CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,
PRÉSENTÉES LE 3 FÉVRIER 1971
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Cette affaire est de celles qui font douloureusement ressentir l'obligation qui nous est faite à tous de ne nous placer que sur le terrain du droit pour apprécier les mérites d'une requête.
M. Marcato est un homme méritant.
Entré au service des Communautés pour y effectuer des tâches presque purement matérielles, il a réussi par son travail et par son énergie à devenir un technicien qualifié dans un domaine particulièrement délicat, celui de la mécanographie, puisqu'il est depuis 1963 opérateur mécanographe dans les services de Bruxelles.
Très bien noté de 1963 à 1967, il fit l'objet en 1969 d'un rapport de notation biannuel franchement défavorable.
Il en fut d'autant plus affecté que ce changement dans l'opinion de ses chefs correspondait à un changement de personnes: le fonctionnaire qui l'avait favorablement noté ayant été remplacé par un autre.
Le Comité paritaire de notation fut saisi, conformément à la procédure applicable mais se borna à émettre l'avis que si le zèle et le rendement quantitatif de l'intéressé étaient hors de doute, un changement d'affectation pourrait utilement être envisagé.
C'est dans ces conditions que M. Marcato vous a demandé par la présente requête d'annuler son rapport de notation de 1969.
Comme vous le savez, Messieurs, vous avez fixé vous-mêmes des limites très strictes au contrôle que vous exercez en de telles matières.
1. Vous vous refusez à contrôler l'apréciation portée par l'administration sur les aptitudes professionnelles du fonctionnaire (5 décembre 1963, Leroy, Recueil, IX-1963, p. 419 ; 8 juillet 1965, Prakash, Recueil, XI-1965, p. 698; et surtout 8 juillet 1965, Fonzi, Recueil, XI-1965, p. 615).
2. Vous contrôlez seulement
— la régularité de la procédure qui a conduit à l'appréciation des mérites du fonctionnaire,
— l'exactitude matérielle des faits sur lesquels l'administration a fondé cette appréciation ainsi que la «compatibilité» entre ces faits et cette appréciation (Prakash précité).
— enfin l'erreur de droit ou le détournement de pouvoir éventuels.
En l'espèce, il n'est fait état d'aucun vice dans la procédure de notation et si un détournement de pouvoir avait été initialement allégué, le conseil du requérant, se rendant compte qu'un tel moyen aurait été impossible à établir, y a expressément renoncé l'autre jour à la barre.
Reste alors uniquement l'exactitude matérielle des faits et l'erreur de droit éventuelle.
Sur le premier point, le requérant s'efforce, par des témoignages d'ailleurs assez impressionnants qu'il produit, par des offres de preuves qu'il vous fait, de vous démontrer qu'il vaut beaucoup mieux que ne l'ont pensé ceux qui l'ont noté.
Mais aucun des ces témoignages n'établit que les autorités chargées de la notation se soient fondées sur des faits matériellement inexacts ni qu'elles aient commis une erreur manifeste.
Même si leur appréciation est excessive, ce que l'on peut être tenté de penser à la lecture de certaines pièces du dossier, ce n'est pas là un motif que le juge de la légalité de l'acte puisse retenir car alors son contrôle se transformerait en un contrôle de l'opportunité, ce qui est évidemment impossible.
Reste alors l'erreur de droit.
Nous nous étions pendant quelques instants posé la question.
En effet, nous nous étions demandé si la notation ne devait pas concerner uniquement le futur du fonctionnaire et si elle pouvait légalement, comme c'est le cas en l'espèce, se prononcer sur son aptitude à exercer l'emploi correspondant à sa carrière et auquel il a été régulièrement nommé.
Mais à la réflexion nous ne pensons pas que l'on puisse s'engager sur cette voie et cela pour deux raisons :
1. L'appréciation des aptitudes d'un fonctionnaire dans l'emploi qu'il exerce est très difficilement dissociable de l'appréciation de ses aptitudes à un emploi supérieur.
2. L'article 43 du statut des fonctionnaires des Communautés se borne à préciser que la notation doit porter «sur la compétence, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire», et dès lors n'interdit pas, mais n'impose pas non plus à l'autorité chargée de la notation de se prononcer sur ses perspectives d'avenir.
Aucune erreur de droit ne nous parait donc pouvoir être relevée.
Telles sont les raisons qui nous amènent, moralement avec un certain regret mais juridiquement sans grand doute, à vous proposer de rejeter la requête du sieur Marcato.
Peut-être, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, pourriez-vous le dispenser des frais qui devraient normalement rester à sa charge en cas de rejet de sa requête.
Pour notre part, nous concluons
— au rejet de la requête,
— à ce que le sieur Marcato soit dispensé du paiement des frais qu'il devrait supporter en application de l'article 70 du règlement de procédure.