CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. ALAIN DUTHEILLET DE LAMOTHE,
PRÉSENTÉES LE 27 MAI 1971
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Si le problème que pose cette affaire est fort complexe, son origine est simple. Le marché communautaire du sucre est un marché organisé et il existe, comme vous le savez, un prélèvement sur les importations dans la Communauté de sucre en provenance des pays tiers.
Le marché des fruits et légumes est également un marché organisé, mais c'est l'un des rares marchés de ce type pour lequel il n'existe ni prélèvement ni restitution et pour lequel les importations sont soumises seulement à des droits de douane fixés par le tarif douanier commun.
La combinaison entre ces deux organisations de marché se révéla à la fois nécessaire et difficile.
Il n'a jamais été question de soumettre au prélèvement le sucre contenu dans les fruits frais; en revanche, on pouvait craindre qu'en l'absence de dispositions spéciales l'importation de produits transformés à base de fruits n'ouvre une brèche importante dans le système de protection et de péréquation instauré par la réglementation communautaire sur le sucre.
En effet, tous les produits à base de fruits contiennent du sucre qui provient tantôt uniquement du sucre naturel des fruits, tantôt pour partie d'une addition de sucre lors de la transformation du fruit.
Etant donné le volume considérable des importations communautaires de produits de ce type, si l'on n'avait rien fait, des quantités importantes de sucre additionné à des fruits (40000 tonnes par an selon certaines estimations) auraient pu échapper au prélèvement communautaire sur les importations de sucre.
C'est pour faire face à une telle situation qu'intervinrent successivement plusieurs règlements du Conseil, un règlement no 220/67 du 30 juin 1967, un règlement no 789/67 du 31 octobre 1967, puis le règlement no 865/68 du 28 juin 1968.
C'est l'application de ce règlement no 865/68 qui a été à l'origine du litige à propos duquel un tribunal fiscal allemand vous a saisis de la question d'interprétation que vous avez à examiner aujourd'hui.
La société Bagusat présenta en septembre 1969 à un bureau de douanes de Berlin d'importantes quantités de cerises à l'alcool en provenance de Yougoslavie.
Ces cerises sont désignées en allemand sous le nom de «Weichselkirschen» qui, dans les pièces de la procédure, a été traduit en français par le mot «griottes».
D'après certains renseignements, il semble qu'il s'agisse en réalité d'une variété de l'espèce de cerises dite «Sainte Lucie», variété qui pousse sur les rives de l'Adriatique et que l'on appelle en italien «amarasca» et en français «marasques», d'où semble-t-il est venu le nom de la liqueur «marasquin».
La douane allemande estima tout d'abord que, si ces cerises étaient soumises à des droits de douane et à diverses taxes annexes, elles n'étaient pas susceptibles de donner lieu à la perception du prélèvement sur le sucre.
Mais une analyse ayant révélé que la teneur en sucres de ces produits était supérieure au pourcentage de 9 % fixé par une note complémentaire no 2 du chapitre 20 du tarif douanier commun, annexée au règlement du Conseil no 950/68 du 28 juin 1968, la douane changea d'avis et estima que le prélèvement était exigible.
L'importateur protesta en soutenant qu'il n'y avait pas eu addition de sucre et proposa d'en apporter la preuve.
Mais la douane allemande maintint sa position en estimant que, dès lors que la teneur en sucres dépassait 9 %, le prélèvement était dû, même s'il n'y avait pas eu en réalité addition de sucre, ce qu'elle ne contestait pas.
Saisi du litige, le tribunal fiscal allemand compétent vous a renvoyé, dans les conditions prévues par l'article 177 du traité, les questions suivantes :
a) L'article 2 du règlement no 865/68, combiné avec l'article 9 de ce règlement et avec les règles du tarif douanier commun (note complémentaire no 2 du chapitre 20, position 20.06-B-I-e), peut-il être interprété en ce sens que, lorsque la teneur en sucres établie par réfractométrie est supérieure à 9 % en poids, on doit considérer qu'il y a «sucres d'addition», ou bien faut-il estimer que selon le règlement no 865/68, la marchandise (en l'occurrence des griottes à l'alcool) ne peut être soumise au
prélèvement que s'il y a eu vraiment addition de sucre ?
b) Dans l'hypothèse où il faut considérer qu'une teneur en sucres supérieure à 9 % en poids est censée constituer du «sucre d'addition» au sens du règlement no 865/68, sans qu'il importe de savoir s'il y a eu effectivement addition de sucre: cette réglementation est-elle compatible avec les objectifs du règlement no 865/68 ?
c) Au cas où la deuxième question comporte une réponse négative: résulte-t-il de l'incompatibilité ainsi établie une infraction au droit communautaire telle qu'elle exclut la possibilité de percevoir le prélèvement, ou bien ce prélèvement doit-il néanmoins être perçu en dépit du fait que telle n'ait pas été l'intention du législateur communautaire ?
Le problème qui vous est posé par la première de ces questions comporte, croyons-nous, deux aspects:
Le premier, c'est celui de savoir quel est, pour reprendre une terminologie traditionnelle, le «fait générateur», le «Steuertatbestand», du prélèvement institué par le règlement no 865/68.
Est-ce la présence de sucre excédant un certain pourcentage? Est-ce au contraire seulement l'addition effective de sucre lors de la transformation du produit ?
Le second aspect du problème est, lui, relatif aux modalités et à la charge de la preuve de l'addition ou de la non-addition de sucre dans le produit transformé.
I
Sur le premier des aspects ci-dessus mentionnés du problème que vous avez à résoudre, trois thèses vous sont soumises :
La première est celle de l'importateur qui affirme qu'il ne peut y avoir prélèvement que s'il y a eu effectivement addition de sucre dans le produit.
La seconde est celle défendue devant sa juridiction nationale par le bureau des douanes allemand, et qui consiste en gros à soutenir que, s'il peut y avoir hésitation en ce qui concerne l'interprétation du règlement no 865/68, cette hésitation est levée par le paragraphe 2 de la note complémentaire no 2 du chapitre 20 du tarif douanier commun qui prévoit expressément : «les produits de la position 20.06 sont considérés comme étant “avec addition de sucre” lorsque leur “teneur en sucres” est
supérieure … à 9 %».
La troisième thèse est celle que vous propose la Commission qui ne voit dans la note complémentaire no 2 du chapitre 20 qu'un élément tout à fait accessoire, mais qui estime que le règlement no 865/68 prévoit lui-même que doivent être soumis au prélèvement les produits préparés, même sans addition effective de sucre, dès lors que leur teneur en sucres dépasse un certain pourcentage. Nous pensons pour notre part que le prélèvement n'est dû que lorsqu'il y a eu effectivement addition de sucre lors de
la transformation du produit importé. Cette interprétation nous paraît en effet résulter, comme nous allons essayer de vous le montrer :
— du texte même du règlement no 865/68,
— du but poursuivi par les auteurs de ce règlement,
— des principes enfin que pose le règlement lui-même pour son application.
1. Le texte du règlement no 865/68. Il paraît certain que les auteurs du règlement n'ont entendu soumettre au prélèvement que des produits préparés avec addition de sucre.
La motivation de ce règlement expose les raisons pour lesquelles il y a lieu «de prévoir des dispositions assurant que l'élément sucre incorporé dans les produits transformés soit frappé d'un prélèvement».
L'article 2, paragraphe 1, qui institue le prélèvement est ainsi libellé : «En sus du droit de douane visé à l'article 9, paragraphe 1, il est appliqué à l'importation des produits visés à l'annexe I, au titre des sucres divers d'addition, un prélèvement établi dans les conditions définies aux paragraphes suivants.»
Il y a concordance parfaite sur ce point entre les textes allemand, français, néerlandais et italien.
Dans toutes les autres dispositions de ce règlement relatives à ce prélèvement et sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure, comme d'ailleurs dans celles relatives à la restitution qui est instituée parallèlement au prélèvement, c'est la même notion d' «addition de sucre» que l'on retrouve.
Enfin, la rédaction est presque identique dans le règlement no 2275/70 qui a modifié le règlement no 865/68.
Le soin qu'ont ainsi mis les autorités communautaires à préciser ce point à chaque occasion paraît en lui-même significatif.
2. Il l'est encore plus si l'on considère non plus seulement le texte, mais les buts poursuivis par le règlement.
De quoi s'agissait-il en effet? De combler une lacune dans l'organisation communautaire du marché du sucre et d'éviter que soit introduit dans la Communauté du sucre qui, importé à l'état pur, aurait été soumis au prélèvement, mais qui y aurait échappé parce que mélangé à des fruits.
Il est donc évident que, comme pour les fruits frais, ce n'est pas le sucre naturel du fruit préparé que l'on a voulu soumettre au prélèvement, mais uniquement le sucre ajouté au fruit lors des opérations de transformation.
Interpréter autrement le règlement communautaire serait, croyons-nous, lui donner une portée différente de celle que lui ont assignée ses auteurs.
Ce que ceux-ci ont voulu, c'est protéger le marché communautaire du sucre, mais non protéger dans son ensemble le marché communautaire des produits transformés à base de fruits.
Il faut d'ailleurs remarquer que les auteurs du règlement, craignant probablement un malentendu sur ce point, ont formellement exprimé leur volonté, et c'est là la troisième des raisons qui militent, selon nous, en faveur de l'interprétation que nous vous proposons.
3. En effet, l'avant-dernier article du règlement, l'article 18, contient une disposition dont l'utilité n'apparaît pas à première vue. On y lit en effet : «Le présent règlement doit être appliqué de telle sorte qu'il soit tenu compte, parallèlement et de manière appropriée, des objectifs prévus aux articles 39 et 110 du traité.»
Pourquoi une telle disposition? Pourquoi rappeler à tous cette obligation, que tous connaissent, d'appliquer les dispositions du traité ?
La raison parait être que les auteurs du règlement ont craint une application trop extensive de ce règlement.
S'ils ont rappelé les deux articles 39 et 110 du traité, c'est parce que, si l'article 39 énumère les objectifs de la politique agricole commune, l'article 110 affirme solennellement :
«En établissant une union douanière entre eux, les États membres entendent contribuer, conformément à l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et à la réduction des barrières douanières.»
En prescrivant expressément que, pour appliquer le règlement no 865/68, il devait être tenu compte parallèlement de ces deux articles, les auteurs du règlement ont, à notre avis, clairement voulu dire : «Attention! ce texte n'a pour objet que de protéger le marché communautaire du sucre, que personne ne s'en serve pour protéger le marché communautaire des produits transformés à base de fruits lorsque ces produits transformés, originaires des pays tiers, ne contiennent pas de sucre.»
C'est la même crainte qu'a d'ailleurs exprimée à plusieurs reprises le Parlement et notamment sa commission des affaires économiques. Dans son rapport du 30 avril 1969, doc. no 23, cette commission exprime la crainte que les dispositions du règlement no 865/68 «ne risquent d'assurer une trop grande protection à la production communautaire» et souligne les dangers que présenterait une telle situation, notamment pour les pays en voie de développement pour lesquels «la fabrication de conserves de
fruits et de légumes est l'une des premières activités entrant en ligne de compte pour l'industrialisation de ces pays».
Or, il est bien évident que donner au règlement no 865/68 une interprétation telle qu'elle aboutirait à soumettre au prélèvement des fruits transformés sans aucune addition effective de sucre aboutirait précisément au résultat qu'ont voulu éviter les auteurs du règlement et qui a suscité les craintes du Parlement.
La force de ces diverses considérations qui ont déjà paru déterminantes à certaines juridictions fiscales allemandes ( 1 ) n'a pas échappé à la Commission et explique peut-être pourquoi ni le Conseil, ni le gouvernement allemand n'ont estimé devoir prendre position dans cette affaire.
Toutefois, la Commission vous demande d'adopter une interprétation inverse de celle que nous vous avons proposée et avance à ce sujet divers arguments, tous fort sérieux certes, mais dont aucun, disons-le tout de suite, ne nous a paru déterminant.
1. Le premier argument de la Commission est un argument tiré de l'économie générale des diverses dispositions incluses dans le règlement no 865/68. Il consiste à soutenir que, pour interpréter les dispositions de l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 865/68, il faut les rapprocher des paragraphes 3 et 4 du même article.
La Commission reconnaît qu'aussi bien la motivation du règlement no 865/68 que l'article 2, paragraphe 1, et plusieurs autres dispositions du texte ne prévoient le prélèvement qu'en cas d'addition de sucre. Mais, d'après la Commission, il y aurait là non l'édiction d'une règle impérative, mais plutôt l'indication d'un objectif n'excluant pas que soient assimilés à des produits contenant du sucre ajouté des produits dont la teneur globale en sucres, quelle qu'en soit l'origine, dépasse certains
pourcentages.
Cette thèse avait déjà été esquissée par la Commission dans une réponse à une question no 258/70 de M. Vredeling (JO du 5 novembre 1970, no C 133, p. 21). Expliquant les raisons d'une nouvelle réglementation relative aux importations de jus de fruits, la Commission déclarait en effet que les nouveaux textes s'étaient révélés nécessaires pour «éviter que les importations de jus ayant une forte concentration de sucre naturel, mais ne contenant pas de sucre d'addition, ne soient soumises à un
prélèvement qui ne devrait frapper que les importations de jus contenant du sucre d'addition».
L'emploi du conditionnel «devrait» est révélateur des fondements du raisonnement de la Commission. La dispense de prélèvement pour les produits transformés sans addition de sucre est un objectif souhaitable, mais ce n'est pas, selon la Commission, une obligation légale.
Pour chercher à fonder juridiquement cette thèse, la Commission, dans ses observations, fait état, comme nous vous l'avons dit, des paragraphes 3 et 4 de l'article 2 du règlement.
Ces paragraphes sont relatifs aux modalités de détermination «de la teneur en sucres d'addition». Ils prévoient deux méthodes, l'une que la Commission qualifie de «méthode forfaitaire» et qui n'exige aucun examen du produit, l'autre que la Commission appelle «méthode individualisée» et qui exige l'examen du produit au réfractomètre. Nous pensons inutile de vous les décrire en détail, ce qui serait nécessairement long, car ces méthodes sont assez -compliquées. Il nous suffit, croyons-nous, de
vous indiquer, car c'est là le point essentiel de l'argumentation de la Commission, que la détermination du montant du prélèvement dans ces deux cas résulte de l'application de ce que la Commission appelle une «fiction légale» ou une «présomption irréfragable». On apprécie la teneur globale en sucres, puis on diminue cette teneur globale en sucres d'un chiffre forfaitaire figurant dans un tableau annexé au règlement, ce chiffre étant censé représenter la teneur en sucre naturel, et le
prélèvement est ensuite calculé en fonction du résultat de cette soustraction. Ainsi, soutient la Commission, les dispositions du paragraphe 1 de l'article 2 doivent être interprétées en combinaison avec les dispositions des paragraphes 3 et 4 du même article. Si les autorités communautaires, après avoir institué un prélèvement sur le sucre ajouté, ont prévu que cette addition de sucre pouvait être calculée grâce à des fictions légales ou à des présomptions irréfragables, ce sont ces mêmes
fictions ou présomptions qui doivent servir pour déterminer si un produit est ou non soumis au prélèvement.
Comme vous avez pu le constater en lisant le mémoire de la Commission, cette argumentation est brillamment développée et est fort ingénieuse.
Elle ne nous a cependant pas convaincu, car, à notre avis, elle procède à des fins dialectiques d'une confusion entre deux notions fiscales qu'il y a lieu au contraire, selon nous, de distinguer toujours soigneusement :
— le fait générateur d'une taxe, le «Steuertatbestand»,
— les modalités de l'assiette, de la «Bemessungsgrundlage» de cette taxe.
Or en, l'espèce, il est certain que les paragraphes 3 et 4 de l'article 2 du règlement sont uniquement relatifs aux modalités d'assiette du prélèvement. Ils fixent en effet, d'après leur texte même, les modalités selon lesquelles est déterminée «la teneur en sucres d'addition» du produit.
Le paragraphe 1 est relatif, lui, au fait générateur de la taxe et ce fait générateur, comme nous vous l'avons dit, est l'addition de sucre et uniquement l'addition de sucre.
L' enchaînement entre les divers paragraphes de cet article 2 nous paraît donc pouvoir être résumé brièvement de la façon suivante :
S'il y a addition de sucre (paragraphe 1), la teneur en sucres d'addition à partir de laquelle est calculé le prélèvement est déterminée comme il est dit aux paragraphes 3 et 4.
Les explications techniques qui nous ont été données l'autre jour à la barre ont renforcé notre conviction sur ce point, car il nous a paru en effet en résulter que, s'il y a controverse quant à la possibilité de déceler facilement la présence de sucres d'addition dans un produit fabriqué à base de fruits, il y a accord sur le point qu'il est pratiquement impossible de doser la quantité de sucre additionné.
On comprend dès lors parfaitement comment le Conseil a pu à la fois instituer un prélèvement qui ne vise que les produits ayant effectivement fait l'objet d'une addition de sucre et prévoir cependant que la teneur en sucres d'addition serait calculée par des méthodes faisant partiellement appel à des «fictions légales» ou à des «présomptions irréfragables».
2. Le second argument de la Commission est celui qui nous a fait le plus hésiter tout à l'heure.
Il est tiré de la circonstance que, lorsque les autorités communautaires ont voulu excepter du prélèvement des produits ayant une forte concentration de sucre naturel, ils ont pris pour cela des règlements spéciaux.
A première vue, cet argument paraît fort sérieux, car, de l'existence des règlements invoqués (il en existe à notre connaissance quatre dont trois sur les jus de fruits), on pourrait déduire a contrario que le règlement no 865/68 devrait être interprété en ce sens qu'en règle générale, lorsque les produits ont une teneur en sucres supérieure à un certain pourcentage, ils sont soumis au prélèvement, puisqu'il a paru nécessaire de prendre des règlements spéciaux pour en exempter certains.
Mais l'examen du texte même de ces règlements enlève, selon nous, en grande partie, sinon totalement, sa valeur à cette argumentation.
Que font ces règlements en effet? que ce soit le règlement no 1604/68, les règlements nos 455/69, 1906/70 ou 2613/70 ?
Ils modifient l'annexe A du règlement no 865/68, c'est-à-dire le tableau auquel renvoient les paragraphes 3 et 4 de l'article 2 du règlement, paragraphes qui, comme nous avons essayé de vous le montrer tout à l'heure, sont uniquement relatifs, non pas au fait générateur du prélèvement, mais aux modalités d'assiette de celui-ci.
Ils ont donc pour effet de diminuer ou même de réduire à zéro le montant du prélèvement lorsqu'il est exigible, mais non pas de modifier ses conditions d'exigibilité.
Ils n'auraient pu d'ailleurs, croyons-nous, avoir légalement un tel effet, car, si ces règlements sont des règlements du Conseil, ce sont des règlements pris sans l'avis du Parlement, donc des règlements d'application du règlement de base no 865/68 et qui n'auraient donc pu légalement étendre ou restreindre le champ d'application du prélèvement institué par l'article 2, paragraphe 1, dudit règlement de base.
Le troisième groupe de moyens présentés par la Commission est tiré de la prétendue impossibilité matérielle dans laquelle se trouveraient les services de douane d'appliquer la réglementation communautaire s'ils ne pouvaient avoir recours, pour déterminer la présence ou l'absence de sucres d'addition, à cette «fiction légale» que constituerait une teneur en sucres supérieure à certains pourcentages fixés fortaitairement à l'avance.
Mais cette dernière argumentation se rattache en réalité à un second aspect de la première des questions qui vous sont posées par le tribunal fiscal allemand et que nous vous signalions tout à l'heure: le régime de preuves de l'addition ou de l'absence d'addition de sucre.
II
Ce second aspect de la première des questions qui vous sont posées par la juridiction allemande nous amène à examiner les rapports entre le règlement no 865/68 et la note complémentaire no 2 aux notes explicatives du chapitre 20 du tarif douanier commun.
Cette note no 2, dans son texte de 1968, est ainsi rédigée :
Les produits de la position 20.06 sont considérés comme étant avec «addition de sucre» lorsque leur «teneur en sucres» est supérieure en poids à l'un des pourcentages indiqués ci-après suivant l'espèce des fruits :
— Ananas, raisins 13 %
— Autres fruits, y compris mélanges des fruits 9 %.
Le bureau de douanes de Berlin, par un raisonnement juridiquement contestable mais qui avait pour lui la logique et la simplicité, avait estimé que cette disposition, en même temps qu'elle devait servir à fixer le droit de douane applicable, déterminait du même coup les produits soumis au prélèvement.
La Commission a vu les dangers de ce raisonnement et l'écarte expressément. En effet, dit-elle, bien qu'arrêtés le même jour, le règlement portant tarif douanier commun et le règlement no 865/68 ont un champ d'application différent. Certes, l'article 9 du règlement no 865/68 renvoie bien aux règles générales et aux règles particulières d'interprétation du tarif douanier commun, mais il y renvoie uniquement pour la classification des produits visés par le règlement.
Aussi, estime la Commission, ce n'est pas le tarif extérieur commun qui a pu créer une «fiction légale» en ce qui concerne la détermination des produits soumis au prélèvement, mais c'est le règlement no 865/68 lui-même qui l'a fait.
La Commission poursuit son raisonnement en faisant valoir que si, conformément à ce que nous vous proposions tout à l'heure, vous n'admettiez pas la création de cette fiction légale par le règlement no 865/68, ce serait tout le système de la note complémentaire no 20 qui s'effondrerait. La douane aurait alors dans chaque cas à déterminer pour chaque produit s'il contient ou non des sucres d'addition, ce qu'elle serait hors d'état de faire pour des raisons tant pratiques que scientifiques.
Mais, que la Commission ne nous en veuille pas si nous lui disons que son argumentation nous fait un peu penser à ce proverbe qui dit que : «quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage».
La Commission est tellement désireuse de vous voir interpréter le règlement no 865/68 comme permettant de soumettre au prélèvement même des produits ne contenant aucun sucre d'addition qu'elle dramatise à notre avis à l'excès les conséquences d'une interprétation contraire.
Si l'on admet que le règlement no 865/68 ne permet de soumettre au prélèvement que les produits transformés avec addition effective de sucre, la note complémentaire no 2 à laquelle se réfère l'article 9 non seulement ne disparaît pas, comme le soutient la Commission, mais au contraire elle permet une application du règlement no 865/68 qui à la fois est juridiquement satisfaisante et tient compte des exigences pratiques du service des douanes.
En effet, contrairement à la Commission, nous pensons que la note explicative no 20 ne crée pas une «fiction légale», comme le dit la Commission, c'est-à-dire en d'autres termes une «présomption légale irréfragable», mais une présomption simple.
Si le produit contient plus de 9 % de sucre, il est présumé avoir été fabriqué avec addition de sucre et c'est alors à l'importateur d'établir qu'il ne contient que du sucre naturel.
Si le produit contient moins de 9 % de sucre, il est présumé ne contenir que du sucre naturel, et ce serait alors à la douane, si elle avait des doutes sur ce point, de faire la preuve de l'addition de sucre. Toutefois, cette dernière hypothèse est purement théorique en ce qui concerne les produits de la position 20.06, car le prélèvement, bien qu'exigible, serait en pareil cas égal à 0 et la douane serait donc sans intérêt à établir l'addition de sucre.
Trois raisons nous paraissent militer en faveur de ce système d'interprétation de la note complémentaire.
1) Les présomptions «irréfragables» sont malgré tout l'exception dans tous nos droits.
Même la présomption «Is pater est, quem nuptiae demonstrant» n'exclut pas le désaveu de paternité et l'on ne voit par pourquoi le «désaveu de sucre» serait interdit.
Dès lors qu'il y a présomption, il faut toujours, croyons-nous, sauf indication formelle du législateur, la considérer en principe comme une présomption simple, une présomption «juris tantum».
2) Les termes de la note explicative no 2 n'excluent pas qu'il s'agisse d'une présomption de ce genre. Le texte de 1968 dit : «Les produits sont considérés comme étant avec addition de sucre lorsque leur teneur en sucres est supérieure…» etc.
Le texte modifié en 1969 comporte la même formule.
3) Enfin, troisième raison, un tel système d'interprétation évite de se prononcer dans la controverse qui a opposé, dans la procédure écrite et à la barre, l'agent de la Commission et le représentant de la société Bagusat, en ce qui concerne les possibilités de faire constater scientifiquement la présence de sucres d'addition.
D'après les renseignements que nous avons pu recueillir dans divers ouvrages, et dans la mesure où nous les avons bien compris, il semble que les uns et les autres aient partiellement raison.
Il apparaît en effet que le dosage du sucre d'addition dans un produit contenant du sucre naturel est, comme nous vous l'avons dit, sinon impossible du moins très difficile à faire.
Il semble en revanche que la détection de sucres d'addition dans un produit puisse être faite en tout cas par des laboratoires spécialisés.
Quoi qu'il en soit, si vous adoptez en matière de mode de preuve l'interprétation que nous vous proposons, la question perd en grande partie de son intérêt.
Si la teneur en sucre d'un produit de la position 20.06 dépasse 9 %, ce sera à l'importateur de faire la preuve que ce sucre est un sucre naturel, et ainsi ce ne seront pas les laboratoires de la douane qui auront à procéder aux recherches nécessaires.
En résumé nous vous proposons donc en réponse à la première question posée par la juridiction fiscale allemande, de dire que : «les dispositions de l'article 2 du règlement no 865/68 ne soumettent au prélèvement que les produits énumérés à l'article 1 dudit règlement qui ont été transformés par addition effective de sucre» et que, «par application des règles d'interprétation du tarif douanier commun (note complémentaire no 2 du chapitre 20, position 20.06 -B) auxquelles se réfère l'article 9 du
règlement no 865/68, lorsque la teneur en sucres de ces produits est supérieure à 9 %, il appartient à l'importateur de faire la preuve qu'ils ne contiennent que du sucre naturel».
III
Un mot pour terminer sur les deuxième et troisième questions posées par la juridiction fiscale allemande.
Notons tout d'abord que, si vous acceptez l'interprétation que nous venons de vous proposer, ces questions deviennent sans objet et vous n'aurez point à y répondre.
Si vous acceptiez au contraire l'interprétation que vous propose la Commission, la validité du règlement no 865/68 ainsi entendu nous paraîtrait très douteuse au moins pour deux raisons :
1) Le défaut ou l'insuffisance de motivation serait alors à notre avis certain. Le règlement ayant pour objet de soumettre au prélèvement le sucre ajouté à des produits, ses auteurs, s'ils avaient l'intention de le voir appliqué dans certains cas à des produits ne contenant aucun sucre d'addition, auraient dû tout au moins expliquer pourquoi.
2) Mais il y aurait probablement plus grave.
A notre avis, soumettre au prélèvement des produits à base de fruits ne contenant aucun sucre d'addition, ce qui, la Commission le reconnaît très loyalement, résulterait de l'interprétation qu'elle vous propose, dépasserait, selon nous, très largement l'objectif recherché qui était uniquement d'empêcher des importations, «clandestines» en quelque sorte, de sucre dans la Communauté par la voie d'une transformation de fruits avec addition de sucre.
La Commission, il est vrai, soutient que la sujétion ainsi imposée aux importateurs serait en quelque sorte compensée par le fait qu'avec l'interprétation qu'elle vous propose des produits transformés contenant du sucre d'addition, mais dont la teneur globale en sucres est inférieure à certains pourcentages, échapperaient au prélèvement (c'est le cas par exemple pour les ananas).
Mais il n'est nullement établi que ce seraient les mêmes importateurs qui verraient ainsi se compenser sujétions et avantages.
Nous pensons au contraire qu'une mesure qui soumettrait au prélèvement des produits ne contenant que du sucre naturel serait contraire à ce principe de proportionnalité dont vous avez constaté qu'il «fait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le respect».
Il n'en pourrait être autrement, à notre avis, que si une expertise ordonnée par vous démontrait que, contrairement à ce que nous croyons, l'addition de sucre est non pas seulement difficile, mais impossible à établir scientifiquement.
Nous espérons que vous estimerez comme nous que vous n'aurez pas à vous poser ces questions ou à ordonner cette mesure d'instruction et nous concluons à ce que vous disiez pour droit que :
1) les dispositions de l'article 2 du règlement no 865/68 ne soumettent au prélèvement que les produits énumérés à l'article 1 dudit règlement qui ont été transformés par addition effective de sucre. Par application des règles d'interprétation du tarif douanier commun (note complémentaire no 2 du chapitre 20, position 20.06 — B) auquel se réfère l'article 9 du règlement no 865/68, lorsque la teneur en sucres de ces produits est supérieure à 9 %, il appartient à l'importateur de faire la preuve
qu'ils ne contiennent que du sucre naturel ;
2) la réponse à la première question posée rend sans objet les deux autres questions subsidiaires.
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( 1 ) Tribunal fiscal de Hambourg, 17 octobre 1969 : concentré de jus d'orange sans addition de sucre ni d'alcool.
Tribunal fiscal de Bade-Wurtemberg, 11 février 1970: concentré de jus d'orange brésilien.
Tribunal fiscal de Brême, 21 janvier 1970: abricots espagnols sans addition d'alcool, avec addition de sucre.