La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/12/1970 | CJUE | N°34-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 9 décembre 1970., Syndicat national du commerce extérieur des céréales et autres contre Office national interprofessionnel des céréales et ministre de l'agriculture., 09/12/1970, 34-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 9 DÉCEMBRE 1970 ( 1 )

Monsieur le Président

Messieurs les Juges,

La demande préjudicielle dont nous avons à traiter aujourd'hui concerne l'interprétation du règlement no 1028/68 de la Commission, du 19 juillet 1968, fixant les procédures et conditions de prise en charge des céréales par les organismes d'intervention pour la campagne 1968/1969 (JO 1968, no L 176, p. 1). Ce règlement se situe dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales,

instaurée par le règlement no 120/67/CEE du Conseil, du 13 juin 1967 (JO 1967, p. 2269). Les
...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 9 DÉCEMBRE 1970 ( 1 )

Monsieur le Président

Messieurs les Juges,

La demande préjudicielle dont nous avons à traiter aujourd'hui concerne l'interprétation du règlement no 1028/68 de la Commission, du 19 juillet 1968, fixant les procédures et conditions de prise en charge des céréales par les organismes d'intervention pour la campagne 1968/1969 (JO 1968, no L 176, p. 1). Ce règlement se situe dans le cadre de l'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, instaurée par le règlement no 120/67/CEE du Conseil, du 13 juin 1967 (JO 1967, p. 2269). Les
détails de cette organisation des marchés vous sont déjà connus, grâce à d'autres affaires, et il est par conséquent inutile d'y revenir ici. Nous nous bornerons à rappeler que, dans l'intérêt de la production indigène, l'organisation veille à garantir les prix appliqués dans la Communauté, au moyen de prélèvements perçus sur les importations en provenance des pays tiers ainsi qu'à l'aide d'un régime d'intervention. Ce régime prévoit la fixation de prix dits d'intervention qui sont inférieurs aux
prix indicatifs, donc aux prix de marchés visés pour chacun des produits soumis à l'organisation (article 4 du règlement no 120/67). En outre, l'article 7 du règlement no 120/67 prescrit que «durant toute la campagne de commercialisation, les organismes d'intervention désignés par les États membres ont l'obligation d'acheter les céréales… récoltées dans la Communauté, qui leur sont offertes…», ce qui permet d'éviter que les prix de marché ne tombent au-dessous du niveau des prix d'intervention. Le
paragraphe 5 de cet article prévoit d'autre part que la Commission arrêtera des dispositions d'application en vue de régler certaines modalités. Comme vous le savez, le règlement no 1028/68 a pour but de régler certaines modalités d'application pour la campagne 1968-1969. Son article 1 est libellé de la manière suivante : «Tout détenteur de lots homogènes d'un minimum de cinquante tonnes de blé tendre, de seigle, d'orge, de maïs et de dix tonnes de blé dur, récoltées dans la Communauté, est habilité
à présenter ces céréales à l'organisme d'intervention. Toutefois, les organismes d'intervention peuvent fixer un tonnage minimum supérieur.» L'organisme d'intervention français, l'Office national interprofessionnel des céréales (ONIC), a fait usage de cette possibilité en fixant au décuple le tonnage minimum de céréales pouvant lui être présenté. De surcroît, par une note du 30 août 1968, le directeur général de l'ONIC a décidé, dans un cahier des charges fixant les conditions générales de prise en
charge des céréales offertes à l'intervention pour la campagne 1968-1969, que seuls les «organismes agréés pour la collecte» sont habilités à présenter des offres à l'intervention. Cette décision se réfère à la définition de la qualité de «collecteur agréé» qui figure dans l'ordonnance 67/812 du 22 septembre 1967. En substance, possèdent cette qualité des coopératives et des négociants remplissant certaines conditions. Ceux-ci interviennent au stade de la collecte de la moisson (ils possèdent en
effet le droit exclusif d'acheter directement aux producteurs) et, à cette occasion, non seulement ils sont tenus de verser le prix d'achat comptant, mais encore ils ont un certain nombre d'obligations en matière de versement d'impôts et de taxes à l'État. C'est à cette catégorie de personnes que l'ONIC voudrait réserver en France le droit de présenter des céréales à l'intervention.

Un certain nombre de négociants français, s'occupant principalement d'exportation et, dans une faible mesure, d'importation de céréales, ainsi que leur organisation professionnelle, le syndicat national du commerce extérieur des céréales, voient dans la décision de l'ONIC une restriction intolérable des possibilités d'intervention. Telle est la raison pour laquelle ils ont adressé au ministre français de l'agriculture une réclamation dirigée contre la décision du directeur général de l'Office
national interprofessionnel des céréales et, après que ce ministre eût confirmé la réglementation critiquée, par une décision du 30 septembre 1968, ils ont porté l'affaire devant le Conseil d'État, par une requête introduite le 29 octobre 1968. Dans cette instance, ils soutiennent que le régime d'intervention français est inconciliable avec l'article 1 du règlement no 1028/68 de la Commission (ils avaient tout d'abord invoqué à tort le règlement no 237/67 de la Commission, antérieur au règlement
no 1028/68, mais identique quant à sa teneur). De plus, ils contestent qu'il soit possible d'arrêter pareilles prescriptions en vertu de l'article 5 du règlement no 1028/68 de la Commission, motif pris de ce que cette disposition prévoit seulement que «les organismes d'intervention arrêtent, en tant que de besoin, des procédures et conditions de prise en charge complémentaires, compatibles avec les dispositions du présent règlement, pour tenir compte des conditions particulières existant dans l'État
membre dont ils relèvent». Le Conseil d'État français a ainsi été saisi de problèmes d'interprétation du droit communautaire. Conformément à l'article 177 du traité CEE, il a, suivant en cela la suggestion du commissaire du gouvernement, sursis à statuer par décision du 10 juillet 1970 et invité la Cour à se prononcer à titre préjudiciel sur la question de savoir

«si, en raison de l'emploi de l'expression tout détenteur à l'article 1 du règlement susvisé de la Commission des Communautés européennes, se trouve ou non exclue du champ d'application des mesures complémentaires prévues à l'article 5 dudit règlement, toute condition de prise en charge tenant à la définition du détenteur ou à son habilitation à user utilement du mécanisme de l'intervention, eu égard aux particularités du marché des céréales dans l'État membre dont il relève».

Les parties au procès principal et la Commission des Communautés européennes ont formulé des observations écrites et orales sur cette question. Voyons maintenant quelle position il convient de prendre à ce sujet.

Afin de pouvoir mettre l'accent là où il se doit, nous estimons opportun de faire d'emblée une observation fondamentale. Comme la Commission le souligne à juste titre, il est incontestable qu'au cours de la période comprise entre 1962 et 1967, les organisations des marchés des céréales des États membres ont disparu graduellement et que le règlement no 120/67, déjà cité, a instauré à leur place, sous une forme définitive, une organisation commune des marchés dans ce secteur. Cette organisation des
marchés constitue une organisation complète, au sens de l'article 40, paragraphe 2, c, du traité CEE. Cela ne saurait faire de doute pour la seule raison qu'un grand nombre de règlements contiennent des règles communautaires précises, réglant toutes les questions essentielles comme la formation des prix, la protection envers les pays tiers et la régularisation du marché. On ne saurait par conséquent soutenir, comme l'a fait l'ONIC à plusieurs reprises dans ses observations, qu'il existe six
organisations de marchés nationales parallèles. Pareille allégation ne saurait se justifier, même pas en prenant appui sur le fait que la réglementation communautaire n'a pas encore réglé exhaustivement tous les problèmes posés par l'organisation considérée. C'est ainsi, comme nous le savons bien, et la Commission le reconnaît elle-même, qu'il convient encore d'harmoniser la solution des problèmes qui se posent en matière fiscale et pénale et qui, pour l'instant, sont encore résolus exclusivement à
l'échelon national. De même, la Commission reconnaît que l'organisation des marchés ne fonctionne pas au niveau des producteurs, donc au niveau d'un grand nombre d'exploitations, souvent de faible importance, et qui ne sont guère en mesure de remplir les formalités requises, mais qu'elle est destinée à sortir ses effets à l'échelon du commerce de gros. Telle est la raison pour laquelle il n'y a aucun inconvénient à ce que la collecte de la production et sa commercialisation (y compris le financement
de la campagne) soient réglées à l'échelon national, comme c'est le cas en France, sous la forme du système libéralisé des collecteurs agréés, instauré en vertu de l'ordonnance 67/812 du 22 septembre 1967, après suppression des formes anciennes de monopole. Mais, comme nous l'avons déjà dit, cela ne nous autorise pas à méconnaître le fait fondamental qu'il existe effectivement une organisation commune des marchés de portée étendue et que le stade de la simple coordination des organisations de
marchés nationales se trouve par conséquent depuis longtemps dépassé.

De plus, l'économie des règles fondamentales dont relève la présente espèce oblige à dire que c'est avec raison que la Commission se réfère à la jurisprudence en matière de souveraineté tarifaire de la Communauté, telle qu'elle se dégage de l'arrêt 40-69 (Recueil, XVI-1970, p. 70). Débordant largement le cadre des faits se trouvant à la base de cette affaire, elle confirme en effet qu'en tant que les États membres ont transféré à la Communauté certains de leurs droits souverains en matière agricole
et dans la mesure où le domaine visé est régi par des normes de droit communautaire, il n'y a plus de place pour une activité normative des États membres qui serait susceptible de porter atteinte à la portée de la règle communautaire ou de la mettre en péril. De cette constatation on peut également déduire que là où les États membres se sont vu attribuer des tâches d'exécution, il paraît indiqué de délimiter leurs compétences suivant une interprétation restrictive. Par ailleurs, on ne saurait en
aucun cas passer outre à l'impératif fondamental d'assurer dans la Communauté une application aussi uniforme que possible des règles des organisations des marchés (l'exposé des motifs du règlement no 1028/68 se réfère expressément à cet impératif à propos des «conditions d'offre aux organismes d'intervention et de prise en charge pour ceux-ci»).

Ce n'est que sur la toile de fond de ces conditions de principe que peut être entreprise l'interprétation des dispositions du règlement no 1028/68, en tant qu'elles intéressent le procès principal.

Dans cette perspective, c'est le premier paragraphe de l'article 1 de ce règlement qui se trouve au premier plan, c'est-à-dire la disposition prévoyant que tout détenteur de certaines quantités des variétés de céréales indiquées, récoltées dans la Communauté, est habilité à les présenter à l'organisme d'intervention. Considéré en soi, le libellé de cette disposition, l'emploi de la notion très large de «détenteur», conjointement avec le mot «tout», ne laisse subsister aucun doute quant au fait que
le législateur a voulu instaurer une réglementation très large, s'étendant à tous ceux qui détiennent des céréales indigènes, peu importe en quelle qualité et à quel titre. Rentrent également sous ce vocable les négociants qui ont acheté en vue d'exporter et, cela va de soi, les producteurs eux-mêmes. Mais si nous nous demandons en outre s'il est logique de préconiser une interprétation aussi large pour un régime d'intervention choisi en fonction des intérêts des producteurs et de leurs prix de
marchés, nous sommes contraint d'admettre avec la Commission qu'elle ne soulève aucune objection. Comme nous l'avons déjà dit, le prix d'intervention représente la limite inférieure au-dessous de laquelle ne saurait tomber le prix de marché. La simple existence des organismes d'intervention en tant que demandeurs potentiels garantit par conséquent que le niveau du prix de marché s'établira au-dessus du point d'intervention. Mais il est certain que cet effet sera d'autant plus favorable qu'il y aura
davantage de demandeurs, parallèlement aux organismes d'intervention, et cela, quel que soit le but qu'ils poursuivent, y compris l'exportation. Exclure du régime d'intervention et des garanties qui y sont liées, les exportateurs que des raisons dues au commerce et à la technique des transports (en ce qui concerne, par exemple, la navigation fluviale et ses particularités) contraignent à stocker d'importantes quantités avec tous les risques que cela implique, inciterait sans nul doute ceux-ci à
restreindre leurs achats de blé ou à tenter de répercuter ce risque à l'achat. Or, comme la Commission le souligne à juste titre, l'une et l'autre attitudes se solderaient par une pression sur les prix de marché, provoquant ainsi une tendance à la baisse. Il apparaît dès lors logique et nécessaire que, dans l'intérêt tant du mécanisme des marchés que de l'évolution des prix, tous les négociants, quels qu'ils soient, soient inclus dans le régime d'intervention. En revanche, l'argument que pareille
interprétation ouvre la porte à la spéculation n'a guère de poids, en admettant même qu'il en ait. Cet argument est sans valeur pour la simple raison qu'en règle générale les céréales s'achètent au prix de marché, tandis que les organismes d'intervention ne garantissent que le prix d'intervention, qui est inférieur au premier. Il ne peut donc s'agir pour les négociants que de limiter les pertes pouvant résulter occasionnellement de l'augmentation par bonification mensuelle en cours d'année des prix
indicatifs et de leur chute en fin de campagne, lors du passage au prix de la nouvelle campagne, en cas d'erreur d'évaluation commise par les négociants.

En outre, il ne serait pas possible non plus d'invoquer contre le régime d'intervention étendu, tel qu'il résulte de l'article 1 du règlement no 1028/68, le fait qu'il empêche de procéder à un contrôle de provenance minutieux, contrôle qui est garanti sans nul doute par le système français des collecteurs agréés et les liens étroits qui les unissent à l'ONIC. En effet, on ne saurait sérieusement soutenir que des commerçants qui n'appartiennent pas à la catégorie des collecteurs agréés, ne pourraient
pas fournir une preuve digne de foi de la provenance des céréales qu'ils présentent à l'organisme d'intervention. C'est même précisément en France que la question ne devrait poser aucune difficulté puisque, selon les déclarations de la Commission, les mouvements des produits de la variété qui nous intéresse en l'espèce sont soigneusement contrôlés à des fins statistiques. Apparemment, même les pays qui sont de gros importateurs de céréales ne rencontrent pas de difficultés en la matière, bien que
les organismes d'intervention y disposent de possibilités d'achat très larges, alors que, dans ces pays, le contrôle de provenance pourrait précisément s'avérer problématique, en raison des grandes quantités de céréales en provenance de pays tiers, qui sont offertes sur le marché. De plus, il convient encore de souligner dans ce contexte que l'indemnité compensatrice prévue à l'article 9 du règlement no 120/67 pose un problème analogue et que, même dans les cas où cette indemnité a été accordée à
des négociants et à des consommateurs, il n'y a eu manifestement aucune difficulté à contrôler la provenance des céréales disponibles à la fin d'une campagne et récoltées dans la Communauté. En nous basant sur l'esprit et la lettre de l'article 1 du règlement no 1028/68, nous pouvons donc dire que l'intention des auteurs du règlement était de prévoir une possibilité d'intervention aussi large que possible, donc de permettre à tous ceux qui disposent de certaines quantités de céréales indigènes d'y
accéder.

Cela étant, la question qui se pose ensuite est celle, manifestement plus importante aux yeux de l'organisme d'intervention français, de savoir si l'article 5 du règlement no 1028/68 de la Commission confère aux organismes d'intervention nationaux le pouvoir d'arrêter un régime dérogatoire. Nous rappellerons à ce propos le texte de cette disposition, qui est libellé comme suit : «Les organismes d'intervention arrêtent, en tant que de besoin, des procédures et conditions de prise en charge
complémentaires, compatibles avec les dispositions du présent règlement pour tenir compte des conditions particulières existant dans l'État membre dont ils relèvent.»

On ne saurait en aucun cas soutenir (disons-le tout de suite) que le cahier des charges de l'ONIC, attaqué devant le Conseil d'État, pourrait se justifier sur la base de cette disposition, motif pris de ce qu'en son temps l'ONIC a communiqué ce document à la Commission de la Communauté européenne, avec les dispositions restrictives du pouvoir d'intervention qu'il contenait, et que celle-ci ne lui a pas fait parvenir de remarques critiques à son propos. En effet, le comportement de la Commission
importe peu en l'espèce, car aucune règle de l'organisation des marchés des céréales ne prévoit une approbation expresse de sa part dans pareil domaine. En outre, il faut aussi considérer, à la décharge de la Commission, que la multiplicité des tâches qui lui incombent, l'empêchent souvent de se pencher sur des questions du genre de celle de l'espèce, à défaut d'une réclamation des intéressés, et qu'au moment où le cahier des charges lui a été communiqué, elle n'était manifestement pas au courant
des protestations que ce document avait soulevées de la part des requérantes au principal.

Ce qui est dès lors capital dans le cas présent, c'est la situation juridique objective, c'est-à-dire le texte de l'article 5 et l'ensemble du régime instauté par le règlement no 1028/68, dans lequel s'insère cet article. Rappelons en outre que l'interprétation du texte de cette disposition doit se faire à la lumière des observations de principe que nous avons faites au début de nos conclusions. Et dans cette perspective, il convient d'abord de se rappeler que, selon le préambule du règlement
no 1028/68, «les conditions d'offre aux organismes d'intervention et de prise en charge pour ceux-ci doivent être aussi uniformes que possible dans la Communauté…». Pour déduire du règlement no 1028/68 le pouvoir d'arrêter des dispositions dérogatoires, il faut donc prouver très clairement l'existence de ce pouvoir. Certaines dispositions du règlement prévoient expressément semblables dérogations: l'article 1, paragraphe 1, par exemple, pour ce qui est de la fixation d'un tonnage minimum, ou
l'article 2, paragraphe 2, troisième tiret, pour ce qui est de la fixation du «poids spécifique applicable pour l'orge d'hiver». En revanche, l'article 1 ne contient aucune référence expresse au droit national pour la définition du mot «détenteur» et il ne prévoit pas la possibilité d'une définition restrictive, c'est-à-dire la possibilité de fixer des conditions particulières à la lumière desquelles pourrait être déterminé le détenteur (c'est-à-dire celui qui dispose de la marchandise) aux fins de
l'organisation des marchés. L'hypothèse selon laquelle l'article 5 pourrait permettre pareille dérogation, se heurte à cette objection que le texte de l'article en question parle non pas de dérogations, mais d'autres dispositions, c'est-à-dire de dispositions complémentaires qui doivent être compatibles avec les dispositions du règlement et qui ne peuvent porter que sur des procédures et des conditions de prise en charge. Le préambule du règlement indique de quelles circonstances il s'agit: les
conditions climatiques et les usages du commerce. Mais il est difficile, certes, de justifier dans cette perspective une restriction de la notion de «détenteur», compte tenu d'une certaine réglementation du processus de commercialisation. L'article 3, paragraphe 2, du règlement no 1028/68 contient, lui aussi, certains éléments permettant d'interpréter les conditions de prise en charge: il s'agit des conditions de la translation matérielle des marchandises en cause (c'est-à-dire les conditions de
temps, de lieu, et celles relatives à la nature du transfert). Il est d'ailleurs possible de qualifier ainsi un certain nombre d'éléments licites du cahier des charges arrêté par l'ONIC ainsi que les réglementations édictées par d'autres autorités nationales (comme la Commission l'a montré à la page 13 de son mémoire et les requérantes à la page 12 de leurs observations écrites). En revanche, il serait difficile de soutenir que tous les éléments cités, que la Commission elle-même à jugés licites,
rentrent dans la catégorie des formalités, donc des procédures au sens de l'article 5, et que les termes «conditions de prise en charge» doivent par conséquent revêtir un sens plus large et inclure également la notion de «détenteur». Il est facile de prouver que tel n'est pas le cas, grâce aux conditions du cahier des charges concernant la qualité des marchandises, le lieu de la prise en charge et les frais de celle-ci, conditions qui ne sauraient guère être considérées comme des règles de
procédure. Enfin, nous pouvons encore objecter à la thèse défendue par l'ONIC que la restriction que cet organisme apporte à la notion de «détenteur»aboutirait même à interdire l'accès direct aux organismes d'intervention à ceux qui ont un intérêt immédiat à celle-ci, c'est-à-dire aux producteurs. Comme pareille conséquence est inconciliable avec l'esprit même de l'organisation des marchés, nous n'avons en fait pas d'autre possibilité que celle de conclure qu'il est interdit aux organismes
d'intervention de définir la notion de «détenteur» dans un sens s'écartant de celui visé à l'article 1 du règlement no 1028/68.

Une interprétation raisonnable du règlement no 1028/68 nous amène donc à constater que l'article 1 de ce règlement définit de manière exhaustive les personnes admises à bénéficier de l'intervention. Cette interprétation est la seule qui garantisse l'uniformité dont la Communauté a besoin dans ce secteur. D'autre part, l'article 5 ne tolère aucune restriction dans ce domaine; il permet tout au plus de fixer des conditions relevant principalement de la technique procédurale. L'interprétation que nous
venons de donner nous paraît d'autant plus pertinente qu'à aucun égard elle ne met en péril le système français des collecteurs agréés. Ce régime particulier, créé pour la commercialisation des produits et différent du régime d'intervention de l'organisation commune des marchés par ses fonctions et son but, peut en effet subsister et remplir son rôle, alors même que la possibilité d'achat des organismes d'intervention ne serait pas limitée aux collecteurs agréés.

Par conséquent, nous proposons de répondre comme suit à la question posée par le Conseil d'État :

L'élément déterminant du régime d'intervention instauré par le règlement no 1028/68 est l'expression «tout détenteur», figurant dans son article 1. L'article 5 de ce règlement permet seulement d'arrêter des règles de procédure et des conditions de prise en charge et n'autorise pas à restreindre les possibilités d'intervention au regard des ayants droit.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 34-70
Date de la décision : 09/12/1970
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - France.

Agriculture et Pêche

Céréales


Parties
Demandeurs : Syndicat national du commerce extérieur des céréales et autres
Défendeurs : Office national interprofessionnel des céréales et ministre de l'agriculture.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Monaco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1970:105

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award