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01/10/1975 | CJUE | N°23-75

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mayras présentées le 1 octobre 1975., Rey Soda contre Cassa Conguaglio Zucchero., 01/10/1975, 23-75


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 1ER OCTOBRE 1975

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

La présente demande de décision préjudicielle, émanant du Pretore d'Abbiategrasso, trouve son origine dans la conjonction de décisions communautaires relatives au marché du sucre en Italie et de mesures prises sous forme de décret-loi par le gouvernement italien en vue de donner effet aux dispositions arrêtées par la Commission dans l'article 6 de son règlement no 834/74.

Ces dispos

itions avaient pour but d'éviter les perturbations qu'aux dires de la Commission risquait de provoque...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,

PRÉSENTÉES LE 1ER OCTOBRE 1975

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Introduction

La présente demande de décision préjudicielle, émanant du Pretore d'Abbiategrasso, trouve son origine dans la conjonction de décisions communautaires relatives au marché du sucre en Italie et de mesures prises sous forme de décret-loi par le gouvernement italien en vue de donner effet aux dispositions arrêtées par la Commission dans l'article 6 de son règlement no 834/74.

Ces dispositions avaient pour but d'éviter les perturbations qu'aux dires de la Commission risquait de provoquer, sur le marché italien, une augmentation importante du prix du sucre exprimé en lires qui devait prendre effet à compter du 1er juillet 1974, date d'ouverture de la campagne sucrière 1974-1975.

Cette augmentation avait deux causes :

— d'une part, la décision par laquelle, en mars précédent, le Conseil avait relevé de 7 % pour la nouvelle campagne, le prix d'intervention du sucre par rapport au prix applicable pendant la campagne en cours ;

— d'autre part et surtout, la dévaluation de la monnaie italienne dont les fluctuations, sur le marché des changes, n'étaient plus, depuis le 15 février 1973, contenues dans le «serpent monétaire» et dont la valeur effective avait diminué de quelque 30 % en moins de dix-huit mois.

Les prix des produits agricoles régis par les organisations communes de marché sont exprimés en unités de compte; ils doivent être convertis dans la monnaie de chacun des États membres sur la base d'un taux de conversion déterminé en fonction des parités officielles déclarées au Fonds monétaire international.

L'ampleur de la dévaluation de la lire imposait de fixer, pour le secteur agricole, un taux de conversion adapté à la réalité économique.

C'est ce que fit le Conseil, par étapes successives, à partir du 1er novembre 1973. La contre-valeur de l'unité de compte, antérieurement fixée à 625 lires, devait ainsi atteindre 801 lires en juillet 1974.

De ce fait, le niveau des prix agricoles en Italie devait être relevé dans la même proportion . Mais, pour des raisons de politique conjoncturelle, le Conseil estima qu'une telle augmentation était inacceptable dans l'immédiat pour le sucre.

L'effet en fut reporte au 1er juillet 1974. Jusque là, en vertu de l'article 4 ter du règlement no 974/71 du Conseil — disposition introduite par le règlement no 3450/73 du 17 décembre 1973 — le prix d'intervention du sucre et les prix minima de la betterave applicables en Italie étaient maintenus à leur niveau du 31 octobre.

Dès lors, il était non seulement prévisible mais certain qu'à l'ouverture de la nouvelle campagne le sucre produit avec des betteraves récoltées en 1973 et vendu après le 1er juillet 1974 subirait une majoration importante. Elle devait être de 37 %.

Pas plus que les autorités communautaires ou nationales, les opérateurs économiques ne pouvaient ignorer cette perspective.

Il était aisé d'imaginer les réactions qu'elle pouvait susciter de la part des intéressés. On pouvait légitimement redouter, en cette conjoncture, la constitution, par les détenteurs de sucre, de stocks spéculatifs qui ne seraient écoulés qu'après l'intervention de la hausse, avec une plus-value importante; tandis que les producteurs de betteraves, produit qui ne peut être stocké, avaient dû les livrer aux sucriers au prix minimum valable pour la campagne précédente.

Sur la base du règlement no 2959/73 du Conseil, déterminant certaines mesures conjoncturelles à prendre dans le secteur du sucre en Italie, une première série de décisions furent arrêtées en vue de réduire les montants compensatoires applicables au sucre importé d'autres États membres avant le 1er juillet 1974, mais écoulé seulement après cette date pour la consommation. D'autres dispositions furent prises par la Commission, sur la base du même texte, pour adapter le montant, exprimé en lires,
notamment des cotisations pour frais de stockage, des subventions aux producteurs de betteraves, visées à l'article 34 du règlement de base, et de la cotisation à la production. Mais l'action, spécifiquement destinée à prévenir un stockage excessif en Italie, fut décidée par la Commission le 5 avril 1974 par l'article 6 du règlement no 834/74.

Ce texte est ainsi rédigé :

«§ 1 — L'Italie prend des mesures nationales pour éviter des perturbations sur le marché, provoquées par l'augmentation en lires italiennes du prix du sucre au 1er juillet 1974. Ces mesures consistent, notamment, en un paiement aux producteurs de betteraves de la plus-value sur stocks.

§ 2 — Les mesures prises et à prendre, visées au paragraphe 1, sont communiquées par écrit à la Commission avant le 5 juin 1974.»

En fait, les autorités italiennes paralysées par une crise gouvernementale n'avaient, à cette date, pris aucune disposition en vue de donner effet à l'injonction de la Commission.

C'est pourquoi celle-ci, qui avait prévu en cas de nécessité une intervention communautaire directe, prit, le 14 juin, par règlement no 1495/74, une disposition complémentaire de l'article 6 du règlement no 834/74 prescrivant la déclaration aux autorités italiennes des stocks de sucre blanc, de sucre brut ou de sirop de sucre, supérieurs à 500 kg, existant au 1er juillet 1974, quels qu'en soient les détenteurs.

Le terme du délai dans lequel la déclaration devait être faite, initialement fixé au 10 juillet, devait être ultérieurement prorogé au 30 août 1974 par un règlement modificatif no 2106/74.

De son côté, en vue de donner enfin exécution aux prescriptions de la Commission, le gouvernement italien imposa, le 8 juillet, par le décret-loi no 255, à tous les détenteurs de sucre blanc, ou brut, ou de sirop de sucre, en quantité supérieure à 500 kg, l'obligation de verser, au plus tard le 30 septembre suivant, à la Cassa Conguaglio Zucchero, une redevance égale à la plus-value résultant de l'augmentation du prix du sucre. Le montant de la redevance était précisé dans un tableau annexe. Son
produit devait être distribué par la Caisse de péréquation aux producteurs de betteraves.

C'est en application de ce texte que la Société Rey Soda, utilisatrice industrielle de sucre pour la fabrication de boissons gazeuses, s'est vue contrainte de verser à la Caisse une somme de 366910 lires à raison des stocks de sucre qu'elle détenait.

Par le biais d'une demande de saisie conservatoire sur les avoirs de la Caisse, elle a saisi le Pretore d'Abbiategrasso. Son action tendait, en vérité, à contester la légalité de l'imposition tant au regard du droit national que du droit communautaire.

Après que le juge italien eut autorisé la requérante à pratiquer cette saisie, la phase ultérieure et contradictoire de la procédure en validation offrit l'occasion à trois associations d'industriels d'intervenir au soutien de Rey Soda. Il s'agit de celles de la confiserie (AIDI), des fabricants de produits alimentaires (AIPA) et des producteurs d'eaux et boissons gazeuses (AGB).

Le Pretore a sursis à statuer et vous a soumis, à titre préjudiciel, une longue série de questions dont il nous paraît inutile de citer le texte, au demeurant reproduit dans le rapport d'audience.

Certaines de ces questions portent sur la validité tant de l'article 6 du règlement no 834/74 de la Commission que du règlement complémentaire no 1495/74. D'autres concernent l'interprétation du premier de ces textes ou mettent en cause celle de certaines dispositions du traité, telles que les articles 85 et 86, ou encore de principes généraux du droit communautaire.

Il nous a semblé logique d'examiner en premier lieu les problèmes de validité, qui commandent d'ailleurs la solution des autres questions posées.

I — Validité des dispositions de l'article 6 du règlement no 834/74 au regard de la compétence de la Commission

C'est donc la question no 2 que nous aborderons d'emblée puisqu'elle a trait au principe même de la compétence de la Commission pour imposer aux utilisateurs industriels de sucre des charges pécuniaires au bénéfice des producteurs de betteraves.

Il faut préalablement prendre parti sur la thèse, soutenue tant par la requérante au principal que par les associations intervenantes, selon laquelle la récupération de la plus-value sur stocks aurait le caractère d'une imposition de nature fiscale.

Il n'appartiendrait qu'à l'autorité judiciaire italienne compétente de qualifier, sur le plan du droit interne, les redevances instituées par le décret-loi no 255.

Au regard du droit communautaire, le recouvrement de la plus-value sur stocks constitue un instrument de gestion, de régulation du marché du sucre, dont le fondement légal se trouve dans l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base.

Mais la mesure litigieuse tend à imposer des charges pécuniaires à ceux des opérateurs économiques assujettis au paiement de la plus-value au profit d'une autre catégorie, les producteurs de betteraves.

Cette considération revêt une importance déterminante, comme nous le verrons, lorsqu'il s'agira de savoir si, en invitant et même en obligeant l'État italien à imposer ce paiement, la Commission pouvait se borner à en poser le principe, sans déterminer expressément ni l'assiette de la redevance sur stocks ni les personnes qui en seraient redevables, et donc si elle a fait légalement usage des pouvoirs qui lui ont été conférés.

Pour nous en tenir à la compétence de la Commission, il convient de rappeler, en effet, les termes de l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base :

«Les dispositions nécessaires pour éviter que le marché du sucre ne soit perturbé par suite d'une modification du niveau des prix, lors du passage d'une campagne sucrière à l'autre, peuvent être arrêtées selon la procédure prévue à l'article 40.»

Diverses considérations nous inclinent à penser que cette disposition a conféré à la Commission une délégation de pouvoir suffisamment large pour décider la récupération de la plus-value.

La première est fondée sur le caractère très général de l'expression «dispositions nécessaires pour éviter que le marché ne soit perturbé».

Si, en principe, la Commission ne peut évidemment s'arroger une compétence que le Conseil ne lui aurait pas explicitement déléguée, il ne s'ensuit nullement que celle-ci ne puisse recevoir délégation que de pouvoirs de simple exécution, dont l'exercice serait strictement subordonné aux règles de fond établies par le Conseil.

L'article 155, alinéa 4, du traite dispose certes que «la Commission … exerce les compétences que le Conseil lui confère pour l'exécution des règles qu'il établit». Mais il ressort de votre jurisprudence que ce texte ne doit pas être interprété à la lettre et d'une manière restrictive; vous avez admis au contraire que les délégations de compétence opérées en vertu de l'article 155 permettent le transfert d'un véritable pouvoir réglementaire (arrêt du 15 juillet 1970, affaire 41-69, Chemiefarma,
Recueil 1970, p. 690). Au reste, la pratique instaurée et suivie depuis longtemps par la Communauté permet également d'affirmer que les pouvoirs conférés à la Commission sur la base de cette disposition ne sont pas cantonnés à des règles techniques ou de procédure. Les compétences qui lui sont attribuées lui permettent fréquemment de définir des notions que le Conseil s'est contenté de mentionner sans en préciser le contenu, de déterminer des critères, voire même d'imposer des obligations aux
opérateurs économiques.

Cette conception jurisprudentielle et cette pratique extensive des pouvoirs de la Commission ont trouvé leur terrain d'élection dans le domaine du fonctionnement des organisations communes de marchés agricoles pour des raisons aisément compréhensibles qui tiennent à la nature des choses. Seule la Commission est en effet à même de suivre de manière constante et attentive l'évolution de ces marchés; seule elle peut agir avec l'urgence que requiert la situation de crise; elle peut, seule, le plus
souvent, mais dans le cadre de principes établis par le Conseil, prendre des mesures de politique conjoncturelle.

Il s'ensuit que le Conseil est nécessairement conduit, en ce domaine, à déléguer à la Commission des pouvoirs comportant une certaine liberté d'appréciation discrétionnaire, notamment quant au choix des moyens à employer pour faire face à une situation déterminée.

La légalité de la compétence de la Commission doit donc être jugée moins en fonction de la stricte conformité de l'usage qu'elle en fait à des règles de fond précises qu'au regard des objectifs essentiels de l'organisation de marché.

L'objectif primordial qui, en l'espèce, devait guider la Commission dans l'exercice des pouvoirs que lui confère l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base, consistait à prévenir les perturbations qu'une modification importante des prix du sucre risquait de provoquer sur le marché italien, marché d'autant plus sensible que, comme vous le savez bien, l'Italie est la région la plus déficitaire du marché commun et que le danger d'accaparement et de rétention de stocks spéculatifs était, compte
tenu des circonstances de l'époque, loin d'être négligeable.

Le renversement de la tendance constaté sur le marché mondial, où le prix du sucre s'était littéralement «envolé» très loin au-dessus du prix communautaire, rendait pratiquement impossibles les importations en provenance de pays tiers. Il avait d'ailleurs fallu recourir à des mesures tendant à pénaliser lourdement les exportations de sucre produit dans le marché commun vers ces pays.

Enfin, on pouvait légitimement craindre que les producteurs des États membres traditionnellement excédentaires: France et Belgique ne soient, compte tenu de la situation du marché européen, réticents à livrer en Italie des quantités suffisantes pour assurer un approvisionnement régulier. Aussi bien, vous n'ignorez pas que les importations de sucre communautaire en Italie étaient enserrées dans un système rigide d'adjudications ouvertes par la Cassa Conguaglio Zucchero et qu'en pratique les
livraisons s'opéraient, pour la plus grande part, directement du groupe des producteurs français et belges au groupe des producteurs italiens, constitué autour de la Société Eridania. Il y avait donc lieu de penser que, même si les importations étaient maintenues à un niveau compatible avec les besoins des consommateurs italiens, la rétention de stocks excessifs entre les mains de ces producteurs, voire des négociants ou industriels utilisateurs, dans l'attente de la majoration des prix intérieurs,
ne permettrait pas d'assurer l'approvisionnement normal et régulier du marché au stade de la consommation.

Le juge national a mis en doute la réalité des risques qui découlaient de cette conjoncture.

S'agissant de mesurer, après coup, les incidences probables ou possibles d'une situation économique complexe qui appelait une intervention communautaire dans le cadre de l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base, il ne nous paraît pas que vous soyez en mesure de substituer votre appréciation à celle de la Commission. Sur les mesures de politique conjoncturelle, vous n'exercez qu'un contrôle limité; ce n'est que dans l'hypothèse où l'intervention communautaire serait entachée d'une erreur
manifeste ou de détournement de pouvoir que, dans le cadre du contentieux de l'annulation, vous pourriez censurer les décisions prises. La même solution doit prévaloir pour l'appréciation de validité sur question préjudicielle.

Or, nous ne pensons pas que la Commission ait, en l'espèce, fait une analyse manifestement erronée de la situation du marché italien, partie du marché commun. Aucun élément ne permet de penser qu'elle ait commis un détournement de pouvoir.

Chargée de prendre les «dispositions nécessaires» en vue de faire face à une conjoncture inquiétante, la Commission) pouvait légalement, dans le cadre des pouvoirs étendus dont elle disposait, mettre en œuvre les moyens les plus efficaces, adéquats au but poursuivi.

Pour assurer l'approvisionnement normal du marché italien, il lui fallait dissuader les opérateurs économiques de constituer des stocks spéculatifs avant le 1er juillet 1974. Les priver de l'avantage qu'ils en auraient retiré, c'est-à-dire exiger le paiement de la plus-value réalisée du fait de la majoration du prix du sucre, était le moyen le mieux adapté à la situation.

La requérante au principal et les associations intervenantes invoquent la violation du principe de proportionnalité, mais l'efficacité des mesures, dont elles soutiennent que l'application eût été de nature à permettre d'éviter les risques de rupture d'approvisionnement, nous paraît pour le moins douteuse.

Il eût suffi, selon elles, de prendre des dispositions pour interdire ou entraver les exportations hors de la Communauté.

C'est un fait que de telles mesures ont été effectivement mises en œuvre sur le plan communautaire. Mais elles n'avaient pas pour effet nécessaire d'obliger les détenteurs italiens de sucre à le mettre sur le marché.

Quant aux mesures tendant au contrôle et à la publicité des prix des produits de grande consommation, nous ne voyons pas quelle portée elles auraient pu avoir en l'occurrence puisque, précisément, la majoration du prix du sucre était d'ores et déjà décidée comme devant entrer en vigueur au premier jour de la nouvelle campagne sucrière et était d'ailleurs inéluctablement liée à la dévaluation de la lire verte aussi bien qu'à la hausse du prix d'intervention.

Une deuxième considération justifie la compétence déléguée à la Commission. Elle tient à ce que les pouvoirs conférés par l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base doivent être exercés selon la procédure prévue à l'article 40, c'est-à-dire après avis du Comité de gestion du sucre.

Une telle procédure, dont vous avez reconnu la conformité au traité par les arrêts du 17 décembre 1970, affaires 25-70, Köster, et 30-70, Scheer, Recueil 1970, p. 1172-1209, répond notamment à la nécessité dans laquelle les autorités communautaires se trouvent, de plus en plus souvent d'ailleurs, d'arrêter des dispositions qui, par leur nature, relèveraient en principe de la compétence du Conseil, mais dont l'urgence ne permet pas à celui-ci de les adopter en temps utile.

C'est donc à la Commission qu'il délègue un véritable pouvoir de décision en se réservant la faculté d'intervenir si l'avis du Comité de gestion devait être défavorable à la proposition de celle-ci, ce qui, en fait, ne se produit que dans des cas exceptionnels.

Une troisième considération doit être tirée de l'interprétation de l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base. Ce texte envisage l'hypothèse dans laquelle des perturbations menaceraient l'équilibre du marché, et notamment la sécurité de l'approvisionnement des consommateurs, du fait d'une modification des prix lors du passage d'une campagne à la suivante.

A l'envisager de manière restrictive, on pourrait penser que le Conseil n'a entendu viser, à l'époque où cette disposition a été adoptée, que les seules modifications des prix communautaires d'intervention exprimés en unités de compte qu'il est appelé lui-même à fixer avant le début de chaque campagne sucrière, et non pas celles qui, affectant les prix intérieurs exprimés en monnaie nationale, seraient dues à des fluctuations monétaires indépendantes de la volonté du Conseil.

Mais la logique même des organisations communes des marchés des produits agricoles, et donc en particulier du sucre, implique que les modifications des prix exprimés en monnaie nationale doivent également être prises en considération pour l'application de l'article 37, paragraphe 2.

En effet, par le jeu des taux de conversion représentatifs, les prix intérieurs dérivent directement des prix communautaires. Lorsque, comme ce fut le cas en l'espèce, la monnaie d'un État membre se trouve dévaluée de manière appréciable, le Conseil ne peut se soustraire à la nécessité de fixer un nouveau taux de conversion adapté à la réalité économique. Il est ainsi conduit à entériner les conséquences de la dévaluation. La hausse des prix intérieurs des produits agricoles constitue donc une
«modification des prix» au sens de l'article 37, paragraphe 2. Or, comme on l'a vu, cette modification devait, en ce qui concerne le prix du sucre en Italie, prendre effet lors du passage de la campagne 1973-1974 à la campagne suivante.

Aussi bien, le Conseil n'avait-il pas lui-même tracé, dès 1971, par le règlement no 974, le cadre de mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement des marges de fluctuation des monnaies de certains des États membres.

La Commission n'a pas manqué dé viser également ce texte dans son règlement no 834/74.

Nous sommes donc fondé à penser que la Commission avait légalement compétence pour décider le principe de la récupération de la plus-value sur les stocks spéculatifs constitués par les détenteurs de sucre en vue de prévenir les risques d'une rupture d'approvisionnement du marché.

II — Validité de la disposition du règlement no 834/74 réservant le bénéfice de la redevance pour plus-value sur stocks aux producteurs de betteraves

Une deuxième question relative à l'examen de la validité de l'article 6 du règlement no 834/74 concerne la disposition en vertu de laquelle la Commission a désigné les producteurs de betteraves comme les bénéficiaires de la plus-value sur stocks.

Nous aurions quelque hésitation à suivre! e représentant de la Commission dans l'argumentation qu'il a développée à la barre et par laquelle il a dénié toute pertinence à cette question.

Selon lui, la validité de la taxation des stocks étant admise, la requérante au principal n'aurait pas intérêt à critiquer la destination qui lui est assignée. Tenue, en tout état de cause d'en acquitter le montant, il serait pour elle indifférent que le produit en bénéficie aux producteurs de betteraves ou soit conservé par l'État italien.

Dans le cadre d'un recours direct en annulation, cette thèse poserait la question de savoir si le moyen tiré de l'illégalité de la disposition en cause serait irrecevable faute d'intérêt pour agir. Mais, nous sommes ici en présence d'une demande de décision préjudicielle et vous vous interdisez de rechercher si une question posée par le juge national est pertinente ou non aux fins de la solution du litige principal. La validité de l'article 6 du règlement no 834/74 étant mise en Joute par le Pretore
d'Abbiategrasso en tous ses éléments, vous devez lui fournir une réponse sur ce point également.

La firme Rey Soda soutient qu'en réservant le bénéfice du produit des redevances sur stocks aux betteraviers la Commission aurait violé l'article 34 du règlement no 1009/67 qui, tout en autorisant l'Italie à accorder à ces producteurs de betteraves, notamment, des aides d'adaptation, limite le montant de ces aides à un plafond déterminé, d'ailleurs relevé à plusieurs reprises. Il s'agit là d'aides nationales au sens des articles 92 à 94 du traité. Or ce n'est pas sur ce terrain que se situe
l'article 6 du règlement no 834/74. Il s'agit d'une mesure de péréquation destinée en quelque sorte à restituer aux producteurs de betteraves la plus-value que les détenteurs de stocks de sucre auraient réalisée en vendant, après le 1er juillet 1974, à un prix majoré de 37 % le produit fabriqué avec des betteraves achetées à l'automne précédent au prix minimum applicable avant le 31 octobre 1973, dont le niveau avait été bloqué en fonction du prix d'intervention du sucre en vigueur à l'époque.

La décision de faire bénéficier les exploitants betteraviers de la plus-value était conforme à l'objectif prévu à l'article 39, lettre b), du traité; elle tendait à assurer un niveau de vie équitable à cette catégorie de la population agricole.

Mais la validité de l'article 6 du règlement no 834/74 doit encore être appréciée sur un autre terrain.

III — Validité de l'article 6 du règlement no 834/74 au regard de la subdélégation de pouvoir conférée au gouvernement italien

Il convient en effet de l'examiner au regard non plus des bénéficiaires de la redevance sur stocks, mais des opérateurs économique qui y ont été assujettis.

A cet égard, l'examen des précédents en matière de taxation des stocks de sucre fournit des indications intéressantes.

En premier lieu, l'article 37, paragraphe 1, du règlement de base comporte, lui-même, une disposition qui visait à régler la situation qui ne manquerait pas de résulter de l'ouverture de la première campagne sucrière communautaire, 1968-1969, en raison de la différence entre les prix nationaux du sucre et le niveau des prix valable à compter du 1er juillet 1968. Par cette disposition, le Conseil s'est donné compétence à lui-même pour arrêter les mesures de compensation nécessaires.

A cet effet, il a pris, le 18 juin 1968, un règlement no 769/68 qui, s'il assujettit à la redevance les utilisateurs de sucre acheté à un prix national inférieur avant le relèvement du 1er juillet 1968, tient compte du fait que les utilisateurs devaient, en raison de la nature et du rythme de leur activité, stocker du sucre, même si cet approvisionnement, normal par ailleurs, se révélait une bonne opération sur le plan financier. Tout en admettant le risque de distorsion de la concurrence, il a
exclu de la redevance les quantités de sucre nécessaires à ces industries pour une activité normale de quatre semaines, considérées comme stocks-outils de ces entreprises utilisatrices.

Un deuxième exemple est fourni par la perception sur les stocks existant en France au 1er août 1970 d'une taxe compensatrice «afin d'éviter des perturbations du marché du sucre» à la suite de la dévaluation du franc français. Le règlement no 1507/70 de la Commission instituant cette taxe était fondé sur le règlement du Conseil no 1586/69 du 11 août 1969 relatif à certaines mesures relevant de la politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de la dévaluation du franc
français.

Ce texte ne visait pas expressément les stocks détenus par les utilisateurs industriels; mais l'arrêté français d'application du 30 juillet 1970, tout en assujettissant ceux dont les stocks excédaient 5000 kg, exempte expressément les stocks-outils, c'est-à-dire la quantité détenue par un utilisateur, nécessaire à une production normale de quatre semaines au maximum.

Une situation assez proche du cas qui nous intéresse s'est répétée en 1971. Le règlement de la Commission no 1344/71 a prévu la perception d'une taxe sur les stocks recensés au 1er juillet 1971, toujours afin d'éviter des perturbations sur le marché intérieur de la Communauté.

Les stocks détenus par les utilisateurs étaient assujettis à cette taxe, mais étaient exemptés les stocks considérés comme stocks-outils des utilisateurs à concurrence d'un montant maximum de 20000 tonnes. La France devait prendre, pour la répartition de ce tonnage, toutes les mesures nécessaires afin d'éviter une différence de traitement entre les intéressés. Ce règlement de la Commission était fondé sur le même règlement no 1586/69 ainsi que sur le règlement no 1432/70 du Conseil relatif à
l'adaptation des prix d'intervention ou d'achat à payer en France.

Compte tenu des indications que l'ont peut tirer de ces précédents, nous sommes conduit aux conclusions suivantes :

1. La Commission s'est bornée à prévoir — à charge pour le gouvernement italien de prendre les mesures nécessaires — le principe du paiement aux producteurs de betteraves de la plus-value sur stocks, sans déterminer quelle catégorie d'opérateurs économiques : producteurs de sucre, négociants, utilisateurs industriels seraient assujettis à cette taxation de la plus-value. L'agent de la Commission a affirmé à la barre que néanmoins l'article 6 du règlement visait implicitement tous les détenteurs de
stocks de sucre, sans en excepter les industriels utilisateurs.

Cette interprétation serait, certes, conforme à une nécessité pratique. Pourquoi exempter ces industriels qui, s'ils n'interviennent pas sur le marché du sucre en qualité de vendeurs de ce produit, en sont acheteurs et l'incorporent dans les marchandises qu'ils produisent? Dans une conjoncture normale de stabilité des prix, ils n'ont aucun intérêt à s'approvisionner au-delà des quantités qui correspondent aux besoins du cycle normal de leur production; en d'autres termes, ils se bornent à
maintenir leurs stocks-outils à un niveau suffisant pour faire face à une activité normale de quelques semaines.

Mais, dans la conjoncture qu'a connue le marché italien au printemps 1974, seule la perspective de devoir payer le sucre à un prix fortement majoré à compter du 1er juillet était de nature à inciter ces industriels à constituer des stocks plus importants que ne l'exigeaient les besoins immédiats de leur production.

Certes, la qualité de sucre cristallisé par eux employée ne peut, en principe, être mise sur le marché de la consommation de bouche — encore qu'en période sinon de pénurie du moins de psychose de pénurie il ne soit pas tout à fait inconcevable que certaines quantités de ce sucre cristallisé ne finissent, en définitive, par être mises en vente chez les détaillants après intervention de la majoration de prix.

En admettant même que cette hypothèse fût peu vraisemblable, la constitution par les industriels de stocks excessifs pouvait aussi avoir pour but de leur permettre de répercuter sur le prix de leurs produits la plus-value réalisée à partir du 1er juillet 1974.

L'argument exposé au nom de Rey Soda et des associations intervenantes, tiré de ce que les industriels utilisateurs sont tenus par des contrats de fourniture dont l'exécution s'étale sur plusieurs mois et n'auraient pu, de ce fait, bénéficier de la plus-value réalisée sur leurs stocks de sucre, ne nous a pas paru pleinement convaincant.

Il existerait d'ailleurs un autre indice que la Commission entendait bien, en tout état de cause, que ces utilisateurs soient assujettis au paiement de la redevance sur leurs stocks excessifs. Il découle des termes mêmes du règlement no 1495/74 qui prescrit à toute personne qui détient en Italie, le 1er juillet 1974, à quelque titre que ce soit, des quantités de sucre blanc, de sucre brut ou de sirop de sucre … supérieures à 500 kg d'en faire la déclaration aux autorités italiennes compétentes.

Mais l'obligation imposée en des termes aussi généraux à tous les détenteurs de sucre d'en faire la déclaration à l'administration nationale n'implique nullement qu'ils fussent assujettis à un paiement de la plus-value. Si la Commission disposait, pensons-nous, compte tenu des termes de l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base, du pouvoir d'imposer le recouvrement de la plus-value sur les stocks excessifs détenus, notamment, par les industriels utilisateurs, encore eût-il fallu qu'elle
prenne, à cet égard, une décision expresse et non équivoque.

2. En second lieu, la portée de l'article 6 du règlement no 834/74 ne nous paraît pas pouvoir être dissociée de l'exposé des motifs qui en définit l'objectif. Il s'agissait, si l'on en croit le septième considérant de cet exposé, de «supprimer toute incitation à un stockage excessif de sucre avant le 1er juillet 1974».

Ayant ainsi défini le but des mesures que les autorités italiennes étaient requises de prendre, la Commission leur laissait le soin de déterminer, pour chaque catégorie d'opérateurs économiques et compte tenu de l'importance des entreprises, le seuil au-dessus duquel les stocks détenus devaient être regardés comme excessifs par rapport aux nécessités de leur activité normale. Elle eût, à notre avis, été mieux inspirée de fixer elle-même des critères objectifs de nature à enserrer l'intervention
du gouvernement italien dans un cadre défini de manière plus précise.

Le règlement no 1495/74, prescrivant la déclaration de tous les stocks supérieurs à 500 kg détenus par toute personne, à quelque titre que ce soit, répondait certes à la nécessité d'opérer un recensement aussi complet et aussi exact que possible des stocks détenus par les producteurs, les négociants et les utilisateurs industriels, mais pas plus que le règlement initial, il ne définit ce qu'il convient d'entendre par «stockage excessif».

Peut-on dès lors admettre que ce règlement doit être déclaré invalide en ce qu'il omet de préciser le contenu de cette notion ?

Nous avons été tenté de résoudre la question par la voie de l'interprétation et de dire que ne sauraient être regardés comme excessifs, pour nous en tenir au cas des utilisateurs industriels, les stocks détenus par ceux-ci dans la mesure où ils étaient limités aux quantités nécessaires à assurer, pour chaque entreprise, une activité normale pendant une période de quatre semaines au maximum.

Dans une telle conception, c'est au gouvernement italien qu'il eût appartenu, comme l'avaient fait les autorités françaises en 1970, d'exonérer de la redevance pour plus-value les stocks-outils de ces industriels.

Mais se pose alors la question, déterminante à nos yeux, de savoir si, eu égard aux termes généraux de l'habilitation donnée au gouvernement italien, l'article 6 du règlement ne doit pas être déclaré invalide au motif que ni le traité, ni le règlement de base ne permettraient à la Commission de déléguer à un État membre le pouvoir de prendre des mesures qu'elle aurait dû arrêter elle-même dans le cadre de l'organisation commune du marché du sucre.

C'est un argument analogue que le requérant au principal, Otto Scheer, avait soutenu dans l'affaire préjudicielle 30-70 pour contester la validité du règlement no 87/62, pris suivant la procédure du Comité de gestion, par lequel la Commission laissait aux États membres le soin de fixer les règles relatives à la constitution, au montant et à la perte de la caution à fournir lors de la délivrance des certificats d'importation et d'exportation de céréales.

Écartant cet argument, vous avez jugé que l'intervention des États membres ne constituait que la mise en œuvre de l'obligation générale formulée par l'article 5 du traité, aux termes duquel ceux-ci sont tenus de prendre toutes mesures propres à assurer l'exécution des obligations résultant des actes des institutions et, d'une manière générale, de faciliter à la Communauté l'accomplissement de sa mission.

Mais c'est à raison de circonstances particulières de nature à justifier, en l'espèce, la délégation de pouvoir très large conférée par ce règlement aux États membres que vous avez retenu cette solution. Vous avez précisé que c'est en considération du caractère expérimental du premier régime d'organisation des céréales et de la brièveté du laps de temps qui s'était écoulé entre l'entrée en vigueur du règlement de base et celle du règlement d'application no 87/62 qu'il était légitime, dans
l'intérêt d'une mise en œuvre rapide de l'organisation du marché, de confier temporairement aux États membres des fonctions qui, à un stade plus avancé de l'évolution considérée, ont été assumées par les institutions communautaires.

Tels sont donc les motifs pour lesquels vous avez, dans ces circonstances, admis que la Commission avait pu charger les États membres de prendre des décisions qui, dans le cadre normal du fonctionnement d'une organisation commune du marché, lui incombent.

Or, de semblables considérations ne peuvent être utilement invoquées dans la présente affaire.

Nous sommes en présence d'une organisation commune non pas provisoire, mais définitive et complète, bien que le règlement de base comportât certaines dispositions transitoires, applicables jusqu'à la campagne 1974-1975. L'article 37, paragraphe 2, qui, en l'espèce, constitue la base légale des pouvoirs conférés à la Commission, figure d'ailleurs sous le titre IV qui traite des dispositions générales. C'est à la Commission, et à elle seule, que le Conseil a donné délégation de les exercer.

L'urgence, retenue dans l'affaire Scheer comme justifiant l'intervention des États membres, ne peut être invoquée dans la présente affaire. Dès le 1er novembre 1973, en effet, le Conseil avait décidé de reporter au 1er juillet de l'année suivante l'effet de la hausse des prix du sucre en Italie due à la dévaluation de la lire. La majoration des prix d'intervention communautaires applicables pour la campagne 1974/1975 n'a certes été connue qu'en mars, mais il s'agit là d'un élément en l'espèce
accessoire. En tout cas, la Commission s'était déjà préoccupée antérieurement, dès le début de l'année 1974, d'éviter un stockage excessif de sucre en Italie puisqu'un premier projet de règlement avait été préparé à cette époque par ses services.

Dans ces conditions, pouvait-elle, en définitive, se décharger, comme elle l'a fait, sur le gouvernement italien d'une responsabilité qui lui incombait en se bornant à habiliter ce dernier à prendre «des mesures nationales pour éviter des perturbations sur le marché» et en se bornant à indiquer que «ces mesures consistent, notamment, en un paiement aux producteurs de betteraves de la plus-value sur stocks» ?

En procédant ainsi, elle a subdélégué à un État membre un pouvoir de décision dont le Conseil lui avait confié l'exercice. Une telle subdélégation n'est nullement prévue par l'article 37, paragraphe 2, du règlement de base. Elle ne trouve, à notre avis, aucun fondement légal dans le traité dont l'article 5, s'il oblige les États à assurer l'exécution des obligations résultant des actes des institutions, ne peut être interprété comme autorisant, en l'absence de circonstances exceptionnelles, les
institutions communautaires à se décharger sur les États de ce qui ressortit à leur propre compétence.

Admettre, enfin, la subdélégation à laquelle la Commission a procédé serait contraire à votre jurisprudence dont on peut dégager le principe que, dans le domaine couvert par les organisations communes de marché des produits agricoles, les États membres n'ont conservé d'autres compétences que de fixer certaines modalités d'application des règlements communautaires auxquels ils ne peuvent rien ajouter ni retrancher et d'en assurer l'exécution par certaines actions spécifiques, telles que, par
exemple, la perception des prélèvements, le paiement des restitutions, l'encaissement ou le paiement de montants compensatoires; ils peuvent également recevoir compétence, sur la base d'habilitations spéciales accordées par les autorités communautaires, pour prendre des mesures complémentaires des règlements.

Mais les pouvoirs conférés à l'Italie par le règlement no 834/74 vont très au-delà de telles habilitations. Ils équivalent à un véritable «blanc-seing».

Nous sommes ainsi amené à considérer que, si la Commission pouvait charger les autorités italiennes d'assurer l'exécution des mesures nécessaires en vue d'éviter des perturbations qu'un stockage excessif de sucre risquait de provoquer sur le marché, elle avait elle-même l'obligation non pas seulement de définir l'objectif général de ces mesures et de décider le principe du paiement aux producteurs de betteraves de la plus-value sur stocks, mais de déterminer d'une manière précise les règles de
fond essentielles dont le gouvernement italien était appelé à assurer l'exécution, à savoir: énumérer les catégories d'opérateurs économiques assujettis; définir, pour chacune d'entre elles, la notion de stocks excessifs excédant les besoins de leur activité normale; enfin, déterminer l'assiette de la redevance et sinon en fixer le taux du moins indiquer clairement sur quelles bases la plus-value devait être calculée.

Or, il est manifeste que c'est sur les autorités italiennes que la Commission s'est déchargée de cette responsabilité.

De deux choses l'une :

— ou bien — et c'est ce que nous pensons — le paiement aux producteurs de betteraves de la plus-value sur les stocks de sucre ne pouvait, dans le cadre de l'organisation commune de marché, procéder que d'une décision communautaire prise en application du règlement de base et dont l'intervention était conforme aux prévisions de l'article 37, paragraphe 2, ce qui revient à dire que le gouvernement italien ne pouvait être habilité qu'à en assurer l'exécution, mais ne pouvait en décréter lui-même les
normes essentielles ;

— ou bien, l'Italie avait conservé, nonobstant cette organisation commune, des pouvoirs autonomes qui lui permettaient de prendre, seule, des mesures nationales de nature législative en vue de prévenir ou de réprimer le stockage spéculatif du sucre. Mais le marché national italien de ce produit fait partie intégrante du marché communautaire et c'est alors nier que la gestion de ce marché relève, suivant la répartition des pouvoirs opérée par le règlement de base, de la compétence respective du
Conseil et de la Commission.

C'est pour ces motifs que nous vous proposons de déclarer non valide l'article 6 du règlement no 834/74.

Si vous partagez cette manière de voir, vous n'aurez pas à statuer sur la plupart des questions subsidiaires soumises par le juge national. Toutefois, il en est une à laquelle il nous paraît nécessaire, en tout état de cause, d'apporter une réponse. Elle concerne le point de savoir dans quelle mesure le décret-loi no 255, pris sur la base d'une disposition communautaire non valide, serait lui-même — et de ce seul fait — illégal.

Observons, tout d'abord, que le décret-loi en question, approuvé par la Chambre des députés et par le Sénat de la République italienne, a été ainsi converti en loi, conformément à la procédure de ratification prévue par la Constitution.

Ce ne serait donc pas l'illégalité du décret-loi qui serait en cause, mais l'inconstitutionnalité du texte de nature législative adopté par le Parlement. Il n'appartiendrait dès lors qu'à la Cour constitutionnelle italienne, saisie le cas échéant par le juge national, de se prononcer sur ce problème.

Enfin, il nous faut brièvement apporter une réponse à la question no 4 qui met en cause la validité du règlement no 1495/74, disposition certes complémentaire du règlement no 834/74, mais qui en est, à notre avis, détachable en ce qu'elle n'impose que la déclaration des stocks de sucre détenus par toute personne à la date du 1er juillet 1974. Comme nous l'avons dit, en effet, l'obligation ainsi faite aux détenteurs de sucre ne comporte pas, de plano, assujettissement à la redevance pour plus-value,
dont nous avons constaté que seuls le principe et la destination avaient été arrêtés par la Commission.

Il s'agit en réalité d'une mesure préparatoire, techniquement indispensable pour permettre un recensement exact des quantités de sucre détenues par les opérateurs économiques lors de l'ouverture de la nouvelle campagne et à la date de mise en vigueur de la majoration du prix de ce produit.

Le gouvernement italien avait, à notre avis, le pouvoir d'ordonner lui-même un tel recensement.

Mais nous n'ignorons pas que, si la Commission s'est résolue à le devancer et à intervenir directement, c'est parce qu'elle craignait que ce gouvernement, en crise, ne fût pas à même de prendre cette mesure en temps utile.

Le juge italien met en doute la validité de ce texte pour défaut ou insuffisance de motivation.

Nous ne voyons pas, en premier lieu, en quoi le fait d'avoir visé le règlement no 834/74 affecterait la validité de la disposition relative à la déclaration des stocks qui constituait un préliminaire nécessaire à toute imposition de la plus-value.

En second lieu, la mention de la nécessité «de permettre à l'Italie de prendre très rapidement les mesures d'application» doit être regardée comme un motif surabondant, surtout si l'on considère que les autorités nationales auraient pu, de leur propre chef, enjoindre aux détenteurs de sucre de déclarer l'état de leurs stocks.

Ce motif ne saurait vicier la validité de la mesure prise par la Commission elle-même.

Enfin, celle-ci n'a pas précisé pourquoi la quantité minimale de sucre sujette à déclaration a été fixée à 500 kg.

Cette circonstance nous paraît également sans incidence sur la validité de son règlement. Ainsi que nous l'avons déjà dit, obligation de déclaration, d'une part, et assujettissement au paiement de la plus-value, d'autre part, sont deux notions différentes. Fixer le seuil de la déclaration obligatoire à 500 kg n'impliquait nullement que la redevance devait être exigée sur tous stocks dépassant ce seuil. L'assiette de la redevance pour plus-value, que la Commission avait, à notre avis, le devoir de
déterminer en fonction de la notion de stockage excessif, ne saurait se déduire de la seule exigence de déclaration des stocks existants.

Nous concluons à ce que vous disiez pour droit :

que les dispositions de l'article 6 du règlement no 834/74 de la Commission ne sont pas valides pour autant qu'elles tendent à conférer à la République italienne le pouvoir, délégué à la seule Commission par l'article 37, paragraphe 2, du règlement no 1009/67 du Conseil, de prendre les dispositions nécessaires pour éviter que le marché du sucre ne soit perturbé par suite d'une modification du niveau des prix lors du passage d'une campagne sucrière à l'autre, et notamment de déterminer l'assiette
d'une redevance pour plus-value sur les stocks de sucre détenus sur le territoire de cet État membre, de définir les catégories d'opérateurs économiques assujettis au paiement de ladite redevance et de définir les critères de nature à permettre d'en fixer le montant.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 23-75
Date de la décision : 01/10/1975
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Pretura di Abbiategrasso - Italie.

Sucre

Agriculture et Pêche

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Rey Soda
Défendeurs : Cassa Conguaglio Zucchero.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mayras
Rapporteur ?: Mackenzie Stuart

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1975:121

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