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12/05/1971 | CJUE | N°77-70

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 12 mai 1971., Maurice Prelle contre Commission des Communautés européennes., 12/05/1971, 77-70


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 12 MAI 1971 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Comme vous le savez, M. Prelle, requérant dans l'affaire sur laquelle nous concluons aujourd'hui, exerçait initialement ses fonctions à la Commission de l'Euratom. A compter du 1er février 1964, il a été affecté à la branche «Euratom» du service juridique commun des exécutifs des Communautés, avec classement dans le grade A 5. Ensuite, avec effet au 1er janvier 1965, il a été promu administrateur principal de

grade A 4. — En 1967, l'institution d'une Commission unique a entraîné une restructuration
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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 12 MAI 1971 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Comme vous le savez, M. Prelle, requérant dans l'affaire sur laquelle nous concluons aujourd'hui, exerçait initialement ses fonctions à la Commission de l'Euratom. A compter du 1er février 1964, il a été affecté à la branche «Euratom» du service juridique commun des exécutifs des Communautés, avec classement dans le grade A 5. Ensuite, avec effet au 1er janvier 1965, il a été promu administrateur principal de grade A 4. — En 1967, l'institution d'une Commission unique a entraîné une restructuration
du service juridique. Le requérant est cependant resté attaché à l'équipe «Euratom et recherche», qui comportait à l'époque un fonctionnaire de grade A 2, chef d'équipe, un fonctionnaire de grade A 3 ainsi que deux fonctionnaires de grade A 4, et à laquelle avaient été confiés les questions relevant de l'application du traité Euratom ainsi que les problèmes relatifs à la recherche technologique et à la recherche dans le domaine du traité CECA. Conjointement avec un collègue, classé lui aussi au
grade A 4, M. Prelle a été chargé de suivre les questions intéressant la recherche nucléaire, la diffusion des connaissances, les brevets ainsi que les conventions de recherche prévues par le traité CECA. Il s'était vu confier en outre les problèmes de responsabilité civile dans le domaine nucléaire.

Par une décision du 24 juillet 1968 prenant effet au 1er du mois en cours, ledit collègue du requérant a été promu au grade A 3, sans toutefois que cette décision se soit accompagnée d'aucune modification des tâches qui lui étaient confiées. Au cours de l'année 1969, et plus précisément à compter du 25 avril, une décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination a accordé au fonctionnaire en question un congé de convenance personnelle, destiné initialement à prendre fin le 24 février 1970,
mais qui, renouvelé à plusieurs reprises, s'est finalement prolongé jusqu'en décembre 1970. Pendant cette période, aucune modification n'est intervenue dans la composition de l'équipe «Euratom et recherche» du service juridique de la Commission (ce n'est qu'à compter du 15 janvier 1971 qu'elle a été renforcée par un fonctionnaire de grade A 6). Cela a eu pour conséquence que, pendant l'absence du fonctionnaire bénéficiaire du congé, le requérant a pratiquement dû prendre seul en charge le secteur
d'activité qu'il partageait auparavant avec son collègue.

La combinaison de cette circonstance avec le fait que ledit collègue avait fait l'objet d'une promotion (dans laquelle M. Prelle voyait une revalorisation du poste de l'intéressé) a amené le requérant à estimer qu'il avait été appelé à occuper par intérim cet emploi «revalorisé» et que, dès lors, il était en droit de se prévaloir des dispositions de l'article 7, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires. Aussi bien a-t-il introduit, le 3 octobre 1969, une demande tendant à ce que lui soit versée
l'indemnité différentielle «égale à la différence entre la rémunération afférente à son grade et à son échelon et celle correspondant à l'échelon qu'il obtiendrait dans le grade de base s'il était nommé dans la carrière dans laquelle il assure l'intérim». Mais il n'a pas obtenu satisfaction et, même en engageant un procès devant la Cour, il n'a pas pu aboutir à ses fins.

Le 16 juillet 1970, fort de l'idée qu'il assurait l'intérim de l'emploi de niveau supérieur qui avait été confié à son collègue placé en position de congé, et en considération du fait que ce congé se prolongeait au-delà du délai d'un an prévu à l'article 7, paragraphe 2, M. Prelle a saisi l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation dans les formes prévues à l'article 90 du statut. Exposant la situation de fait que nous connaissons, il a fait valoir que la prolongation de l'intérim
au-delà d'un an était incompatible avec l'article 7 du statut et prétendu que, constatant l'irrégularité de cette situation, la Commission devait y porter remède et tirer les conséquences que de droit. Et ce fonctionnaire de soutenir qu'étant donné qu'il doit y avoir concordance entre le grade et l'emploi, le moyen d'éliminer cette anomalie ne pouvait consister qu'à réajuster son grade, plus précisément à classer l'intéressé dans le grade A 3 avec effet au 24 avril 1970. — Le délai de deux mois
prévu à l'article 91 du statut s'est écoulé sans qu'une réponse à cette réclamation parvienne à M. Prelle. Ce n'est que le 29 septembre 1970 que sa demande a été formellement rejetée par une lettre dans laquelle le président de la Commission relevait que les tâches que l'intéressé exerçait depuis le départ en congé de son collègue n'étaient pas «liées à un emploi de carrière supérieure».

C'est là, Messieurs, ce qui a déterminé M. Prelle a saisir la Cour, le 19 novembre 1970, de la requête qu'il nous appartient d'examiner à présent et dans laquelle il conclut à ce qu'il vous plaise :

1) annuler la décision de la Commission portant rejet de la demande qu'il avait formée le 16 juillet 1970 ;

2) constater que la Commission est tenue de réparer le préjudice, tant moral que matériel, qui lui a été causé par l'existence d'une situation administrative irrégulière au regard du statut et dire, par conséquent, que le requérant sera classé au grade A 3 à compter du 25 avril 1970 ou qu'il se verra allouer la compensation pécuniaire dont il appartient à la Cour de fixer le montant.

La Commission estime que ces demandes-là aussi doivent être rejetées comme non fondées.

Au seuil de l'analyse à laquelle nous allons soumettre le litige dont nous venons ainsi de définir les termes, il importe de signaler qu'après son retour de congé et l'annonce, faite en octobre 1970, de la vacance de son emploi de grade A 3, le collègue du requérant n'a plus été chargé des mêmes attributions que précédemment, mais a été affecté, à compter du 1er janvier 1971 à l'équipe «Concurrence» du service juridique.

1.  Le requérant s'en prenant avant tout au rejet implicite de la demande qu'il avait introduite le 16 juillet 1970, en vue d'obtenir, comme nous l'avons vu, son classement dans le grade A 3, le problème principal que soulève le présent procès est de savoir si c'est à bon droit que la Commission a refusé de redresser son classement. C'est ce que le requérant conteste, en se référant, comme vous le savez, au principe de la correspondance entre l'emploi et le grade, sur lequel la Cour a maintes fois
mis l'accent dans sa jurisprudence (cf. arrêt 102-63 du 17 décembre 1964, Boursin contre HA, Recueil, X - 1964, p. 1379), et en faisant valoir qu'il exerce effectivement les attributions d'un fonctionnaire de grade A 3. La Commission objecte qu'en réalité M. Prelle n'assume nullement les fonctions inhérentes à un emploi supérieur au sien et qu'au surplus il serait bien en peine de faire état de la décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination que le statut exige à cet égard. — Voilà
quels sont, pour l'essentiel, les problèmes que soulève l'affaire qui nous occupe.

Pour ce qui est, tout d'abord, du problème de forme, reconnaissons immédiatement que, selon ce qui ressort de votre jurisprudence, il s'agit effectivement d'une objection importante. Cette jurisprudence enseigne, en effet, que l'exercice de fait de certaines fonctions n'est suffisant, ni pour permettre de prétendre à l'indemnité différentielle prévue à l'article 7, paragraphe 2, du statut en faveur du fonctionnaire qui assure l'intérim d'un autre emploi, ni pour faire valoir des prétentions à un
classement déterminé; il faut, en réalité, qu'il soit établi que les fonctions en question ont été attribuées à l'intéressé par l'autorité investie du pouvoir de nomination compétente. Sur ce point, nous nous référons aux arrêts rendus dans les affaires 102-63 (Recueil, X-1964, p. 1379) et 35-69 (arrêt du 9 juillet 1970, Lampe Vve Grosz contre Commission, Recueil, XVI-1970, p. 614). Voyons donc avant tout ce qu'il en est de cette condition dans le cas du requérant.

S'il ne fallait avoir égard qu'à l'existence d'un acte formel de l'autorité investie du pouvoir de nomination, c'est fort brièvement et simplement que nous pourrions répondre à cette question: cet acte formel n'ayant jamais existé, la prétention du requérant devrait être rejetée du simple fait de la non-réalisation de cette exigence de forme. — Poussons toutefois notre examen plus loin et demandons-nous s'il n'est pas possible de considérer qu'il y a eu attribution tacite de fonctions d'un
niveau plus élevé par l'autorité investie du pouvoir de nomination (et cela en admettant par hypothèse qu'une telle attribution pourrait suffire pour engendrer un droit à un meilleur classement). À cet égard, il convient en premier lieu de prendre en considération l'allégation du requérant selon laquelle c'est nécessairement à lui qu'ont incombé, après le départ en congé de son collègue, les tâches précédemment assumées par celui-ci, la suppléance devant échoir à M. Prelle par application de
l'article 26 du règlement intérieur provisoire de la Commission, aux termes duquel «sauf décision contraire de la Commission, tout fonctionnaire supérieur hiérarchique empêché est suppléé par le fonctionnaire subordonné présent le plus ancien, et à ancienneté égale le plus âgé, dans la catégorie et le grade le plus élevé». Un examen plus attentif révèle toutefois qu'il est malaisé de suivre le requérant dans ce raisonnement.

C'est qu'en réalité le texte que nous venons de citer n'est pas susceptible d'être appliqué au sein d'un service connaissant une structure telle que celle du service juridique de la Commission. On ne saurait, en effet, considérer que les sections qui y ont été constituées en fonction des matières à traiter, les «équipes» comme on les appelle, constituent des unités administratives à la tête desquelles sont placés des fonctionnaires de grade A 2. À d'autant plus forte raison est-il dès lors
impossible d'affirmer qu'au sein de ces équipes, un fonctionnaire de grade A 3 est le supérieur hiérarchique d'un fonctionnaire de grade A 4. Au surplus, il semble bien qu'il faille donner raison à la Commission quand elle affirme que, si tant est qu'on puisse envisager que ledit article 26 s'applique dans le cadre du service juridique, c'est l'ensemble de ce service qui doit être regardé comme une unité administrative, ce qui a pour conséquence que la suppléance automatique de l'absent devait
échoir non pas au requérant mais bien à un fonctionnaire de grade A 4 ayant plus d'ancienneté que lui.

C'est ensuite dans la réaction de la Commission à la réclamation administrative dont l'avait saisie M. Prelle que nous pourrions être tenté de voir une attribution implicite de fonctions. Mais c'est là une considération qu'en fin de compte nous ne pourrons pas retenir non plus, puisque les termes de la réponse formelle du président font apparaître avec une parfaite clarté que, sans se prononcer sur la question de la répartition des attributions au sein du service juridique, la Commission s'est
bornée à affirmer que les tâches exercées par le requérant correspondaient bel et bien à son grade.

Aussi la seule question que nous devions encore nous poser est-elle de savoir si la répartition du travail opérée par le directeur général du service juridique, répartition par l'effet de laquelle le requérant a été chargé d'assumer la totalité des tâches qu'il partageait initialement avec son collègue avant le départ en congé de celui-ci, peut être regardée comme une mesure imputable à la Commission, autorité investie du pouvoir de nomination, cette mesure devant dès lors avoir une incidence
sur le classement de l'intéressé. Il apparaît cependant que c'est là une idée que nous ne pourrons pas davantage admettre. — A ce propos, observons avant tout que c'est vainement que le requérant relève que le directeur général du service juridique est placé sous l'autorité directe du président de la Commission. Pas plus, en effet, que dans le cas des autres directeurs généraux placés chacun sous l'autorité d'un membre de la Commission, cette circonstance ne peut être comprise dans ce sens que
le président doit nécessairement reprendre purement et simplement à son compte les actes du directeur général. N'oublions pas, au surplus, que c'est non pas le président mais bien la Commission qui est l'autorité investie du pouvoir de nomination compétente pour régler des situations telles que celle qui se présente ici. — De même, nous ne croyons pas qu'on puisse soutenir que les pouvoirs de l'autorité investie du pouvoir de nomination ont été implicitement délégués au directeur général du
service juridique, conformément à l'article 2 du statut, en tirant argument du fait qu'il ressort de la structure spéciale du service juridique (dont nous aurons à reparler plus loin) que c'est au directeur général qu'est abandonné le soin de répartir le travail en affectant chacun à un secteur d'activité. Il est certain, en effet, que cette répartition ne peut se faire que dans le cadre de l'organisation hiérarchique fixée par la Commission elle-même, c'est-à-dire en fonction du classement dans
la grille des traitements tel qu'il a été arrêté par la Commission pour les fonctionnaires du service juridique. Cela revient à dire que la Commission n'a donc pas purement et simplement abandonné le pouvoir qu'elle a d'organiser son service juridique et qu'il n'entre certainement pas dans ses intentions de permettre que des mesures d'organisation interne adoptées par le directeur général de ce service préjugent les décisions qu'elle a le droit de prendre en matière de classement ou de
promotion. Pour que nous puissions admettre le contraire, il faudrait que nous soyons en présence d'une délégation formelle et non équivoque de pouvoirs; or, tel n'est pas le cas. Il apparaît dès lors que la prétention du requérant à être classé dans un grade plus élevé devrait déjà être écartée au seul motif que l'intéressé n'est pas en mesure de faire état d'un acte par lequel l'autorité compétente investie du pouvoir de nomination lui aurait conféré les attributions qu'il exerce en prétendant
qu'elles relèvent d'un emploi de grade A 3.

Cependant, au lieu de nous en tenir à cette façon formelle d'envisager les choses, à laquelle d'aucuns pourraient peut-être trouver à redire, nous passerons en outre à l'examen au fond du problème que soulèvent les conclusions prises à titre principal par le requérant, et nous vérifierons si, en fait, il est possible d'affirmer que celui-ci assumait les tâches inhérentes à un emploi de grade A 3. — Pour le soutenir, l'intéressé invoque essentiellement le fait, non contesté, qu'après le départ en
congé de son collègue qui avait bénéficié d'une promotion au grade A 3, il a repris intégralement le secteur d'activité dont celui-ci était chargé.

Pour apprécier si cette circonstance constitue une justification suffisante des prétentions du requérant, il est nécessaire d'examiner au préalable la façon dont se caractérisent les emplois au service juridique de la Commission. Bien qu'il soit impossible de recourir à cet égard à une description générale des emplois (celle-ci faisant, semble-t-il, défaut), nous pourrons néanmoins obtenir une image fidèle de la situation grâce aux avis de vacance qui ont été successivement publiés et dans
lesquels il est permis de voir, comme le dit la Commission, une réalisation progressive de la description des emplois. L'élément le plus important qui se dégage de ces avis de vacance, c'est que, loin d'être caractérisés en fonction de tâches définies «ratione materiae», les emplois le sont sur la base de critères plus généraux, lesquels, dans le cas des emplois de grade A 3 et A 4 qui nous intéressent ici, consistent dans le degré de responsabilité que le fonctionnaire doit être en mesure
d'assumer, dans l'autonomie plus ou moins grande dont il jouit pour traiter les affaires juridiques, dans la marge d'indépendance qui lui est laissée lorsqu'il représente la Commission, soit dans des comités d'experts ou autres, soit devant les représentants permanents, ainsi que dans la possibilité de lui confier la représentation de la Commission à un niveau hiérarchique élevé et de la défendre au contentieux dans des affaires importantes devant la Cour de justice. C'est ainsi, affirme la
Commission, qu'il faut comprendre les distinctions faites dans les avis de vacance d'emploi, lesquels comportent, en ce qui concerne les fonctionnaires A 4, la formule suivante : «accomplissement de tâches de conception, d'études ou de contrôle, et notamment : participer à l'étude de tous les problèmes juridiques pouvant se poser, soit au regard des traités, soit dans différentes législations nationales», alors que lesdits avis mentionnent, en ce qui concerne les conseillers juridiques de grade
A 3, que ceux-ci sont appelés à «examiner tous les problèmes juridiques pouvant se poser, soit au regard des traités, soit dans différentes législations nationales, à propos de l'activité de la Commission» et qu'ils doivent avoir une «expérience pratique de nature juridique d'une durée d'au moins cinq années préparant entre autres aux tâches contentieuses» (élément qui est d'ailleurs également retenu pour différencier les carrières à l'article 5, paragraphe 1, alinéa 2, du statut). — Les
explications que nous avons entendues à ce sujet, font apparaître comme indéniable que cette façon de caractériser les emplois tient un compte adéquat des particularités du service juridique. Elle correspond aux attributions types de juristes, appelés, tant en matière de consultation qu'au contentieux, à exercer, dans des secteurs dont le contenu peut varier, des tâches similaires, dont les nuances ne se marquent qu'au regard du degré de responsabilité qu'elles impliquent. Il apparaît en
revanche que, compte tenu tant des difficultés qu'il y aurait à évaluer objectivement les diverses matières traitées que des chevauchements que celles-ci présentent inévitablement, il serait extrêmement malaisé de lier les emplois aux secteurs d'activité auxquels les fonctionnaires du service juridique sont attachés et de recourir à ce critère-là pour distinguer les emplois. Observons d'ailleurs que lier l'emploi au secteur d'activité équivaudrait (les modifications de la répartition du travail
impliquant alors la lourde procédure de la mutation) à enlever au service juridique une bonne partie de la mobilité qui, à cause des fluctuations de la masse de travail qui lui incombe et du caractère variable des tâches qui lui sont demandées, se révèle indispensable et qui, selon les indications de la Commission, joue souvent en réalité, principalement dans les grades inférieurs. Reconnaissons enfin que cette liaison rigide de l'emploi du fonctionnaire aux matières qu'il est appelé à traiter
serait peu compatible avec cet objectif raisonnable qui consiste à mettre à la disposition du service juridique des juristes à vocation générale et polyvalente. Après ces considérations situées principalement sur le plan de l'opportunité, nous ferons encore observer que, contrairement à ce qu'estime le requérant, il n'est pas davantage possible de soutenir que le schéma d'organisation ainsi décrit est incompatible avec les principes du statut des fonctionnaires. — Relevons, tout d'abord, que le
fait que les fonctionnaires de grade différent ne sont pas hiérarchiquement subordonnés les uns aux autres au sens administratif ne permet pas de supposer qu'il n'aurait pas été établi de hiérarchie entre les emplois en fonction de la nature et de l'importance des tâches exercées. — Pour ce qui est, en outre, des chevauchements qui peuvent se produire entre les diverses attributions, la Cour a déjà eu l'occasion d'affirmer qu'étant inévitables, ils ne pouvaient être considérés comme contraires
aux dispositions du statut (arrêt 28-64 du 7 avril 1965, Muller, Recueil, XI-1965, p. 323-324). — Observons au surplus que les dispositions du statut, et notamment ses articles 1 et 4, n'exigent pas en réalité que les emplois soient individualisés au point où le requérant voudrait qu'ils le soient. Tout d'abord, ce n'est pas d'une individualisation aussi poussée qu'il est question à l'article 5, paragraphe 4, relatif à la description des emplois. Cette description peut dès lors parfaitement être
maintenue dans des termes généraux, du moment qu'elle contient «des descriptions d'attributions pouvant servir de critères d'évaluation», «des éléments permettant de préciser la définition d'un emploi» («Funktionsbeschreibungen als vermittelnde Bewertungskriterien, nähere Definitionsmerkmale») qui garantissent que tous les emplois jugés de même niveau soient uniformément classés dans le même grade ( 2 ). On peut affirmer que, même de cette façon, et sans qu'il soit nécessaire d'admettre que les
termes généraux dans lesquels la Commission a maintenu la description des emplois ont été précisés par les mesures d'organisation interne prises par le directeur général du service juridique, le respect des règles essentielles du statut est assuré, et cela, non seulement en ce qui concerne les articles 1 et 7, paragraphe 1, et l'article 4 (lorsqu'il s'agit réellement de pourvoir à des emplois vacants), mais également pour ce qui est de l'article 7, paragraphe 2 (intérim des emplois d'une
carrière supérieure). Si, d'autre part, il faut reconnaître que les occasions d'appliquer la dernière de ces dispositions sont évidemment plus rares dans le cas où la description des emplois est maintenue dans des termes généraux, il n'en reste pas moins qu'en raison du caractère exceptionnel dudit texte, il est impossible de considérer que cette circonstance engendre une atteinte grave à des principes fondamentaux du statut. Et nous devrons admettre qu'il en va de même à l'égard du fait que,
dans ces conditions, les dispositions statutaires en matière de mutation ne pourront guère trouver à s'appliquer lorsque le changement d'attributions du fonctionnaire n'affecte que le secteur d'activité qui lui est confié. En dépit des affirmations contenues dans l'arrêt Reinarz, nous ne voyons là aucune infraction au statut, et cela notamment pour deux raisons: premièrement, parce que les décisions de mutation relèvent de toute façon du pouvoir discrétionnaire de l'administration et, en second
lieu, parce que, dans le cadre d'un service aux dimensions limitées, il est parfaitement possible de donner satisfaction aux aspirations légitimes des fonctionnaires qui désirent changer d'activité. Nous ne croyons pas, en tout cas, que l'existence de ces particularités autorise à dire que les règles du statut sont appliquées d'une manière discriminatoire par rapport à d'autres directions générales dont les activités permettent un schéma d'organisation différent. A cet égard, en effet, il
convient, non seulement d'observer qu'il existe encore d'autres services (statistiques, groupe du porte-parole, concurrence) connaissant une organisation similaire à celle du service juridique, mais en outre de rappeler les avantages que les fonctionnaires de ces services peuvent précisément retirer de cette souplesse dans l'aménagement des structures.

Si maintenant, sur la base de ces constatations de principe, nous essayons d'apprécier quant au fond la prétention du requérant à être classé dans un grade plus élevé, il apparaîtra rapidement que celle-ci n'est pas fondée. Comme nous l'avons déjà exposé, le requérant soutient que le fait de le charger d'assumer des tâches relevant d'un secteur d'activité dont, précédemment, il s'occupait conjointement avec un collègue équivalait à lui attribuer des fonctions inhérentes à un emploi de grade A 3,
pour la bonne raison que c'est à ce grade que ledit collègue avait été promu avant son congé de convenance personnelle, tout en conservant les mêmes attributions. Ce raisonnement n'est toutefois concluant qu'en apparence. Il ressort du schéma d'organisation du service juridique tel que nous le connaissons qu'en réalité, cette promotion n'équivalait pas à revaloriser l'emploi du collègue qui avait bénéficié d'une promotion et n'impliquait pas une revalorisation du secteur d'activité auquel il
était affecté (ce qui, en se plaçant au point de vue du requérant, aurait d'ailleurs dû inciter celui-ci dès 1968 à demander lui aussi la revalorisation de son emploi, celui-ci comportant le même secteur d'activité). Si, en effet, le collègue du requérant a été effectivement promu à un autre emploi, cela signifiait qu'il était désormais amené à assumer, de manière générale, des responsabilités accrues. Ce qui le confirme, c'est le fait que, l'ancien emploi du fonctionnaire promu ayant été
déclaré vacant, il a été pourvu à cette vacance par une nouvelle nomination, et qu'après s'être vu confier l'emploi en question, ce fonctionnaire a été affecté à une autre équipe du service juridique. Peut-être n'est-il pas exclu, comme l'agent de la Commission l'a déclaré au cours de la procédure, que la promotion ait également été inspirée par l'idée d'attribuer immédiatement un autre secteur d'activité au fonctionnaire en question (attribution qui est effectivement intervenue après son retour
de congé) et de ne le maintenir que provisoirement au sein de l'équipe «Euratom et recherche», en raison de l'imminence de son congé. Mais cette considération n'est pas déterminante, puisque, l'emploi d'un fonctionnaire n'étant pas évalué en fonction des matières que celui-ci est appelé à traiter, c'est en raison de la responsabilité qui lui était confiée que, même sans changer de secteur d'activité, le fonctionnaire qui a été promu a accédé à un emploi supérieur. Il est dès lors certain qu'à
elle seule, la référence faite par le requérant au secteur d'activité qui lui a été attribué ne lui est d'aucun secours. Or, comme au surplus (et ceci est capital) le requérant n'a pas été en mesure d'affirmer qu'après l'octroi du congé à son collègue, il s'est également vu confier les responsabilités plus grandes de ce dernier, c'est-à-dire le soin de prendre ce secteur d'activité en charge au même niveau que lui à tous les échelons, et puisqu'à cet égard la Commission a déclaré en outre
qu'après la réduction de l'équipe, le fonctionnaire de grade A 2 oui la dirigeait a certainement fait plus largement usage de ses pouvoirs de direction et de contrôle, force est effectivement d'exclure que M. Prelle ait assumé des attributions inhérentes à un emploi supérieur au sien et qu'il puisse dès lors prétendre à ce que son classement soit redressé.

Il apparaît donc que c'est non seulement en raison des considérations de forme dont nous avons parlé au début de notre exposé, mais aussi pour des motifs essentiels de fond que la Commission était en droit de rejeter cette prétention du requérant.

2.  Les conclusions qui se dégagent de l'analyse que nous avons menée jusqu'ici nous permettrons, Messieurs, d'être bref à propos des prétentions que le requérant fait valoir ensuite et qui tendent à l'allocation d'une compensation pécuniaire pour le dommage matériel et moral causé par la situation administrative prétendument irrégulière.

A cet égard, relevons tout d'abord que le requérant n'allègue nullement que le volume des matières qu'il a été appelé à traiter aurait dépassé la mesure tolérable. En réalité, c'est d'ailleurs vainement qu'il aurait cherché à le soutenir, car, lorsqu'on tient un compte exact de l'évolution de la masse de travail ainsi que de l'importance de la matière et lorsqu'on fait la comparaison avec le volume de travail incombant à d'autres sections du service juridique, il est malaisé, compte tenu de la
possibilité que le chef d'équipe assume lui-même une partie des tâches, de voir une faute dans le fait d'avoir prié l'intéressé de prendre temporairement seul en charge le secteur d'activité en question (comme vous le savez, à compter du 15 janvier 1971, l'équipe «Euratom et recherche» s'est retrouvée renforcée d'un fonctionnaire de grade A 6). — En réalité, les prétentions du requérant à des dommages-intérêts sont, elles aussi, fondées essentiellement sur le caractère prétendument erroné de son
classement et sur d'autres irrégularités entachant le comportement de la Commission, plus spécialement sur le fait d'avoir omis d'établir une description détaillée des emplois en fonction des secteurs d'activité confiés à leurs titulaires.

Les considérations que nous avons exposées plus haut, à propos des prétentions du requérant à un meilleur classement, font immédiatement apparaître que cette argumentation-là ne saurait pas davantage le faire triompher dans celles qui tendent à la réparation d'un dommage matériel. En réalité, le fait que, selon le schéma d'organisation du service juridique, le classement n'est pas fonction des matières traitées ne permet pas de parler de classement erroné. Et il n'est pas davantage possible
d'affirmer que la description des emplois est insuffisante, puisque, nous l'avons vu, le statut laisse une marge suffisante pour le type d'organisation qui est adopté au service juridique. Il apparaît dès lors, Messieurs, que le requérant serait déjà bien en peine de faire état d'une faute de l'administration. — Au surplus, nous pourrions relever, avec la Commission, qu'on se demande comment il pourrait avoir subi une perte pécuniaire et où résiderait le dommage. Cette question se pose notamment
à propos de la description prétendument incomplète des emplois, car il n'est nullement démontré que, si la description des emplois avait été plus détaillée et avait été liée aux secteurs d'activité, elle aurait nécessairement eu pour conséquence de faire évaluer à un niveau plus élevé le secteur dont s'occupait précisément le requérant.

La seule chose à laquelle nous puissions, en revanche, penser, c'est à un dommage moral subi par le requérant, et cela dans la mesure où l'acte de la Commission que nous avons analysé a pu faire naître l'impression qu'alors que l'activité du collègue du requérant était une activité de grade A 3, le requérant lui-même, tout en étant chargé du même secteur d'activité, se voyait refuser à tort le même avantage hiérarchique. On pourrait également avoir eu l'impression qu'en assumant pendant tout un
temps des tâches confiées initialement à deux fonctionnaires, alors que son collègue se voyait octroyer une promotion et un congé de convenance personnelle, le requérant faisait l'objet d'une discrimination voulue, qu'il était (peut-être pour des raisons de nationalité) la victime d'un détournement de pouvoir. Il est bien vrai que ces impressions n'auraient pas pu naître si les mesures d'organisation prises par la Commission avaient été plus nettement définies et assorties d'une justification
plus claire. — Néanmoins, comme nous doutons qu'à cet égard nous disposions (tant en ce qui concerne la faute de l'administration que le préjudice) d'éléments suffisamment certains (on peut supposer que le service juridique connaissait bel et bien la situation véritable) et comme au surplus nous avons le sentiment qu'en adoptant des considérations de ce genre, la Cour pourrait trop facilement s'avancer sur le terrain de l'équité, nous croyons en fin de compte devoir repousser aussi l'idée de
réparation d'un préjudice moral et vous proposer, Messieurs, de rejeter les conclusions prises par le requérant sur ce point.

3.  Reste enfin la question des dépens. Il apparaît effectivement qu'ici, il n'est pas totalement déraisonnable de prendre en considération, comme la Cour l'a déjà fait dans d'autres affaires, l'obscurité et la complexité de la situation juridique et d'en tenir compte au profit du requérant. Cette obscurité étant attribuable à la Commission, une fraction des dépens que celui-ci a exposés pourrait être mise à la charge de ladite institution.

4.  Pour nous résumer, nous estimons qu'encore que le recours soit recevable, il ne saurait être considéré comme fondé. Il doit dès lors être rejeté en totalité. Nous croyons néanmoins qu'il est juste de condamner la Commission à rembourser au requérant une fraction des dépens qu'il a exposés.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.

( 2 ) Euler, «Europäisches Beamtenstatut», tome I, p. 78.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 77-70
Date de la décision : 12/05/1971
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Maurice Prelle
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Roemer
Rapporteur ?: Monaco

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1971:52

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