dans le sens indiqué par votre arrêt du 15 juillet 1964, Costa contre E.N.E.L. (6-64, Recueil, X-1964, p. 1141). Par ailleurs, à propos d'une espèce très particulière, vous retrouverez des notions qui ont déjà fait l'objet d'une jurisprudence assez fournie, telles que celles de «taxe d'effet équivalent» et d' «imposition intérieure», et vous aurez à fixer les limites des droits des États. Nous ajouterons enfin que les
questions qui sont ici débattues ne sont pas sans rapports avec celles que vous aurez tout à l'heure à examiner dans l'affaire 24-68 qui oppose la Commission des Communautés au gouvernement italien à propos du droit de statistique perçu par cet État sur les importations et les exportations.
I
Si les questions posées ne portent et ne peuvent porter que sur l'interprétation de textes communautaires, en l'espèce les articles 9, 12, 13, 18 et 95 du traité, on ne peut en comprendre la portée et y répondre utilement qu'à condition de les replacer dans le cadre du litige qui les a motivées sur le plan national. C'est ce premier aspect qui nous retiendra d'abord.
1. La loi du 12 avril 1969 a institué en Belgique un Fonds social pour les ouvriers diamantaires, analogue à ceux qui existaient déjà pour d'autres catégories de travailleurs, et qui a pour mission le financement, l'octroi et le paiement d'avantages sociaux complémentaires à ces ouvriers. En vertu de l'article 2 bis de la loi, tel qu'il résulte de la loi du 28 juillet 1962, le Fonds est financé au moyen de cotisations dues par toutes les personnes important du diamant brut et dont le montant est
fixé à 1/3 % de la valeur du diamant brut importé. Toutefois, l'alinéa 2 du même article précise que le Roi peut accorder dispense de la cotisation lorsque la valeur du diamant ne dépasse pas 300 FB par carat, ou lorsque le diamant est importé des Pays-Bas dans le cadre de l'accord d'échange entre les industries diamantaires belge et néerlandaise.
Ainsi la taxe (ou la cotisation, pour reprendre le terme utilisé par la loi belge) est destinée à assurer des avantages aux ouvriers diamantaires, c'est-à-dire au personnel qui travaille le diamant pour le compte des fabricants, des industriels; elle est à la charge des importateurs négociants, dont il n'est pas exclu qu'ils soient en même temps industriels, mais qui ne le sont pas nécessairement, et qui, en tout cas, sont tenus en tant qu'importateurs et imposés d'après la valeur du produit
importé. Le gouvernement belge, dans ses observations, vous a indiqué qu'il n'était apparu ni possible, ni équitable, «à la suite de circonstances de fait internes», de mettre cette «cotisation de sécurité sociale» à la charge de l'employeur et qu'il avait fallu la calculer sur la matière première importée. Ce sont des considérations qu'il ne nous appartient pas d'approfondir: sans doute faut-il comprendre par là que cette industrie constitue un milieu fermé et particulariste, dont la structure
est telle que les lois sociales s'y appliquent malaisément. On a fait valoir également que les importateurs profitaient, au moins indirectement, du travail des ouvriers diamantaires.
2. Les conditions d'application de la loi et la situation du marché du diamant en Belgique ont été longuement exposées par les représentants des parties au principal tant dans leurs productions écrites qu'à l'audience. Sans entrer dans le détail, nous rappellerons que, plus encore que d'une industrie diamantaire, Anvers est le siège d'un marché international du diamant où se déterminent les cours mondiaux de ce produit. Principal client de la Diamond Trading Co., centre de distribution de la De
Beers, Anvers, reçoit également des pierres brutes d'autres provenances, et notamment d'autres États de la Communauté qui, pas plus que la Belgique, ne sont producteurs. Sur son marché se négocient la matière première destinée à l'industrie locale et la production de cette industrie; on y vend aussi des quantités très importantes de diamants bruts et taillés destinés à d'autres centres. La perfection de l'organisation, résultant d'une longue tradition, est telle que l'on peut commander auprès des
firmes de la place des pierres, brutes ou taillées, sur la foi d'une description détaillée.
Ce sur quoi il faut insister est qu'Anvers est notamment un marché du diamant industriel. Ce dernier n'est d'ailleurs qu'une variété de diamant brut qui est destinée à cet usage particulier parce qu'il est impropre à la taille et à l'emploi en joaillerie, mais il ne peut parfois recevoir son affectation définitive qu'après des opérations de classement. Or, si la loi de 1962 exempte de la cotisation le diamant brut dont la valeur ne dépasse pas 300 FB par carat, le diamant dit industriel peut fort
bien avoir une valeur supérieure, il est alors passible de la taxe bien qu'il ne soit pas traité par l'industrie diamantaire. De même, il ne paraît plus contesté que d'une façon générale (sous réserve de la marchandise «en transit» ou refusée lors de l'importation) le diamant réexporté en l'état sans avoir subi de taille entre également en compte pour le calcul de la cotisation.
3. Estimant que la cotisation créée par la loi du 28 juillet 1962 constituait en réalité une taxe d'effet équivalant à un droit de douane au sens de l'article 12 du traité, diverses associations professionnelles et des importateurs de diamant brut s'adressèrent dès la fin de cette même année à la Commission pour se plaindre de ce qui leur paraissait un manquement de l'État belge à ses obligations.
Après avoir d'abord répondu qu'elles préféraient différer toute prise de position jusqu'au moment où une instance juridictionnelle vous aurait saisis d'une question préjudicielle, les autorités communautaires ont fait savoir en 1967 aux plaignants que la cotisation litigieuse ne leur paraissait pas tomber sous le coup des dispositions de l'article 12.
Mais ces mêmes autorités ont repris ensuite la question sous un autre aspect. L'alinéa 2 de l'article 2 bis de la loi permet, nous l'avons dit, d'exempter de la taxe le diamant importé des Pays-Bas dans le cadre de l'accord d'échange entre les industries diamantaires belge et néerlandaise. Estimant que cette disposition revêtait un caractère discriminatoire contraire à l'article 7 du traité, la Commission, le 29 février 1968, a invité le gouvernement belge, dans le cadre de l'article 169 à
amender sa législation sur ce point et lui a proposé une alternative, consistant:
«— soit à admettre dorénavant au bénéfice de la dispense les importations de diamant brut en provenance de tout État membre aux mêmes conditions que celles appliquées aux Pays-Bas,
— soit, à l'inverse, à supprimer l'exonération consentie en faveur des seuls Pays-Bas».
Le choix des deux termes de l'alternative impliquait, sur la nature de la cotisation litigieuse, une prise de position que nous retrouvons dans les observations déposées devant vous par la Commission. Nous ajouterons que celle-ci a, le 20 janvier 1969, à défaut d'observations du gouvernement belge, émis l'avis motivé prévu à l'article 169.
4. Parallèlement à ces démarches sur le plan communautaire, une autre procédure était engagée devant la juridiction belge compétente, et les quelque 200 importateurs, assignés par le Fonds social en paiement de cotisations, opposaient pour leur défense les dispositions du traité. C'est dans ces conditions que le juge de paix du 2e canton d'Anvers a choisi deux affaires types, les affaires Brachfeld (importateur de diamants bruts) et Chougol (importateur de diamants industriels), respectivement
inscrites à votre registre sous les numéros 2-69 et 3-69, à propos desquelles il vous demande par deux jugements identiques du 24 décembre dernier d'interpréter certains articles du traité.
Il estime en effet nécessaire, pour la solution du litige, de vérifier si la cotisation discutée est couverte par une des notions de droit de douane, taxe d'effet équivalent ou imposition intérieure, visées notamment par les articles. 9, 12 et 95 du traité C.E.E., car le fait qu'elle est perçue au profit d'un Fonds social, qui constitue d'ailleurs une institution publique, ne lui parait pas exclure cette éventualité.
Pour obtenir une définition de ces différentes notions et cerner les contours de chacune d'elles, le juge belge procède par une série d'interrogations, toujours plus précises, toujours plus détaillées, mais d'un intérêt parfois inégal. Ce sont ces questions, au nombre de six, dont certaines se subdivisent en sous-questions, et que reproduit le rapport d'audience, qu'il nous faut maintenant examiner. Nous le ferons à la lumière des observations de fait que nous venons d'indiquer, sans oublier
toutefois que si votre réponse doit être utile à la solution du litige au fond, il ne vous appartient, dans le cadre de l'article 177, que d'interpréter le texte communautaire mais non de l'appliquer à une espèce déterminée, encore moins de vous prononcer sur la conformité au regard du traité d'une disposition du droit national. Il appartiendra au juge de paix d'Anvers de dégager de votre réponse les éléments qui lui permettront de statuer sur ce point.
II
A — On vous demande d'abord par la question 1, à propos des articles 9, 12, 13, 18 et 95 du traité, si les droits ou les taxes d'effet équivalent considérés dans ces articles ou dans certains d'entre eux doivent avoir «toutes les caractéristiques d'une imposition fiscale», et d'autre part si ces droits ou taxes sont uniquement ceux qui alimentent le Trésor ou réduisent ses charges ou, d'une façon générale, tous ceux qu'un État membre impose à l'occasion de l'importation, quel que soit leur but,
fiscal, administratif ou social.
On voit tout de suite ce qui motive cette question. La «cotisation» litigieuse — c'est le terme employé par la loi belge qui ne prononce jamais le mot de taxe ou d'impôt — diffère en effet par sa dénomination et sa destination des types classiques d'imposition frappant les produits. Elle est une des manifestations de ce phénomène moderne assez général que l'on baptise du vocable un peu vague de «parafiscalité». Il s'agit donc de savoir d'abord si elle peut entrer dans le champ d'application d'un
des articles visés, sans préciser encore lequel.
Il est difficile et sans doute inutile de répondre de façon précise à la première partie de la question. Si le terme d'imposition se trouve à divers endroits du traité et du protocole sur les privilèges et immunités, il n'y a pas nécessairement un sens univoque et la réponse que vous avez donnée dans votre arrêt Klomp du 25 février dernier (23-68, Recueil, XV-1969, p. 43) ne peut en aucune façon, contrairement à ce que soutient le demandeur au principal, être transposée dans la présente affaire;
d'autre part, le juge qui vous saisit paraît se référer à une notion d'«imposition fiscale» qui peut avoir un sens précis en droit belge et en comporter un autre dans le droit d'autres États membres.
En revanche, la seconde partie de la question peut recevoir une réponse plus directe et suffisante qui annonce celle que l'on fera aux interrogations suivantes. Dès que l'État — ou un organisme délégué par lui — impose des taxes ou impositions à l'occasion de l'importation des marchandises, se pose le problème de leur compatibilité avec le traité. Il n'est pas nécessaire de rechercher si elles enrichissent le Trésor ou sont au contraire versées à un fonds spécial, de même que l'on ne peut placer
hors du champ d'application des articles du traité des taxes ou impositions en raison de leur but fiscal, social ou administratif (à l'exception toutefois des taxes pour services rendus qui doivent être appréciés strictement).
B — Les questions 2, 3 et 4, posées à propos des mêmes articles, ont pour objet de savoir si ce qui est décisif est la nature de la perception ou son effet, si l'effet équivalent consiste dans l'identité des buts ou dans celle des résultats de la perception, si les résultats doivent éventuellement s'apprécier du point de vue des sommes perçues ou de celui de l'influence sur la libre circulation des biens. En d'autres termes, il s'agit d'établir quels sont les éléments déterminants pour apprécier au
regard du traité les droits de douane, les taxes d'effet équivalent, visés aux articles 9, 12 et 13, et les impositions intérieures frappant les produits importés prévues à l'article 95. Il faut ici distinguer.
S'agissant d'abord des droits de douane, les articles du traité qui les concernent s'appliquent à tous les droits ainsi dénommés dans le cadre des législations nationales, y compris aux droits de douane de caractère fiscal, et exigibles du fait du franchissement de la frontière. La seule dénomination suffit, sans qu'il y ait lieu de rechercher les effets de ces droits, lesquels peuvent être divers suivant les cas.
A cote des droits de douane, le traite mentionne les taxes d'effet équivalent sur lesquelles vous avez eu à vous prononcer à plusieurs reprises depuis votre arrêt du 14 décembre 1962 (Commission de la C.E.E. contre grand-duché de Luxembourg et royaume de Belgique, 2 et 3-62, Recueil, VIII-1962, p. 813). Nous ne retiendrons pour le moment de votre jurisprudence que ceux de ses éléments qui importent à la solution des questions posées. Il en résulte que ni la dénomination de la taxe, ni sa
technique, ni le but recherché par l'État en l'instituant ne sont déterminants; ce qu'il faut pour reconnaître si une taxe entre dans cette catégorie, c'est considérer son effet au regard des objectifs du traité, en particulier par rapport à la libre circulation des marchandises, et il importe peu de savoir si tous les effets d'un droit de douane sont réunis ou seulement l'un d'entre eux, ou encore si d'autres buts principaux ou accessoires ont été recherchés.
Restent les «impositions intérieures» que l'article 95 qui les vise fait suivre de la formule «de quelque nature qu'elles soient». On peut y voir l'indication qu'ici encore la dénomination, la technique, le but recherché par la puissance publique ne sont pas déterminants.
C — Mais ces indications ne constituent encore qu'une première approche du problème. Par la question 5, a et b, on vous demande si la notion d'entraves aux échanges suppose toujours que le droit prélevé ait des effets discriminatoires ou protectionnistes, et s'il ne saurait y avoir d'entraves aux échanges en l'absence de concurrence d'une production nationale.
La question est posée à propos des articles 9 et 12 (c'est-à-dire des taxes d'effet équivalent), mais elle n'est pas sans intérêt non plus pour délimiter les impositions intérieures de l'article 95, puisque les articles 12 et 13 d'une part et 95 d'autre part ne peuvent être appliqués conjointement à une même espèce (16 juin 1966, Lütticke, 57-65, Recueil, XII-1966, p. 294).
Une remarque de terminologie d'abord: la Commission fait observer à propos de la formulation de la question que les articles 9 et 12 ne parlent pas d'entraves aux échanges et que, sous certaines conditions et en vertu d'autres dispositions du traité, des impositions ou taxes peuvent être perçues sur les produits importés, qui ont toujours pour effet, dans une mesure si minime qu'elle soit, de freiner les importations. La remarque est exacte, mais il reste que les articles dont l'interprétation
est demandée appartiennent au titre I de la deuxième partie, intitulé «La libre circulation des marchandises», ce qui est l'indication d'un principe et de l'intention des auteurs du traité de voir éliminer ces entraves aux échanges. Cela dit, les deux parties de la question posée sont intimement liées: s'il n'y a de taxe d'effet équivalent au sens de l'article 12 qu'à condition qu'elle ait des effets protectionnistes ou discriminatoires, une taxe frappant un produit importé qui n'a pas de
concurrent sur le plan national se trouve nécessairement hors du cadre de cet article 12.
On peut se demander si la réponse n'a pas déjà été donnée par votre arrêt 2 et 3-62 déjà mentionné, dont nous citerons ce passage:
«La taxe d'effet équivalent peut être considérée, quelles que soient son appellation et sa technique, comme un droit unilatéralement imposé, soit au moment de l'importation, soit ultérieurement, et qui, frappant spécifiquement un produit importé d'un pays membre à l'exclusion du produit national similaire, a pour résultat, en altérant son prix, d'avoir ainsi sur la libre circulation des produits la même incidence qu'un droit de douane.»
Cette conception se trouve exprimée en termes à peu près identiques dans l'arrêt du 8 juillet 1965, Waldemar Deutschmann (10-65, Recueil, XI-1965, p. 601), comme dans l'arrêt du 16 juin 1966, république fédérale d'Allemagne contre Commission de la C.E.E. (52 et 55-65, Recueil, XII-1966, p. 227). Elle apparaît donc comme très compréhensive dans la mesure où l'effet discriminatoire — «si faible soit-il», dit l'arrêt 52 et 55-65 — suffit à faire reconnaître à la taxe sur les produits importés un
effet équivalant à celui d'un droit de douane, mais elle reste cantonnée à l'hypothèse où il existe un produit national similaire.
Nous pensons cependant qu'il n'est pas inutile aujourd'hui d'approfondir, de préciser cette jurisprudence, et le cas échéant de la corriger.
On notera d'abord que dans les espèces qui ont donné lieu aux arrêts auxquels nous nous sommes référé, les produits importés étaient toujours en concurrence avec des produits nationaux similaires; dans le cadre du problème qui vous était posé, il suffisait de constater le caractère discriminatoire de la taxe pour admettre qu'elle avait un effet équivalant à celui d'un droit de douane.
D'autre part vous avez toujours affirmé que la licéité des taxes devait être examinée «à la lumière des objectifs du traité». Or, ceux-ci, d'après l'article 3, sont notamment:
a) L'élimination, entre les États membres, des droits de douane et des restrictions quantitatives à l'entrée et à la sortie des marchandises, ainsi que de toutes autres mesures d'effet équivalent;
b L'établissement d'un tant douanier commun et d'une politique commerciale commune envers les États tiers;
c) L'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun.
Pour réaliser ces objectifs, le traité prescrit l'élimination de tous les droits de douane, et il ne distingue pas selon que les produits qu'ils atteignent sont ou non en concurrence avec des produits nationaux. C'est ainsi qu'en vertu de l'article 17, les dispositions relatives à l'élimination des droits de douane sont applicables aux droits de douane à caractère fiscal. Et c'est dans le même esprit que le traité prévoit la suppression des droits de douane à l'exportation. On peut donc penser
que ce n'est pas seulement la discrimination ou la protection de l'industrie nationale qu'il a eu pour but de supprimer, mais toute entrave aux échanges.
Aussi bien, cette notion n'est-elle pas absente de votre jurisprudence. Sans doute vous êtes-vous référés avant tout à l'idée de discrimination, et vous avez considéré que, dès que celle-ci était constatée, il y avait taxe d'effet équivalent, car, si minime que fût cette discrimination, elle était de nature à fausser la concurrence, à entraver les échanges, et donc contraire aux objectifs du traité. Mais si la discrimination caractérise en fait le plus souvent la taxe d'effet équivalent, il n'en
résulte pas nécessairement qu'elle soit la condition sine qua non de l'existence de celle-ci.
Le droit de douane ne s'applique par définition qu'aux produits qui franchissent la frontière; or, il suffit pour justifier sa prohibition de constater qu'il constitue une entrave à la libre circulation des marchandises. Le même critère peut être appliqué aux taxes qui, sans avoir l'aspect du droit de douane, ont cependant comme celui-ci pour effet de mettre obstacle à cette libre circulation, sans entrer cependant dans le système général des taxes intérieures visées à l'article 95 du traité.
Mais si l'on s'arrête à ce critère de l'entrave aux échanges, il n'y a pas lieu de distinguer entre les taxes qui frappent les marchandises auxquelles correspondent des produits nationaux similaires et celles qui ne rencontrent pas pareille concurrence, car le fait que certains biens ne sont pas produits dans un État membre ne peut conférer à cet État le pouvoir d'imposer, dans le cadre de l'article 12, des droits à l'importation sur ces biens. La libre circulation des marchandises qu'entend
assurer le titre I de la deuxième partie du traité est une règle qui doit s'appliquer de manière égale à tous les produits à l'intérieur de la Communauté.
Peut-être objectera-t-on qu'une conception aussi rigoureuse de la liberté des échanges fait fi des réalités et qu'une taxe d'un montant aussi faible par exemple que la «cotisation» qui a donné lieu au litige devant le juge de paix d'Anvers ne peut en fait avoir aucune influence sur la marche des transactions. Mais il faut éviter soigneusement tout ce qui pourrait ouvrir une brèche dans un système fondé sur l'interdiction des droits de douane et des taxes d'effet équivalent. C'est un danger que
mentionne déjà votre arrêt 2 et 3-62, et la création de fonds spéciaux, alimentés par des contributions perçues à l'importation, serait un des moyens auxquels les États pourraient être particulièrement tentés de recourir pour tourner les prescriptions des articles 9 et 12 du traité.
Pour nous résumer, nous estimons en définitive qu'il peut y avoir obstacle à la libre circulation des biens, même si la taxe d'effet équivalent n'a pas de conséquences discriminatoires ou protectionnistes, même s'il n'y a pas concurrence d'une production nationale. Cette solution n'est pas cependant évidente; au cas où vous ne l'adopteriez pas, nous voudrions prendre rapidement position sur certains points des observations de la Commission qui débordent d'ailleurs de la question telle qu'elle
vous a été posée par le juge belge. Se plaçant sur le terrain, non des articles 9 et 12, mais de l'article 95, la Commission relève que votre jurisprudence (en particulier vos arrêts 27-67 et 31-67 du 4 avril 1968) admet la possibilité de frapper d'impositions intérieures des produits provenant d'autres États membres qui ne sont pas en concurrence avec des produits similaires ou substituables. Vous en avez ainsi décidé pour des impositions perçues dans le cadre de la législation relative à la
taxe sur le chiffre d'affaires, c'est-à-dire d'une taxe générale frappant indistinctement toutes les catégories de produits tant internes qu'importés; vous avez estimé en effet qu'une telle imposition, lorsqu'elle est prélevée à l'importation, est destinée à placer dans une situation fiscale comparable toutes les catégories de produits, quelle qu'en soit l'origine, et qu'il n'y a pas de raison pour que certains produits importés bénéficient d'un régime privilégié du fait qu'ils ne rencontrent
pas de productions nationales susceptibles d'être protégées. Vous avez cependant posé comme condition que le taux fixé pour ces produits reste dans le cadre général du système d'imposition considéré.
Partant de là, la Commission déclare qu'on ne saurait non plus, sur la base du traité, refuser à un État membre le droit d'instituer des impositions intérieures spéciales pour les produits qui n'ont pas de correspondants dans la production nationale. Sous réserve que, dans ce cas, le taux de l'imposition ne soit pas supérieur à «l'ensemble des impositions intérieures qui frappent ces produits et les autres», un traitement fiscal privilégié pour les produits dont il n'y a pas de production
nationale ne saurait pas plus se justifier dans ce cas que dans celui du système général de taxe sur le chiffre d'affaires.
Nous dirons simplement que l'assimilation nous paraît discutable, car, si l'imposition est spéciale, il ne peut par définition être question de placer le produit qui y est soumis dans une situation comparable à celle d'autres produits, et si la marchandise importée qui n'est pas en concurrence avec un produit national n'était pas soumise à l'impôt elle ne bénéficierait cependant d'aucun privilège. Mais, encore une fois, nous sommes ici en dehors du cadre tel que l'a tracé le juge belge.
D — Dans la suite de la question 5, celui-ci s'efforce, en rapprochant sucessivement l'article 12 d'autres articles du traité, d'éclairer la portée de cet article 12. Mais les divers problèmes qu'il vous pose sont présentés parfois de façon un peu obscure et paraissent moins directement liés au litige.
— se tournant d'abord vers les articles 9 et 18, il vous demande si une nouvelle taxe frappant les importations en provenance de tous les pays étrangers est toujours interdite comme étant de nature à faire obstacle à la réalisation des objectifs visés par les articles 9 et 18 du traité, à savoir l'adoption d'un tarif douanier commun dans les relations avec les pays tiers et la réduction des droits au-dessous du niveau général, en sorte qu'il serait sans importance qu'une telle taxe ait ou n'ait
pas d'effet discriminatoire.
La Commission se borne à faire remarquer avec raison que l'article 18 peut être considéré comme une déclaration d'intention, ou une affirmation de principe. Il concerne la politique à pratiquer quant au niveau des droits de douane applicables aux importations en provenance des pays tiers; il envisage la conclusion d'accords visant sur une base de réciprocité à la réduction des droits de douane au-dessous du niveau général dont les États membres pourraient se prévaloir du fait de
l'établissement entre eux d'une union douanière. D'autre part, l'article 12 que l'on prétend ici rapprocher de l'article 18 a trait uniquement aux rapports intra-communautaires. Ce sont deux domaines différents. On ne voit pas en tout cas comment la taxe envisagée par le juge belge serait nécessairement contraire à l'article 18.
— Il envisage ensuite l'article 37. La distinction qui serait faite par cet article entre les monopoles entraînant ou non une discrimination entre les ressortissants des États membres au sujet de l'approvisionnement et des débouchés doit-elle être faite également en ce qui concerne les droits ou prélèvements visés aux articles 9 et 12?
Telle est exactement la question posée dont nous devons dire que nous ne voyons pas très exactement la portée. Elle paraît d'ailleurs supposer que l'article 37 — qui n'est pas d'une parfaite clarté, vous le savez — distingue entre deux sortes de monopoles, suivant qu'ils sont ou non discriminatoires, alors qu'il tend à aménager tous les monopoles nationaux présentant un caractère commercial de façon à exclure, à l'expiration de la période de transition, toute discrimination entre les
ressortissants des États membres.
Tout ce que l'on peut répondre est qu'il ne paraît possible de tirer de cet article aucune conclusion quant à l'interprétation de la notion de taxe d'effet équivalent.
— C'est ensuite vers l'article 95 que se tourne le juge de renvoi. Il demande si l'interdiction édictée par les articles 9 et 12 a un caractère plus absolu que celle prévue à l'article 95, et notamment si elle ne distingue pas suivant que les droits considérés sont supérieurs ou non à ceux perçus sur les produits nationaux.
Que faut-il entendre au juste par le caractère plus absolu d'une interdiction? Posée sous cette forme, la question ne nous paraît pas pouvoir comporter de réponse précise. Ce que l'on peut relever est que les taxes d'effet équivalent et les impositions intérieures ont un domaine différent et ne sont pas soumises au même régime, notamment quant aux modalités et au rythme fixés pour leur suppression ou leur aménagement. Sur le point qui paraît préoccuper le juge anversois, il faut noter que la
taxe d'effet équivalent est illicite par le seul fait qu'elle constitue une entrave aux échanges, la taxe intérieure ne l'étant que si et dans la mesure où elle frappe plus lourdement les produits importés quel es produits nationaux.
— Enfin, et ici encore nous citons le jugement qui vous saisit, on pose la question de savoir si l'article 12 peut être considéré comme un premier pas vers la réalisation du but des articles 9, paragraphe 1, et 13 et peut être pris comme tel en un sens aussi général.
L'article 12 qui se traduit par une obligation d'abstention, de standstill, plutôt qu'un premier pas est un point de départ; il prépare en effet la suppression des droits de douane et des taxes d'effet équivalent prévue aux articles 9, paragraphe 1, et 13. Tout ce que l'on peut ajouter est que les notions utilisées à l'article 12 doivent avoir le même sens et la même portée que les notions correspondantes des articles 9 et 13.
E — Sixième et dernière question. Le litige, constate le jugement, comporte cette particularité que ce sont des importateurs d'une matière première qui s'estiment lésés par leur propre gouvernement, et cela sans pouvoir démontrer qu'un producteur d'une matière première similaire est avantagé à l'intérieur des frontières de l'État qui a pris la mesure contestée, puisque le sol belge ne produit pas de diamant; mais ils peuvent s'estimer défavorisés par rapport à leurs concurrents d'autres pays qui
n'ont pas à supporter la taxe; d'autre part, les fabricants belges de diamant sont avantagés par rapport à ceux des autres États membres, et cela aux frais des importateurs puisque ceux-ci supportent une partie des charges sociales qui devraient leur incomber à eux-mêmes.
Sur la base de ces constatations, le juge pose la question de savoir si, dans l'appréciation des entraves aux échanges visées par les articles 9 et 12, il faut tenir compte du seul préjudice subi par les autres États membres ou leurs ressortissants, ou s'il faut considérer également celui que subissent tous les ressortissants de la Communauté, y compris ceux de l'État membre qui prend la mesure envisagée, ne serait-ce qu'en raison de la plus grande concurrence à laquelle ils sont exposés de la
part des ressortissants d'autres États.
Il suffit, pensons-nous, de relever que les articles 9 et 12 prennent en considération les droits de douane ou les taxes d'effet équivalent en tant qu'ils constituent des obstacles à la libre circulation des produits; cette condition une fois réalisée, il importe peu de savoir de quel pays de la Communauté relèvent les personnes qui supportent le préjudice résultant des mesures ainsi prises.
Si nous résumons maintenant les réponses qui pourraient être données aux questions qui vous sont posées, en admettant que vous estimiez qu'elles appellent toutes une réponse, nos conclusions seraient brièvement les suivantes:
— Les droits et taxes visés par les articles cités du traité sont tous ceux qui sont imposés par l'État à l'occasion de l'importation de marchandises, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'ils enrichissent le Trésor, ou s'ils ont un but fiscal, social ou administratif.
— Si les droits de douane sont ceux qui sont ainsi dénommés dans le cadre des législations nationales, la taxe d'effet équivalent se caractérise par son influence sur la libre circulation des biens dans le marché commun.
— L'entrave aux échanges qui résulte de la taxe d'effet équivalent peut se concevoir même s'il n'existe pas de concurrence d'une production nationale.
— Ni l'article 18, ni l'article 37 ne sont susceptibles de contribuer à l'interprétation des articles 9 et 12 du traité.
— Ces deux derniers articles édictent une interdiction de portée différente de celle visée à l'article 95, et ne comportent pas les distinctions prévues par lui pour les taxes intérieures.
— L'article 12 est le point de départ de la réalisation des objectifs des articles 9 et 13.
— Enfin, il n'y a pas à tenir compte, pour l'appréciation des obstacles apportés par les mesures douanières ou d'effet équivalent à la libre circulation des marchandises, de la nationalité des personnes qui supportent le préjudice résultant de ces mesures.
Nous concluons à ce qu'il soit statué sur les dépens de la présente affaire par le juge de paix du 2e canton d'Anvers.