CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 5 OCTOBRE 1972
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I — Les faits
Les questions préjudicielles dont vous avez été saisis par le tribunal d'appel en matière économique des Pays-Bas (College van Beroep voor het Bedrijfsleven), conformément à l'article 177 du traité de Rome, vous conduiront à interpréter certaines dispositions du droit communautaire dérivé; leur examen vous entraînera aussi à faire une incursion dans le domaine de la chimie organique.
C'est en effet un litige portant sur l'emploi de certaines méthodes d'analyse chimique d'un produit destiné à l'alimentation qui a été déféré à cette juridiction néerlandaise, dans des conditions qu'il nous faut rappeler brièvement.
Le 18 juin 1970, l'entreprise Handelsmaatschappij Stern en Spierenburg, filiale de la société anonyme Vereenigde Oliefabrieken (Huileries Réunies) de Rotterdam, déclara exporter vers la Bolivie un lot de 100698 kg de saindoux raffiné, emballé dans 6000 boîtes de conserve d'un poids net unitaire de 16 kg 780.
En vue de bénéficier de la restitution à l'exportation prévue pour ce produit, elle assura que ce saindoux répondait aux normes de qualité exigées par la réglementation communautaire. La restitution, égale à la différence entre le prix sur le marché mondial et le prix dans la Communauté, peut en effet être accordée lors de l'exportation, vers un pays tiers, de saindoux et autres graisses de porc pressées ou fondues relevant de la position tarifaire 15.01, A, II, en application du règlement du
Conseil no 121/67 du 13 juin 1967, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc. Les règles générales concernant l'octroi des restitutions et les critères de fixation de leur montant ont été fixés par le règlement no 177/67 du 27 juin 1967, tandis que la Commission, par son règlement no 2403/69 du 1er décembre 1969, a prévu des conditions particulières destinées à réserver les restitutions aux produits que répondent à certains critères de qualité en ce qui concerne
leur composition, leur préparation et leur conditionnement. L'annexe I de ce règlement exige, entre autres critères, que le saindoux doit avoir un indice de Bömer minimum de 73 et précise que le contrôle du respect de cette condition doit être fait selon la méthode dite à l'éther diéthylique ou à l'acétone. Le texte renvoie, pour la description de cette méthode, à un projet de recommandation de l'ISO (International Organization for Standardization) concernant l'échantillonnage et l'analyse des
graisses animales.
Or, une première analyse, effectuée selon la méthode de la pharmacopée néerlandaise par l'Office national de contrôle de la préparation des graisses comestibles, avant l'emballage du saindoux, sur un échantillon moyen de l'ensemble du lot, avait permis de constater un indice de Bömer de 74,3, par conséquent supérieur à l'indice exigé par la réglementation communautaire.
Mais, lors de l'accomplissement des formalités douanières, le service néerlandais des douanes préleva deux des boîtes de saindoux et les soumit à l'analyse de la station de contrôle de Leiden (Rijkszuivelstation). Ce contrôle aboutit à déterminer un indice de Bömer de 72,2 et de 72,5, respectivement, pour chacun des échantillons prélevés.
C'est en se fondant sur cette analyse, d'où il résultait que le saindoux exporté n'atteignait pas l'indice minimum requis, que l'Office néerlandais de la margarine, des graisses et huiles (Produktschap voor Margarine, Vetten en Oliën) a refusé de payer à la société Huileries Réunies le montant de la restitution demandée.
Saisi du litige, le tribunal d'appel en matière économique a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que vous vous soyez prononcés sur les questions préjudicielles suivantes :
Première question
L'article 2 du règlement no 2403/69, considéré conjointement avec l'article 1 du règlement no 1041/67 et éventuellement avec d'autres dispositions de droit communautaire, doit-il être interprété en ce sens que le contrôle visé par cet article doit s'effectuer exclusivement sur les échantillons prélevés au jour dont il est question à l'article 1 du règlement no 1041/67 ou faut-il comprendre l'article 2 en ce sens que ce contrôle peut également s'effectuer sur des échantillons prélevés quelque temps
avant le jour précité ?
Deuxième question
Faut-il entendre l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 2403/69 et le point 1 de l'annexe II de ce règlement, considéré conjointement avec la note figurant à la fin du texte de cette annexe, en ce sens que l'indice de Bömer du saindoux raffiné doit se déterminer selon la méthode désignée au point 1 de l'annexe II du règlement no 2403/69 de la manière suivante: ISO/TC 34/SC 6/WG 3/N 73 ?
Troisième question
Une interprétation correcte de l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 2403/69 permet-elle de limiter le contrôle par sondage, entendu au sens visé par cette disposition, de l'indice de Bömer d'une quantité de saindoux raffiné d'un poids net de 100698 kg, emballée dans 6000 boîtes de conserve, à l'analyse du contenu de deux de ces boîtes ?
Quatrième question
Faut-il interpréter l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 2403/69 en ce sens que le résultat d'une analyse reposant sur un contrôle par sondage, entendu au sens visé par cette disposition, peut seul être pris en considération pour savoir si la condition relative à l'indice de Bömer est remplie ou peut-on, pour interpréter correctement cette disposition, tenir compte aussi et, le cas échéant, exclusivement du résultat d'une analyse remplissant les conditions posées à cet égard par cette même
disposition, encore que cette analyse n'ait pas été effectuée sur des échantillons prélevés par sondage, mais sur une moyenne d'un grand nombre d'échantillons du lot considéré, qui ont été prélevés de manière continue ?
II — Moment auquel les échantillons doivent être prélevés en vue du contrôle prescrit par le règlement no 2403/69
La première des questions posées porte donc sur le moment auquel le contrôle prescrit par le règlement no 2403/69 doit être fait. Mais, si l'annexe I de ce texte énumère les conditions de qualité auxquelles doit répondre le saindoux exporté et exige notamment que ce produit ait un indice de Bömer minimum de 73, si, d'autre part, l'article 2 du règlement précise que le contrôle, par sondage, des conditions énoncées à l'article 1 consiste en un examen organoleptique et en des analyses physiques et
chimiques effectuées conformément aux méthodes visées à l'annexe II, aucune disposition de ce règlement ne détermine explicitement le moment où le prélèvement d'échantillons en vue du contrôle doit être effectué. La société Huileries Réunies, demanderesse au principal, en déduit que ce prélèvement peut intervenir à une date antérieure à l'exportation. En effet, le saindoux est un produit stable, dont l'indice de Bömer resterait invariable. Dès lors, un contrôle de cet Indice, réalisé quelque temps
avant l'exportation, serait probant et répondrait aux prescriptions du règlement no 2403/69, pourvu, du moins, que l'échantillon, correctement prélevé, soit représentatif de l'ensemble du lot.
Le gouvernement néerlandais soutient la même thèse. Il estime qu'en l'absence de toute disposition impérative de la réglementation communautaire, il y a lieu de faire une distinction entre les denrées alimentaires périssables, pour lesquelles prélèvement et analyse des échantillons devraient avoir lieu à une date aussi rapprochée que possible de celle des formalités douanières à l'exportation, et les produits dont les qualités sont stables — ce qui est le cas du saindoux — pour lesquels il n'y
aurait pas d'inconvénient à ce que ce contrôle intervînt à une date antérieure.
Telle n'est pas l'opinion de la Commission qui, tout en reconnaissant que son règlement de 1969 est muet sur la question, soutient que d'autres dispositions doivent être prises en considération et qu'elles impliquent que ce contrôle soit concomitant à l'accomplissement des formalités douanières. Elle se réfère à cet égard à son règlement no 1041/67 du 21 décembre 1967, qui détermine les modalités d'application des restitutions à l'exportation pour les produits soumis à un régime de prix unique,
parmi lesquels la viande et les graisses de porc. L'article 1 de ce texte dispose que, pour déterminer le taux de ladite restitution — à moins que ce taux n'ait été fixé à l'avance, et en tout état de cause, pour déterminer les ajustements à y opérer — la date à laquelle il convient de se placer doit être celle de l'acceptation, par le service des douanes, de la déclaration de l'exportateur, c'est-à-dire de l'acte qui manifeste la volonté de celui-ci de procéder à l'exportation du produit en cause,
en réclamant le bénéfice d'une restitution.
C'est à partir du moment où cette acceptation, considérée, au sens du règlement, comme accomplissement des formalités douanières, est donnée par l'administration que les produits sont placés sous contrôle douanier jusqu'à leur sortie du territoire géographique de la Communauté.
Or, le paragraphe 3 de ce même article 1 dispose que le jour de l'accomplissement des formalités douanières est déterminant pour établir, non seulement la quantité, mais aussi la nature et les caractéristiques du produit exporté.
Ainsi, en rapprochant ce texte de celui du règlement no 2403/69 qui définit précisément les caractéristiques exigées de certains produits dans le secteur de la viande de porc, et particulièrement du saindoux, devrait-on en déduire que le contrôle de ces caractéristiques, ou du moins le prélèvement des échantillons, doit être effectué à la date même de l'accomplissement des formalités douanières. Ce raisonnement s'appuie tout d'abord sur le texte même du règlement no 1041/67 auquel fait expressément
référence celui de 1969 dont l'article 1er dispose (nous le citons) : «sans préjudice des autres dispositions de la réglementation communautaire et notamment de celles du règlement no 1041/67» et fait obligation aux exportateurs de déclarer, au moment de l'accomplissement des formalités douanières, que les produits en cause répondent aux conditions de qualité énumérées à l'annexe I de ce texte.
Mais ce raisonnement répond aussi, à notre avis, aux objectifs mêmes que la Commission a voulu atteindre en exigeant un contrôle de la qualité des produits exportés hors du marché commun. Ce contrôle est, en effet, l'un des éléments du régime des restitutions destiné à favoriser les exportations vers les pays tiers. Il doit permettre, tant aux administrations nationales qu'aux servi ces communautaires de s'assurer que le produit dont l'exportation ouvre droit à restitution est bien de la nature de
celui que définissent les règlements communautaires et sa position au tarif douanier commun: l'identification exacte du produit est certainement un premier impératif de ce système.
En second lieu, le contrôle des caractéristiques du produit destiné à l'exportation doit être fait de telle manière, et à un tel moment, que ce contrôle soit uniforme, qu'il ait la même valeur, la même crédibilité, quel que soit le pays d'origine du produit et quelles que soient les différences susceptibles d'exister entre les réglementations nationales.
Enfin, examens et analyses prescrits doivent être faits sur des échantillons dont la date de prélèvement permette de s'assurer des qualités du produit, au moment même où l'opération d'exportation est sur le point de se réaliser. C'est, à l'évidence, une impérieuse nécessité pour toutes les denrées périssables. Mais, en admettant même que tout ou partie des caractéristiques physiques et chimiques de certains produits ne varie pas, ou ne varie que très peu avec le temps, comme on vous l'a dit du
saindoux, sous réserve d'ailleurs que le conditionnement en soit parfait, il serait à la fois difficile et sans doute imprudent de faire exception, pour ces produits, à la règle commune en tolérant que le contrôle de leurs qualités soit effectué à une date antérieure à celle de l'accomplissement des formalités douanières.
L'identification du produit serait alors sujette à caution, car, sans même envisager une fraude, peut-on exclure l'hypothèse d'une simple erreur dans la manipulation du produit entre le stade de la fabrication et celui du conditionnement ou bien d'une détérioration de ce produit à la suite d'un emballage défectueux. Aussi bien, si l'on admettait que le prélèvement d'échantillons et les analyses aux fins de contrôle à l'exportation fussent faits en usine, dans quel délai convenable l'exportation
devrait-elle être matériellement réalisée pour que l'on puisse tenir ces analyses pour probantes.
On se trouverait ainsi devant une grande variété de cas d'espèce, dont les administrations et juridictions nationales pourraient sans doute faire une appréciation particulière, mais ne serait-ce pas alors renoncer au minimum d'uniformité et de cohérence que requiert l'application d'une règle communautaire et dont vous avez reconnu la nécessité en disant que «les organisations communes des marchés agricoles ne peuvent remplir leurs fonctions que si les dispositions auxquelles elles donnent lieu sont
appliquées de manière uniforme dans tous les États membres» — arrêt du 18 juin 1970, affaire 74-69, Krohn, Rec. p. 460; dans le même sens: arrêt du 6 juin 1972, affaire 94-71, Schlüter et Maack.
L'examen combiné des deux règlements dont l'interprétation vous est demandée d'une part, les impératifs pratiques d'une sûre identification du produit, d'un processus de contrôle identique quel que soit le pays de l'exportateur d'autre part, enfin l'exigence que l'analyse des qualités que présente effectivement le produit soit faite lorsqu'il se trouve placé sous douane, commandent donc de répondre à la première question dans ce sens que le moment où le prélèvement d'échantillons en vue du contrôle
par sondage est opéré doit coïncider avec la date de l'accomplissement des formalités douanières, au sens du règlement no 1041/67.
A l'encontre de cette opinion, nous n'apercevons qu'un argument qui ne nous paraît pas déterminant. Pour ouvrir droit au bénéfice d'une restitution, le produit exporté doit répondre à des exigences sévères de qualité. Compte tenu de son prix de revient, l'exportation n'est rentable que grâce à cette restitution dont le taux s'élèverait, en l'espèce, selon la demanderesse au principal, à 25 % du coût de la marchandise. L'exportateur doit donc savoir à l'avance s'il peut compter ou non sur la
restitution. En d'autres termes, il doit être assuré, au stade de la fabrication, ou, en tout cas, du conditionnement, que son produit possède bien les caractéristiques exigées par la réglementation communautaire. Il lui faut donc connaître les résultats des examens et analyses avant de présenter à la douane sa déclaration d'exportation. Or, si l'échantillon n'est prélevé qu'au jour de la mise sous douane et si, de surcroît, les résultats de l'analyse ne peuvent, en pratique, être connus que quelque
temps après (dans l'affaire soumise à la juridiction néerlandaise, on sait que le prélèvement ayant eu lieu le 18 juin 1970, le premier résultat de l'analyse n'a été communiqué au producteur que le 24 juillet, soit deux semaines après que le saindoux eût quitté le territoire néerlandais à destination de la Bolivie), l'exportateur encourt un risque sérieux, dans le cas où ce contrôle établit que le produit ne satisfait pas aux critères exigés.
La société Huileries Réunies se prévaut, il est vrai, des résultats de l'analyse d'un échantillon moyen du lot de saindoux en cause, effectuée en cours de fabrication, conformément à la réglementation néerlandaise en matière de contrôle sanitaire des produits destinés à l'alimentation humaine.
Mais, Messieurs, encore eût-il fallu que, pour être probante au regard du régime des restitutions, cette analyse fût faite suivant la méthode non pas simplement préconisée mais imposée, comme nous le verrons, par la Commission, et non selon la méthode de la pharmacopée néerlandaise. Celle-ci est certes également fondée sur l'emploi de l'éther diéthylique, mais on ne nous a pas dit qu'elle est, en tous points, identique à celle dont l'emploi est exigé par le règlement no 2403/69.
La multiplication des contrôles de cette nature, les uns nationaux, les autres communautaires, n'est sans doute pas souhaitable. Il est certainement désirable qu'une coordination soit réalisée à cet égard.
Quoi qu'il en soit, nous estimons que c'est à l'exportateur qu'il appartient de faire, en cette matière, toute diligence et de prendre toutes précautions utiles pour que l'analyse à laquelle est soumis son produit avant présentation à la douane soit aussi rigoureusement conforme que possible à celle qu'il s'expose à voir pratiquer par le service des douanes pour le contrôle du droit à restitution.
III — La deuxième question posée a trait à la méthode d'analyse qui doit être employée en vue de déterminer l'indice de Bömer du saindoux raffiné, au sens du règlement no 2403/69 et de son annexe II.
Il n'est pas contesté que cet indice, qui permet de vérifier la pureté du saindoux, doit s'élever au minimum à la valeur de 73 pour que le saindoux communautaire ouvre droit à restitution. Un saindoux parfaitement pur atteint, comme on vous l'a dit à la barre, l'indice 75. En revanche, si on en croit une lettre des Huileries Réunies au service des douanes de Rotterdam, un indice de 71 seulement serait suffisant pour démontrer que le produit analysé est bien constitué par de la graisse de porc.
L'indice de 73 a été fixé en tenant compte d'une certaine marge de tolérance; au-dessous de ce minimum, le produit analysé contiendrait, selon les représentants de la Commission, d'autres graisses animales, telles que graisses de boeuf, de cheval ou de mouton. Dans ce cas, l'exportation du produit — qui devrait d'ailleurs être classé sous la position 15.06 du tarif douanier commun — n'ouvrirait pas droit à restitution.
C'est dire que la recherche de l'indice de Bömer a une importance décisive pour l'application du régime des restitutions. C'est dire également déjà que, pour éviter, autant qu'il est humainement possible, toute disparité de traitement entre exportateurs, le choix d'une méthode d'analyse déterminée apparaît comme une nécessité au plan communautaire. Et c'est là tout le débat que recèle la question posée par la juridiction néerlandaise.
La méthode à laquelle se réfère l'annexe II du règlement no 2403/69, à savoir celle qui fait l'objet d'un projet de recommandation de l'ISO, s'impose-t-elle comme la seule applicable ou bien la Commission s'est-elle bornée à la préconiser, sans exclure qu'on puisse recourir à d'autres méthodes, plus ou moins voisines dans leur processus et dans leur degré de finesse ?
La demanderesse au principal soutient, pour sa part, que, si l'annexe II du règlement retient exclusivement la méthode dite à l'éther diéthylique ou à l'acétone, elle ne mentionne le projet de recommandation de l'ISO que comme une simple «source». Elle en déduit que cette méthode, qui n'a pas été encore officiellement adoptée par l'Organisation internationale, n'est pas exclusive de certaines autres, pourvu du moins que celles-ci procèdent de l'usage de l'éther ou de l'acétone. Tel serait le cas de
la méthode en usage selon la pharmacopée néerlandaise, sur la base de laquelle a été fait, en cours de fabrication, un premier contrôle de la qualité du saindoux litigieux. Cette argumentation repose, Messieurs, sur une interprétation hâtive et, à notre opinion, erronée du mot «source» auquel la société Huileries Réunies n'attache qu'une valeur purement indicative et non le caractère d'une norme obligatoire.
En revanche, le gouvernement des Pays-Bas rejoint ici la Commission pour reconnaître que la méthode de l'ISO est bien la seule admise par la réglementation communautaire pour déterminer, de manière probante, l'indice de Bömer du saindoux raffiné.
Nous pensons, nous aussi, que l'emploi du mot «source» s'explique aisément par le fait que l'ISO n'ayant pas encore arrêté une recommandation définitive et officiellement applicable, la Commission s'est clairement référée au projet préparé par cette institution, mais connu comme tel et identifiable par tous grâce aux références indiquées dans l'annexe II du règlement communautaire.
En faisant référence précise à ce projet, la Commission l'a fait sien, lui a conféré, dans le droit communautaire, une portée normative, l'a, en quelque sorte, intégré au règlement lui-même. Elle aurait pu, bien sûr, reproduire le texte même du projet de recommandation, comme, aussi bien, se référer à une autre méthode, décrite dans un ouvrage technique. Mais peu importe, dès lors, que l'ISO n'ait pas, à l'époque, et n'ait même pas encore aujourd'hui définitivement adopté ce projet. Il est devenu un
élément réglementaire, directement applicable dans les États membres de la Communauté, ainsi d'ailleurs que le précise la disposition finale du règlement.
Cela est si vrai que, pour éviter toute incertitude au cas où l'ISO viendrait à modifier son projet, la Commission a pris soin de préciser, par une «foot note», que les méthodes d'analyse auxquelles se réfère l'annexe II, et notamment la méthode de recherche de l'indice de Bömer, «sont celles valables le jour de l'entrée en vigueur du règlement», c'est-à-dire, en ce qui concerne les produits relevant de la position tarifaire 15.01, A, II, à la date du 1er janvier 1970.
L'interprétation que nous vous proposons ainsi d'adopter fait d'autant moins de doute que, plus encore peut-être qu'en ce qui concerne le moment où les prélèvements d'échantillons doivent être opérés, la nécessité d'une règle uniformément applicable justifie pleinement le choix, par la Commission, d'une seule et même méthode d'analyse pour la recherche de l'indice de Bömer, dont le calcul, nous dit-on, est difficile et dont les résultats dépendent, dans une mesure non négligeable, de la méthode
employée. Nous ajouterons que, vraisemblablement, les résultats peuvent également varier, dans une mesure plus étroite, en fonction du savoir-faire du chimiste, de la manière dont, en pratique, la méthode a été appliquée, encore que la description du processus soit expliquée, nous semble-t-il, par le document ISO de manière suffisamment détaillée et précise.
Et c'est cette possibilité d'une distorsion, même faible, dans les résultats d'une analyse pratiquée sur des échantillons de même provenance qui explique, selon toute probabilité, les légères différences constatées entre la première des analyses faites à la demande des services douaniers par la station de contrôle de Leiden et une deuxième analyse, pratiquée le 28 août 1970, sur un échantillon des mêmes boîtes de saindoux.
Dans le premier cas, le contrôle a révélé un indice de Bömer de 72,2 et de 72,5, soit en moyenne 72,35.
Dans le second cas, l'indice moyen obtenu a été très légèrement supérieur : 72,5, sans toutefois atteindre le minimum exigé de 73.
Cette circonstance que deux contrôles successifs, pratiqués par le même laboratoire, à quelques semaines de distance, sur des échantillons prélevés dans les mêmes emballages, aient pu donner des résultats si peu que ce soit différents, est assez révélatrice de la marge de relative incertitude qu'on ne peut guère imputer qu'à des causes humaines. Mais il y a là, à notre opinion, un argument supplémentaire en faveur du choix d'une seule méthode d'analyse. Ainsi, du moins, peut-on espérer éliminer les
divergences qui seraient inévitablement dues à l'emploi de méthodes différentes. Ainsi, également, peut-on trouver une explication aux écarts plus importants constatés entre les résultats de l'analyse initiale effectuée sur un échantillon moyen prélevé en cours de fabrication par l'Office national de contrôle de la préparation des graisses comestibles et les résultats des analyses ultérieures, opérées sur requête de la douane.
Nous concluons, sur ce point, très fermement à ce que vous répondiez à la deuxième question posée en ce sens que la méthode dite à l'éther diéthylique ou à l'acétone, préconisée par l'ISO sous la référence indiquée à l'annexe II du règlement no 2403/69, est, à l'exclusion de toutes autres, obligatoire et seule probante aux fins du contrôle, par sondage, de l'indice de Bömer du saindoux, exigé par ce règlement.
IV — Restent à examiner deux questions dont il faut bien reconnaître, Messieurs, qu'elles mettent en cause moins l'interprétation du droit communautaire que des appréciations de fait, liées aux circonstances propres à l'affaire portée devant le tribunal d'appel en matière économique. De la réponse que vous ferez à la première, cette juridiction attend que soit définie la notion de «contrôle par sondage». Or, aucune des dispositions du règlement no 2403/69 ne donne la moindre précision sur ce qu'il
convient d'entendre par «sondage» et, s'agissant de la recherche de l'indice de Bömer, la méthode ISO se borne à préciser que l'échantillon de saindoux qu'il convient d'analyser doit peser environ 100 grammes, sans indiquer l'importance relative de l'échantillonnage par rapport à la quantité de produit, objet du contrôle. Ayant d'ailleurs parfaitement conscience que cette notion de contrôle par sondage peut avoir un contenu très différent selon la nature des produits, la juridiction de renvoi
ne peut faire autrement que de solliciter votre interprétation dans les conditions mêmes de l'espèce — à savoir: est-il légalement admissible de limiter un tel contrôle à l'analyse du contenu de 2 boîtes de saindoux sur un lot de 6000 pour déterminer l'indice de Bömer de l'ensemble du lot ?
Nous serions tentés de vous engager à répondre que c'est là, précisément, le domaine de l'appréciation du juge national et qu'il n'y a pas lieu, pour votre Cour, d'entrer dans l'examen d'un problème dont la solution est trop évidemment liée aux données spécifiques de l'affaire portée devant ce juge.
Il nous paraît, néanmoins, nécessaire de faire un effort pour tenter de lui indiquer une ligne directrice, sans toutefois prétendre dégager une interprétation générale qui vaudrait pour tous les cas. Votre réponse nous paraît devoir être nuancée en fonction de la nature du produit considéré et de la forme sous laquelle il est exporté, donc de son conditionnement.
S'il s'agissait d'un produit relativement dissociable, dont les qualités physiques et chimiques ne sont pas d'une grande stabilité, transporté sinon en vrac du moins par «containers» d'une grande capacité, nous serions porté à considérer que le prélèvement des échantillons doit nécessairement être fait en différents points de la masse totale du produit et concerner une fraction relativement appréciable de cette masse, de manière à permettre de s'assurer que le lot est homogène et que les
échantillons prélevés sont suffisamment représentatifs de l'ensemble.
Il en est, à notre sens, différemment lorsque le produit, soumis à un conditionnement en emballages métalliques d'une capacité très minime par rapport à la quantité globale exportée, est ainsi prêt à la revente et lorsque, de surcroît, ce produit a des caractéristiques stables et ne risque pas de se dissocier.
Dans une telle hypothèse, qui vaut pour nombre de produits alimentaires, et lorsque — comme ce fut le cas en l'espèce — l'exportateur lui-même a déclaré aux services douaniers que le contenu de chacun des emballages provenait d'une seule et même chaîne de fabrication, il convient, pensons-nous, de tenir pour conforme à la notion de contrôle par sondage le prélèvement de quelques unités, voire même d'une seule. On ne voit pas, en effet, pour quelles raisons une certaine boîte de saindoux serait
plus représentative de l'ensemble du lot qu'une autre quelconque des boîtes qui le composent.
Ajoutons que si l'exportateur avait quelque raison de contester un contrôle qu'il estimerait n'avoir porté que sur une quantité insuffisante d'échantillons, il lui appartiendrait de demander une contre-analyse portant sur un échantillonnage plus varié, si toutefois la législation interne applicable l'autorise à exiger cette contre-épreuve, ce qui est le cas aux Pays-Bas.
Nous vous invitons donc à répondre à la question posée que, s'agissant d'un produit stable soumis à un conditionnement de nature à préserver les caractéristiques et dont l'exportateur a déclaré qu'il était effectivement de qualité uniforme, il y a lieu d'interpréter l'expression «contrôle par sondage» comme s'appliquant valablement au contenu d'un nombre, même très limité, d'emballages.
La dernière question que vous soumet le juge néerlandais paraît devoir comporter une réponse aussi nuancée. Elle concerne la nature de l'échantillon, objet de l'analyse, et consiste à vous demander si l'on peut tenir compte, aux fins du règlement no 2403/69, d'une analyse effectuée sur une moyenne d'un grand nombre d'échantillons, prélevés de manière continue. Là encore, la question est indissolublement liée aux circonstances de l'espèce. La prise d'échantillons multiples, opérée d'une manière
continue, c'est-à-dire au long d'un processus de fabrication, ne répond pas, en principe, aux prescriptions de la réglementation communautaire, ne serait-ce qu'en raison de la règle dont nous avons admis l'existence quant au moment où les échantillons doivent être prélevés, à moins que l'usine de production ne se trouve, elle-même, placée sous douane, hypothèse sans aucun doute théorique.
Dans le cas de l'exportation d'un produit sous conditionnement présentant, par nature, une bonne homogénéité, on conçoit mal l'utilité de prélever un nombre élevé d'échantillons en vue de constituer un échantillon moyen. On se trouve alors ramené à la précédente question car, l'exportateur s'étant porté garant que le lot présenté à la douane est de qualité uniforme — et cela est plus encore vrai lorsqu'il s'agit d'une marchandise vendue sous une marque commerciale — la constitution d'un
échantillon moyen ne s'impose nullement.
En tout cas, aucune disposition, tant du règlement en cause que de ses annexes techniques, ne précise la méthode de prélèvement des échantillons et nous croyons qu'il s'agit là d'un problème qu'il faut laisser à l'appréciation des autorités nationales, sous le contrôle de leurs juridictions. Si la Commission n'a pas estimé utile de réglementer, sur ce point, de manière plus détaillée et plus minutieuse, c'est qu'elle a entendu laisser aux autorités compétentes des États membres le soin de le
faire, ou, à tout le moins, de résoudre les problèmes concrets de mise en œuvre des contrôles à l'exportation.
Enfin, s'agissant d'un domaine essentiellement technique, il ne serait certainement pas souhaitable, et nous ne croyons pas possible d'ailleurs, que votre Cour en vienne, sur le renvoi de juridictions nationales, à se substituer aux autorités communautaires investies du pouvoir de réglementer en la matière.
Nous concluons donc à ce que vous répondiez aux deux premières questions posées par le tribunal d'appel en matière économique des Pays-Bas dans le sens que nous avons précisé plus haut; qu'aux deux autres questions vous apportiez des réponses qui, sans poser aucun principe général d'interprétation, soient nuancées en fonction des données propres à la nature, aux caractéristiques et au conditionnement du produit en cause, tout en précisant qu'appartient aux juridictions nationales un large pouvoir
d'appréciation, afin que la solution de questions de cette nature soit adaptée aux circonstances particulières de chaque espèce.