CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JOSEPH GAND,
PRÉSENTÉES LE 14 MAI 1970
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. M. Elz, actuellement assistant principal à la direction générale du contrôle financier à Bruxelles, a fait l'objet d'un rapport de notation daté du 15 janvier 1968. Bien qu'il fût alors depuis près de 14 ans au service de la Haute Autorité, puis de la Commission, et contrairement aux dispositions de l'article 37 de l'ancien statut CECA et de l'article 43 du nouveau statut CECA comme du statut CEE, ce rapport était le premier dont il ait fait l'objet. C'est la raison sans doute pour laquelle il
lui attacha une importance particulière, et, comme il ne se trouvait pas satisfait de certaines appréciations qui y étaient portées, il présenta le 27 mars 1968 une réclamation au titre de l'article 90, à la suite de laquelle fut établi le 22 mai 1968 un nouveau rapport rectifié. Toutefois, M. Elz n'en demanda pas moins par un recours enregistré le 25 juillet 1968 l'annulation du premier rapport, celui du 15 janvier.
Faisant droit à l'exception opposée par la Commission, un arrêt du 25 février 1969 a rejeté ce recours comme irrecevable. En effet, à la date où celui-ci a été introduit, l'acte attaqué avait déjà été remplacé par le rapport du 22 mai 1968. Sans doute M. Elz, se fondant sur l'article 26, alinéa 2, du statut, refusait-il de reconnaître une valeur juridique quelconque à ce second rapport du fait qu'il avait refusé de le signer lorsqu'il lui avait été présenté, mais comme il en avait cependant pris
connaissance à la fin du mois de mai, l'arrêt considère que cette pièce peut être opposée au requérant et être acceptée comme preuve suffisante du retrait de rapport du 15 janvier précédent. Le recours dirigé contre ce dernier étant, dès l'origine, dépourvu d'objet, était bien irrecevable.
Malheureusement, pas plus que le précédent, le rapport du 22 mai 1968 ne satisfaisait M. Elz; aussi, dès après l'arrêt que nous venons de mentionner, le requérant déposa contre ce rapport, le 14 mars 1969, un recours hiérarchique. Il lui fut répondu le 8 juillet par le président de la Commission que celle-ci ne pouvait que se borner à le confirmer purement et simplement, et la lettre se référait aux constatations contenues dans l'arrêt de la Cour du 25 février 1969.
C'est dans ces conditions que M. Elz vous a demandé le 8 octobre d'annuler cette fois le rapport de notation du 22 mai 1968 (auquel il donne à tort la date du 31 mai, qui est celle où il en a pris connaissance dans sa version définitive). Il a précisé dans sa réplique que son recours devait être considéré comme dirigé contre la décision du président de la Commission du 8 juillet 1969.
2. La question de la recevabilité du recours se pose de nouveau, mais cette fois au regard du délai.
M. Elz s'en est bien rendu compte, puisqu'il souligne dans sa requête que le point de départ du délai ne peut être que le lendemain du jour où l'arrêt de la Cour a été rendu et a décidé du remplacement rétroactif du rapport de notation du 15 janvier 1968 par celui du 22 mai. Comme, d'autre part, le recours hiérarchique a été introduit dès le 14 mars 1969 et a été rejeté le 8 juillet, le requérant estime se trouver dans les délais prévus à l'article 91, paragraphe 2, du statut; cela d'autant plus
que la décision de la Commission rejette le recours hiérarchique, non pas en invoquant une irrecevabilité quelconque, mais en confirmant sur le fond le rapport de notation attaqué.
Son raisonnement part de l'idée suivante, énoncée dans le recours et développée dans la réplique: c'est la Cour qui a décidé de façon définitive que la signification du rapport dans les conditions qu'elle relate satisfaisait aux conditions prescrites par l'article 26 du statut. Le document ne pouvait donc être considéré comme opposable au requérant qu'à partir du jour de l'arrêt, qui faisait courir les délais prévus à l'article 91. En effet, cet arrêt constituerait un fait nouveau à l'égard des
parties en cause.
Cette thèse est erronée. L'arrêt du 25 février 1969 a rejeté le recours de M. Elz au motif que le rapport du 22 mai 1968 avait été communiqué au requérant le 31 mai et s'était substitué au rapport du 15 janvier; ce motif a l'autorité de la chose jugée parce qu'il est le soutien nécessaire du dispositif rejetant le recours de M. Elz. Mais l'existence du nouveau rapport, l'arrêt se borne à la constater, et sur ce point il ne décide rien du tout, contrairement à ce qui est allégué par le requérant.
Il ne constitue donc pas un fait nouveau, car il ne modifie en rien l'ordre juridique préexistant; seul, d'ailleurs, un arrêt d'annulation, en faisant disparaître rétroactivement l'existence d'un acte, est susceptible de modifier l'ordre juridique existant jusqu'à son prononcé.
En d'autres termes, après, comme avant l'arrêt de la Cour, il faut considérer que le délai pour présenter un recours ou une réclamation contre le rapport du 22 mai 1968 a couru effectivement à compter du 31 mai 1968, date de la communication au requérant. Ce délai était depuis longtemps expiré lorsque M. Elz a introduit sa réclamation administrative du 14 mars 1969, puis son recours du 8 octobre.
D'autre part, la lettre du 8 millet du président de la Commission n'a pu en rien modifier cet état de choses. Elle répondait à une réclamation présentée tardivement et elle se bornait à confirmer purement et simplement une décision devenue définitive par l'expiration des délais. Sur ce point, la jurisprudence est fournie et constante.
3. Nous n'aborderons donc que très brièvement l'argumentation dirigée par M. Elz contre certains points du rapport de notation du 22 mai 1968.
— Il critique en premier lieu certaines divergences ou contradictions qu'il estime y trouver. Alors que le premier notateur jugerait son rendement comme «assez bon» et le second comme «normal», le rapport d'appréciation analytique lui attribue la note «bon».
On ne voit pas, à vrai dire, comment cette divergence peut causer un préjudice quelconque au requérant. Quoi qu'il en soit, cette critique ne correspond pas à la réalité des faits. Le premier notateur a, en réalité, donné l'appréciation suivante : «Assez bon, toutefois excellent en ce qui concerne uniquement la comptabilité». La notation analytique constitue ainsi une moyenne et, contrairement à ce qu'objecte M. Elz, on peut dégager, sans arbitraire, une moyenne entre deux valeurs qualitatives.
— Le requérant reproche en second lieu aux notateurs d'avoir assorti leur appréciation d'un commentaire, ce qui n'est prévu que pour les notes «très bien» et «insuffisant», et plus spécialement au deuxième notateur d'avoir employé la notation «normal» qui n'est pas prévue comme critère de notation.
On répondra ici que le formulaire de notation n'interdit pas expressément un commentaire pour les notations autres que «très bien» et «insuffisant». D'autre part, le qualificatif «normal» est indiqué, dans le formulaire lui-même, comme équivalent à «bon».
— Enfin, M. Elz conteste le reproche qui lui est fait d'un choix inopportun ans ses demandes de congé alors qu'il s'est conformé aux dispositions du statut. Il soutient en outre qu'il s'agit là d'éléments étrangers aux critères de notation.
On répondra ici que ce point se rattache à la «conduite dans le service» qui est expressément mentionnée à l'article 43 du statut. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles sont pris les congés ont leur importance quant à la marche de l'unité administrative à laquelle appartient un fonctionnaire. Il n'est donc pas anormal que ses supérieurs aient attiré l'attention de M. Elz sur la nécessité de développer sur ce point son sens des responsabilités.
Aucune des critiques formulées par le requérant ne nous paraît donc résister à l'examen. Toutefois, sans qu'il y ait lieu d'y répondre, et pour les raisons que nous avons indiquées, nous concluons au rejet comme irrecevable du recours de M. Elz, et à ce que la charge des dépens soit répartie dans les conditions prévues à l'article 70 du règlement de procédure.