CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 8 JUILLET 1975
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Introduction
Comme la cour d'appel de Bordeaux, celle d'Aix- en-Provence vous a saisis de questions préjudicielles portant sur l'interprétation de la réglementation communautaire relative au marché viti-vinicole.
Toutefois, les affaires portées devant la Cour d'Aix ont trait à des poursuites engagées contre des négociants marseillais qui ont importé en France, entre novembre 1970 et novembre 1971, des vins de table produits en Italie. Les problèmes posés devront donc être examinés sous l'angle des échanges intracommunautaires.
Des analyses effectuées a la demande du service de la répression des fraudes ont permis de constater que certaines quantités de ces vins tombaient sous le coup de la présomption légale de suralcoolisation établie par le décret français du 19 avril 1898, repris à l'article 8 du Code du vin.
Vous savez, Messieurs, que ce système légal présume «suralcoolisés» les vins rouges pour lesquels le rapport de l'alcool à l'extrait sec réduit est supérieur à un certain seuil fixé, en principe, à 4,6, sous réserve de corrections introduites pour tenir compte de certains modes de vinification.
Les cinq prévenus ont été relaxés par le Tribunal correctionnel de Marseille, mais, sur appel interjeté tant par la Fédération nationale des producteurs de vins de table et vins de pays, partie civile, que par le Ministère public, la Cour d'Aix- en-Provence a estimé que la solution des affaires ainsi déférées était subordonnée à l'interprétation du règlement du Conseil no 816/70 portant dispositions complémentaires en matière d'organisation commune du marché vitivinicole. Elle vous demande de vous
prononcer sur les questions de savoir :
1) si les vins de table, objet de ce règlement, doivent, pour mériter cette appellation et circuler sur le territoire des États membres de la Communauté, satisfaire aux seules normes analytiques prévues au point 10 de l'annexe II de ce texte communautaire, ou encore aux pratiques et réglementations nationales ;
2) si le règlement no 816/70 ne rend pas inapplicable aux échanges intracommunautaires la présomption nationale de suralcoolisation des vins de table résultant du dépassement du rapport alcool/extrait sec défini par la réglementation interne.
I — Sur la première question
La première de ces questions ne soulève pas, à notre avis, de difficulté particulière. En effet, aux termes mêmes de l'article 27, paragraphe 1, du règlement no 816/70 : «le nom de “vin de table” est réservé aux vins définis au point 10 de l'annexe II dudit règlement».
Les dispositions dont il s'agit exigent que le vin de table :
— provienne exclusivement de cépages visés à l'article 16 du règlement, c'est-à-dire de cépages admis à être cultivés dans la Communauté ;
— soit produit dans la Communauté ;
— ait un titre alcoométrique acquis, non inférieur à 8 degrés 5 et un titre alcoométrique total non supérieur à 15 degrés, cette limite pouvant d'ailleurs être portée à 17 degrés pour des vins produits sur certaines superficies viticoles à déterminer ;
— ait, enfin, une teneur en acidité totale non inférieure à 4 grammes 50 par litre, exprimée en acide tartrique.
Ces exigences qualitatives doivent cependant être complétées à la lumière des dispositions du règlement no 816/70 concernant les mélanges de raisins frais, de moût de raisins, de moût partiellement fermenté ou de vin nouveau encore en fermentation. Dans le cas où un seul de ces produits n'est pas conforme aux caractéristiques prévues pour donner du vin de table, le vin obtenu n'a pas droit à cette appellation communautaire.
De même, la réglementation du coupage prévu à l'article 26 pose en principe que, sous réserve de certaines dérogations, seuls sont des vins de table, au sens communautaire, les produits issus de coupage de vins de table entre eux ou avec des vins aptes à donner des vins de table.
Enfin, certaines pratiques oenologiques sont interdites ou réglementées. Celles de ces pratiques qui nous intéressent dans les présentes affaires sont visées aux articles 18 et 19, d'une part, et 25, d'autre part, du règlement no 816/70.
Les deux premières de ces dispositions concernent l'augmentation du titre alcoométrique naturel acquis ou en puissance, que les États membres peuvent autoriser lorsque les conditions climatiques l'ont rendue nécessaire, dans certaines zones viticoles et selon certaines modalités. Notamment, cette augmentation ne peut être effectuée que selon les pratiques définies à l'article 19 par adjonction soit de saccharose, soit de moût de raisins concentré aux raisins frais ou aux moûts, ou encore par
concentration partielle en ce qui concerne les moûts de raisins ou le vin.
L'article 25 interdit purement et simplement l'adjonction d'alcool aux vins de table.
Il faut toutefois noter, dès à présent, que le contrôle du respect de ces dispositions n'est pas exercé par les autorités communautaires, mais appartient aux autorités nationales compétentes qui n'ont pas seulement la faculté, mais le devoir de veiller à l'observation de cette réglementation.
La sanction de ces prescriptions consiste en ce que le vin objet de pratiques interdites ne peut être livré à la consommation humaine directe. Cette conséquence, qui résultait déjà implicitement du texte initial du règlement, a été expressément formulée par l'article 28 bis introduit par le règlement modificatif no 2680/72.
Cela étant, que l'on se réfère aux caractéristiques des vins de table énumérés au point 10 de l'annexe II ou aux prescriptions relatives à certaines pratiques œnologiques, il nous paraît, sans équivoque possible, que la dénomination «vins de table» n'est régie que par les dispositions du règlement no 816/70 et les textes qui l'ont complété.
Il est donc possible de répondre, sur ce point, à la première question posée que cette dénomination ne dépend pas des pratiques ou réglementations nationales.
Il en est de même, à notre avis, de la circulation des vins de table communautaires entre les États membres. Les produits du secteur viti-vinicole visés par le règlement no 816/70 ne peuvent circuler dans la Communauté que s'ils sont accompagnés d'un document contrôlé par l'administration nationale de l'État producteur. C'est le règlement no 1022/70 de la Commission qui, à l'époque où se situent les importations des vins italiens litigieux, avait institué des certificats d'accompagnement pour
certains vins, dont les vins de table. Aux termes des articles 4 et 5 de ce texte, le certificat d'accompagnement est délivré par l'organisme compétent, désigné par l'État membre sur le territoire duquel le vin a été produit. Cet organisme doit s'assurer, après un examen analytique et organoleptique effectué par un laboratoire ou un institut officiel, que le vin en cause est de qualité saine, loyale et marchande et correspond, en outre, aux prescriptions de l'article 27, paragraphe 2, lettre a), du
règlement no 816/70, c'est-à-dire que ce vin puisse être offert ou livré à la consommation humaine directe à l'intérieur de la Communauté.
Ces conditions étant ainsi vérifiées sous la responsabilité de l'organisme compétent, il nous paraît certain, que le certificat d'accompagnement est le seul document dont les États membres peuvent exiger la production pour admettre, sur leur territoire, des vins de table répondant à la dénomination communautaire, produits dans un autre État membre. Cette solution, qui découlait déjà de la rédaction initiale de l'article 29 du règlement no 816/70, a reçu une confirmation expresse du règlement
no 2312/71 du Conseil, dont l'article 1, deuxième alinéa, dispose : «pour la période se terminant le 31 août 1972 et sans préjudice des dispositions nationales relatives à la circulation des produits à l'intérieur d'un État membre, des dispositions peuvent être prévues en ce qui concerne les documents qui devront accompagner les produits dans les échanges entre les États membres».
Ceci revient à dire que, si, pendant cette période transitoire, chaque État pouvait subordonner la circulation des vins produits sur son propre territoire à des conditions déterminées par sa propre législation, il ne pouvait, au contraire, exiger, pour des vins provenant d'un autre État membre, que le certificat d'accompagnement prévu par le règlement no 1022/70. Toutefois, l'exacte portée de ce régime des échanges intracommunautaires des vins de table doit être précisée. Nous partageons, à cet
égard, l'opinion de la Commission selon laquelle il convient de faire une distinction entre les mouvements des vins originaires de la Communauté sur le territoire des divers États membres et la mise à la consommation humaine directe de ces vins.
Pour ce qui concerne l'entrée sur le territoire de l'État membre importateur de vin originaire d'un autre État membre producteur, le certificat d'accompagnement est le seul document qui puisse être exigé, faute de quoi le régime communautaire prévu par l'article 29 du règlement no 816/70 resterait lettre morte et la libre circulation du produit serait entravée.
Le respect de ce principe n'exclut pas que l'État membre importateur puisse prendre des mesures de contrôle, notamment en vue de s'assurer que le vin importé peut être effectivement mis à la consommation directe.
Ces contrôles peuvent intervenir à tous les stades de la commercialisation, chez le négociant importateur aussi bien que chez le détaillant.
C'est ce que confirme l'article 9 du règlement no 1022/70 en vertu duquel les États membres sont invités à soumettre les vins originaires de la Communauté, non admis à la consommation humaine directe, à un contrôle en vue d'assurer le respect de leur destination.
De même, si le contrôle d'un vin importé, qualifié «vin de table» par le certificat d'accompagnement, révèle que ce produit ne répond pas aux caractéristiques exigées par le règlement no 816/70 pour cette dénomination, l'autorité compétente de l'État importateur peut — et doit, à notre sens — interdire la mise à la consommation directe. Mais elle ne peut, en revanche, en interdire l'entrée sur son territoire.
Nous sommes donc conduit à répondre, sur ce second point, à la première question du juge national que la libre circulation des vins de table entre États membres n'est soumise qu'aux seules exigences du droit communautaire et non aux réglementations ou pratiques internes.
II — Sur la deuxième question
La deuxième question soulève des problèmes plus délicats. Elle met en cause le système de présomption légale de suralcoolisation établi par la législation française et tend à rechercher si cette présomption demeure applicable aux échanges intracommunautaires de vins de table.
En réalité, il s'agit de savoir si l'application de ce régime de présomption légale constitue ou non un obstacle à ces échanges.
Mais cette présomption, qui repose sur la constatation que le rapport entre le titre alcoométrique et l'extrait sec réduit du vin est supérieur à une valeur déterminée, est indissociable, d'une part, de la méthode employée sur le plan national pour établir ce rapport: méthode dite à 100 degrés, d'autre part, des conditions dans lesquelles la preuve contraire peut en fait être rapportée.
Nous examinerons donc successivement trois questions :
1) Les États membres peuvent-ils appliquer des dispositions nationales en vue de contrôler et de sanctionner le respect des dispositions communautaires relatives aux pratiques œnologiques et aux normes analytiques? A cet égard, une mesure de contrôle reposant sur une présomption légale de suralcoolisation est-elle compatible avec les prescriptions communautaires ?
2) En admettant qu'il en soit ainsi, le recours à la méthode à 100 degrés, employée sur le plan national pour rechercher le rapport alccol/extrait sec réduit, n'est-il pas prohibé par le règlement no 1539/71 de la Commission, déterminant des méthodes d'analyse communautaires applicables dans le secteur du vin ?
3) Les conditions de fait dans lesquelles la preuve contraire permettant d'infirmer la présomption légale doit être rapportée, s'agissant de vins produits dans un État membre autre que la France, n'ont-elles pas pour effet de créer une entrave aux échanges intracommunautaires et ne confèrent-elles pas au système de la présomption un caractère en fait irréfragable, de telle sorte que son application constituerait une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative ?
1. Il nous paraît, en premier lieu, hors de doute que les États membres sont non seulement en droit, mais ont le devoir de prendre toute mesure de contrôle de nature à assurer le respect de la réglementation communautaire ainsi que pour détecter et réprimer les fraudes résultant de pratiques œnologiques interdites. Cette obligation résulte expressément, en ce qui concerne notamment les opérations d'enrichissement du vin, de l'article 9 du règlement no 1594/70 de la Commission, aux termes duquel :
«Jusqu'à l'adoption de dispositions communautaires en la matière, les États membres prennent toutes mesures pour assurer le respect des dispositions relatives aux opérations d'enrichissement, d'acidification ou de désacidification. Ils informent la Commission sans délai de ces mesures».
Elle est énoncée sur un plan plus généra] par l'article 39 bis du règlement no 816/70 : «Les États membres prennent toutes mesures appropriées afin de faire respecter les dispositions du présent règlement».
Bien que ce texte ait été ajoute à la rédaction primitive par le règlement no 2680/72 du 27 décembre 1972, il a, à notre avis, un caractère interprétatif et ne fait que confirmer un principe qui était déjà inhérent à l'économie du règlement no 816/70. La Commission ne dispose d'ailleurs pas des moyens d'exécution qui lui permettraient d'assumer elle-même ces tâches de contrôle, tout au plus peut-elle prescrire aux États d'employer certaines méthodes ou modalités pour les effectuer.
Mais, comme nous le verrons, la réglementation communautaire est, sur ce point, loin encore d'être exhaustive. Nous serons donc,. ici encore, d'accord avec la Commission pour considérer que, en tant que mesure de contrôle, la présomption de suralcoolisation résultant du dépassement de certaines valeurs du rapport alcool/extrait sec réduit peut être appliquée par un État membre en vue de déterminer si un vin a été enrichi dans des conditions irrégulières.
Dans son principe, le système de la présomption n'est pas incompatible avec le droit communautaire.
En revanche, il n'est pas douteux que les États membres ne peuvent appliquer, même en vue du contrôle des vins, des mesures qui, dans les échanges intracommunautaires, constitueraient des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives. Or, le régime français de la présomption repose sur certaines valeurs du rapport alcool/extrait sec, dont le dépassement rend cette présomption applicable. La fixation de ces valeurs peut constituer un élément essentiel de nature à affecter en fait les
échanges intracommunautaires dans la mesure où, tenant compte essentiellement des conditions climatiques ou de vinification des vins nationaux, elle aboutirait, en fait, à créer un désavantage au détriment des vins produits dans d'autres États membres. Nous savons que, pour le vin rouge, l'article 8 du Code du vin fixe à 4,6 la valeur maximale du rapport alcool/extrait sec. Or, on vous a dit à la barre que, compte tenu par exemple des facteurs climatiques, un vin produit sous une certaine
latitude peut présenter un rapport supérieur à cette limite.
De même a-t-il été soutenu que les valeurs fixées par la réglementation française ne seraient plus adaptées aux procédés modernes de vinification rapide qui, en réduisant la quantité des dépôts de certaines substances dans le vin, exercent une influence non négligeable sur le rapport alcool/extrait sec.
Certes, à ces deux arguments, il serait sans doute possible de répondre, comme n'a pas manqué de le faire le représentant du gouvernement français, que, d'une part, les valeurs adoptées pour appliquer la présomption ne sont pas moins valables pour les vins produits dans les régions méridionales de la Communauté qu'elles ne l'étaient pour ceux originaires d'Afrique du Nord, auxquels le régime français a été utilement appliqué pendant une très longue période. On pourrait faire valoir aussi que le
système français est d'application souple en ce que le seuil de 4,6 peut, en vertu d'une circulaire du ministre de l'agriculture de 1965, être corrigé en hausse selon l'indice de permanganate pour tenir compte de certains modes de vinification. Et surtout, nous dit-on, la présomption n'est nullement irréfragable. L'administration a pris soin d'assouplir et d'adapter tant ces méthodes d'application que les moyens par lesquels la preuve contraire peut être apportée.
Mais, Messieurs, il s'agit là d'un débat technique sur lequel il ne vous sera pas possible de prendre parti. Nous nous bornerons, pour notre part, à relever que la présomption en tant que telle est un moyen de contrôle national qu'en son état actuel la réglementation communautaire n'exclut pas; que, toutefois, la valeur maximale du rapport alcool/extrait sec réduit doit être déterminée et appliquée de telle manière qu'il n'en résulte aucune discrimination entre vins nationaux et vins originaires
des autres États membres, faute de quoi la mise en œuvre de la présomption pourrait être de nature à constituer une entrave aux échanges intracommunautaires.
2. Bien qu'il n'ait pas été expressément posé par la cour d'appel d'Aix- en-Provence, il est, à notre avis, nécessaire d'évoquer le problème de la méthode suivant laquelle le rapport alcool/extrait sec réduit d'un vin peut être recherché en vue de parvenir à déterminer si la présomption est ou non applicable.
Car, Messieurs, il s'agit de savoir si le système légal de la présomption, qui n'est pas, en lui-même, abstraitement incompatible avec la réglementation communautaire, peut ou non recevoir une application pratique.
Si, d'une part, il est vrai que la méthode à 100o employée pour détecter la fraude que constitue la suralcoolisation est bien la seule qui permette de déterminer le rapport alcool/extrait sec réduit; si, d'autre part, comme les parties au principal, le gouvernement français et la Commission l'affirment, il n'y a pas de transposition possible entre les résultats obtenus par la méthode en question et ceux auxquels aboutit la méthode densimétrique, il est alors nécessaire de rechercher si la
réglementation communautaire admet la méthode à 100o. Dans la négative, il faudrait considérer que le recours à la présomption se révèle tout simplement inefficace, sinon inutile.
Le règlement no 1539/71 de la Commission a déterminé des méthodes d'analyse communautaires applicables dans le secteur du vin: Selon l'exposé des motifs de ce texte, ces méthodes doivent être obligatoires pour toute transaction commerciale et toute opération de contrôle. Tel est, du moins, l'objectif déclaré. Mais, de quel contrôle s'agit-il? A quelles fins est-il organisé ?
Le champ d'application du règlement de la Commission ne peut, de toute évidence, être plus large que celui du règlement no 816/70. Or, si ce texte de base réglemente ou interdit certaines pratiques oenologiques, de manière d'ailleurs non exhaustive, il laisse entier le problème de la détection et du contrôle des fraudes. Son article 39 bis, ajouté par le règlement no 2680/72 au texte primitif, donne, nous l'avons vu, compétence aux États membres pour prendre toute mesure appropriée afin de faire
respecter les dispositions qu'il édicte. Bien plus, l'article 39 bis prévoit que c'est au Conseil lui-même qu'il appartient d'arrêter, sur le plan communautaire, les mesures tendant à assurer l'application uniforme des dispositions du règlement, notamment en matière de contrôle.
Mais le règlement de base lui-même n'a institué aucun système communautaire de détection et de contrôle des fraudes. Partant, le règlement no 1539/71 de la Commission ne concerne que les seules méthodes d'analyse destinées à vérifier les qualités substantielles et les composants des vins communautaires; il ne peut être interprété comme définissent des méthodes tendant à la détection et à la répression des fraudes dans la fabrication du vin.
Aussi bien, pour l'application des méthodes d'analyse qu'il énumère, le règlement en question fait référence expresse au recueil des méthodes internationales d'analyse des vins, établi dans le cadre de la Convention internationale pour l'unification des méthodes d'analyse et d'appréciation des vins de 1954.
Or, ces méthodes internationales n'ont pas pour objet la recherche des fraudes et falsifications. Elles n'ont été établies que pour déterminer les constituants des vins. C'est la raison pour laquelle, si l'annexe au règlement de la Commission prévoit la détermination de l'extrait sec total par la méthode densimétrique qui permet seulement d'identifier une somme de constituants du vin, on n'y trouve pas, en revanche, de méthode permettant de déterminer le rapport alcool / extrait sec réduit qui,
seul permet la détection de la fraude par suralcoolisation.
D'ailleurs, dans sa réponse du 29 mai 1974 à une question écrite parlementaire, la Commission a elle-même reconnu qu'il existe une lacune du droit communautaire en ce domaine du contrôle des fraudes puisqu'elle y déclare son intention de proposer au Conseil, sur la base de l'article 39 bis du règlement 816, des dispositions tendant à prévoir des méthodes ou des règles communes permettant de déceler les infractions aux règles relatives aux pratiques oenologiques. C'est bien la preuve, d'une part,
qu'elle se reconnaît elle-même incompétente pour arrêter des méthodes communes en matière de contrôle, d'autre part, que les méthodes d'analyse arrêtées dans le règlement no 1539/71 se situent sur un autre plan ou en tout cas ne suffisent pas à la détection des fraudes.
Le 31 octobre 1974 encore, la Commission a répondu à une autre question écrite visant le cas soumis à la juridiction nationale — ou un cas similaire — que «quant à l'instauration d'un système de protection efficace contre les infractions de droit communautaire, elle élaborait, en liaison avec les États membres, un projet de “règles communes” concernant la répression des infractions commises par des particuliers dans les matières faisant l'objet des règlements, directives et décisions des
Communautés».
Dès lors, Messieurs, nous pensons que le règlement de la Commission no 1539/71, qui ne concerne pas toutes les méthodes permettant d'établir les composants du vin, ne s'oppose pas à ce que la méthode à 100o puisse être employée en vertu d'une réglementation nationale aux fins de la répression des fraudes.
Il nous reste, Messieurs, à nous expliquer, à titre subsidiaire d'ailleurs, sur la question de savoir si la présomption établie par le Code du vin peut, en ce qui concerne les négociants français importateurs de vins communautaires, avoir des conséquences plus rigoureuses qu'à l'égard des producteurs nationaux.
Cette présomption n'est pas légalement irréfragable puisque l'article 8 du Code du vin admet les intéressés à faire la preuve contraire, c'est-à-dire à démontrer — par la comparaison des divers éléments constitutifs du vin, sa dégustation, les conditions de sa fabrication et le lieu de sa provenance — que ce vin provient exclusivement de la fermentation de raisins frais.
On a soutenu devant vous que l'obligation ainsi mise à la charge des négociants apportait une restriction à la liberté des échanges communautaires, dans la mesure où il serait en pratique particulièrement difficile aux intéressés d'apporter cette preuve pour des vins importés.
C'est ce que paraît penser également la cour d'Aix- en-Provence qui en tire la conséquence qu'un doute sérieux existerait dès lors à propos de la compatibilité avec la réglementation communautaire du système français de la présomption de suralcoolisation.
Mais, Messieurs, il n'appartient pas au juge communautaire — du moins lorsqu'il est saisi conformément à l'article 177 du traité — de se livrer à cette appréciation qui met en cause, non seulement l'interprétation, mais l'application de fait du droit interne.
Ainsi que vous l'avez jugé par un arrêt du 23 janvier 1975 dans l'affaire Hulst (51-74, Recueil p. 92) dans le cadre d'une procédure préjudicielle, la Cour ne saurait se prononcer sur un tel point qui relève de l'appréciation du juge national, comme d'ailleurs toute appréciation des faits de la cause.
Nous nous bornerons à noter pour notre part que le recours à un régime de présomption devrait, pour être licite, répondre aux conditions suivantes :
1) le service de la répression des fraudes devrait, lorsqu'il compare les résultats des examens avec les spécifications requises, tenir compte des tolérances admises compte tenu, notamment, du lieu de provenance des vins ;
2) les décisions de ce service devraient pouvoir faire utilement l'objet de contestations de la part des intéressés, vinificateurs ou négociants ;
3) la faculté de pratiquer un nouvel examen devrait être réservée ;
4) enfin, les moyens pratiques d'administrer la preuve contraire devraient être accessibles, à égalité, à tous les opérateurs, sans distinction.
Tel ne serait pas le cas si ces moyens étaient d'un usage plus difficile pour les négociants d'un vin de table importé et régulièrement mis en pratique dans un État, que pour les producteurs ou négociants des vins de table de production nationale (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, affaire 8-74, Recueil p. 852).
Si, par conséquent, la méthode sur laquelle est fondée la présomption ou si le maniement du système légal de présomption, compte tenu de la charge de la preuve contraire, sont susceptibles d'avoir un effet discriminatoire ou équivalant à une restriction quantitative, il appartiendrait, le cas échéant, à la Commission d'engager la procédure de manquement à l'égard de l'État intéressé ou aux tribunaux nationaux, sous réserve du recours à l'article 177, de sauvegarder les droits des opérateurs
économiques concernés.
Dans le cadre du présent recours, il nous paraît impossible pour la Cour de se substituer à ces autorités.
Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que :
1) Pour bénéficier de la dénomination communautaire «vins de table», il suffit que les vins, objet du règlement du Conseil 816/70, satisfassent aux normes analytiques prévues au point 10 de l'annexe II de ce règlement ;
2) Pour être admis à la libre circulation entre États membres, il suffit, en outre, que ces vins soient accompagnés du document dit «certificat d'accompagnement» prévu à l'époque de l'introduction en France des vins de table originaires d'Italie, en cause dans les présentes affaires par le règlement no 1022/70 de la Commission ;
3) Pour être admis à la consommation humaine directe sur le territoire d'un État membre, un vin de table doit satisfaire aux prescriptions de la réglementation de cet État en matière de contrôle et de répression des fraudes; à cet égard, ni le règlement du Conseil no 816/70, ni les textes pris pour son application ne font obstacle à ce qu'un État membre recourre, à cette fin, à une présomption de suralcoolisation fondée sur le rapport alcool/extrait sec réduit ;
4) Le règlement de la Commission no 1539/71 n'exclut pas l'emploi de la méthode d'analyse à 100o en vue de la recherche de ce rapport ;
5) La mise en œuvre de la présomption nationale de suralcoolisation ne doit pas, compte tenu notamment des valeurs limites retenues du rapport alcool/extrait sec réduit et des conditions d'admission de la preuve contraire, conduire à une discrimination de fait entre opérateurs économiques ou constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative.