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01/04/1971 | CJUE | N°52-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Dutheillet de Lamothe présentées le 1 avril 1971., Joseph Nagels contre Commission des Communautés européennes., 01/04/1971, 52-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 1ER AVRIL 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

M. Nagels est un fonctionnaire de nationalité belge. Jusqu'en 1969, il exerçait les fonctions d'inspecteur à l'Office national belge des débouchés agricoles et horticoles.

Il posa sa candidature dans des conditions sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure à un emploi d'assistant principal, grade B 1, dans les services de la Commission, à la direction générale de l'agriculture.r>
Cette candidature fut retenue et, conformément à l'article 34 du statut, il fut nommé à ce poste...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,

PRÉSENTÉES LE 1ER AVRIL 1971

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

M. Nagels est un fonctionnaire de nationalité belge. Jusqu'en 1969, il exerçait les fonctions d'inspecteur à l'Office national belge des débouchés agricoles et horticoles.

Il posa sa candidature dans des conditions sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure à un emploi d'assistant principal, grade B 1, dans les services de la Commission, à la direction générale de l'agriculture.

Cette candidature fut retenue et, conformément à l'article 34 du statut, il fut nommé à ce poste en qualité de stagiaire le 1er mars 1969 pour une période de 6 mois.

Conformément à cet article, un rapport fut établi sur son stage le 30 juillet 1969. Ce rapport constata des insuffisances sérieuses dans l'aptitude du requérant à occuper l'emploi pour lequel il avait été nommé et proposa, comme le statut le permet, de prolonger ce stage pour une durée de 3 mois.

Pendant cette prorogation du stage, le requérant tomba malade et fut absent deux mois.

La Commission prit alors une mesure très libérale et très humaine, bien que sa légalité soit contestable.

En effet, malgré un second rapport de stage qui avait également conclu au licenciement du requérant, elle lui accorda une prolongation de son stage égale à la durée de son absence pour maladie.

Mais un troisième rapport de stage du 19 janvier 1970 confirma les jugements portés par les rapports antérieurs sur l'inaptitude de l'intéressé à exercer les fonctions pour lesquelles il avait été recruté.

Il fut en conséquence licencié, à compter du 17 février 1970, par une décision qui lui fut notifiée le 16 février.

Par la présente requête, M. Nagels vous demande

1) d'annuler cette décision ainsi que le rejet du recours gracieux par lequel il avait demandé à la Commission de la rapporter;

2) subsidiairement et au cas ou vous ne feriez pas droit à ses conclusions d'annulation, de condamner la Commission à lui verser 200000 francs de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il aurait subi.

I

Examinons tout d'abord les conclusions à fin d'annulation.

Le requérant articule à leur appui trois moyens, ou plus exactement trois groupes de moyens, dont le dernier est en réalité le principal.

Le premier moyen ne nous retiendra guère. Il est tiré de ce que, à la date où lui a été notifié son licenciement, la période de stage de M. Nagels aurait été terminée.

Mais il semble que le requérant fasse sur ce point une confusion.

L'expiration de la période de stage n'implique nullement une titularisation implicite du stagiaire.

Certains droits de la fonction publique vont même beaucoup plus loin et admettent qu'en l'absence de titularisation l'expiration de la période de stage met fin automatiquement à tout lien entre l'agent stagiaire et le service et que la décision qui ultérieurement le constate n'a qu'un caractère récognitif et peut rétroagir à la date d'expiration du stage. Sans aller aussi loin, il nous parait cependant que la circonstance que la Commission ait fait bénéficier le requérant de quelques semaines de
traitement auquel il n'aurait pas eu normalement droit en ne prononçant son licenciement qu'à compter de la date d'expiration de sa seconde période de stage, déjà prolongée de deux mois, n'est en tout cas pas de nature à entacher d'illégalité la décision de licenciement.

Le deuxième moyen est tiré d'une prétendue violation de l'article 9, paragraphe 5. du statut.

Le requérant soutient que la procédure suivie serait irrégulière en ce que un comité consultatif dit «comité des rapports» et dont l'article 9 prévoit la création et la consultation, n'aurait pas été consulté pour la simple raison d'ailleurs que ce comité n'a jamais été institué.

Mais l'article 9 du statut prévoit uniquement la faculté pour les autorités compétentes d'instituer ce «comité des rapports».

Il en résulte que ces autorités n'ont aucune obligation d'instituer un tel comité.

Dès lors, comme il est constant qu'aucun comité de ce type susceptible de donner compétemment un avis sur le cas de M. Nagels n'a été institué, ce moyen ne peut pas, pensons-nous, être retenu.

Avec le troisième moyen ou le troisième groupe de moyens, on en arrive au cœur de l'argumentation de M. Nagels.

Celui-ci soutient qu'il n'a pas été mis à même de faire la preuve des capacités qu'impliquait le poste pour lequel il avait été recruté.

Ce poste, d'après l'intéressé, aurait été essentiellement un poste technique relatif à des opérations de contrôle sur place par un agronome d'espèces et variétés de plantes agricoles et horticoles ainsi que de contrôle sur place également de l'aménagement de champs comparatifs de ces plantes et à l'inspection de ces champs.

Or, dit le requérant, on ne lui a fait effectuer pour l'essentiel que des travaux de caractère administratif, notamment l'établissement de compte rendus de réunions ou de procès-verbaux.

Le requérant en conclut qu'il est en droit d'invoquer les principes posés par votre arrêt Mirossevich du 12 décembre 1956 par lequel vous avez défini les conditions dans lesquelles un stage doit se dérouler pour être régulier.

Nous voudrions tout d'abord faire à ce sujet une remarque préalable, c'est que les conditions de fait et de droit dans lesquelles se présentait l'affaire Mirossevich sont entièrement différentes de celles de la présente espèce.

Mlle Mirossevich, recrutée comme traductrice stagiaire, se plaignait de n'avoir effectué au cours de son stage qu'un nombre de travaux de traduction insuffisant pour qu'un jugement sur ses capacités puisse être formulé en toute connaissance de cause.

Après expertise, vous avez en effet admis que les quelques travaux qu'on lui avait confiés, n'avaient pas permis aux autorités compétentes d'apprécier ses aptitudes.

Mais tout autre est le cas de M. Nagels. Il ne se plaint nullement de ce qu'on ne lui ait pas confié un nombre de travaux suffisant pour permettre de le juger. Ce qu'il soutient c'est que les travaux qui lui ont été confiés n'étant pas de la nature de ceux indiqués par l'avis de vacance, le fait de lui avoir confié de tels travaux a entaché d'irrégularité le stage tout entier.

Ce qu'il reproche aux services de la Commission, c'est non pas de ne lui avoir confié que peu ou pas de travail, mais de lui avoir confié essentiellement des travaux administratifs à effectuer dans un bureau et non des travaux de contrôles agricoles à effectuer sur place, comme l'indiquait l'avis de vacance.

Mais, Messieurs, cette argumentation ne résiste guère à l'examen même de cet avis de vacance. Celui-ci, dans son texte français, est ainsi rédigé:

«… Effectuer, dans le cadre de directives générales, des travaux de bureau particulièrement difficiles et complexes concernant:

— le contrôle des espèces et variétés de plantes agricoles et horticoles;

— l'aménagement des champs comparatifs de ces plantes;

— procéder à l'inspection de ces champs.»

Dans cette version, il n'y a guère de doute: il s'agit de travaux de bureau particulièrement difficiles et complexes impliquant, outre des connaissances générales, certaines connaissances techniques et pouvant de plus comporter quelques inspections sur place.

Le requérant conteste cette interprétation en faisant valoir deux arguments.

Premièrement, dit-il, la formule «travaux de bureau particulièrement difficiles et complexes» serait une formule «passe-partout», stéréotypée, destinée à justifier, compte tenu du tableau des emplois types annexé au statut, l'attribution du grade B 1.

Deuxièmement, le texte néerlandais de l'avis de vacance impliquerait que l'essentiel du travail était un travail d'inspection technique sur place.

Mais aucun de ces deux arguments ne nous paraît convaincant.

a) En ce qui concerne le texte français, même si l'on admet que la qualification «particulièrement difficiles et complexes» a peut-être un peu le caractère d'une formule stéréotypée destinée à rattacher l'emploi aux emploi types définis par le statut, il n'en reste pas moins que la formule «travaux de bureau» caractérise la nature des tâches et que le grade montre à lui seul que ce ne sont point des tâches administratives mineures.

b) En ce qui concerne le texte néerlandais, nous sommes évidemment plus gêné pour prendre position.

Vous avez sous les yeux le texte de l'avis de vacance dans les quatre langues.

Le requérant soutient que même si l'on admet qu'il résulte du texte français que les activités relatives au contrôle des espèces agricoles ou horticoles ou à l'aménagement des champs comparatifs ne peuvent être que des activités se rattachant à des travaux de bureau, il n'en est pas de même dans le texte néerlandais.

D'après lui en effet, c'est l'emploi du participe présent «concernant» qui fait que le texte français est relativement clair sur ce point.

Au contraire, remploi dans le texte néerlandais de l'expression «met name» devrait conduire à une interprétation différente.

D'après le requérant, l'emploi de cette expression «met name» aurait pour effet que l'avis de vacance devrait être interprété comme prévoyant des travaux de bureau, certes, mais particulièrement des travaux concernant le contrôle des espèces agricoles et horticoles et l'aménagement de champs comparatifs.

Or, dit-il, et cela n'est pas contesté, les travaux de bureau ont constitué l'essentiel des tâches qui lui ont été confiées au cours de son stage.

Nous ne vous proposerons pas de retenir cette argumentation pour trois raisons:

1) Le requérant avait indiqué dans son acte de candidature que si le néerlandais était sa langue maternelle il avait, pour la lecture en tout cas, une très bonne connaissance du français.

Cette très bonne connaissance du français aurait dû lui révéler, si elle existait, la disparité qu'il pouvait y avoir entre le texte néerlandais et le texte français et lui permettre de demander les éclaircissements nécessaires.

2) Il est constant que ce n'est pas au seul vu de l'avis de vacance que le requérant s'est porté candidat en 1969 mais à la suite de nombreux contacts remontant même jusqu'en 1967 avec les services compétents de la Commission.

Il serait vraiment tout à fait extraordinaire que les personnes qui l'ont reçu et qui étaient parfaitement au courant des tâches essentiellement administratives pour lesquelles on envisageait de recruter, selon la procédure de l'article 29-2, un nouveau fonctionnaire, ne l'aient pas éclairé sur la nature desdites tâches.

3) Malgré la brillante controverse linguistique qui a opposé à la barre le conseil du requérant et le représentant de la Commission, il ne nous paraît nullement certain qu'en néerlandais l'expression «met name» ait toujours la signification un peu particulière que lui prête le requérant

Dans ces conditions, nous pensons que ce dernier moyen ne peut pas non plus être retenu et que les conclusions à fin d'annulation présentées par le requérant doivent être rejetées.

II

Restent alors les conclusions à fin d'indemnité.

Elles sont fondées sur le préjudice qu'aurait causé au requérant la faute qu'aurait commise la Commission en laissant publier un avis de vacance dont la version dans une des langues de la Communauté aurait été ambiguë. Mais:

— d'une part, l'existence du préjudice est loin d'être établie puisque le requérant, après avoir été maintenu en stage pendant onze mois au lieu des six mois normalement prévus par le statut et après avoir perçu son traitement pendant plus d'un demi-mois après la fin de son stage, a été, sans solution de continuité, réintégré dans son administration nationale d'origine;

— d'autre part, comme nous venons de vous le dire, le requérant qui, en madère d'indemnité, a la charge de la preuve, n'établit pas nettement l'existence d'une ambiguïté du texte néerlandais par rapport au texte dans les autres langues.

Nous concluons donc

— au rejet de la requête,

— à ce que chacune des parties supporte ses propres dépens.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52-70
Date de la décision : 01/04/1971
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Joseph Nagels
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Dutheillet de Lamothe
Rapporteur ?: Trabucchi

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1971:35

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