CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,
PRÉSENTÉES LE 26 JANVIER 1972 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
C'est en 1966 que M. Costacurta, de nationalité italienne, requérant dans l'affaire qui retient notre attention aujourd'hui, est entré au service de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il a commencé par être agent local au sens du régime applicable aux agents de la Communauté autres que les fonctionnaires, mais à compter du 1er octobre 1968, il a été nommé fonctionnaire stagiaire et, avec effet au 1er avril 1969, il a été titularisé dans le grade C 3, échelon 3. Actuellement, il
occupe les fonctions d'opérateur Linofilm à l'Office des publications officielles des Communautés.
A plusieurs reprises le requérant a essaye de changer de carrière et d'être nommé assistant-correcteur de langue italienne à l'Office des publications, emploi correspondant à une carrière s'étendant sur les grades B 3/B 2. A cette fin, il a participé à plusieurs concours. C'est ainsi qu'après s'être porté candidat lorsque la vacance d'un emploi d'assistant-correcteur de langue italienne a été annoncée le 10 mars 1966, il a été informé que sa candidature n'avait pas pu être retenue. Ayant participé
au concours interne HA/INT/60/B, il a été avisé le 20 juillet 1967 que, bien qu'il ait été inscrit sur la liste d'aptitude établie en application de l'article 30 du statut des fonctionnaires, il ne pouvait êtte nommé assistant-correcteur. Enfin, l'intéressé a encore fait acte de candidature lors du concours interne COM/152/70, annoncé le 17 juillet 1970 pour pourvoir à la vacance de plusieurs postes d'assistants-correcteurs. En même temps que d'autres candidats, il a participé à une épreuve écrite
le 8 décembre 1970 et à une épreuve orale le 9 décembre 1970. Mais cette fois-là non plus, sa candidature n'a pas pu être retenue, M. Costacurta n'ayant pas été inscrit sur la liste d'aptitude, faute d'avoir obtenu le nombre minimal de points fixé par le jury. C'est ce dont l'autorité investie du pouvoir de nomination l'a informé le 2 février 1971. Les postes dont la vacance avait été annoncée ont été attribués à d'autres candidats, qui avaient eux aussi participé au concours.
Peu satisfait de l'échec de ses démarches, et en application de l'article 90 du statut, M. Costacurta a saisi le président de la Commission d'une réclamation, qui, datée du 26 mars 1971, a été enregistrée à la Commission le 23 avril 1971. Il y relevait entre autres qu'on avait admis audit concours COM/152/70 des candidats relativement âgés qui, précédemment, travaillaient à l'Office des publications sur une base contractuelle comme collaborateurs «free-lance» et qui n'étaient devenus agents
temporaires qu'à compter du 1er juin 1970. Ajoutant que l'épreuve orale s'était déroulée d'une façon très superficielle, il concluait en demandant une révision du concours.
N'ayant obtenu aucune réponse à cette réclamation, il a finalement saisi la Cour. Sa requête a été enregistrée le 18 août 1971 et il y conclut à ce qu'il vous plaise dire que l'avis de concours COM/152/70 aurait dû indiquer une limite d'âge et que la Commission a violé le principe de la vocation à la carrière. C'est sur la base de ces arguments qu'il vous demande dès lors d'annuler l'avis de concours COM/152/70, d'annuler les décisions par lesquelles cinq autres candidats ont été nommés aux emplois
d'assistants dont la vacance avait été annoncée et d'annuler la décision de rejet qui est réputée avoir été implicitement prise à l'expiration du délai de deux mois à compter du dépôt de sa réclamation.
Passons maintenant à la discussion juridique de ces conclusions et des moyens sur lesquels le requérant croit pouvoir les appuyer.
1. M. Costacurta fait valoir en premier lieu que l'avis de concours COM/152/70 méconnaissait la règle inscrite à l'article 1, paragraphe 1, g, de l'annexe III du statut des fonctionnaires, au motif que, dans l'énumération des conditions à remplir par les candidats, cet avis avait omis de mentionner «la limite d'âge, ainsi que le report de la limite d'âge applicable aux agents en fonctions depuis au minimum un an». Le requérant estime que ces indications sont indispensables parce qu'elles sont
destinées à garantir que ce soient avant tout les candidatures d'éléments jeunes qui soient retenues lors des concours internes.
C'est là une argumentation qui, il faut bien le reconnaître, trouve un certain appui dans les termes catégoriques de l'article 1, paragraphe 1, de l'annexe III, où nous lisons que l'avis de concours «doit spécifier: …». On peut faire valoir en outre que le texte ne prévoit de dérogations que dans les deux seuls cas visés aux alinéas f) et i), où il utilise les expressions «éventuellement» et «le cas échéant». Le requérant tire de cette constatation un argument a contrario en ce qui concerne les
autres spécifications énumérées dans le texte en question.
Mais en fin de compte nous serons néanmoins forcés d'admettre que la Commission a raison de soutenir la thèse contraire, qui est plus judicieuse. Les dispositions relatives à l'organisation de la procédure de concours ont pour objectif de garantir que celle-ci se déroule le plus objectivement possible. Le choix des candidats ne doit dès lors se faire qu'en fonction de critères qui ont été fixés à titre général au préalable. Or, il est évident qu'il peut y avoir des emplois pour lesquels, compte
tenu de la nature des fonctions qu'ils impliquent, l'âge des personnes auxquelles ils sont confiés ne joue aucun rôle. En pareil cas, il est certain que cela n'a aucun sens d'indiquer une limite d'âge dans l'avis de concours. S'il fallait considérer que le texte de l'annexe III oblige l'autorité investie du pouvoir de nomination à fixer une telle limite, la seule conséquence qui en résulterait le cas échéant, c'est que ladite autorité fixerait l'âge limite extrêmement haut, en allant
éventuellement jusqu'au maximum légal, de manière à ce que toutes les candidatures puissent être prises en considération. On ne saurait trouver à y redire, car rien n'indique dans le statut que, lors des concours, il convient de retenir par priorité les candidatures d'éléments jeunes.
Lorsque le requérant soutient qu'il convient en principe que l'âge fixé ne soit pas trop élevé, nous pouvons en outre lui objecter que sa thèse aurait des conséquences fâcheuses quant au déroulement de la carrière des agents des Communautés. Elle aurait pour effet d'empêcher les agents ayant dépassé un certain âge de monter dans la hiérarchie. Leurs perspectives d'avancement seraient réduites, et cela, le cas échéant, même s'il est fait application du «report de la limite d'âge applicable aux
agents en fonctions depuis au minimum un an» ; ces agents seraient alors purement et simplement victimes d'une discrimination. On ne saurait admettre raisonnablement que tel soit le sens des règles du statut. Aussi estimons-nous parfaitement correcte la pratique constante de la Commission, qui a toujours renoncé à fixer une limite d'âge lors des concours internes. Nous sommes d'autant plus à l'aise pour l'affirmer que, dans les hypothèses de ce genre, c'est-à-dire en cas de candidatures émanant
de personnes qui travaillent déjà dans les Communautés, l'administration a déjà pu, lors de leur engagement (sur concours ou autrement), veiller à recruter de préférence des éléments jeunes.
Enfin, il n'est pas davantage possible d'opposer valablement à la thèse que nous défendons ici des arguments tirés de la jurisprudence élaborée par la Cour à propos de problèmes analogues. Certes, l'arrêt 35-64 (C.J. 7 avril 1965 (2e chambre) (Alfieri contre Parlement), Recueil, 1965, p. 345), invoqué par le requérant, déclare que l'article 1 de l'annexe III du statut énumère les points que l'avis de concours doit spécifier: fût-ce en d'autres termes, cet arrêt relève donc la rédaction
impérative de ladite disposition; mais, étant donné que la décision rendue à cette occasion a été déterminée par des éléments autres que le problème de la limite d'âge, il est certainement impossible de déduire d'emblée de cet arrêt qu'aux yeux de la Cour, il n'est permis de renoncer, pour les avis de concours, à aucune des conditions énumérées à l'article 1 de l'annexe III du statut. Récapitulons dès lors, en constatant qu'en dépit des termes dans lesquels est formulé l'article 1 de
l'annexe III, il est impossible de dire que la spécification de la limite d'âge constitue une exigence impérative, et en affirmant dès lors qu'il ne saurait être question d'annuler, ni un avis de concours qui ne fixerait pas de limite d'âge, ni les décisions de nomination qui seraient prises sur la base d'un tel avis de concours.
2. En deuxième lieu, le requérant s'élève contre le fait qu'aient été admises au concours des personnes qui n'avaient jamais participé précédemment à un concours. Il relève que, peu de temps avant l'annonce du concours, ces personnes étaient encore des collaborateurs «free-lance», liés à l'Office des publications par un contrat qui les obligeait uniquement à donner, pendant certaines périodes, la priorité absolue aux travaux de correction à effectuer pour l'Office et qu'elles n'ont été nommées
agents temporaires qu'à compter du 1er juin 1970.
Pour répondre à cette argumentation, nous devrons observer que, selon la jurisprudence de la Cour (C.J. 31 mars 1965 (2e chambre), 16-64 (Rauch contre Commission CEE), Recueil 1965, p. 190), le requérant ne songe pas à contester, que peuvent participer aux concours internes à l'institution «toutes les personnes se trouvant au service de celle-ci, à quelque titre que ce soit». Un premier élément à prendre en considération à cet égard, c'est que (selon les déclarations non contestées de la
Commission), bien qu'antérieurement au 1er juin 1970 les candidats visés par le requérant n'aient travaillé pour l'Office des publications que sur une base contractuelle en qualité de «free-lance», il semble qu'il n'y ait eu en pratique aucune différence entre leurs conditions de travail et celles des autres agents. Au surplus, cette situation existait depuis plusieurs années (et plus précisément depuis 1963, 1966 et 1967) et il semble bien que seules des raisons budgétaires aient empêché de la
régulariser plus tôt. Il est dès lors permis de soutenir que, même s'ils n'étaient que des collaborateurs «free-lance», ces candidats étaient déjà si étroitement liés à l'Office des publications qu'ils peuvent à tout le moins être comparés à des agents auxiliaires, c'est-à-dire à des personnes qui peuvent indubitablement être admises aux concours internes.
Il importe de relever au surplus que (comme nous vous l'avons rappelé au début), en 1970, après que le Conseil eût accordé les postes nécessaires, les candidats en question ont été nommés agents temporaires. Ces nominations ont pris effet au 1er juin 1970, après l'accomplissement des longues procédures administratives qu'elles ont nécessitées. Au moment de l'annonce du concours (c'est-à-dire le 17 juillet 1970) et au moment de l'expiration du délai pour le dépôt des candidatures (c'est-à-dire le
31 juillet 1970), ces candidats étaient donc déjà agents temporaires et ils étaient dès lors en droit de participer au concours. Nous pouvons vraiment admettre que ces constatations sont suffisantes, en dépit du fait que les contrats d'engagement qui avaient pris effet au 1er juin 1970 étaient assortis d'un terme, qui, semble-t-il, était expiré au moment des épreuves. En effet, le requérant lui-même ne prétend pas que les candidats en question n'étaient plus du tout au service des Communautés à
ce moment-là. Au surplus, il semble bien que lesdits contrats d'engagement aient été ultérieurement renouvelés, et cela probablement avec effet rétroactif, si bien qu'en tout cas au moment de leur nomination aux emplois qui faisaient l'objet de l'avis de concours, ces candidats étaient redevenus des agents temporaires.
Aussi sommes-nous d'avis que, dans la présente espèce, la Commission a respecté les principes découlant du statut des fonctionnaires et de la jurisprudence en ce qui concerne l'admission aux concours internes et que ce n'est dès lors pas en invoquant la nature des liens attachant aux Communautés certaines personnes qui ont participé au concours que le requérant pourrait incriminer les actes qu'il attaque.
3. Par un troisième grief, le requérant avait fait valoir une violation de l'article 29, paragraphe 1, a), du statut, au motif que la Commission aurait méconnu sa vocation à la carrière, en ce qu'elle ne l'a pas promu à un des emplois ayant fait l'objet du concours. Il a toutefois formellement abandonné ce grief dans sa réplique, après que la Commission eut relevé à bon droit qu'il ne pouvait être question pour le requérant, fonctionnaire de catégorie C, d'être promu dans la catégorie B, puisqu'en
pareil cas le statut dispose que seule la participation à un concours peut ouvrir la voie de la carrière supérieure. Aussi est-ce un point sur lequel nous n'aurons pas à nous étendre davantage.
4. Voici dès lors comment nous pouvons récapituler nos conclusions :
Le recours formé par M. Costacurta doit être rejeté comme non fondé. Dans ces conditions, chacune des parties supportera ses propres dépens, par application de l'article 70 du règlement de procédure.
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( 1 ) Traduit de l'allemand.