CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 17 MAI 1972
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Mme Rita Frilli, de nationalité italienne, réside en Belgique. Elle y a exercé une activité salariée pendant les années 1966 et 1967. Agée de 64 ans, elle perçoit une pension de vieillesse dont le faible montant — 350 francs belges par mois — s'explique par la courte durée de cette activité.
La loi du 1er avril 1969 ayant institué, en faveur des personnes âgées, un revenu garanti, Mme Frilli a demandé à bénéficier des dispositions de ce texte. Sa demande a été rejetée par le service des pensions de vieillesse le 5 avril 1971, au motif qu'en vertu de l'article 1, paragraphe 2, de la loi du 1er avril 1969«tout bénéficiaire doit être soit belge ou ressortissant d'un pays avec lequel la Belgique a conclu, en la matière, une convention de réciprocité, soit apatride ou réfugié reconnu». Or,
l'Italie, pays dont Mme Frilli est ressortissante, n'a pas conclu une telle convention de réciprocité.
Ayant déféré cette décision au tribunal du travail de Bruxelles, Mme Frilli a invoqué, d'une part, les dispositions de l'article 7, paragraphe 2, du règlement du Conseil no 1612/68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, aux termes duquel les travailleurs ressortissants d'un État membre bénéficient, sur le territoire des autres États membres, «des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux» ; elle a invoqué, d'autre
part, le règlement no 3 du Conseil, en date du 26 septembre 1958, concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants.
Par jugement du 16 décembre 1971, le tribunal du travail de Bruxelles, faisant application de l'article 177 du traité de Rome, vous saisit des deux questions préjudicielles suivantes :
1) Le revenu garanti, octroyé en vertu de la loi belge du 1er avril 1969, est-il un avantage social au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 ?
2) Le revenu garanti, en tant que prestation sociale non contributive, accordé par l'État aux personnes âgées, en vertu de la même loi du 1er avril 1969, est-il une prestation de vieillesse au sens de l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 3, ou bien s'agit-il d'une prestation d'assistance sociale au sens de l'article 2, paragraphe 3, de ce règlement ?
Telles sont, Messieurs, les conditions dans lesquelles vous devrez trancher les questions de savoir si une prestation de vieillesse non contributive de la nature de celle qu'a instituée la loi belge constitue un «avantage social» au sens du règlement no 1612/68 ou si cette prestation relève de l'assistance ou de la sécurité sociale au sens du règlement no 3. Bien entendu, il ne vous appartiendra, ni de vous faire juge de l'applicabilité au cas de Mm Frilli de ce texte de droit interne, ni d'examiner
la conformité de la loi belge au droit communautaire.
La demande du tribunal du travail tend à savoir si certaines dispositions des règlements communautaires invoqués sont applicables à la loi du 1er avril 1969. Vous avez déjà examiné semblable question, notamment à propos de la loi néerlandaise, Algemene Weduwen- en Wezenwet (arrêt du 15 juillet 1964, Van der Veen, Recueil, 1964, p. 1111).
De même, il s'agira, dans la présente affaire, de résoudre un problème d'interprétation du droit communautaire en recherchant la qualification juridique de la loi belge au regard des dispositions des règlements en cause, pris pour l'application du traité de Rome.
Quel est l'objet de ces règlements ?
Le premier, dans l'ordre des questions qui vous sont posées, (le règlement no 1612/68) fait directement application des principes posés par l'article 48 du traité; édicté par le Conseil, conformément à l'article 49, il a pour objet d'abolir, entre les travailleurs des États membres, toute discrimination fondée sur la nationalité — en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail — ainsi, bien entendu, que de mettre en œuvre le droit, pour ces travailleurs, de se
déplacer librement à l'intérieur de la Communauté en vue d'exercer une activité salariée, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité et de santé publique. En vertu de l'article 7 du règlement, le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États, être traité différemment des travailleurs nationaux pour toutes les conditions d'emploi et de travail et il doit y bénéficier «des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les
travailleurs nationaux».
Mais ainsi d'ailleurs que le ferait déjà pressentir le seul intitulé du titre II de ce règlement, «De l'exercice de l'emploi et de l'égalité de traitement» les «avantages sociaux» que vise l'article 7, qui figure sous ce titre, sont ceux qui sont attachés à l'emploi et, par suite, doivent bénéficier aux travailleurs en activité.
Il tend à traiter de la même façon les travailleurs communautaires et les travailleurs nationaux, en ce qui concerne l'accès aux emplois offerts et les conditions de travail, mais aussi quant à l'ensemble des éléments qui caractérisent la condition du travailleur national sur le plan social, y compris même le droit — parfois théorique — au logement.
Certes, l'article 48, paragraphe 3, d, prévoit aussi le droit, pour les travailleurs communautaires, de «demeurer sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi», mais outre que l'interprétation du règlement no 1251/70 de la Commission, qui fait application de cette disposition du traité, n'est pas en cause dans la présente affaire, il est clair que les questions touchant aux prestations, de quelque nature qu'elles soient, relevant de la sécurité sociale, ne pouvaient être
réglées — et ne l'ont été en effet — qu'en application de l'article 51 du traité, et non de l'article 48. C'est bien sur ce fondement juridique de l'article 51 que le Conseil a pris le règlement no 3. C'est pourquoi nous partageons l'opinion émise par la Commission et par le gouvernement belge, que la notion d'«avantages sociaux», au sens de l'article 7 du règlement no 1612/68, n'est pas assimilable aux prestations de sécurité sociale.
En revanche, le règlement no 3 procède directement de l'article 51 du traité de Rome, corollaire nécessaire de l'article 48, et qui faisait obligation au Conseil d'adopter, dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires en vue, notamment, d'assurer aux travailleurs migrants (ou ayant émigré) le paiement des prestations de sécurité sociale sur le territoire de celui des États membres sur lequel ils résident. Or, il ne s'agit plus ici des seuls travailleurs en activité, mais aussi,
incontestablement, des personnes qui se sont fixées et sont demeurées sur le territoire d'un État membre, même lorsqu'elles n'y exercent plus aucune activité professionnelle. Cela résulte, notamment, de la nature des prestations visées, qui sont celles-là même qu'énumère la norme 102 de l'Organisation internationale du travail, et parmi lesquelles figurent les prestations vieillesse.
Aussi, Messieurs, pensons-nous que c'est par la deuxième question qu'il vous a posée que le tribunal du travail de Bruxelles a placé le problème sur son véritable terrain juridique.
Il nous faut donc examiner si la prestation dite de «revenu garanti», instituée par la loi du 1er avril 1969, doit être qualifiée, au sens du règlement no 3, prestation de sécurité sociale ou allocation d'assistance sociale, puisqu'en vertu de l'article 2, paragraphe 3, de ce règlement «l'assistance sociale et médicale» est expressément exclue de son champ d'application.
Titre I
Interprétation des dispositions du règlement no 3 en ce qui concerne la distinction entre la sécurité sociale et l'assistance sociale
Une première constatation s'impose: pas plus dans le règlement no 3, en vigueur à l'époque où Mme Frilli s'est mise en instance auprès de l'administration belge pour obtenir le bénéfice du revenu garanti, que dans le règlement no 2408/71 qui est appelé à se substituer au précédent, le Conseil n'a donné de définition de l'assistance sociale, par rapport à la sécurité sociale. Vainement aussi chercherait-on une telle définition dans votre jurisprudence. Vous n'avez pas eu, jusqu'à présent, l'occasion
d'examiner ce problème, encore que l'on trouve, pensons-nous, dans vos arrêts, des indications précieuses sur l'esprit dans lequel vous avez déjà interprété les dispositions du règlement no 3. Toutefois, il nous paraît indispensable de rechercher tout d'abord si la distinction entre ces deux modes de protection sociale que constituent la sécurité sociale d'une part, l'assistance d'autre part, peut être opérée sur la base de critères suffisamment fiables et précis. Cette recherche nous entraînera à
réfléchir sur l'évolution de la notion de sécurité sociale. Nous essaierons ensuite de vérifier si, au regard des critères d'une possible distinction, l'allocation du «revenu garanti» est assimilable à une prestation de sécurité sociale, au sens du droit communautaire.
Section I
Doit-on, comme l'écrit le professeur Dupeyroux, partir de l'idée que l'expression «sécurité sociale» n'a, en elle-même, aucune signification déterminée? Une telle affirmation serait excessive si son auteur ne la tempérait par l'indication que «si l'expression a bien un sens, c'est non seulement celui qui lui est communément reconnu par les spécialistes, mais aussi par les gouvernements». C'est admettre, en vérité, que, comme toutes les institutions humaines, la sécurité sociale a un contenu évolutif
qui dépend, en fait, de ce que recouvrent et de ce qu'expriment, à un moment déterminé, certaines législations et certaines techniques.
En effet, la prévention ou la réparation des risques sociaux ont relevé et relèvent encore de techniques différentes :
— d'abord, l'épargne individuelle, reposant sur le fait qu'une personne renonce à un pouvoir d'achat actuel en vue d'une consommation future, mais impliquant un revenu suffisamment élevé et la stabilité monétaire; qui, enfin, ne fait aucune part à la compensation des charges ;
— l'assistance, au sens classique du terme, qui procède du devoir de charité — elle a d'ailleurs été l'apanage de l'Église avant que d'être assumée par la puissance publique — suppose une demande de l'indigent et conserve, ou du moins conservait, jusqu'à une époque récente, un caractère facultatif ;
— la mise en jeu de la responsabilité, qui garantit les personnes contre les conséquences dommageables de certains actes d'autrui et fut à la base du régime de la réparation des accidents du travail ;
— enfin, l'assurance et la mutualité, qui, dans des secteurs toujours plus larges, ont relayé l'épargne personnelle comme la charité publique; la protection est alors assurée grâce à l'étalement de la charge sur la collectivité des assurés ou des mutualistes; le financement repose sur les cotisations individuelles.
La sécurité sociale est issue de régimes d'assurances sociales limités, à l'origine, au monde ouvrier, puis progressivement étendus à l'ensemble des salariés, dans les années qui précédèrent le deuxième conflit mondial. Encore qu'on salue généralement la première apparition de l'expression «sécurité sociale» dans le «Social Security Act», loi américaine de 1935, conçue, déjà, comme un système de garantie d'un revenu minimum, qui porte la marque du «New Deal» et de la pensée du président Roosevelt.
Le rapport Beveridge, fondé sur l'objectif de la libération de toutes les personnes du besoin, mit au jour les principes majeurs d'une théorie de la sécurité sociale: généralisation de la protection à toute la population et uniformité des prestations.
Peu après, la Déclaration universelle des droits de l'homme apporta, elle-aussi, en 1948, une définition, peut-être même la plus compréhensive, de la notion de sécurité sociale en disposant que «toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale en ce qu'elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits, notamment économiques et sociaux, indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération
internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays».
La convention no 102 de l'Organisation internationale du travail fait de la notion de sécurité sociale une application plus concrète en la définissant comme la protection des personnes contre un ensemble d'événements qualifiés «risques sociaux» dont elle dresse la liste. Parmi ceux-ci se trouvent les risques physiques qui réduisent la capacité de travail des individus, tels l'invalidité et la vieillesse, et ont, ainsi, une incidence sur leur niveau de vie.
Qui mettrait en doute, aujourd'hui, que la protection des personnes âgées, en tant que telles, relève du domaine de la sécurité sociale ?
Ainsi, le droit à la sécurité sociale pourrait être défini :
— d'une part, comme un droit appartenant à toute personne et non pas seulement aux citoyens d'un pays, mais aussi aux migrants protégés par des conventions bilatérales ou multilatérales ainsi, bien entendu, que par le droit communautaire ;
— d'autre part, comme recouvrant, en pratique, non pas seulement le droit au travail et la protection contre le chômage, mais plus généralement le droit à un niveau de vie suffisant.
La sécurité sociale tend ainsi à assurer, non pas seulement les besoins «primaires» des individus, mais leurs besoins de consommation, c'est-à-dire, en définitive, à leur garantir un certain niveau de vie. L'un de ses objectifs consiste dans l'amélioration du niveau de vie des individus et des familles et, par suite, dans l'effacement sinon l'élimination des inégalités sociales par la redistribution des revenus.
N'est-ce point d'ailleurs aussi le but des législations des États membres de la Communauté, en ce qui concerne plus particulièrement les prestations de vieillesse, en ce sens que les lois de ces États visent à étendre progressivement la protection contre le risque de la vieillesse à l'ensemble de la population active et non active, en même temps que, sur le plan financier, cette protection repose de plus en plus largement sur les ressources fiscales ?
Cela étant rappelé, si la conception moderne de la sécurité sociale impose une protection généralisée, soit par la coordination et l'extension de régimes existants, soit par l'institution, comme ce fut le cas en Belgique en 1969, de systèmes nouveaux applicables à l'ensemble de la population, cette extension du domaine des prestations de sécurité sociale, particulièrement en matière de vieillesse, n'a pas fait disparaître les régimes d'assistance et cette concurrence de régimes de protection
différents pose, comme l'a relevé notamment M. Guy Perrin ( 1 ), de sérieux problèmes pour l'application du droit international ou, comme en l'espèce, du droit communautaire de la sécurité sociale.
En effet, ce droit, tout comme les conventions internationales, ne s'applique pas aux allocations d'assistance; dans son article 2, paragraphe 3, le règlement no 3 les exclut explicitement. Or, dans la mesure où la sécurité sociale, substitutée aux régimes anciens d'assurances sociales, recouvre une notion toujours plus large, il est plus difficile de la distinguer de l'assistance, alors surtout que celle-ci a, dans ses techniques et même dans sa nature elle-même, connu une profonde évolution.
Si elle a d'abord consisté essentiellement dans l'octroi de secours facultatifs aux personnes incapables de subvenir à leurs besoins et a pu, pour cette raison, être qualifiée d'institution «curative» en ce qu'elle intervenait essentiellement pour soulager des misères individuelles, elle s'est profondément transformée par rapport à ce qu'elle représentait au siècle dernier.
A partir du moment où les allocations de l'assistance publique ont cessé de «dépendre de l'arbitraire administratif pour constituer un droit subjectif, l'opposition classique entre assurances sociales et assistance fondée sur la notion de “droit à prestation” a perdu sa principale justification» (Perrin, op. cit.).
Les assurances sociales reposaient, en effet, sur la conception d'un droit personnel et non conditionnel, justifié par la contribution de l'assuré; l'assistance, tout au contranre, ne mettait en œuvre qu'un droit conditionnel, subordonné à la clause d'insuffisance de ressources, «the nasty, naughty means test», disait Beverigde, et indépendant de toute participation de l'assisté. Une distinction aussi nette ne rend plus compte des rapports actuels entre sécurité sociale et assistance sociale.
La notion même de «droit personnel» des assurances sociales a cédé la place à un concept de droit social, par suite du transfert des charges qu'elle impose à la collectivité.
Il est de même fréquent aujourd'hui que, dans les régimes de sécurité sociale «stricto sensu», le droit aux prestations soit subordonné à une condition d'insuffisance de ressources.
Certaines législations ont même recours aux deux méthodes d'attribution pour l'octroi de prestations analogues: c'est le cas au Canada et en Nouvelle-Zélande en matière de prestations de vieillesse. En France, le nouveau régime de l'aide sociale, substitué à l'assistance publique, ne permet plus de définir l'assistance par l'indétermination des conditions d'attribution et du montant des secours. Inversement, diverses institutions de sécurité sociale peuvent accorder des prestations supplémentaires
dont les conditions et le montant sont, dans une certaine mesure, laissés à l'appréciation des organismes gestionnaires qui, de ce fait, individualisent les prestations, comme en matière d'assistance.
Quant aux moyens de financement, l'étude comparative rend compte d'une évolution analogue, tendant à rapprocher sécurité sociale et assistance. Dans le schéma classique, les dépenses d'assistance étaient payées sur les fonds publics alors que le financement des prestations de sécurité sociale reposait sur le seul effort contributif des assurés et des employeurs.
A présent, l'État intervient, de plus en plus fréquemment, au moyen du budget, dans le financement des dépenses de sécurité sociale. Ce changement s'explique par une conception de la sécurité sociale élargie à un véritable «monopole de garantie», impliquant une solidarité imposée, dans le cadre national. Le paiement de cotisations n'est plus un critère certain des régimes de sécurité sociale.
Toutefois, un aspect propre à l'assistance, et qui l'est demeuré, ne doit pas être ignoré. C'est son caractère complémentaire ou subsidiaire par rapport à la sécurité sociale; cet élément particulier ressort notamment de la prise en considération, pour le calcul du niveau des ressources de l'assisté, des rentes alimentaires ainsi que des recours dont disposent les collectivités chargées de l'assistance à l'égard des débiteurs de pensions alimentaires. Il faut, à cet égard, relever que la prise en
considération de l'obligation alimentaire n'est pas seulement un élément rigoureux pour l'évaluation des ressources; elle a pour finalité de maintenir la priorité de l'assistance familiale, fondée sur le droit civil, par rapport à l'assistance publique.
Le caractère subsidiaire de celle-ci ressort aussi des relations établies entre les organismes dispensateurs d'assistance et les autres institutions de protection sociale; les premières n'interviennent généralement que si les secondes ne suffisent point à assurer aux intéressés un niveau de vie minimum.
Les organismes d'assistance ne sont pas seulement, dans la plupart des cas, légalement subrogés dans les droits des allocataires; ils ont le pourvoir de récupérer les allocations versées soit à l'encontre de l'assisté lui-même, lorsqu'il revient à meilleure fortune, soit à l'encontre de sa succession ou encore d'un légataire ou d'un donataire éventuel.
Ces particularités suffiraient-elles à dégager un critère satisfaisant de distinction? Elles sont, certes, une indication utile, mais nous ne pouvons affirmer qu'elles soient déterminantes. En effet, par exemple, la loi française relative au Fonds national de solidarité, qui concerne des prestations de vieillesse, prévoit l'octroi d'une allocation supplémentaire, servie sous condition de ressources, et maintient la priorité des créances alimentaires, comme elle organise, au profit du Fonds, des
garanties établies sur les biens ou la succession des bénéficiaires. Et pourtant, cette législation a toujours été considérée comme relevant de la sécurité sociale, alors même qu'à l'origine, au moins, le financement du Fonds national de solidarité faisait, beaucoup plus largement qu'aujourd'hui, appel aux fonds publics. D'ailleurs, vous avez vous-mêmes admis que ce régime, non contributif, devait être qualifié de sécurité sociale au sens du règlement no 3. Il est vrai qu'il était inscrit à
l'annexe B de ce règlement (arrêt du 7 mai 1969, Torrekens, Recueil, 1969, p. 125).
De même, l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité est destinée à compléter aussi bien les allocations d'aide sociale que les pensions d'invalidité et avantages de vieillesse du régime général de la sécurité sociale.
Sans donc pouvoir fonder sur le caractère, en principe subsidiaire, de l'assistance par rapport aux autres modes de protection sociale un critère à lui seul valable, il convient de noter, selon l'expression de M. Guy Perrin, que l'assistance «constitue une forme complémentaire de protection dont la fonction, en attendant qu'elle se soit effectivement résorbée dans la sécurité sociale proprement dite, consiste à accorder une aide de second rang aux personnes que la sécurité sociale protège
imparfaitement, ainsi qu'à celles qu'elle ne protège pas encore ou qu'elle a cessé de protéger».
Ainsi, devant la double évolution qui affecte d'une part la sécurité sociale: tendance à la généralisation, garantie d'un niveau de vie minimum, d'autre part l'assistance: reconnaissance d'un véritable droit subjectif et garanti, la recherche de critères, assez rigoureux pour permettre de distinguer les deux notions, apparaît assez décevante.
Section II
Nous devons donc nous tourner, maintenant, vers le droit communautaire pour y rechercher les véritables raisons de décider.
A — Comme on l'a dit, on chercherait également en vain un critère de distinction entre sécurité sociale et assistance sociale dans le règlement no 3, non plus d'ailleurs que dans l'article 51 du traité de Rome.
Mais, sur le seul terrain de l'exégèse du texte, il est à noter, d'abord, que le Conseil a certainement entendu conférer à la notion de sécurité sociale le sens le plus large possible.
Cette constatation se dégage de plusieurs des dispositions générales du règlement et notamment de celles qui déterminent son champ d'application :
Ainsi, le mot «législation» s'applique-t-il non seulement aux «lois et règlements», mais aussi aux «dispositions statutaires» dans chaque État membre ;
Ainsi, l'article 1 du règlement vise-t-il non seulement les législations existantes mais aussi les législations «futures» des États membres, parce que ses auteurs ont eu conscience du caractère évolutif de la sécurité sociale ;
Ainsi, l'énumération de l'article 2, paragraphe 1, s'applique-t-elle aux législations qui visent, en fait, toutes les prestations communément servies par les législations de sécurité sociale des pays évolués et, bien évidemment, parmi celles-ci, les prestations de vieillesse ;
Ainsi, les régimes de sécurité sociale visés à l'article 2, paragraphe 2, sont-ils aussi bien les régimes généraux que les régimes spéciaux, les régimes contributifs que les régimes non contributifs.
De telles dispositions ne font d'ailleurs que traduire dans le droit communautaire la tendance constatée dans tous les droits internes à l'extension du domaine de la sécurité sociale et à la généralisation de la protection qu'elle tend à assurer.
Si bien qu'à ne considérer que le système de rédaction du règlement, on est conduit à penser, a contrario, que l'exclusion, faite par l'article 2, paragraphe 3, de l'«assistance sociale et médicale» ne peut être interprétée que restrictivement.
B — Quant à votre jurisprudence, il suffit, croyons-nous, de passer rapidement en revue les plus caractéristiques des arrêts rendus en ce domaine pour constater que vous-mêmes avez donné du règlement no 3 une interprétation libérale, sinon même extensive.
N'avez-vous pas, en ce qui concerne les législations de sécurité sociale visées par ce règlement, jugé que la loi néerlandaise Algemene Weduwen- en Wezenwet, instituant un régime général d'assurance décès comportant l'octroi de prestations aux survivants, entrait dans le champ d'application du règlement no 3, bien qu'elle n'ait été adoptée qu'après l'entrée en vigueur de ce texte communautaire et n'ait pas fait l'objet de la notification prévue au paragraphe 2 de l'article 3 (arrêt Van der Veen,
veuve Kalsbeek, affaire 100-63, 15 juillet 1964, Recueil, 1964, p. 1111) ?
De même, dans l'affaire 24-64 (Demoiselle Dingemans, Recueil, 1964, p. 1265), vous avez, à propos d'une autre loi néerlandaise, celle du 19 décembre 1962, dite Interimwet, retenu une interprétation large de la notion de prestation d'invalidité en y incluant celles destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain, autres que les prestations servies en cas d'accident du travail ou de maladies professionnelles.
Dans un ordre d'idées différent, s'agissant de la définition du mot «travailleurs» au sens du même règlement no 3, vous avez expressément relevé que cette notion ne peut être limitée aux seuls travailleurs migrants, stricto sensu, ou aux travailleurs appelés à se déplacer pour l'exercice de leur emploi (arrêt du 9 décembre 1965, maison Singer et fils, Recueil, 1965, p. 1192).
Enfin, par votre arrêt Vaassen Göbbels du 30 juin 1966, (Recueil, 1966, p. 378), vous avez jugé qu'un régime d'assurance maladie géré par une institution de droit privé fait, en tant que régime statutaire, partie de la législation de sécurité sociale, au sens du règlement no 3, lorsqu'il tend à compléter des lois ou règlements de sécurité sociale ou s'y substitue.
Ainsi avez-vous fait prévaloir une conception élargie du champ d'application du règlement no 3, aussi bien quant aux législations et prestations visées qu'en ce qui concerne le cercle des bénéficiaires de ce règlement.
C — En vérité, le fil conducteur de cette jurisprudence nous ramène à la raison essentielle de décider ce qui se déduit des articles 48 et 51 du traité de Rome. En donnant, par l'article 51, mission au Conseil d'édicter un règlement sur la sécurité sociale favorable aux travailleurs migrants, les auteurs du traité ont voulu assurer l'établissement de la libre circulation de ces travailleurs, posée comme un objectif primordial pour la réalisation du Marché commun. L'article 51 et, par voie de
conséquence, le règlement no 3 du Conseil sont indissociables de l'article 48; ils en dérivent même dans la mesure où ils contribuent à en assurer la mise en œuvre effective, notamment par le paiement des prestations de sécurité sociale à tous les résidents, sans que ceux-ci aient à redouter une discrimination fondée sur leur nationalité.
Le principe de l'égalité de traitement que le droit communautaire instaure et dont il garantit le respect ne constitue-t-il pas, non seulement un droit essentiel pour les travailleurs migrants, mais aussi, dans un cadre plus général, un principe commun à toute coordination des législations de sécurité sociale ainsi qu'à la plupart des conventions conclues en ce domaine, et notamment la convention no 97 de l'Organisation internationale du travail sur les migrants ?
Si donc, en conclusion de ces premières observations, nous devons confesser qu'il ne nous a pas été possible de dégager, soit des droits positifs, soit de la doctrine, un critère ou un faisceau de critères suffisamment précis, de nature à distinguer catégoriquement les notions de sécurité sociale, d'une part, d'assistance, d'autre part, nous avons, en revanche, de cette quête retiré la conviction que la notion de sécurité sociale a, par rapport aux autres formes de protection sociales et,
particulièrement, de l'assistance, un caractère «attractif».
Permettez-nous, afin d'expliquer ce que nous entendons par ce mot «attractif», une comparaison: Vous savez que la jurisprudence administrative française reconnaît à la notion de travail public un caractère «attractif» dans le sens, d'ailleurs précis et limité, de l'affirmation de la compétence des juridictions administratives, dès lors qu'un élément de travail public est en cause. Transposant cette théorie jurisprudentielle, ne peut-on dire qu'après avoir envahi et recouvert le champ autrefois
réservé aux assurances sociales et s'y être substituée, la sécurité sociale a englobé, submergé, une partie importante du domaine de protection autrefois réservé à l'assistance publique? Cette constatation nous conduit à penser que si, dans un régime donné de protection sociale, l'on trouve, parmi d'autres, des éléments qui procèdent de l'esprit et des techniques de la sécurité sociale, ce sont ces éléments qui l'emportent et doivent entraîner, au regard du droit communautaire, la qualification
juridique de «sécurité, sociale». En fait, le critère de distinction ne saurait donc plus être trouvé ni dans le droit subjectif à une prestation, ni dans l'«état de besoin» du bénéficiaire, moins encore dans le système de financement, c'est-à-dire dans le caractère contributif ou non du régime en cause; la vérité est que l'un des objectifs de la sécurité sociale, déjà décrits par Beveridge, est la garantie d'un revenu minimum assuré à toute personne, et particulièrement aux personnes âgées.
Mais on objectera que retenir une conception aussi extensive de la sécurité sociale conduirait à y englober toutes les formes d'assistance qui demeurent en vigueur, au moins à titre complémentaire ou subsidiaire. Telle n'est pas notre intention et nous montrerons tout à l'heure quelles doivent être, en ce qui concerne l'interprétation du règlement no 3, les limites qu'il convient d'assigner à ce caractère «attractif» de la notion de sécurité sociale.
Avant d'en arriver là, il est cependant nécessaire d'analyser la loi belge du 1er avril 1969 et de dégager de cette analyse les conclusions propres à nous permettre de la qualifier au sens du droit communautaire. C'est précisément ce que vous demande le tribunal du travail de Bruxelles.
Titre II
Application de la notion de sécurité sociale à la loi belge du 1er avril 1969
Section I — Analyse de la loi
Abstraction faite des conditions de nationalité, d'une part, et de résidence, d'autre part, cette loi s'applique à toutes les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite, fixé, comme dans le régime obligatoire des pensions de vieillesse des salariés, à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes.
Elle a pour objet d'allouer à ces personnes âgées un revenu garanti dont le montant annuel a été fixé initialement à 20000 francs belges pour une personne isolée, à 30000 francs belges pour un homme marié, non séparé de corps. Ces taux sont indexés sur les prix à la consommation ; ils peuvent aussi être relevés par arrêté royal, pris en Conseil des ministres.
Le revenu garanti n'est octroyé que sur demande, après une enquête sur les ressources de l'intéressé, éventuellement de son conjoint.
Il est, en principe, tenu compte de toutes ces ressources, quelles que soient leur nature et leur origine, à l'exception de certaines prestations.
Le financement du revenu garanti est assuré par l'État, au moyen de crédits budgétaires.
Enfin, la gestion de ce régime est assurée par la Caisse nationale des pensions de retraite et de survie.
La loi du 1er avril 1969 marque une étape importante dans l'évolution de la protection sociale en Belgique.
A — D'abord limitée, comme dans la plupart des pays, aux travailleurs salariés, la garantie du risque vieillesse a été ainsi étendue à toute la population. Indépendamment de la notion de «pension», subordonnée à l'exercice d'une activité, à une certaine durée de carrière et au paiement de cotisations, la nouvelle loi a instauré un «revenu garanti» dégagé de ces conditions.
Ainsi, le législateur belge a-t-il consacré, dans la ligne tracée par l'Organisation internationale du travail, la prise en charge, par la puissance publique, de la garantie généralisée d'un niveau de vie minimum des personnes.
Les traits caractéristiques de cette législation démontrent qu'elle a des liens étroits avec les régimes de sécurité sociale auxquels elle emprunte indéniablement plusieurs éléments.
1. En premier lieu, le revenu garanti est, en ce qui concerne l'âge d'ouverture du droit, assimilable aux pensions de vieillesse du régime obligatoire (art. 1).
2. En second lieu, s'il n'est servi, comme c'est généralement le cas en matière d'assistance, qu'aux personnes dont les ressources sont inférieures à un seuil déterminé, il convient de noter que ne sont pas prises en considération certaines de ces ressources, et notamment «les prestations qui relèvent de l'assistance publique ou privée» (art. 4).
Ainsi, le législateur lui-même a-t-il fait une distinction expresse entre le revenu garanti et les allocations d'assistance. De là résulte que le revenu garanti n'a pas un caractère véritablement subsidiaire.
3. De même, ne sont pas déduites les rentes alimentaires dues entre ascendants et descendants. Or, cette déduction est, comme on l'a vu, l'un des indices de l'assistance. En conséquence, la Caisse des pensions de vieillesse n'est pas subrogée dans les droits des bénéficiaires du revenu garanti contre les débiteurs de rentes, alimentaires.
4. Plus intéressant encore est de constater que ne sont pas prises en compte, pour le calcul du montant des ressources, les rentes acquises au titre de l'assurance vieillesse des assurés libres.
En revanche, du montant du revenu garanti sont soustraites les pensions de retraite ou de survie versées en application d'un régime obligatoire de retraite.
C'est dire que, dans l'esprit du législateur, il existe une similitude de nature entre le revenu garanti et ces prestations de vieillesse obligatoires, puisqu'il s'y ajoute, ou même, le cas échéant, s'y substitue.
5. Enfin, aucune récupération n'est prévue au profit de l'organisme payeur dans le cas où une personne, qui a bénéficié du revenu garanti, se trouve disposer, à partir d'un certain moment, d'un revenu dépassant le seuil d'attribution; on se contente alors de supprimer le versement du revenu garanti; de même, aucune récupération n'est prévue sur la succession du bénéficiaire.
On constate donc que, ni la nature du revenu garanti, ni les conditions de son attribution ne sont intrinsèquement différentes de celles d'autres prestations de vieillesse de la sécurité sociale.
B — Sur le terrain des liens organiques ou formels avec la sécurité sociale, on trouve aussi des indications intéressantes. Si le revenu garanti n'est accordé que sur la demande de l'intéressé, cette demande est «considérée comme faite en application du régime des pensions de retraite et de survie des travailleurs salariés» (art. 15) ; elle est instruite dans les mêmes conditions. Son paiement est assuré par la Caisse nationale des pensions de retraite et de survie (art. 17). En cas de contestation
sur le droit au revenu garanti, les juridictions de pensions sont compétentes, soit les juridictions du travail, depuis l'entrée en vigueur du Code judiciaire belge. Enfin, si le financement est à la seule charge de l'État, nous savons qu'il en est de même au mois partiellement, de certaines prestations de sécurité sociale; d'ailleurs, les régimes non contributifs de sécurité sociale sont expressément visés par le règlement no 3 du Conseil.
Ainsi, l'analyse de la loi du 1er avril 1969 nous paraît déjà éclairer suffisamment la question qui vous est posée par le tribunal du travail de Bruxelles.
C — Faudrait-il, de surcroît, recourir aux travaux préparatoires, et notamment aux débats parlementaires, pour rechercher d'autres indications? Nous ne le croyons pas. Ces débats n'apportent aucune information précise. Si, sur une question posée par un parlementaire, le ministre de la prévoyance sociale a déclaré qu'il ne voyait pas d'objection à ce que cette loi fût qualifiée de «loi d'assistance», cette réponse n'est pas de nature à faire la lumière sur la qualification objective du revenu
garanti. En sens inverse, il n'y a pas mieux à tirer de l'extrait du rapport général sur la sécurité sociale, publié en 1970 par le ministère de la prévoyance sociale. Consacré à l'examen de certaines dispositions législatives prises au cours de l'année 1969 dans le domaine de la sécurité sociale, et plus spécialement du revenu garanti, ce rapport affirme, certes, qu'il ne peut être considéré comme une prestation de sécurité sociale en faveur d'anciens travailleurs; on y lit aussi que les
concepts qui sont à la base de la loi «s'apparentent» à ceux dont s'inspire l'aide sociale, mais il y est dit, à l'inverse, que la nouvelle loi démontre que le gouvernement belge s'est engagé dans une voie nouvelle, à savoir que, pour la première fois, une loi de sécurité sociale belge an consacré le principe d'une protection généralisée de la population en assurant le bien-être minium des individus.
D — Quant à la doctrine belge ( 2 ), elle relève particulièrement les liens qui existent entre la loi du 1er avril 1969 et certains textes antérieurs relatifs au régime de pensions des assurés libres, découlant de la loi du 12 février 1963.
Les articles 20 et suivants de cette loi, expressément abrogés par la loi du 1er avril 1969, instituaient des majorations de rentes de vieillesse ou de veuve à la charge de l'État. Le versement en était subordonné, notamment, à une enquête sur les ressources.
En outre, le demandeur devait avoir effectué des versements en qualité d'assuré libre.
Or, la loi du 1er avril 1969 modifiait profondément ce régime et les auteurs voient, dans cette évolution et dans la reconnaissance d'un véritable droit au revenu garanti échappant à toute indétermination, «la différence qui sépare une technique élémentaire de protection sociale comme l'assistance et une politique moderne de sécurité sociale». Ils relèvent aussi que la loi du 1er avril 1969 a «pris le relais des dispositions de la loi du 12 février 1963», dont l'expérience a révélé qu'elles ne
réalisaient qu'une protection «très imparfaite des déshérités sociaux».
Il faut enfin noter que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 1er avril 1969, les ressortissants belges, bénéficiaires d'une pension de retraite de travailleurs salariés en vertu du régime général d'assurance vieillesse obligatoire, pouvaient, eux aussi, bénéficier des majorations de rentes prévues par la loi du 12 février 1963, lorsque leur pension n'atteignait pas un niveau suffisant. Or, en vertu du principe de l'égalité de traitement entre travailleurs belges et travailleurs
ressortissant des autres États membres, ces majorations auraient certainement bénéficié aux ressortissants des États membres, car aucun doute ne nous paraît pouvoir être conçu sur leur caractère de prestations de sécurité sociale.
Il serait donc paradoxal que l'abrogation de ces majorations de la loi de 1963 par l'article 25 de la loi de 1969 et sa substitution par le nouveau régime du revenu garanti qui témoigne, selon ses auteurs, d'un esprit social plus avancé, aient eu pour conséquence d'aggraver la situation des travailleurs migrants, de leur faire perdre des droits acquis et de conduire à les traiter moins bien, notamment, que les apatrides et réfugiés.
Ainsi, tant en raison de la nature même de la prestation qu'elle institue qu'en raison des liens organiques qui la lient au régime des pensions de vieillesse, qu'enfin par le relais qu'elle prend de certaines dispositions de la loi de 1963, la loi du 1er avril 1969 participe très étroitement de la notion de sécurité sociale, dont elle constitue une généralisation à une certaine partie de la population: les personnes âgées.
E — Ces considérations suffiraient, à nos yeux, à démontrer que ce texte entre dans le champ d'application du règlement no 3 du Conseil. Mais il y a plus.
D'une part, on pourrait imaginer que la loi du 1er avril 1969 s'est substituée à toute législation d'assistance antérieure. Or, ce n'est pas exact. La loi du 10 mars 1925, qui a institué dans chaque commune une commission d'assistance publique, est toujours en vigueur. Ces commissions ont, notamment, pour attribution de secourir les indigents, mais la loi leur laisse la faculté de fournir les secours sous la forme et dans la mesure qui sont les mieux adaptées aux situations individuelles. L'état
de besoin de l'assisté est souverainement apprécié par la commission; l'indigent qui se prétendrait lésé par une décision de la commission d'assistance a le droit de recourir devant un comité de conciliation, mais ce comité, composé d'un délégué du collège échevinal et de deux membres de la commission d'assistance, ne peut être assimilé à une véritable juridiction indépendante.
Ainsi voit-on que la législation belge de l'assistance «stricto sensu» se différencie, par des traits précis, des régimes relevant de la sécurité sociale.
F — D'autre part, comme l'a exposé la Commission, dans ses observations orales, le gouvernement belge a informé, le. 25 juillet 1969, le secrétariat général du Conseil de l'Europe de l'adoption de la loi du 1er avril 1969 sur le minimum garanti et lui a notifié son intention dé voir inclure ce régime dans l'annexe I de l'accord intérimaire européen concernant les régimes de sécurité sociale relatifs à la vieillesse, à l'invalidité et aux survivants. Rappelons que cet accord, signé à Paris le
11 décembre 1953, par les gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe, dont la Belgique, s'applique à toutes lois et tous règlements en vigueur à la date de sa signature ou qui pourront entrer en vigueur ultérieurement, et relatifs notamment aux prestations de vieillesse. L'accord concerne expressément les régimes contributifs et non contributifs; en revanche, il exclut l'assistance sociale, tout comme le règlement no 3 du Conseil des Communautés européennes. Les gouvernements des
États signataires doivent notifier au secrétaire général du Conseil de l'Europe, dans un délai de trois mois à compter de leur publication, toute nouvelle loi ou tout nouveau règlement non encore couvert par l'annexe I. C'est précisément ce qu'a fait le gouvernement belge dans les trois mois de la publication de la loi du 1er avril 1969.
Certes, ce gouvernement a formulé une réserve aux termes de laquelle le bénéfice du revenu garanti, prestation non contributive, subordonné à une enquête sur les ressources, ne sera accordé «qu'aux ressortissants des États contractants dont la législation permet aux ressortissants belges d'obtenir des avantages équivalents». Mais, cette réserve, dont nous pensons qu'elle n'a aucune portée en droit communautaire, ne peut masquer la reconnaissance ainsi faite, aux fins de l'application de l'accord
européen sur la sécurité sociale, que la loi du 1er avril 1969 relève non point de l'assistance sociale, mais bien de la sécurité sociale.
Le gouvernement belge pourrait-il, au regard du droit communautaire, adopter une position différente ?
Nous vous engageons donc à répondre à la seconde question posée par le tribunal du travail de Bruxelles que le «revenu garanti» accordé par la loi du 1er avril 1969 à toutes les personnes ayant atteint l'âge normal de la retraite et dans les conditions que nous venons d'analyser a le caractère d'une prestation de vieillesse au sens de l'article 2, paragraphe 1, alinéa c, du règlement no 3 du Conseil.
Section II
Limites tirées du champ d'application personnel du règlement no 3
Mais cette réponse de principe appelle une précision et les limites de la solution à laquelle nous aboutissons doivent être clairement indiquées.
En effet, l'octroi du revenu garanti aux ressortissants belges n'est assorti d'aucune condition autre que celles qui tiennent à l'âge et à l'insuffisance des ressources. Il n'est, notamment, pas exigé d'eux qu'ils aient exercé antérieurement une activité professionnelle, salariée ou autre.
Devrait-on alors admettre que les ressortissants des autres États membres de la Communauté, établis en Belgique, pourraient légalement revendiquer le bénéfice de la loi du 1er avril 1969 et à ces seules conditions ?
Serait-il admissible que des personnes, arrivées en Belgique à un âge proche de celui de la retraite, mais n'y ayant jamais travaillé, puissent ainsi bénéficier d'un effort de solidarité nationale ?
On pourrait être tente de dire que là serait, en quelque sorte, la rançon que devraient payer les États les plus développés sur le plan industriel, et que leur développement même conduit à faire appel à des travailleurs étrangers; on pourrait soutenir qu'ils sont ainsi exposés à supporter des charges que seul un mécanisme communautaire de compensation adéquat permettrait de répartir de manière équitable, en considération des moyens de chacun des États membres.
Mais il n'y a pas lieu de poser plus avant un problème qu'il appartiendra sans doute un jour au législateur communautaire de résoudre parce qu'à notre avis, le texte même du règlement no 3, dont l'interprétation est seule en cause, conduit à limiter les conséquences qui pourraient résulter d'une solution de principe trop extensive.
En effet, si le principe d'egalite de traitement, fondement de ce texte communautaire, impose sans conteste une assimilation totale des ressortissants d'un des États membres, établis sur le territoire d'un autre État, aux nationaux de celui-ci, il ne s'agit pas de tous les ressortissants communautaires, quelle que soit leur qualité et quelles que soient les conditions dans lesquelles ils sont venus s'établir dans un pays autre que le leur.
Si le champ d'application matériel du règlement no 3 est, comme on l'a vu, particulièrement extensif, en ce qui concerne la détermination tant des législations de sécurité sociale visées que des prestations servies, ce texte ne concerne, en raison même de son objet, qu'une catégorie de personnes: ce sont, aux termes mêmes de l'article 4 du règlement, les «travailleurs salariés ou assimilés».
Vous avez, certes, interprété largement cette expression en considérant comme «assimilés» aux travailleurs salariés les artisans, au motif que la notion d'assimilation au salariat intervient «chaque fois que, par l'effet d'une législation nationale, les dispositions du régime général (de sécurité sociale applicable aux salariés) sont étendues à une catégorie de personnes autres que les travailleurs salariés» (arrêt du 13 décembre 1968, affaire De Cicco, Recueil, 1968, p. 897).
Vous avez raisonné de même dans le cas des «aidants» du droit belge, c'est-à-dire des aides familiaux d'un exploitant agricole indépendant (arrêt du 17 octobre 1971, affaire Janssen, Recueil, 1971, p. 859).
Mais si libérale que soit votre jurisprudence, il reste que, pour bénéficier, sur la base du règlement no 3, des prestations de sécurité sociale prévues par la législation de l'État où ils se sont établis, les ressortissants des autres États de la Communauté doivent avoir la qualité de travailleurs salariés ou assimilés ou, lorsqu'il s'agit de prestations de vieillesse servies par hypothèse à des personnes ayant atteint l'âge de la retraite, avoir eu, dans ce même État, une activité salariée ou
assimilée.
C'est en définitive à cette condition et dans ces limites que le revenu garanti devrait, à notre sens, être accordé aux. ressortissants de pays membres de la Communauté autres que les Belges.
La condition de réciprocité prévue par la loi du 1er avril 1969 ne pourrait donc, à notre avis, leur être opposée. Et il nous paraît, dans ces conditions, sans intérêt, pour répondre à la question posée par le tribunal du travail de Bruxelles, de savoir que seuls, jusqu'à présent, les Pays-Bas ont conclu en ce domaine avec la Belgique une convention de réciprocité. L'exigence de la réciprocité n'en conserve pas moins d'ailleurs son utilité à l'égard des ressortissants des États qui ne sont pas
membres de la Communauté.
Enfin, nous croyons devoir ajouter que, si le règlement no 3 de 1958 doit être, à brève échéance, remplacé par le règlement no 1408/71, la solution que nous croyons juridiquement adéquate sur la base du premier de ces textes devrait, à raison des mêmes motifs, être retenue pour l'interprétation du second.
Nous concluons donc à ce que vous disiez pour droit que:
le revenu garanti accordé par le loi belge du 1er avril 1969 à toutes les personnes ayant atteint l'âge normal de la retraite a, pour les ressortissants des États membres de la Communauté ayant eu une activité salariée ou assimilée en Belgique, le caractère d'une prestation de vieillesse au sens de l'article 2, paragraphe 1, alinéa c, du règlement no 3 du Conseil.
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( 1 ) Les prestations non contributives et la sécurité sociale en: Droit social, mars 1961.
( 2 ) Pierre Denis — Droit de la sécurité sociale. Paul Horion — Nouveau précis de droit social belge.