CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 20 FÉVRIER 1973
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I — Introduction
L'examen des questions préjudicielles que vous soumet la cour administrative de Hesse (Hessischer Verwaltungsgerichtshof) vous conduira à vous pencher sur le régime communautaire de la dénaturation du sucre destiné à l'alimentation des animaux.
Vous avez eu déjà à connaître de certaines modalités de ce régime dans les affaires jointes 38 et 39-71 qui mettaient en cause au principal la même requérante, la société Westzucker (arrêt du 26 janvier 1972, Recueil. 1972. p. 1).
Dans la présente affaire, c'est le principe même de l'octroi des primes de dénaturation qui est au centre du débat. Il nous paraît donc utile d'exposer brièvement l'économie générale de ce système.
L'organisation commune du marché du sucre, dont les bases se trouvent dans le règlement du Conseil no 1009/67, est dominée par le fait que, dans les années qui ont précédé son établissement, la situation du marché mondial était caractérisée par l'existence d'excédents importants; que, dans la Communauté même, la production de sucre avait, à plusieurs reprises, dépassé les besoins de la consommation.
En vue de parvenir à un équilibre satisfaisant entre l'offre et la demande, le législateur communautaire s'est donc efforcé, à titre transitoire, pour une période qui devrait prendre fin en 1975, de limiter la production en déterminant les quantités de base de sucre susceptible d'être fabriqué dans chacun des Etats membres et en donnant aux autorités nationales le pouvoir de fixer un quota de base pour chaque sucrerie.
Les quantités de base ont été fixées de manière à ce que, en tout état de cause, les besoins de la Communauté soient largement couverts. Par ailleurs, les organismes d'intervention désignés par les Etats membres ont l'obligation d'acquérir, au prix d'intervention communautaire, toutes les quantités de sucre qui leur sont présentées. Pour résorber les surplus que cette obligation peut créer, les autorités communautaires ont prévu essentiellement deux systèmes :
— d'une part, une aide à l'exportation à destination des pays tiers, par le moyen de l'octroi de restitutions ;
— d'autre part, un mécanisme destiné à favoriser la dénaturation du sucre, notamment en transformant du sucre blanc ou brut propre à la consommation humaine pour en tirer des produits destinés à l'alimentation des animaux. Ce système comporte plusieurs modalités; celle qui nous intéresse en l'espèce est prévue par l'article 9, paragraphe 2, du règlement no 1009/67 aux termes duquel les organismes d'intervention peuvent octroyer des primes de dénaturation pour le sucre rendu impropre à l'alimentation
humaine.
Conformément aux dispositions de l'article 9, paragraphe 7, le Conseil a déterminé les règles générales d'octroi des primes de dénaturation par son règlement no 768/68. La Commission fut chargée, d'une part, d'en arrêter les modalités d'application; d'autre part, de fixer le montant de la prime selon la procédure dite du comité de gestion prévue à l'article 40 du règlement de base.
Pour la fixation de la prime, le Conseil a retenu des critères objectifs tenant compte notamment de l'utilisation la plus rationnelle du sucre en fonction de la situation du marché et des prix de marché prévisibles des aliments pour animaux avec lesquels le sucre destiné à la dénaturation doit entrer en concurrence.
L'octroi des primes est subordonné à la délivrance, par les autorités nationales, sur demande écrite des transformateurs, de titres de dénaturation. A ces titres sont attachés tant l'obligation, garantie par une caution, de dénaturer les quantités de sucre mentionnées dans les conditions qui y sont précisées, que le droit du titulaire à percevoir le montant de la prime. Le titre est valable jusqu'à l'expiration du onzième mois suivant celui au cours duquel il a été délivré.
Fixé à 14,03 unités de compte par 100 kg, à compter du 1er juillet 1968, par la Commission, après avis conforme du comité de gestion (règlement no 840/68), le montant de la prime de dénaturation du sucre a été ramené à zéro unité de compte par le règlement no 354/69 pris après la même procédure. Ce règlement, publié le 27 février 1969, est entré en vigueur le même jour, conformément aux dispositions de son article 2.
C'est la décision dont la Cour administrative de Hesse vous demande d'apprécier la validité en vue de trancher le litige dont elle a été saisie en appel par la société Westzucker.
Cette entreprise avait en effet acheté en France, entre novembre 1968 et la mi-février 1969, 14075 tonnes de sucre pour la dénaturation, mais elle n'a demandé la délivrance des titres de dénaturation à l'Office d'importation et de stockage du sucre (Einfuhr- und Vorratsstelle fur Zucker) que le 28 février 1969. Se fondant sur le règlement no 354/69, cet office a rejeté cette demande. Le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Francfort, saisi en première instance, ayant rejeté le recours de
la société Westzucker comme non fondé, celle-ci a fait appel devant la cour administrative de Hesse oui, par ordonnance du 21 juillet 1972, a sursis à statuer et vous a posé, conformément à l'article 177 du traité de la Communauté économique européenne, les questions préjudicielles suivantes :
1) L'article 1, paragraphe 1, du règlement no 354/69 de la Commission, modifiant la prime de dénaturation du sucre, est-il valide ?
2) L'article 2 de ce même règlement est- il valide ?
3) L'article 2, paragraphe 2, phrase 2, du règlement no 833/68 de la Commission, établissant les modalités d'application concernant la dénaturation du sucre en vue de l'alimentation animale, est-il valide ?
II — Compétence de la Commission pour suspendre l'application du régime de la dénaturation du sucre
La première de ces questions implique que vous décidiez tout d'abord si la Commission a le pouvoir de suspendre l'octroi des primes de dénaturation du sucre. En fixer le montant à zéro unité de compte équivaut en effet à mettre fin, temporairement, à l'application de ce régime jusqu'au moment où, par une décision ultérieure, un montant positif de prime serait à nouveau fixé.
La requérante au principal dénie à la Commission une telle compétence que le Conseil n'aurait pu, en vertu de l'article 155 du traité, lui conférer que par une disposition expresse.
Elle établit à cet égard une comparaison entre le règlement no 768/68 du Conseil, qui régit les conditions générales concernant l'octroi des primes de dénaturation, et le règlement no 766/68 relatif aux conditions d'octroi des restitutions à l'exportation du sucre.
Ce dernier texte comporte, dans son article 2, paragraphe 2, une disposition précise en vertu de laquelle la fixation périodique du montant de la restitution «peut être suspendue selon la procédure prévue à l'article 40 du règlement no 1009/67, c'est-à-dire par la Commission sur avis du comité de gestion, s'il est constaté qu'il n'existe pas, dans la Communauté, d'excédents de sucre à exporter sur la base des prix du marché mondial. En ce cas, aucune restitution n'est accordée».
Or, le texte applicable aux primes de dénaturation ne contient aucune disposition de cette nature.
La société westzucker en déduit que la Commission n'est pas autorisée à suspendre l'octroi de ces primes.
Cette argumentation se heurte à plusieurs objections :
1. Ainsi que le fait observer la Commission, l'organisation commune du marché du sucre prévoit, comme c'est le cas des organisations de marché d'autres produits agricoles, deux ordres de mesures de régulation et de stabilisation du marché :
— Les unes sont obligatoires; elles s'imposent tout au long de chaque campagne et les organismes d'intervention ont le devoir de les exécuter. C'est le cas, notamment, de l'obligation d'acheter toutes les quantités de sucre oui leur sont présentées (article 9, paragraphe 1, du règlement no 1009/67) ; c'est également le cas de la perception d'un prélèvement à l'importation que la Commission est tenue de fixer en vertu de l'article 14 du même règlement.
— Les autres mesures ont un caractère facultatif; elles ne doivent être prises que si la situation du marché l'exige; c'est ainsi que, dans la mesure nécessaire, la différence entre les prix du sucre sur le marché mondial et les prix dans la Communauté peut être couverte par une restitution à l'exportation, à la condition qu'il existe des excédents exportables; de même, les organismes d'intervention peuvent octroyer des primes de dénaturation; il ne s'agit d'une obligation que si la situation du
marché exige de recourir à ce moyen de résorption de certains excédents.
2. Restitution à l'exportation et dénaturation du sucre ont, à certains égards, une fonction identique dans l'organisation commune du marché. L'une et l'autre sont, compte tenu de la situation que l'on considérait à l'époque comme structurellement excédentaire de la Communauté, des moyens propres à assurer l'écoulement du sucre, la résorption des excédents.
Mais il existe une différence entre ces deux instruments de stabilisation du marché. L'exportation correspond aussi à la nécessité de maintenir des courants commerciaux extérieurs. La dénaturation tend à donner au sucre une utilisation — l'alimentation des animaux — à laquelle il n'est pas normalement destiné et que son prix rendrait d'ailleurs impossible si cette utilisation n'était pas subventionnée; au surplus, le sucre dénaturé entre en concurrence avec les céréales fourragères.
La production de sucre blanc n'est pas destinée, en principe, à la dénaturation, alors que la production de sucre brut peut être orientée vers la dénaturation, le sucre utilisé pour l'alimentation des animaux devant, en particulier, se substituer au maïs. Comme le maïs est un produit qui, traditionnellement, constitue la base de l'alimentation du bétail, il n'est en principe pas possible de pratiquer pour le sucre dénaturé — produit concurrent — un prix supérieur à celui du maïs. Mais, d'une
façon générale, le sucre dénaturé ultérieurement est d'abord fabriqué pour une utilisation normale.
Cependant, s'il existe des excédents de sucre blanc, la dénaturation «peut représenter un débouché pour les excédents de sucre» (règlement no 2049/69), mais, dans ce cas, il faut «éviter de faire bénéficier de cette prime du sucre n'ayant pas été utilisé comme aliment pour animaux» et il est «indiqué de prendre en considération des critères objectifs tenant compte de l'utilisation la plus rationnelle en fonction de la situation sur le marché du sucre» (considérant du règlement no 768/68).
C'est dire que la dénaturation du sucre blanc doit être soumise à des conditions particulièrement strictes.
Le recours à la dénaturation ne se justifie donc que comme «ultima ratio», comme mesure de conjoncture en vue de réduire des excédents qui ne seraient pas utilisables autrement. Elle devient inutile lorsque le marché est équilibré; elle serait un non-sens économique en cas de pénurie de sucre destiné à la consommation humaine.
L'emploi de ce procédé ne peut qu'être fonction de la situation du marché. Il n'a pas un caractère permanent, obligatoire et, en quelque sorte, institutionnel.
Il est donc impossible de partager l'opinion de la requérante au principal lorsqu'elle soutient que, parmi les moyens d'éliminer les excédents, le Conseil aurait entendu attribuer la priorité à la dénaturation sur l'exportation vers les pays tiers.
Il n'y a pas, à notre avis, de hiérarchie déterminée entre restitution et dénaturation. Il appartient à la Commission d'en moduler l'emploi en fonction des données conjoncturelles, de la situation du marché, en faisant prévaloir, en tout cas, les besoins de la consommation humaine.
3. Enfin, le règlement no 768/68, par lequel le Conseil a fixé les conditions générales d'octroi de la prime de dénaturation, commence par délimiter strictement les conditions auxquelles le sucre, rendu impropre à l'alimentation humaine, peut bénéficier d'une prime de dénaturation. Il énumère ensuite les critères en fonction desquels cette prime peut être fixée. Or, parmi ces critères, il faut distinguer, notamment en ce qui concerne le sucre blanc, ceux qui n'interviennent que dans la détermination
du montant de la prime et ceux qui sont déterminants pour décider s'il y a lieu d'octroyer cette prime ou, au contraire, d'en suspendre l'application.
De l'article 2 de ce règlement, applicable au sucre blanc, il ressort en effet que la prime est fixée compte tenu :
alinéa a — du prix d'intervention pour le sucre blanc, valable dans la zone la plus excédentaire de la Communauté,
alinéa b — de montants forfaitaires pour les frais techniques de la dénaturation et les frais de transport.
Il s'agit là d'éléments d'appréciation pour la fixation du montant de la prime à un niveau plus ou moins élevé.
En revanche, les critères définis aux alinéas cet e sont tirés :
— d'une part, de la situation de concurrence prévisible, à un moment déterminé, entre le sucre dénaturé et d'autres aliments pour les animaux ;
— d'autre part, de l'ensemble des excédents de sucre disponibles pour la dénaturation dans la Communauté.
L'article 3 du règlement retient, en ce qui concerne le sucre brut, des critères analogues.
Le Conseil a, par ces critères, et spécialement le dernier, conféré à la Commission un pouvoir d'appréciation particulièrement large qui lui permet, à notre avis, de fixer à zéro unité de compte le montant de la prime si la situation du marché est telle que le recours à la dénaturation devient inutile, sinon même aberrant.
Tel serait le cas en présence d'une surproduction de produits fourragers normalement destinés l'alimentation des animaux et offerts à des prix tels que le sucre dénaturé ne pourrait entrer en concurrence avec ces produits.
Plus encore, si la production de sucre se trouvait tomber à un niveau tel qu'elle ne suffirait même pas à assurer les besoins de la consommation humaine.
Il nous paraît donc raisonnable d'interpréter la disposition inscrite à l'alinéa final de l'article 2 du règlement no 768/68 comme subordonnant l'octroi de primes de dénaturation à l'existence d'excédents de sucre utilisables pour la dénaturation sur le marché communautaire.
Dans ces conditions, soutenir — comme l'a fait la requérante au principal — que l'ensemble des critères énoncés par l'article 2 serait d'application cumulative revient à nier la différence de nature et d'objet de ces différents éléments d'appréciation.
Il convient d'ajouter que le règlement no 768/68 est, par rapport au texte de base qui régit l'organisation commune du marché du sucre — le règlement no 1009/67 —, une norme dérivée et qu'il serait illogique d'en déduire que l'octroi des primes de dénaturation, facultatif aux termes de l'article 9, paragraphe 2, du règlement de base, serait devenu obligatoire en vertu du texte d'application.
Dès lors, le fait que ce dernier règlement ne comporte aucune disposition expresse relative à la suspension de la prime de dénaturation, contrairement à ce que prévoit, pour les restitutions à l'exportation, le règlement no 768/68, est, à notre avis, sans signification quant au pouvoir de la Commission. La différence constatée entre la rédaction des deux textes ne s'explique que par cette considération que l'obligation de fixation périodique, toutes les deux semaines, des restitutions à
l'exportation n'existe pas en ce qui concerne la prime de dénaturation. Il ne s'ensuit nullement que cette derniere doive être attribuée en toutes circonstances.
III — En fixant à zéro unité de compte les primes de dénaturation du sucre, par le règlement no 354/69, la Commission s'est-elle fondée sur des faits matériellement inexacts? A-t-elle fait une appréciation erronée de la situation du marché ?
Si l'on admet que la Commission avait le pouvoir de fixer à zéro unité de compte le montant des primes de dénaturation du sucre, il nous faut maintenant rechercher si elle a agi légalement et, notamment, si elle s'est conformée aux critères prévus à l'article 2 du règlement du Conseil no 768/68.
Pour motiver sa décision, la Commission a rappelé que, lors de la fixation précédente du montant des primes de dénaturation, le 28 juin 1968 (règlement no 840/68), elle avait tenu compte, parmi les critères définis par le Conseil, des excédents de sucre alors disponibles pour la dénaturation dans la Communauté; elle a ensuite constaté que la situation dans le secteur du sucre est «actuellement caractérisée par un assainissement; que, pour les excédents, ont été délivrés soit des certificats
d'exportation, soit des titres de primes de dénaturation; qu'il est, dès lors, nécessaire de tenir compte de cette situation en réduisant les primes de dénaturation à zéro».
Aux dires de la requérante au principal, ces motifs seraient erronés en fait; ils ne seraient pas conformes à la situation réelle du marché à la date du 26 février 1969 ; le bilan d'approvisionnement provisoire du sucre, arrêté le 18 février, soit quelques jours plus tôt, et à partir duquel la Commission a arrêté sa décision, comporterait des éléments chiffrés inexacts. C'est en lui présentant des informations non conformes à la réalité et en faisant, au surplus, une interprétation tendancieuse de
ces éléments que la Commission aurait obtenu l'accord du comité de gestion pour suspendre, en fait, l'octroi des primes de dénaturation. Selon la société Westzucker, l'état des approvisionnements en sucre dans la Communauté, à la date d'intervention du règlement litigieux, ne permettait en aucune manière d'affirmer que la situation était assainie et que la résorption des excédents pourrait être assurée sans recourir à l'octroi de nouvelles primes de dénaturation.
Elle fait état à ce sujet des bilans établis par les services de la Commission, non seulement en février 1969, mais le 30 janvier précédent et le 18 mars suivant, pour en déduire que la Commission aurait artificiellement, et pour les besoins de sa politique, majoré les données prévisionnelles relatives au stock de jonction au détriment des prévisions concernant la dénaturation.
Il faut rappeler, pour la compréhension de cette thèse, que, pendant chaque campagne sucrière, en l'espèce du 1er juillet 1968 au 30 juin 1969, la situation initiale du marché et son évolution sont traduites dans des bilans mensuels qui, partant des stocks constatés au début de la campagne, font état des prévisions de production communautaire d'une part, de consommation intérieure d'autre part, et retiennent également des hypothèses prévisibles d'exportation vers les pays tiers et de dénaturation du
sucre, de telle sorte qu'en fin de campagne doit normalement subsister un stock égal en principe aux 4/13 de la quantité garantie fixée par le Conseil pour la campagne considérée, soit trois mois de réserve. Ce stock est destiné notamment à assurer la jonction avec la campagne suivante. En 1968, le Conseil avait, par un règlement no 432/68, fixé la quantité de base garantie à 6594000 tonnes. Le stock final disponible au 30 juin 1969 devait se situer, selon la société Westzuk- ker, à 2029000 tonnes.
Les quantités globales de sucre disponibles (soit essentiellement le stock prééxistant au 1er juillet 1968, plus la production communautaire, plus les importations en provenance des pays tiers) étant demeurées stables au niveau de 9150000 tonnes environ, la consommation de sucre pour l'alimentation humaine ayant également fait l'objet d'une prévision qui n'a pas varié au cours de la campagne, soit 5935000 tonnes, la différence entre ces deux chiffres, donc 3215000 tonnes, représente, d'une part, le
stock de jonction qui devait exister au 30 juin 1969, d'autre part, les excédents susceptibles soit d'être exportés hors de la Communauté, soit d'être dénaturés.
Or, si, dans le bilan d'approvisionnement du 30 janvier 1969, les exportations ont été inscrites pour une prévision de 754000 tonnes et la quantité totale de sucre à dénaturer pour 416000 tonnes, il ressort du bilan dressé le 18 mars, soit trois semaines après que la Commission eut pris la décision de suspendre l'octroi des primes de dénaturation, que le chiffre prévisionnel relatif au tonnage de sucre à dénaturer avait été abaissé à 314000 tonnes, marquant donc une baisse de l'ordre de 100000
tonnes, tandis qu'au contraire le stock de jonction, comptabilisé pour 2051000 tonnes à fin janvier, était augmenté à 2172000 tonnes.
Les chiffres inscrits sous la même rubrique au bilan d'approvisionnement du 18 février 1969 étaient respectivement de 426000 tonnes pour la dénaturation et de 2029000 tonnes pour le stock disponible en fin de campagne.
La société Westzucker en déduit que la Commission a, de manière arbitraire, diminué le tonnage initialement prévu pour la dénaturation et a transféré la quantité ainsi soustraite à cette utilisation sous la rubrique «stock final».
Elle aurait ainsi majoré le stock final en méconnaissance des prescriptions du règlement no 432/68 du Conseil qui imposeraient de le limiter au 4/13 de la quantité de base garantie fixée pour la campagne sucrière en cours.
Ces affirmations se déduisent de la lecture des bilans d'approvisionnement, mais nous ne pensons pas qu'il soit possible d'en tirer, sur le plan du droit, les conséquences que la requérante au principal prétend en déduire.
En effet, les documents sur la base desquels la Commission peut régulièrement apprécier la situation du marché et, en définitive, fonder sa politique de conjoncture comportent
— en premier lieu, des chiffres ayant valeur de constatation (il s'agit des stocks existant au premier jour de la campagne) et des quantités de base fixées par le Conseil ;
— en second lieu, des chiffres prévisionnels d'une fiabilité d'ailleurs assez élevée parce qu'ils sont tirés de données relativement stables, peu susceptibles de modifications d'une certaine amplitude au cours de la campagne: ce sont les prévisions de production et de consommation ;
— enfin, des chiffres également prévisionnels mais sensiblement moins fiables dans la mesure où ils sont liés, d'une part, à la conjoncture, d'autre part, à la réalisation effective d'opérations qui dépendent en définitive de la volonté des agents économiques, à savoir les exportations et la dénaturation.
Si la Commission avait fonde sa décision sur des éléments de constatation, inexacts, cette décision serait à coup sûr entachée d'une erreur matérielle flagrante et, partant, illégale. Mais un tel grief ne peut, à notre avis, être retenu si la Commission s'est fondée sur de simples prévisions qui, au moment où elle a pris sa décision, étaient plausibles et ne se sont révélées inexactes qu'ultérieurement.
Or, c'est bien ce qui s'est passé. Dans les bilans des 30 janvier et 18 février 1969, les quantités de sucre à dénaturer avaient été évaluées respectivement à 416000 puis à 426000 tonnes; mais la Commission a constaté, le 26 février, lorsqu'elle a décidé de suspendre provisoirement l'octroi des primes de dénaturation, que les titres de primes déjà délivrés représentaient une quantité de 407000 tonnes qui épuisaient en pratique les prévisions des bilans en ce domaine.
Or, comme elle le fait observer, la situation des approvisionnements permettait à cette époque de conclure que les divers besoins prévisibles jusqu'à la fin de la campagne, y compris la dénaturation, seraient tout juste couverts, étant admis qu'un stock de jonction de l'ordre de 2000000 de tonnes était, en tout état de cause, à préserver.
D'un autre côte, sans atteindre le prix indicatif, les prix réels du sucre sur le marché communautaire avaient alors rejoint le niveau du prix d'intervention, ce qui n'a pas été contesté; ils tendaient à la hausse et certaines difficultés déjà apparues à l'achat de sucre destiné à l'alimentation humaine démontraient que le marché ne présentait plus d'excédents qui eussent justifié d'inciter à utiliser des quantités supplémentaires de sucre en vue de l'alimentation des animaux. La Commission s'est
donc fondée sur le fait qu'en prorogeant l'octroi des titres de dénaturation elle eût pris le risque de détourner de l'alimentation humaine certaines quantités de sucre au profit d'une utilisation moins rationnelle et d'ailleurs beaucoup plus coûteuse pour la Communauté.
Nous ne pensons pas que, ce faisant, elle se soit fondée sur des faits matériellement erronés: elle a tiré d'une constatation exacte — à savoir le fait que des titres de dénaturation avaient déjà été délivrés à concurrence de 407000 tonnes — la déduction qu'en l'état de la situation du marché il était opportun de suspendre, au moins provisoirement, l'octroi des primes de dénaturation.
Il nous paraît difficile de lui faire grief de n'avoir pas tenu compte, dès ce moment, du fait que toutes les quantités pour lesquelles ces titres avaient été émis n'ont pas été effectivement dénaturées. C'est seulement dans le bilan dressé quelques semaines plus tard que l'évaluation des tonnages prévisibles de dénaturation effective a dû, en l'état des informations reçues, être réduit à 314000 tonnes. En définitive, c'est d'ailleurs 352000 tonnes de sucre qui ont fait l'objet d'une dénaturation,
comme on l'a constaté en fin de campagne.
Compte tenu de la durée de validité des titres de dénaturation, soit plus de onze mois, la Commission ne pouvait, en février, évaluer d'une manière précise les quantités qui seraient en définitive réellement dénaturées; elle a donc fondé sa décision sur la seule donnée dont elle avait connaissance certaine, c'est-à-dire sur le tonnage représenté par les titres de dénaturation antérieurement délivrés.
Il convient à présent d'examiner un autre argument tiré, par la requérante, au principal, de ce qu'en fixant à zéro unité de compte le montant des primes de dénaturation, alors qu'à la même époque elle n'a pas suspendu l'octroi des restitutions à l'exportation de sucre, la Commission n'aurait pas respecté la hiérarchie qui s'imposerait entre ces deux procédés de résorption des excédents, la priorité devant être donnée à la dénaturation.
Comme nous l'avons vu, une telle hiérarchie ne résulte d'aucune disposition du règlement de base; elle ne trouve pas plus de fondement dans les règlements nos 766/68 et 768/68 du Conseil relatifs aux conditions d'octroi des restitutions à l'exportation d'une part, des primes de dénaturation d'autre part.
Si l'une comme l'autre de ces techniques contribuent à éliminer les excédents de la production communautaire, c'est à la Commission qu'il appartient, compte tenu de la situation du marché, de choisir entre les deux voies. Nous ne sommes plus ici sur le terrain de la légalité, mais, à notre avis, dans le domaine de l'opportunité qu'il appartient à la seule Commission d'apprécier.
Au demeurant, celle-ci avait deux raisons également valables de suspendre l'octroi des primes de dénaturation plutôt que d'agir sur les restitutions à l'exportation :
— la première réside dans le fait que les restitutions sont destinées à permettre l'exportation dans les pays tiers et, par la même, à maintenir des relations commerciales traditionnelles ;
— la seconde se trouve dans la comparaison du coût de chacune des mesures en cause.
Par rapport à l'exportation, l'utilisation des excédents sucriers pour l'alimentation des animaux entraîne, pour la Communauté, des charges plus élevées. Comme nous le savons, le taux de la restitution était, en février 1969, de 12,7 unités de compte aux 100 kg; elle a d'ailleurs été réduite quelques semaines plus tard à 10,9 unités de compte, alors que la prime de dénaturation était fixée, jusqu'à l'intervention du règlement no 354/69. à 14,03 unités de compte.
Dans une étude économique et technique réalisée en 1968 par l'Institut d'économie agricole de l'université de Stuttgart-Hohenheim à la demande de la Commission, il est d'ailleurs indiqué que, dans l'hypothèse de l'exportation sur le marché mondial d'une quantité excédentaire de un million de tonnes de sucre, le coût des restitutions se situerait entre 600 et 650 millions de DM.
L'utilisation du même excédent dans l'alimentation des animaux aurait coûté de 730 à 790 millions de DM. Dans cette charge doivent entrer en compte, non seulement le taux élevé de la prime de dénaturation tel qu'il était fixé à l'époque, mais également la perte de recette qui serait due à la diminution des prélèvements communautaires sur les céréales destinées aux animaux. En effet, l'utilisation du sucre dans leur alimentation a pour conséquence une réduction du déficit céréalier de la Communauté
et, par suite, des importations, sources de prélèvement.
IV — Détournement de pouvoir
Il reste alors à examiner si la Commission n'a pas été inspirée par des mobiles étrangers à la finalité des pouvoirs qui lui sont conférés, si elle n'a pas commis un détournement de pouvoir.
La requérante au principal lui reproche en effet de s'être laissée guider par deux ordres de considérations :
— elle aurait visé à faciliter à l'Italie l'acquisition de certaines quantités de sucre blanc communautaire ;
— elle aurait également permis d'augmenter, au-delà des prévisions, les exportations de sucre des Antilles françaises.
Il est exact que la République italienne a, pendant la campagne sucrière 1968-1969, procédé à d'importants achats de sucre dans les autres États membres en vue de satisfaire les besoins de la consommation intérieure et l'obligation mise à sa charge d'exporter, avant le 1er juillet 1969, la quantité de sucre blanc excédant son quota de base.
Sur le second point, la Commission reconnaît qu'il y a eu, pendant la période considérée, une augmentation des exportations de sucre des Antilles, mais elle explique cet accroissement par les conditions particulièrement favorables de l'opération.
Ces considérations n'ont pas, à notre avis, joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission qui s'est fondée, comme elle devait le faire, sur la situation globale du marché communautaire du sucre et a estimé qu'il convenait de suspendre temporairement l'aide à la dénaturation plutôt que de porter atteinte aux exportations.
Toutefois, en admettant même que ces considérations soient allées dans le sens de sa décision, il ne nous parait pas qu'on puisse les regarder comme étrangères aux fins de l'organisation commune de ce marché. Rappelons que cette organisation doit, en premier lieu, viser à maintenir et à accroître le niveau de vie des agriculteurs intéressés et non à garantir les entreprises qui font dénaturer le sucre.
Le règlement no 1009/67 organise un régime transitoire pour la période allant de la campagne sucrière 1968-1969 à la campagne 1974-1975. Ce régime, caractérisé par l'institution de mécanismes de contingentement et de répartition de la production, a été instauré afin de limiter la production communautaire et de promouvoir sa spécialisation régionale, tout en garantissant un niveau minimal de production, même pour les régions les moins aptes à la production sucrière, le territoire italien étant
considéré comme l'une de celles-ci.
Si l'article 22 du règlement no 1009/67 prévoit que le régime définitif pourra être encore assorti de certaines modalités, mais qu'il ne pourra comporter aucune discrimination entre les producteurs de la Communauté, c'est bien, semble-t-il, admettre et légitimer l'existence de certaines dérogations substantielles à ce principe durant la période transitoire.
La situation des Antilles, comme à présent celle du Commonwealth britannique, était une donnée dont les auteurs des règlements de base devaient tenir compte. La production de sucre de canne présente une particulière importance pour l'économie des départements français de la Guadeloupe et de la Martini que et l'intervention du Fonds européen orientation et de garantie agricole a d'ailleurs été expressément étendue à ces départements qui sont considérés, à cet égard, comme faisant partie intégrante de
la Communauté. C'est ainsi que, selon l'article 9, paragraphe 5, du règlement no 1009/67, certaines mesures peuvent être prises en cas de difficultés dans l'écoulement des sucres produits dans les départements français d'outre-mer.
De même, bien que le but des auteurs de ces règlements ait été de permettre une meilleure adaptation de la production et un début de spécialisation régionale entre États membres, ils ont voulu éviter la disparition brutale des industries non rentables de certains de ces Etats. C'est ainsi que l'article 34 du règlement no 1009/67 prévoit la possibilité, pour la République italienne, d'accorder jusqu'en 1975 aux producteurs italiens de betteraves et de sucre des «aides d'adaptation».
La seule question qui pourrait se poser serait alors de savoir si la Commission n'a pas illégalement sacrifié les intérêts de la dénaturation à l'exportation de sucre des Antilles et à la situation particulière de l'Italie. Ce ne serait le cas que si le règlement litigieux avait eu spécifiquement et uniquement cet objet. Mais il n'en est rien. Ce règlement était fondé sur une appréciation économique plausible et sur la technique même des bilans prévisionnels. S'il a eu également et accessoirement
pour résultat de soulager la production des Antilles et l'économie sucrière italienne, nous ne voyons là aucun motif d'invalidité.
V — Entrée en vigueur immédiate du règlement no 354/69
Nous pouvons aborder à présent la deuxième question posée par la cour administrative de Hesse, relative à la validité de l'article 2 du règlement litigieux qui a fixé au 27 février 1969 la date d'entrée en vigueur du règlement, soit le jour même de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes.
Selon la requérante au principal, une telle disposition eût exigé une motivation particulière que la Commission s'est abstenue de donner. Ce défaut de motivation entraînerait l'invalidité du règlement lui-même.
Cet argument est sans valeur.
Aux termes de l'article 191 du traite de Rome, les règlements entrent en vigueur à la date qu'ils fixent. Le traité confère à l'institution dont émane un règlement le pouvoir d'y préciser la date d'entrée en vigueur et c'est seulement à défaut d'une telle précision que ce règlement n'entre en vigueur, en vertu de l'article 191, que le vingtième jour suivant sa publication au Journal officiel.
Par votre arrêt du 13 décembre 1967 (affaire 17-67, Neumann, Recueil, 1967, p. 592), vous avez admis qu'une institution n'est pas tenue d'indiquer explicitement les motifs à raison desquels elle a fixé l'entrée en vigueur d'un règlement au jour de sa publication. Mais vous avez précisé que «cette large liberté accordée aux auteurs d'un règlement ne saurait cependant être considérée comme exclusive de tout contrôle juridictionnel, notamment à l'égard d'un éventuel effet rétroactif» et ajouté qu'une
institution «ne pourrait, sans porter atteinte à un légitime souci de sécurité juridique, recourir sans motif au procédé de la mise en vigueur immédiate».
En d'autres termes, il n'existe pas d'obligation de motivation formelle, mais vous vous réservez le pouvoir de vérifier si, en raison des dispositions édictées, il y a «des raisons sérieuses de considérer que tout délai entre la publication et l'entrée en vigueur du règlement aurait pu être préjudiciable à la Communauté».
Faisant application de ce critère jurisprudentiel, nous pensons que le report, même limité à quelques jours après sa publication, du règlement no 354/69 eût comporté le risque que ce texte fût complètement dépourvu d'efficacité.
Que se serait-il passé, en effet, dans une telle hypothèse ?
Il n'est pas contestable que les entreprises intéressées eussent, dès la publication du règlement, mis à profit ce délai, même bref, pour déposer en hâte des demandes de titres de dénaturation, afin de bénéficier du taux favorable précédemment fixé. Elles auraient eu d'autant plus intérêt à le faire que, dans l'ignorance où elles se trouvaient à la fois de l'époque à laquelle la Commission estimerait possible de mettre fin à la suspension temporaire de l'aide à la dénaturation et du montant de la
prime qui serait alors fixé, l'incitation eût été très grande pour elles d'obtenir la délivrance, par précaution et en quelque sorte «en réserve», de titres de primes de dénaturation.
Ainsi, selon toute probabilité, un afflux de demandes auxquelles les organismes d'intervention n'auraient pu que faire droit sur la base de la réglementation antérieure eût privé d'effet la décision de la Commission.
En conséquence, des quantités, sans nul doute importantes, de sucre eussent été détournées de la consommation humaine vers une utilisation exceptionnelle, dont la Commission avait estimé que la situation du marché ne justifiait plus l'emploi. La mise en vigueur immédiate du règle ment no 354/69 s'imposait donc, eu égard à son objet même.
N'eût-il pas été possible, dans ces conditions, afin de ménager les intérêts des entreprises de dénaturation, de tenir compte des engagements qu'elles avaient déjà pris envers les fabricants d'aliments pour animaux à des conditions financières déterminées en fonction du montant alors applicable de la prime de dénaturation ?
C'est le problème que soulève la requérante au principal en soutenant que rien n'eût empêché la Commission d'autoriser l'octroi de titres de dénaturation sur la base de la règlementation antérieure, lorsque du moins la preuve serait apportée que les demandes concerneraient l'exécution de contrats conclus avant le 27 février 1969.
Cette argumentation pose la question de savoir si le règlement avait une portée rétroactive et. par suite, illégale.
Ce n'est pas notre opinion. Ce règlement n'a porté aucune atteinte aux droits que les titulaires de titres de dénaturation avaient acquis avant son entrée en vigueur. Il se bornait à faire obstacle, pour l'avenir, à la délivrance de nouveaux titres. La Commission n'était nullement tenue d'instituer des mesures transitoires en faveur de ceux des industriels qui auraient pris des engagements en spéculant sur la pérennité du régime des primes de dénaturation; elle n'était pas liée par les contrats
commerciaux qu'ils avaient conclus sous l'empire d'une réglementation antérieure dont l'une des caractéristiques est d'être modifiable à tout moment.
Aussi bien, le grief d'atteinte illégale à des droits acquis n'aurait-il pas plus de consistance dans l'hypothèse où, sans suspendre l'octroi des primes de dénaturation, la Commission se serait bornée à en diminuer le montant.
Ajoutons qu'en fait la longue durée de validité de ces titres garantissait aux sucreries et entreprises de dénaturation ainsi qu'aux fabricants d'aliments pour les animaux la possiblité de conclure des transactions sur des bases suffisamment sûres et stables, pourvu du moins que ces contrats ne fussent négociés qu'après délivrance des titres ouvrant droit à la prime.
VI — Validité du règlement no 833/68 de la Commission
La troisième et dernière question soumise par le juge allemand a trait au règlement no 833/68 par lequel la Commission a fixé diverses modalités d'application concernant la dénaturation du sucre en vue de l'alimentation animale et, particulièrement en son article 2, les conditions de forme auxquelles doivent répondre les demandes d'octroi de primes de dénaturation présentées aux organismes d'intervention nationaux.
Après avoir énuméré les indications que les demandes doivent obligatoirement contenir, soit :
— nom et adresse du demandeur,
— nature et quantité de sucre à dénaturer,
— Etat membre ou la dénaturation aura lieu,
ce texte ajoute :
«Les Etats membres peuvent exiger des indications supplémentaires».
C'est sur la validité de cette disposition que le juge du fond vous demande de vous prononcer.
Comme vous l'avez constaté en de nombreuses occasions, une telle autorisation est usuelle dans les règlements relatifs aux organisations communes de marchés agricoles.
Elle est inhérente aux conditions mêmes dans lesquelles l'application concrète des règlements communautaires est assurée par les organismes compétents des États membres, en l'absence d'une infrastructure administrative propre à la Commission.
Cette situation implique que les Etats soient autorisés à prendre, conformément à leur droit interne et à leurs procédures administratives propres, des mesures complémentaires.
Dénier à la Commission, comme le fait la requérante au principal, le pouvoir de conférer aux Etats membres une telle compétence d'exécution, c'est méconnaître cette nécessité inéluctable. En déléguant à la Commission le pouvoir d'arrêter les conditions d'octroi des primes, par l'article 9, paragraphe 8, du règlement no 1009/67, le Conseil n'a en aucune manière entendu faire obstacle à ce que des mesures de pure exécution puissent être décidées par les Etats membres eux-mêmes, à condition — comme
vous l'avez rappelé récemment dans uni arrêt du 30 novembre 1972 (affaire 32-72, Wasaknäcke) — que la faculté reconnue aux autorités nationales soit limitée à des mesures complémentaires, non suceptibles de déroger aux règles communautaires essentielles pour le fonctionnement des mécanismes d'organisation d'un marché agricole.
En l'espèce, la commission s'en est tenue à reconnaître aux Etats le droit de prendre des mesures de pure forme dans le cadre de la procédure de délivrance dès titres de dénaturation.
Elle n'a nullement excédé ses pouvoirs et la validité de la disposition en cause nous paraît indiscutable.
Il n'en serait autrement que si la Commission avait entendu subordonner l'existence du droit à la prime de dénaturation au respect des exigences supplémentaires de procédures édictées par les autorités nationales; mais il n'en est rien.
Quant au décret pris, le 8 août 1968, par le ministre allemand de l'alimentation, de l'agriculture et des forêts, comme la réglementation communautaire lui en ouvrait la possibilité, il a pour objet d'exiger des demandeurs de titres de dénaturation qu'ils présentent leurs demandes selon un formulaire type et ajoute aux mentions requises par le règlement no 833/68 l'indication de l'entreprise de dénaturation et de l'entreprise ayant fourni le sucre.
Dans l'hypothèse même ou l'administration allemande aurait fait dépendre de ces indications supplémentaires la recevabilité de la demande, et par conséquent le droit à la prime de dénaturation, la seule conséquence en serait que le décret interne, alors contraire au droit communautaire directement applicable, encourrait, par ce motif, la censure des juridictions nationales. Mais la validité du règlement no 833/68 n'en serait pas affectée.
En réalité d'ailleurs, il semble établi, ainsi que l'a affirmé l'agent de la Commis sion, que l'organisme d'intervention allemand considère comme recevable, comme il le doit, toute demande conforme au seul règlement communautaire et que les mentions complémentaires visées par le décret du 8 août 1968 peuvent être valablement fournies, postérieurement à la demande, à titre de régularisation.
Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que l'examen des questions posées ne révèle aucun élément de nature à affecter la validité des articles 1, paragraphe 1, et 2 du règlement de la Commission no 354/69, ni de l'article 2, paragraphe 2, 2e phrase, du règlement dè la Commission no 833/68.