CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JOSEPH GAND,
PRÉSENTÉES LE 18 SEPTEMBRE 1969
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I
L'entreprise Markus & Walsh a importé en octobre et novembre 1967 dans la république fédérale d'Allemagne des sucreries et des préparations alimentaires contenant du cacao (positions 17.04-C et 18.06-B du tarif douanier commun) en provenance de pays tiers, en l'espèce l'Angleterre et l'Irlande. A cette occasion, le bureau de douane a perçu, outre la taxe allemande sur le sucre et la taxe compensatoire de la taxe sur le chiffre d'affaires, l'imposition prévue par le règlement no 160/66 du Conseil
instaurant un régime d'échanges pour certaines marchandises qui résultent de la transformation de produits agricoles et dont le prix de revient se trouve influencé par conséquent par le prix de ces produits.
Aux termes de l'article 10 du règlement, l'imposition qui se substitue aux droits de douane appliqués par l'état importateur se compose de deux éléments:
— un élément fixe constitué par un droit de douane ad valorem, identique pour tous les États membres, et destiné à protéger l'industrie productrice des marchandises en cause. Il a été fixé par le règlement no 83/67 du Conseil qui définit les spécifications tarifaires relatives à ces marchandises et détermine les quantités de produits agricoles de base considérées comme étant entrées dans leur fabrication.
— un élément mobile qui couvre l'incidence de la différence entre les prix des produits de base dans l'État membre importateur et ceux à l'importation en provenance des pays tiers. Il est fixé trimestriellement par la Commission pour chaque État membre; à l'époque des importations litigieuses, il avait fait l'objet pour le quatrième trimestre de 1967 du règlement 630/67 de la Commission.
Dans certains cas cependant, l'imposition se trouve plafonnée en vertu de l'article 16 du règlement no 160/66 ainsi rédigé:
«Si, à l'entrée en vigueur du présent règlement, le droit de douane applicable à une marchandise visée par celui-ci est consolidé dans le cadre du G.A.T.T., et aussi longtemps que cette consolidation subsiste, le montant total de l'imposition visée à l'article 10, exprimé en pourcentage du prix à l'importation de la marchandise en cause, ne peut excéder le taux du droit du tarif douanier commun consolidé à l'égard des pays tiers.»
C'est de cette disposition qu'est né le litige pendant entre l'entreprise Markus et l'administration douanière, et c'est son interprétation que vous demande le Finanzgericht de Hambourg.
En effet, si, d'après la liste XL de l'annexe B du protocole annexé à l'accord général signé à Genève le 16 juillet 1962, le droit pour les produits litigieux est de 27 %, pour le calcul du plafond visé à l'article 16 du règlement le service des douanes a pris en compte également un droit additionnel sur le sucre. Sans doute, aux termes de la note (a) relative aux positions tarifaires 17.04 et 18.06 de la liste XL de l'annexe B au protocole du G.A.T.T., «la Communauté se réserve le droit de
percevoir, en sus du droit consolidé, un droit additionnel sur le sucre, correspondant à la charge supportée à l'importation par le sucre, et applicable à la quantité de sucres divers (calculée en saccharose) contenue dans ces produits». Mais l'entreprise Markus conteste que ce droit additionnel puisse être pris en considération lors de la détermination du maximum d'imposition, car le règlement no 160/66 fixe comme plafond le droit de douane consolidé dans le cadre du G.A.T.T. et ne mentionne pas le
droit additionnel sur le sucre que la Communauté s'est réservé de percevoir.
En présence de cette difficulté, le Finanzgericht vous demande de dire si par droit de douane consolidé dans le cadre du G.A.T.T. au sens de l'article 16 du règlement no 160/66, il faut entendre uniquement le droit de 27 % applicable aux produits des positions tarifaires 17.04-C et 18.06-B, ou si cette notion englobe également le droit additionnel qui, selon la note (a) de ces positions tarifaires, peut être perçu sur le sucre contenu dans le produit.
II
L'affaire dont vous êtes saisis présente donc un caractère particulier puisque, pour l'interprétation de l'article 16 du règlement — que vous avez certainement qualité pour donner — vous ne pouvez faire abstraction du protocole du G.A.T.T., dans la mesure au moins où cet article 16 s'y réfère. Tant devant le juge allemand que devant vous, le requérant au principal a demandé que les autorités compétentes du G.A.T.T. soient consultées sur le sens de l'expression «droit de douane consolidé» dans la
pratique de cet organisme. Il paraît douteux qu'une réponse officielle puisse être obtenue alors que ce point n'a pas donné lieu à un désaccord ou à un litige entre la Communauté et une autre partie contractante. Il est exclu en tout cas que vous posiez vous-mêmes la question. Aussi bien, ce que l'on vous demande, ce n'est pas la portée de cette expression dans la doctrine ou la pratique du G.A.T.T., mais celle qu'elle a au sens de l'article 16 du règlement no 160/66, et votre réponse ne vaudra que
dans les limites de ce règlement.
Cela étant dit, nous nous trouvons en présence de deux thèses qui ont été développées respectivement par l'entreprise Markus et par la Commission (le Conseil n'a pas cru devoir présenter d'observations sur le sens qu'il donne à son propre règlement).
1. La première se tient certainement plus près de la lettre des textes. Elle part des termes employés dans la note (a) qui figure en regard des positions tarifaires 17.04 et 18.06 de la liste XL de l'annexe B du protocole. La Communauté s'y réserve la faculté de percevoir, en sus du droit consolidé, un droit additionnel sur le sucre calculé dans les conditions que nous avons dites; c'est donc nécessairement que, pour l'annexe, seul le droit de 27 % représente le droit consolidé, et le droit
additionnel n'a pas ce caractère.
Ce point étant supposé acquis, il n'y a plus qu'à se reporter à l'article 16 du règlement no 160/66. Il y est question de droit de douane consolidé dans le cadre du G.A.T.T.; comment ne pas penser que cette expression y a la même portée que dans la liste XL, en d'autres termes que, pour fixer le plafond de l'imposition assise en vertu de l'article 10, il ne peut être tenu compte que du droit de douane «proprement dit» de 27 %, à l'exclusion du droit additionnel sur le sucre?
2. La Commission raisonne de façon toute différente.
Elle note d'abord que les mots «consolidation» et «consolidé» ne sont pas des termes techniques employés dans le texte original du G.A.T.T. qui recourt de préférence à la notion de concession tarifaire. En revanche, ces termes sont fréquemment employés dans le vocabulaire du droit économique international, précisément à propos du G.A.T.T. Ils impliquent en ce cas l'idée de «liaison à l'égard des parties contractantes», de «fixation selon les règles du G.A.T.T.».
Une concession tarifaire, faite par une partie contractante, est dite consolidée parce qu'elle ne peut être rapportée que selon les règles du G.A.T.T. On sait que le mécanisme de celui-ci comporte notamment le dépôt par chaque partie contractante, après des négociations qui, de bilatérales, sont devenues multilatérales, de listes de produits en regard desquels sont fixés les droits de douane correspondants. D'une part, d'après l'article II du G.A.T.T., un État ne peut soumettre les produits
importés en provenance d'autres parties contractantes à des droits d'importation plus élevés que ceux qui résultent de la concession tarifaire figurant à la liste qu'il a déposée. D'autre part, en vertu de l'article XXVIII, les listes ne peuvent en principe être modifiées que tous les trois ans et selon une procédure spéciale.
La Commission note également que si l'article XXVIII bis — introduit plusieurs années après la signature de l'accord originaire — emploie le terme de «consolidation», l'acception qu'il lui donne est en réalité plus large qu'il ne paraît à première lecture et se concilie avec celle que nous venons de rappeler. Traitant de l'objet que peuvent avoir les négociations périodiques, ce texte mentionne la consolidation des droits au niveau existant au moment de la négociation, à côté de l'abaissement des
droits et de l'engagement de ne pas porter au delà d'un niveau déterminé tel ou tel droit; il n'en résulte pas, dit-elle, que seul l'engagement de standstill constitue une consolidation; l'abaissement des droits et l'engagement de ne pas les porter au delà d'un niveau donné présentent aussi ce caractère. Et cette thèse nous paraît exacte.
Rapprochant ensuite l'article 16 du règlement no 160/66 de la notion de consolidation telle qu'elle lui semble devoir être admise pour le G.A.T.T., la Commission estime que le plafond de l'imposition prévu à cet article est constitué par la concession faite par la Communauté dans le cadre du G.A.T.T. sur son tarif douanier. La raison d'être de cette disposition est en effet de garantir les droits que les parties contractantes tiennent des concessions tarifaires faites antérieurement; c'est ce qui
résulte tant du libellé de l'article que du considérant qui l'annonce.
Il reste alors à voir quelle est la concession tarifaire consentie pour les positions litigieuses 17.04-C et 18.06-B. D'après la liste XL, la Communauté peut percevoir un «droit» de 27 %, qualifié de «droit consolidé» dans la note (a), auquel peut s'ajouter un droit additionnel sur le sucre.
Il en résulte à l'évidence que, d'après ces dispositions, elle ne s'est pas engagée à l'égard des parties contractantes à limiter à 27 % l'imposition sur ces marchandises, mais peut percevoir une somme plus élevée en raison de l'existence du droit additionnel.
La question qui se pose alors est de savoir si elle est liée non seulement en ce qui concerne les 27 % sus-indiqués mais aussi pour le droit additionnel. Il faut répondre, semble-t-il, que l'engagement — c'est-à-dire la consolidation — couvre également le droit additionnel, car, s'il en était autrement, l'obligation serait dépourvue de tout contenu réel, et l'article 16 n'instituerait aucun plafond. Puisque la concession tarifaire constitue justement un plafond, l'objet de la consolidation
constitue un ensemble, et il n'est pas possible de considérer une partie de l'imposition comme consolidée si l'ensemble ne l'est pas.
On peut, il est vrai, objecter ici que si le droit additionnel est également consolidé et ne peut donc pas excéder l'imposition du sucre à l'importation, à moins d'enfreindre les principes du G.A.T.T., cette imposition n'est pas, elle-même, consolidée dans le protocole. Toutefois, tant que le sucre fait l'objet d'une imposition donnée, le plafond du droit additionnel et, par voie de conséquence, celui de l'imposition globale se trouvent fixés; on peut donc considérer que, dans cette limite, il y
a une concession tarifaire.
En d'autres termes, la Communauté ne peut, à l'égard des parties contractantes du G.A.T.T., percevoir pour les positions tarifaires litigieuses une imposition supérieure à 27 % et au droit additionnel sur le sucre. La concession tarifaire qu'elle a ainsi consentie doit être considérée comme constituant le droit de douane consolidé dans le cadre du G.A.T.T. et marque la limite de l'imposition visée à l'article 16 du règlement no 160/66.
3. Il faut maintenant choisir entre ces deux interprétations diamétralement opposées d'un texte, à vrai dire assez mal rédigé. Et l'on notera ici que la solution adoptée ne se limitera pas aux importations en provenance des pays tiers, mais s'étendra mutatis mutandis, aux opérations intracommunautaires. En effet, d'après l'article 16, alinéa 2, le montant total de l'imposition frappant ces dernières ne peut excéder les 9/10 de l'imposition qui atteint les importations des pays tiers. Il y a donc un
lien direct entre les deux mécanismes.
— En faveur de la thèse du requérant, on peut relever qu'elle est certainement plus près de la lettre des textes et qu'elle présente plus de garanties pour les importateurs. En effet, l'élément mobile étant fixé tous les trois mois, le montant de l'imposition ne peut être évalué par eux de façon précise au moment où ils concluent des transactions avec les pays tiers. La limitation de l'imposition au seul droit de 27 % permettrait de faire des calculs plus sûrs alors que le droit additionnel
introduit un élément supplémentaire d'incertitude. Et puisque l'on se trouve en matière douanière, on pourrait être tenté de dire que la charge du redevable doit être fixée de façon non équivoque, ce qui conduirait à donner une interprétation restrictive de la disposition litigieuse.
— Ce n'est cependant pas la conclusion à laquelle nous nous arrêterons en définitive. En effet, les règles du G.A.T.T. autorisent la Communauté à percevoir tant le droit de 27 % que le droit additionnel sur le sucre; le règlement no 160/66 ayant pour objet de protéger l'économie des États membres, on peut supposer que ses auteurs ont eu l'intention d'utiliser toutes les facultés qui leur étaient ouvertes dans le respect des droits des autres parties contractantes. D'autre part, comme la
Commission l'a rappelé, la même règle a été appliquée — souvent de façon plus claire — pour les marchandises relevant d'une organisation des marchés agricoles: dans l'ensemble, le plafond du prélèvement ne se trouve limité que par le respect des engagements de la Communauté dans le cadre du G.A.T.T. On peut raisonnablement interpréter dans le même sens le règlement no 160/66.
Dans ces conditions, nous concluons à ce qu'il soit répondu au Finanzgericht de Hambourg que par droit de douane consolidé dans le cadre du G.A.T.T., au sens de l'article 16 du règlement no 160/66, il faut entendre, outre le droit de 27 % applicable aux produits des positions tarifaires 17.04-C et 18.06-B, la taxe additionnelle qui, en vertu de la note (a) des positions tarifaires citées, peut être perçue sur le sucre contenu dans le produit.