CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,
PRÉSENTÉES LE 9 JUILLET 1974 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Le 3 novembre 1971 la Commission a publié cinq avis de concours internes qui étaient rédigés dans les mêmes termes, sauf sur un point. Chaque avis mentionnait que le concours qu'il concernait serait un concours à la fois sur titres et sur épreuves et qu'il aurait pour objet la constitution d'une réserve pour le recrutement ultérieur d'administrateurs dans les grades A 6 et A 7. Il ne fait aucun doute qu'en effectuant ces concours, la Commission ait eu pour objectif principal d'ouvrir des carrières
dans la catégorie A à des membres chevronnés de son personnel de catégorie B.
La différence entre les avis réside dans la description des tâches qu'auraient à accomplir les candidats sélectionnés. Chaque concours concernait des fonctionnaires qualifiés dans un certain domaine, ainsi:
COM/A/264 — juridique et administratif
COM/A/265 — économique
COM/A/266 — finances et comptabilité
COM/A/267 — social
COM/A/268 — agricole et technique
Dans chaque domaine, les candidats disposaient d'un choix de sujets (dits «options») sur lesquels, ils pouvaient demander à être examinés oralement dans le cadre des épreuves.
La publication de ces avis de concours était consécutive à une décision de la Commission prise lors de la séance du 12 juillet 1971. La Commission a produit à la Cour l'extrait du procès-verbal qui présente de l'importance en la matière, en réponse à une question posée à l'audience à son avocat par M. le juge rapporteur. Comme le révèle sa lecture, la décision originale était d'effectuer 6 concours. La façon dont ce nombre s'est trouvé réduit à 5 n'apparaît pas de façon précise, mais nous ne pensons
pas que cela ait une quelconque importance.
A l'époque entrant en considération, les requérants dans ces trois affaires étaient tous des fonctionnaires de catégorie B de la Commission. Deux d'entre eux, Mlle Campogrande (affaire 112-73) et Mme Bouyssou (affaire 145-73), n'ont pas vu leur candidature couronnée de succès dans le concours COM/A/264. Le troisième, M. De Vleeschauwer (affaire 144-73), a été un candidat malheureux dans le concours COM/A/265. Chacun d'entre eux met en cause les résultats de ces concours et demande leur annulation
pour un certain nombre de motifs.
Il nous faut, pensons-nous, mentionner que, tandis que Mlle Campogrande et M. De Vleeschauwer sont encore à ce jour fonctionnaires de catégorie B de la Commission, Mme Bouyssou effectue actuellement un stage au Conseil, en grade LA 7. Lorsqu'à l'issue de la procédure écrite, la Cour a posé certaines questions aux parties, il lui a été demandé de dire pourquoi, en ces circonstances, elle conservait un intérêt dans cette affaire. Vous disposez, Messieurs, de ses réponses et elles nous semblent
suffisantes. Elle affirme, en particulier, que sa formation et son expérience la qualifient mieux pour un poste administratif que pour un poste de traducteur, et qu'un poste administratif à la Commission offre plus de possibilités de promotion que le service de traduction du Conseil.
Parmi ces mêmes questions, l'une, adressée à Mlle Campogrande, avait pour but de résoudre la question de savoir si elle s'était conformée à l'article 90, paragraphe 2, du statut du personnel avant d'introduire son recours devant la Cour. Sa réponse et les documents qui y sont annexés, montrent que sa réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, a été introduite le 6 septembre 1972, et qu'aucune réponse ne lui a été donnée au cours de la période de quatre mois prévue par cet article. Son
recours, tel qu'il a été introduit au greffe de la Cour le 22 mars 1973, est, par conséquent valable.
Pour affirmer que les concours devaient être annulés, les trois requérants s'appuient en premier lieu sur le fait qu'aucun des avis de concours ne spécifiait de limite d'âge ou faisait état de l'absence d'une limite d'âge. Messieurs, il se pourrait bien que si l'état du droit était aujourd'hui le même que lorsque la Cour (première chambre) a rendu l'arrêt dans l'affaire 78-71 (Costacurta contre Commission, Recueil 1972, p. 162), il eut fallu faire droit à cette objection.
Vous vous rappellerez, Messieurs, que l'arrêt dans l'affaire 78-71 a été rendu le 22 mars 1972. En raison de son contenu, la Commission a publié précisément une semaine après, c'est-à-dire le 29 mars 1972, dans le Courrier du personnel, une communication selon laquelle l'omission dans les avis de concours litigieux d'une quelconque mention relative à la limite d'âge, signifiait qu'elle considérait qu'aucune limite d'âge ne s'imposait. A cette époque toutefois, non seulement la liste des candidats
qui devaient prendre part au concours avait été dressée, mais les épreuves écrites s'étaient déroulées, de telle sorte qu'on peut très bien arguer de ce que, conformément à l'enseignement de l'arrêt Costacurta, il était alors trop tard pour remédier rétroactivement aux défauts inhérents aux avis de concours.
Toutefois le droit n'est pas demeuré statique Le 30 juin 1972, le Conseil a adopté le règlement Euratom, CECA, CEE no 1473/72 rendant discrétionnaire la mention d'une limite d'âge dans un avis de concours. Le 15 mars 1973, la deuxième chambre a rendu l'arrêt dans l'affaire 37-72 (Marcato contre Commission, Recueil 1973, p. 361), dans lequel elle a refusé d'annuler un avis de concours en raison de l'absence de toute référence à une limite d'âge bien que cet avis ait été publié avant le 30 juin 1972.
Elle l'a fait pour deux motifs. Le premier était que le seul résultat qu'aurait pu avoir l'introduction d'une limite d'âge était soit l'élimination du requérant lui-même du concours, ce qui aurait été directement contraire à ses intérêts, soit l'élimination d'autres candidats, éventuellement qualifiés, ce qui, en la circonstance, ne pouvait être estimé comme étant son intérêt légitime. Messieurs, nous ne sommes pas sûr que cette solution soit facilement conciliable avec le raisonnement tenu par
cette chambre dans l'affaire Costacurta. Il existe au minimum trois éventualités. L'une d'entre elles est bien entendu l'incompatibilité effective de cette solution avec l'arrêt Costacurta. La seconde est la diversité sur certains points des affaires Costacurta et Marcato. La troisième est que les faits sous-jacents à la présente espèce permettent de la distinguer des deux autres, peut-être parce qu'elle concerne des concours visant à la constitution de réserves ou en raison de l'annonce faite par
la Commission le 29 mars 1972. Nous ne pensons pas, pour notre part, qu'il soit nécessaire de résoudre ce problème, pour la raison que nous avons indiquée. Le deuxième motif sur lequel la deuxième chambre appuie sa décision était que, étant donné l'amendement introduit par le règlement no 1473/72, l'annulation de l'avis de concours ne présentait aucun intérêt pour le requérant.
Cela nous paraît, avec tout le respect voulu, manifestement exact. La Commission ayant clairement indiqué, dans cette affaire comme en l'espèce, qu'elle ne considérait pas qu'une limite d'âge quelconque s'imposât, la seule conséquence possible de cette annulation était l'organisation d'un autre concours, à nouveau sans aucune référence à une limite d'âge quelconque. L'opinion à laquelle s'est rangée la deuxième chambre nous semble être la seule compatible avec le principe selon lequel une
juridiction ne doit pas rendre de jugements inutiles, principe dont la racine, en droit anglais, se trouve dans la maxime pittoresque, quoique légèrement inexacte, de l'ancienne «Court of Chancery»:
«L'équité, comme la nature, ne fait rien en vain».
Nous conclurons donc au rejet du premier moyen avancé par les requérants.
Leur second moyen est, en une phrase, que les jurys des cinq concours n'ont pas tous apprécié les candidats en fonction des mêmes critères. Les requérants ne vont pas jusqu'à affirmer qu'il y ait eu en réalité un seul concours, déguisé en cinq concours différents. Leur thèse est que les cinq concours étaient destinés à aboutir, et ont abouti, à une seule liste d'aptitude et que, cela étant, des mesures auraient dû être prises de façon à s'assurer que les mêmes critères étaient appliqués aux
candidats des cinq concours.
Messieurs, nous pensons que cet argument repose sur une erreur. Ou bien, les concours devaient effectivement avoir pour résultat une seule liste, sur laquelle des candidats seraient ensuite choisis pour être promus aux postes disponibles, sans qu'il soit tenu compte du concours ou des concours dans lesquels ils avaient été lauréats, auquel cas c'était une erreur de faire cinq concours: il aurait dû y avoir un seul concours avec un seul jury. Ou bien les concours devaient avoir effectivement pour
résultat, et ont eu pour résultat, cinq listes séparées, chacune incluant les candidats qualifiés dans les domaines particuliers visés par le concours correspondant, et dans cette hypothèse, ce qui a été fait ne prête pas à critique.
Bien entendu, les concours n'étaient pas absolument distincts. Ils ont été effectués à la suite d'une seule décision de la Commission. Ils ont été annoncés simultanément dans le Courrier du personnel (annexes 3 et 4 à la duplique dans chaque affaire). Ils poursuivaient un objectif commun, qui était d'ouvrir la catégorie A à des fonctionnaires d'autres catégories. Les avis de concours étaient rédigés dans les mêmes termes, à l'exception du domaine visé par chaque concours. Les épreuves écrites
étaient les mêmes pour les cinq concours et les résultats des concours ont été annoncés simultanément dans le Courrier du personnel le 26 juin 1972, les noms des lauréats étaient portés sur une liste alphabétique, avec mention, en regard du nom de chacun de ces candidats, du ou des concours dans lequel il avait remporté un succès (annexe 9 à chaque duplique). Mais le fait demeure qu'il y a eu cinq concours différents, avec des jurys différents et recouvrant des domaines différents.
A notre avis il ne saurait faire de doute que les jurys ont entrepris de faire tout ce qui était raisonnablement et légalement en leur pouvoir pour harmoniser leurs critères conformément à ce qu'avait effectivement envisagé la décision originale de la Commission (paragraphe 2 (e) du procès-verbal de la séance du 22 juillet 1971). Les représentants des jurys ont tenu trois séances à cet effet. Les procès-verbaux de ces séances vous ont été soumis, Messieurs (annexe I à chaque duplique) et ils parlent
d'eux-mêmes. A notre avis, le paragraphe 1 du procès-verbal de la première séance, qui rapporte l'opinion des personnes présentes selon lesquelles «les jurys, tout en étant indépendants, devraient harmoniser le déroulement des travaux dans toute la mesure du possible… afin d'aboutir à des listes d'aptitude de qualité comparable», est particulièrement significatif. A notre avis, le vrai grief qu'avancent les requérants est que, dans les faits, cet objectif n'ait pas été atteint. Qu'il n'ait pas été
atteint est d'ailleurs l'opinion de M. Krauss, qui était le président du jury du concours COM/A/264 et qui a présidé ces séances «d'harmonisation»: voir sa lettre du 22 août 1972 à M. de Groote (annexe 6 (b) aux réponses de la Commission aux questions posées par la Cour) à laquelle les requérants se sont largement référés.
Mais, Messieurs, le point de savoir si cet objectif a été atteint ou non ne revêt aucune importance en droit. Étant donné qu'il y avait cinq concours séparés, couvrant des domaines différents, un candidat à un concours n'avait aucun droit en ce qui concerne la façon dont se sont déroulés les autres concours, dans lesquels il n'était pas candidat. Le statut du personnel ne saurait servir de fondement au concept de concours «global» ou «lié», avancé par l'avocat des requérants avec une telle éloquence
et une telle persistance.
La seule question est par conséquent une question de fait. Les concours ont-ils abouti à la constitution d'une seule réserve, où les candidats à la promotion pouvaient être choisis sans discrimination, ou ont-ils abouti à la constitution de cinq réserves séparées? A notre avis, la manière dont les résultats ont été publiés dans le Courrier du personnel ne revêt aucune importance, bien qu'il soit compréhensible que certaines personnes (y compris, apparement, les requérants) aient été induites en
erreur de ce fait. Nous savons qu'en réalité, ainsi qu'on aurait pu s'y attendre, chaque jury a dressé sa propre liste de lauréats (annexes au mémoire en défense), et il a été affirmé, au nom de la Commission, que les gens étaient choisis sur ces listes pour être promus lorsque des postes venaient à être vacants.
Comme on ne connaît les choses qu'après les avoir goûtées, la Cour a demandé à la Commission de produire la liste des nominations qui ont eu lieu parmi les lauréats, en indiquant, dans chaque cas, le concours ou les concours que les candidats en question ont passés avec succès, et l'«option» ou les «options» qu'ils avaient choisies. Cette liste a été dûment communiquée par la Commission, avec un fascicule contenant les avis de vacance relatifs aux postes en question (annexe 8 aux réponses de la
Commission aux questions posées par la Cour).
A l'audience, l'avocat des requérants a produit, en leur nom, une analyse de cette liste présentée sous forme de tableau. Il en ressort que, dans le cas de 53 sur 68 nominations figurant sur la liste, les requérants ne contestent pas que le poste auquel le candidat avait été nommé se soit trouvé dans le domaine visé par le concours dans lequel il avait été lauréat, ou bien que la nomination s'explique à la lumière des qualifications particulières de la personne concernée. Dans 15 cas toutefois, les
requérants mettent en cause le caractère adéquat du sujet du concours dans lequel la personne nommée a été lauréat, par rapport aux tâches à remplir dans le poste auquel elle a été promue. L'analyse en question a été fournie trop tard à l'avocat de la Commission pour qu'il soit en mesure d'avoir des indications sur ces quinze cas, bien qu'il ait cherché à l'audience à en traiter certains d'entre eux de mémoire. Messieurs, nous avons examiné les quinze cas, comparant pour chacun d'entre eux, la
description des tâches à remplir dans le poste en question, telles qu'elles figurent dans les avis de vacance y relatifs, avec la description du domaine couvert par le concours dans lequel la personne nommée a été lauréat, de même qu'avec l'option ou les options choisies, par lui ou par elle, dans ce concours. Nous arrivons à ce résultat qu'il nous semble que dans 9 cas sur les 15, la connexion est parfaitement manifeste, dans quatre elle l'est relativement et ce n'est que dans deux cas qu'elle ne
l'est pas.
A la lumière de cette évidence, il nous semble qu'il y a lieu de soutenir la Commission lorsqu'elle affirme que les concours avaient pour but et ont en fait abouti à la constitution de cinq réserves distinctes. Dans cette situation, le second moyen avancé au nom des requérants doit être rejeté.
Concurrement, doit aussi être rejeté leur troisième moyen qui est fondé sur le fait que, à ce qu'ils prétendent, le jury dans le concours COM/A/268 a accepté que des candidats à ce concours présentent l'anglais comme deuxième langue, bien que ce ne fut pas alors une langue officielle des Communautés. Les requérants ne peuvent avancer un moyen fondé sur ce qui a pu se passer dans un concours dans lequel aucun d'entre eux n'a été candidat. Nous reviendrons dans un moment sur l'affirmation selon
laquelle l'un des candidats a été autorisé à présenter l'anglais dans le concours COM/A/264.
Nous pensons toutefois qu'il convient de traiter à ce stade de deux autres griefs avancés par M. De Vleeschauwer et Mme Bouyssou, encore qu'ils ne le soient pas par Mlle Campogrande, à propos du déroulement du concours COM/A/268. L'un de ces griefs est que le jury de ce concours a utilisé un système de notation différent de celui utilisé par les autres jurys. L'autre est que, trois des candidats à ce concours auraient été aidés dans leur préparation au concours par des membres du jury. Que ces
allégations soient exactes ou non, à notre avis elles ne sont pas pertinentes.
Le quatrième moyen avancé conjointement par les requérants soulève, à notre avis, plus de difficultés. Il est prétendu en leur nom, qu'à un certain moment, des instructions ont été données aux présidents et membres des jurys de façon a limiter, autant que possible, le nombre des lauréats, pour laisser la place pour le recrutement du personnel originaire des nouveaux États membres par voie de concours externes, et que cela a entraîné des manipulations dans les notes de certains candidats.
Les preuves réelles relatives à cet aspect de l'affaire sont minces.
Il ressort du procès-verbal de la séance du 22 juillet 1971, qu'au cours de cette séance, la Commission a également décidé de procéder à des concours externes, dont les détails devraient être arrêtés par la suite. Les termes du paragraphe 4b du procès-verbal qui nous intéresse sont les suivants:
«La Commission indiquera au jury de chaque concours (interne et externe) le nombre approximatif de candidats qui devraient être inscrits sur la liste d'aptitude, de manière à ce que les listes de réserves internes et externes puissent être épuisées dans les délais raisonnables».
La lettre adressée par M. Krauss à M. de Groote que j'ai déjà mentionnée, et qui a été écrite à la suite d'une enquête de M. Lahnstein, directeur du cabinet d'un membre de la Commission, contient ce passage important:
«Par ailleurs, on ne peut pas dire qu'il y avait des interventions en vue de limiter le nombre de candidats sur la liste d'aptitude. Lors d'un déjeuner de travail, auquel ont participé M. Coppé», qui était, à l'époque, le membre de la Commission responsable du personnel et de l'administration, «son chef de cabinet et les présidents des jurys, M. Coppé, répondant à ma question, a donné une certaine estimation des postes disponibles, par ailleurs de loin inférieurs au nombre de candidats mis ensuite
sur les listes d'aptitude. Lorsqu'il y avait des indications que les jurys ne tiendront pas compte des chiffres évalués par M. Coppé, il y avait encore un entretien avec M. Cardon de Lichtbuer», qui était directeur du cabinet de M. Coppé, «qui est resté sans aucune suite de la part des jurys oui ont insisté sur leur indépendance. En conclusion, je pense qu'il s'impose de répondre à M. Lahnstein qu'il n'y avait aucun numerus clausus et que par ailleurs les jurys ont agi dans l'indépendance qui leur
est non seulement garantie, mais imposée par le statut».
Les avis de concours avaient mentionné que les épreuves seraient notées de la façon suivante:
— Épreuve écrite: de 0 à 20
— Épreuve orale générale: de 0 à 20
— Épreuve orale dans l'option choisie par le candidat: de 0 à 30
— Épreuve linguistique: de 0 à 10
soit un total de 80 points dont 48 étaient nécessaires pour un succès.
Le procès-verbal des séances tenues par le jury du concours COM/A/268 (annexé au mémoire en défense), après avoir rappelé que ce jury avait décidé de répartir les lauréats en trois groupes, à savoir:
1) ceux qui avaient obtenu 61 points ou plus,
2) ceux qui avaient obtenu de 53 à 60 points,
3) ceux qui avaient obtenu de 48 à 52 points,
poursuit:
«b) avant que le jury arrête la liste d'aptitude, un débat profond s'est déroulé sur les exigences à demander à un fonctionnaire de catégorie A. Des différences d'opinion très prononcées sont apparues entre le président et les autres membres du jury».
La proposition du président d'exclure de la liste tous les candidats entrant dans le 3e groupe n'a pas été partagée par les autres membres du jury.
En conséquence, le jury a fixé, à la plus grande majorité, la liste d'aptitude comportant les 28 candidats ayant obtenu une cotation minimale de 48 points sur 80 dans l'ensemble des épreuves. »
Les requérants soulignent l'absence de toute trace d'un tel désaccord dans les procès-verbaux de tous les autres jurys et suggèrent qu'il est significatif que la proportion de lauréats ait été beaucoup plus élevée dans le concours COM/A/268 que dans tous les autres concours, les chiffres étant les suivants:
COM/A/26417 sur 55,COM/A/26510 sur 64,COM/A/26612 sur 44,COM/A/2678 sur 36,COM/A/26828 sur 51.
Les requérants invitent la Cour à en déduire qu'une suggestion similaire à celle faite par le président du jury du concours COM/A/268 a été faite aux autres jurys et qu'ils l'ont traduite dans les faits en réduisant les points de certains candidats. Il est prétendu au nom de Mlle Campogrande qu'un membre du jury du concours COM/A/264 lui avait dit que sa note définitive avait été réduite de 52 à 47. De la même façon il est prétendu au nom de Mme Bouyssou qu'une certaine Mlle Dusseaux lui avait dit
savoir d'un membre du jury, Mlle de Corne, que Mme Bouyssou avait réussi. Et il est intéressant de noter que les trois requérants ont terminé avec une note de 47.
D'autre part, il existe de nombreuses autres explications possibles aux écarts entre les résultats des concours. Ainsi, les procès-verbaux des séances du jury dans le concours COM/A/267 révèlent ce qui semble avoir été une importante divergence d'opinions sur les qualités exigées d'une personne pour qu'elle soit promue en catégorie A, et M. Krauss, dans sa lettre, suggère que, si les jurys ont adopté des critères différents, c'est dans un esprit de vigoureuse indépendance.
Les requérants demandent que les membres et le secrétaire du jury dans le concours COM/A/264 et également Mlle Dusseaux, soient appelés à témoigner sur ce point. Nous supposons que la demande de M. De Vleeschauwer à cet effet, est due à une erreur et qu'il entend en réalité demander la citation des membres et du secrétaire du jury dans le concours COM/A/265.
Nous avouerons que nous n'avons pas trouvé facile de nous faire une opinion sur l'opportunité de faire droit à ces demandes.
La Commission prétend que la nature confidentielle des débats d'un jury implique que ses membres ne doivent pas être appelés à témoigner à la légère. Elle suggère qu'avant de prendre une telle mesure, il devrait y avoir au minimum un commencement de preuve indiquant que quelque chose a été faussé dans cette procédure. C'est notre avis, bien que notre opinion ne se fonde pas tant sur le caractère confidentiel que sur le motif selon lequel il serait intolérable que tout candidat malheureux dans un
concours organisé conformément au statut du personnel soit en mesure, en se bornant à faire des allégations relatives au déroulement du concours dans un recours devant la Cour, d'obliger les membres du jury à venir rendre compte de ce qu'ils ont fait.
Il nous semble toutefois que dans la présente affaire, les éléments de preuve qui existent justifient une enquête et que la Cour ne ferait peut-être pas justice aux requérants si elle rendait un jugement contre eux sans entendre les témoins qu'ils proposent. Nous pensons que M lle Campogrande et M me Bouyssou doivent être également entendues, conformément à l'article 45, (2) (a), du règlement de procédure, de façon à pouvoir préciser les circonstances dans lesquelles on leur a dit ce dont elles
prétendent avoir été informées. Nous suggérons de les entendre en premier. Nous voudrions indiquer clairement qu'à notre avis, il n'y a que deux questions qui se posent: premièrement, la question de savoir si le jury dans le concours COM/A/264 ou le concours COM/A/265 a modifié les notes de l'un quelconque des requérants, et deuxièmement, le cas échéant, si les raisons qui l'ont amené à le faire étaient justifiées. Nous ne doutons pas qu'il soit fréquent qu'un jury modifie les notes provisoires d'un
candidat au cours des délibérations, en les relevant ou en les abaissant, au point de décider d'un succès ou d'un échec, pour des raisons parfaitement justifiables.
Nous soulignons ce point parce qu'il nous semble que certains des arguments présentés au nom des requérants vont très largement en dehors de la question.
Par exemple, il a été suggéré en leur nom qu'il y avait violation du cinquième paragraphe de l'article 5 de l'annexe III du statut du personnel qui exige qu'à la clôture de ses débats, un jury inclut sur la liste d'aptitude, dans la mesure du possible, un nombre de candidats au moins double du nombre d'emplois mis au concours. Dans le cas d'un concours organisé pour pourvoir à un ou à plusieurs postes spécifiques, le but de cette disposition est clair: c'est de donner un choix à l'autorité investie
du pouvoir de nomination. Mais il ne nous semble pas possible, tant du point de vue d'une interprétation stricte que de celui de bon sens, d'appliquer cette disposition à un concours organisé en vue de constituer une liste de réserve. C'est dans la nature même d'un tel concours qu'il ny ait, stricto sensu, aucun «poste à pourvoir», bien que naturellement, le nombre des postes en cause susceptibles de devenir vacants puisse faire l'objet d'une estimation. Le point capital est que le but que poursuit
réellement un tel concours n'est pas de pourvoir un poste ou des postes spécifiques, mais de déterminer qui, parmi les candidats, pourrait être nommé à une certaine sorte de postes.
Il semble qu'en se fondant dans ce contexte sur la maxime «patere legem quam ipse fecisti», l'avocat des requérants commette également une erreur, sa suggestion étant que la Commission a modifié l'objectif original des concours. Il a été à l'audience, jusqu'à qualifier l'attitude de la Commission en la matière de son «péché majeur». Mais, bien entendu, ce qui importe dans ces affaires n'est pas ce que la Commission peut avoir fait ou ne pas avoir fait, mais ce que les jurys ont fait.
A notre avis, la suggestion selon laquelle la Commission s'est rendue coupable d'un détournement de pouvoir n'est pas plus pertinente. Il n'appartenait pas à la Commission d'exercer le pouvoir en cause. Ce pouvoir appartenait aux jurys et, ainsi que nous l'avons dit, la question est de savoir si ces jurys se sont laissés influencer par des considérations externes.
Dans leurs répliques (ils disent ne pas avoir eu connaissance de ce fait à l'époque où les recours ont été introduits), les requérants prétendent que l'un des candidats au concours COM/A/264, M. Winkler, a été autorisé à présenter l'anglais en tant que deuxième langue. Ce fait ne saurait revêtir une quelconque importance dans le cas de M. De Vleeschauwer qui n'était pas candidat à ce concours. Mais Mlle Campogrande et Mme Bouyssou ont toutes deux affirmé qu'elles auraient pu améliorer leurs
résultats si elles y avaient été également autorisées. Messieurs, à supposer que les faits soient tels qu'elles le prétendent (ce que n'admet pas la Commission), il ne nous semble pas que les droits des requérants aient été lésés en cela. Leur droit était d'avoir leurs connaissances linguistiques mises à l'épreuve sur la base des avis de concours qui exigeait une connaissance approfondie d'une des langues des Communautés et des connaissances satisfaisantes dans une des autres. Le fait qu'un autre
candidat ait subi une épreuve sur une autre base n'aurait de l'importance que si le concours avait été organisé pour pourvoir à un poste spécifique ou à des postes spécifiques et si le candidat avait remporté un succès. En fait, le concours était destiné à l'établissement d'une liste de réserve et M. Winkler n'a pas été lauréat.
A ce qu'on pourrait appeler leurs griefs communs, les requérants ajoutent des griefs individuels.
Vous vous rappellerez, Messieurs, que la première tâche d'un jury en application de l'article 5 de l'annexe III du statut du personnel est d'examiner les dossiers des candidats et de dresser la liste de ceux qui répondent aux conditions fixées par l'avis de concours. Lorsque le jury du concours COM/A/264 y a procédé, il est arrivé à la conclusion que Mlle Campogrande ne remplissait pas ces conditions. En conséquence, il l'a exclue de la liste. Elle a alors protesté, d'abord auprès de M. Krauss, et
ensuite de M. Coppé. A la suite de l'intervention de ce dernier, le jury est revenu sur sa décision et l'a portée sur la liste. Elle déplore qu'à la suite de cet incident, elle ait été informée plus tard que les autres candidats, c'est-à-dire le 22 mars au lieu du 10 mars 1972, de la documentation qu'elle devrait étudier pour se préparer aux épreuves. Cette circonstance est certes malheureuse, mais nous ne voyons pas qu'elle constitue un grief légitime. Pour le jury, la seule alternative eut été de
maintenir sa décision originaire. Ainsi que le souligne la Commission, en toute hypothèse, la documentation en question ne revêtait pas d'importance pour les épreuves écrites qui ont eu lieu le 23 mars, mais pour les épreuves orales qui ont eu lieu par la suite, sur une période de plusieurs jours.
M. De Vleschauwer et Mme Bouyssou ont trouvé motif à se plaindre du déroulement des épreuves écrites. La description de l'épreuve générale dans les avis de concours était «Rédaction d'une note de service ou d'un compte rendu de réunion dont les thèmes sont déterminés par le jury». Il semble que le président des surveillants qui était M. Morel, président du jury dans le concours COM/A/265, ait expliqué aux candidats oralement que cette épreuve impliquait qu'ils effectuent non seulement un résumé,
mais aussi un commentaire. Ces deux requérants se sont plaints de ce que, ce faisant, M. Morel a imposé aux candidats une épreuve qui n'était pas prévue par les avis de concours. Ils ont également dit que cela avait causé de la confusion: que cela avait été compris de différentes manières par différents candidats, même par différents assesseurs, partiellement en raison d'erreurs de traduction. Ils suggèrent que la confusion a été augmentée par les termes des instructions écrites fournies aux
candidats au début des épreuves. Il nous semble, Messieurs, que ces griefs sont dénués de fondement. Les instructions écrites ont été soumises à la Cour à titre depreuve (annexe II, aux dupliques) et nous semblent parfaitement claires et ne présenter aucun caractère répréhensible. Compte tenu des termes de ces instructions et du fait que les concours étaient organisés en vue d'une promotion en catégorie A, ce qu'a dit M. Morel ne peut aux yeux de la plupart des. candidats avoir été autre chose
qu'une affirmation de l'évidence. En tant que fonctionnaires expérimentés de la catégorie B, ils doivent avoir rencontré à plusieurs reprises, au cours de leur travail, le genre de chose que l'on attendait d'eux. En ce qui concerne les prétendues imperfections de la traduction, il nous est difficile de comprendre comment, si elles se sont produites, elles ont pu affecter les requérants. Il apparaît que M. Morel s'est exprimé en français. Mme Bouyssou est française. M. De Vleeschauwer est belge, et
son avocat a expliqué à l'audience, dans un autre contexte, que, bien que sa langue maternelle soit le néerlandais, il est plus habitué à travailler en français.
En ce qui concerne les points soulevés au cours de la procédure écrite, il reste un certain nombre de griefs mineurs avancés au nom du seul M. De Vleeschauwer. Ce serait, à notre avis abuser de votre temps, Messieurs, que de les rappeler et de les traiter individuellement. Ils figurent aux pages 27 à 30 du rapport d'audience. Nous nous bornerons à dire qu'à notre avis aucun d'entre eux ne constitue un motif suffisant pour annuler les résultats du concours auquel M. De Vleeschauwer a pris part. Le
moins insignifiant d'entre eux signifie uniquement que M. De Vleeschauwer a été confronté à des difficultés qu'un fonctionnaire de catégorie A devrait être en mesure de résoudre sans le moindre effort.
Par lettre du 4 juillet 1974, adressée à M. le président de chambre, l'avocat des requérants a cherché à soulever un nouveau moyen, en se fondant sur le fait que le procès-verbal de la séance de la Commission du 22 juillet 1971 rappelle la décision qu'elle avait prise d'organiser en octobre «des concours internes de rattrapage pour les fonctionnaires de catégorie B». Le grief est qu'en l'hypothèse, des fonctionnaires des catégories LA et C ont été également autorisés à concourir. A notre avis,
Messieurs, il devrait suffire de dire qu'il est parfaitement évident aux termes de l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure, qu'aucun moyen nouveau ne peut être soulevé après clôture de la procédure écrite, de telle sorte ce moyen est irrévocable. En toute hypothèse, nous aurions dit qu'il était dénué de fondement, ne serait-ce que parce que la décision de la Commission n'a pas d'elle-même conféré des droits juridiquement protégés aux requérants.
A notre avis, dans la mesure où ils sont concernés, le seul acte qui pourrait avoir un effet juridique quelconque, est l'acte formel par lequel la Commission a mis en œuvre sa décision, c'est-à-dire la publication des avis de concours. Nous ne pensons pas que les requérants puissent aller au-delà et exiger une enquête sur les méthodes de décision de la Commission. Nous ignorons ce qui a pu se produire entre le 22 juillet 1971 et la publication des avis, mais rien de ce qui a pu se produire ou ne pas
se produire, ne saurait, à notre avis, affecter en quoi que ce soit les droits des requérants. L'élément important est que les avis de concours n'aient pas imposé comme condition pour participer aux concours que les candidats soient des fonctionnaires de catégorie B. En fait, nous doutons qu'ils en aient eu légalement la possibilité. L'article 27 du statut du personnel dispose entre autres que le recrutement «doit viser à assurer à l'institution le concours de fonctionnaires possédant les plus
hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité». Il nous semble que limiter délibérément un concours interne organisé en vue du recrutement en catégorie A, à des fonctionnaires d'une autre catégorie particulière, serait incompatible avec cette exigence. Il est remarquable que l'article I de l'annexe III qui traite en détails du contenu d'un avis de concours, n'envisage pas l'hypothèse d'une telle limitation.
Nous aboutissons à cette conclusion que vous devriez, Messieurs, surseoir à statuer à ce stade et ordonner les mesures d'instruction que nous avons mentionnées.
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( 1 ) Traduit de l'anglais.