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26/02/1976 | CJUE | N°67

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 26 février 1976., Lesieur Cotelle et Associés SA et autres contre Commission des Communautés européennes., 26/02/1976, 67


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 26 FÉVRIER 1976 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La requérante dans chacun de ces dix-neuf recours est une huilerie française. Ces recours sont formés contre la Commission au titre de l'article 178 et du deuxième alinéa de l'article 215 du traité CEE, et ils tendent à obtenir réparation de préjudices subis du fait de l'exercice prétendument erroné par cette institution, au début de 1972, de ses pouvoirs en matière d'aides et de montants compensatoi

res monétaires applicables aux graines de colza et de navette.

Vous vous souviendrez, Mess...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER

PRÉSENTÉES LE 26 FÉVRIER 1976 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La requérante dans chacun de ces dix-neuf recours est une huilerie française. Ces recours sont formés contre la Commission au titre de l'article 178 et du deuxième alinéa de l'article 215 du traité CEE, et ils tendent à obtenir réparation de préjudices subis du fait de l'exercice prétendument erroné par cette institution, au début de 1972, de ses pouvoirs en matière d'aides et de montants compensatoires monétaires applicables aux graines de colza et de navette.

Vous vous souviendrez, Messieurs, que l'organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses a été établie par le règlement no 136/66/CEE du Conseil du 22 septembre 1966. En ce qui concerne les graines de colza et de navette, ainsi que l'huile fabriquée à partir de ces produits, cette organisation tient compte du fait que la production communautaire est inférieure à la demande, si bien que la Communauté est dans une large mesure tributaire, pour son approvisionnement, du marché
mondial. En outre, elle tient compte des obligations qui résultent pour la Communauté du GATT.

Le résultat de cette situation est que les graines de colza et de navette produites dans les pays tiers entrent dans la Communauté sans être soumises à aucun droit de douane ni prélèvement, et que les huiles de colza et de navette fabriquées dans ces pays ne sont frappées que d'un droit de douane très minime.

Les auteurs du règlement ont toutefois voulu aider les cultivateurs communautaires de graines de colza et de navette et, en particulier, leur permettre d'obtenir de meilleurs prix que ceux pratiqués sur le marché mondial. A cette fin, ils ont mis en place un mécanisme d'intervention du genre habituel, qui est axé sur un prix indicatif: cf. les articles 21 à 26 du règlement Pour assurer que les graines de colza et de navette cultivées dans la Communauté puissent néanmoins soutenir, au stade de la
commercialisation, la concurrence des graines moins chères cultivées en dehors de la Communauté, ils ont eu recours à deux moyens: une aide pour les graines cultivées et transformées dans la Communauté, et une restitution pour les graines cultivées dans la Communauté et exportées à destination de pays tiers. L'aide est prévue à l'article 27 du règlement, et la restitution, à l'article 28.

Les présentes affaires concernent uniquement des graines de colza et de navette cultivées dans la Communauté et transformées sur le territoire de celle-ci (par les requérantes) et qui, de ce fait, entraient en ligne de compte pour l'aide et non pour une restitution à l'exportation. Bien que des arguments aient été tirés, de part et d'autre, du rapport existant entre l'aide et la restitution à l'exportation, nous ne jugeons pas, quant à nous, nécessaire d'examiner en détail la législation relative
aux restitutions. Nous devons par contre, nous semble-t-il, approfondir un tant soit peu la législation relative à l'aide.

L'article 27, paragraphe 1, prévoit:

«Lorsque le prix indicatif valable pour une espèce de graine est supérieur au prix du marché mondial déterminé pour cette espèce, conformément aux dispositions de l'article 29, il est octroyé une aide pour les graines de ladite espèce récoltées et transformées dans la Communauté. Sous réserve des exceptions décidées en application du paragraphe 3, cette aide est égale à la différence entre ces prix.» (JO no 172 du 30. 9. 1966, p. 3032).

L'article 27, paragraphe 3, imposait au Conseil d'arrêter, entre autres, «les principes selon lesquels l'aide … est accordée», «les modalités de contrôle du droit à l'aide» et «les conditions dans lesquelles la fixation à l'avance du montant de l'aide est accordée».

L'article 27, paragraphe 4, dispose que «le montant de l'aide est fixé par la Commission».

L'article 29 déclare:

«Le prix du marché mondial, calculé pour un lieu de passage en frontière de la Communauté, est déterminé à partir des possibilités d'achat les plus favorables, les cours étant le cas échéant ajustés pour tenir compte de ceux de produits concurrents. Les critères pour cette détermination, ainsi que le lieu de passage en frontière, qui est fixé pour chaque espèce de graine, sont arrêtés par le Conseil…» (JO no 172 du 30. 9. 1966, p. 3033)

Le Conseil a établi de pareils critères dans son règlement no 115/67/CEE du 6 juin 1967 (JO no 111 du 10. 6. 1967, p. 2196). L'article 1, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que «la Commission détermine périodiquement un prix du marché mondial des graines de colza et de navette …». Les articles 2 et 3 ont de l'importance dans la présente instance, mais uniquement en rapport avec un point paticulier; il nous semble dès lors plus opportun d'exposer leurs dispositions lorsque nous en arriverons à ce
point particulier. L'article 4 dispose que «le lieu de passage en frontière de la Communauté est fixé à Rotterdam». Quant à l'article 6, qui a été arrêté en exécution des dispositions de l'article 29 du règlement no 136/66, selon lequel les prix du marché mondial doivent le cas échéant être ajustés pour tenir compte des prix de produits concurrents, et qui, selon les considérants du règlement no 115/67, visait à éviter que les transformateurs de la Communauté ne soient incités à préférer une espèce
de graine à une autre, il est libellé comme suit:

«1. Lors de la détermination du prix du marché mondial d'une espèce de graines, le prix retenu est ajusté d'un montant au plus égal à l'écart entre:

— la différence entre le prix de 100 kilogrammes de graines de colza, de navette ou de tournesol, majorée des coûts de transformation, et la somme des prix des quantités d'huile et de tourteaux issus de la transformation de l'espèce de graines en question, d'une part, et

— la différence entre le prix de 100 kilogrammes d'une ou plusieurs autres graines, majorée des coûts de transformation, et la somme des prix des quantités d'huile et de tourteaux issus de leur transformation, d'autre part.

2. Lors de la détermination du montant visé au paragraphe 1, il est tenu compte de l'incidence de l'écart en cause:

a) sur les activités commerciales des opérateurs de la Communauté,

b) sur l'écoulement des différentes graines sur le marché mondial.» (JO no 111 du 10. 6. 1967, p. 2198)

Le Conseil a donné effet à l'article 27, paragraphe 3, du règlement no 136/66, par le règlement no 116/67/CEE du 6 juin 1967 (JO no 111 du 10. 6. 1967, p. 2198). (Ce texte est resté en vigueur jusqu'au 1er juillet 1972, date à laquelle il a été abrogé et remplacé par le règlement (CEE) no 2114/71 du Conseil du 28 septembre 1971 (JO no L 222 du 2. 10.1971, p. 2), modifié par le règlement (CEE) no 2730/71 du Conseil du 21 décembre 1971).

L'article 2 du règlement no 116/67 imposait à chaque État membre d'instaurer un système de contrôle permettant de déterminer (entre autres) les quantités de graines de colza et de navette transformées en huile, afin de garantir que seules les graines ayant droit à l'aide en bénéficient.

Les articles 3 à 6 posaient comme règles générales que le montant de l'aide était celui valable le jour où l'État membre concerné assumait le contrôle des graines à l'huilerie dans laquelle elles seraient transformées, et que la preuve de la mise des graines sous un pareil contrôle devait être fournie par la délivrance d'un certificat. Ces mêmes articles prévoyaient toutefois un système de fixation de l'aide à l'avance. Selon ce système, le montant de l'aide était égal à la différence entre le prix
indicatif valable le mois de la mise des graines sous un pareil contrôle et la moyenne des quatre derniers prix du marché mondial, déterminés avant la date du dépôt de la demande de certificat. Celui-ci indiquait alors le montant de l'aide fixée dans ces conditions. Lorsqu'un opérateur avait recours à cette facilité, la délivrance du certificat était subordonnée à la constitution d'une caution destinée à garantir l'obligation de mettre les graines sous contrôle, dans une huilerie située dans l'Etat
membre concerné, pendant la durée de validité du certificat. Cette caution restait acquise si les graines n'étaient pas placées sous un pareil contrôle pendant ladite période.

L'article 9, paragraphe 1, prévoyait que le droit à l'aide était acquis au moment de la transformation des graines en vue de la production d'huile. Cette règle était toutefois assortie d'une dérogation en ce sens que l'aide pouvait être versée à l'avance, dès la mise des graines sous contrôle, si une garantie était constituée pour leur transformation.

L'article 9, paragraphe 2, disposait que l'aide était versée au détenteur du certificat dans l'État membre ayant délivré le certificat.

Pour compléter cette énumération de la législation relative à l'organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses, dans la mesure où elle nous intéresse en l'espèce, nous ajouterons que l'article 1 du règlement no 225/67/CEE de la Commission du 28 juin 1967 (JO no 136 du 30. 6. 1967, p. 2919) prévoit que le prix des graines de colza et de navette sur le marché mondial est fixé au moins une fois par semaine.

A l'audience, le conseil des requérantes a qualifié l'époque à laquelle cette organisation a été arrêtée, d'«âge d'or» de la politique agricole commune. Il s'agissait de l'époque des taux de change fixes, et le préambule du règlement no 129 du Conseil, du 23 octobre 1962 (qui est le règlement dont les dispositions constituent en fin de compte, selon nous, le pivot de la décision à rendre dans ce litige), pouvait alors déclarer:

«… il est nécessaire de fixer le taux de change à utiliser pour les opérations à effectuer dans le cadre de la politique agricole commune et qui exigent d'exprimer en une monnaie des sommes indiquées en une autre monnaie;

… tous les États membres et un grand nombre de pays tiers ont déclaré auprès du Fonds monétaire international une parité de leur monnaie et

… celui-ci l'a reconnue;

… en vertu des règles de cette institution, les taux de change qui s'appliquent aux transactions courantes et qui sont constatés sur les marchés de change soumis au contrôle des autorités monétaires des pays dont la parité de la monnaie a été reconnue par le Fonds, ne peuvent varier que dans des limites étroites autour de cette parité;

… par conséquent, l'utilisation du taux de change correspondant à ladite parité permet, dans des conditions normales, d'éviter des difficultés d'ordre monétaire qui pourraient entraver la réalisation de la politique agricole commune;

… l'unité de compte étant définie uniquement par un poids d'or, il faut, pour exprimer en monnaies nationales des sommes indiquées en unité de compte et inversement, utiliser nécessairement la parité en or ou en dollars US de ces monnaies, déclarée auprès du Fonds monétaire international et reconnue par celui-ci.» (JO no 106 du 30. 10. 1962, p. 2553)

L'article 1 de ce règlement prévoit:

«Lorsque dans les actes arrêtés par le Conseil en vertu du l'article 43 du traité et concernant la politique agricole commune ou dans les dispositions prises en application de ces actes des sommes sont exprimées en unités de compte, la valeur de cette unité de compte est de 0,88867088 gramme d'or fin.» (JO no 106 du 30. 10. 1962, p. 2554)

A l'époque de l'adoption du règlement no 129, ce chiffre représentait exactement la parité du dollar US.

L'article 2, paragraphe 1, déclare:

«Lorsque des opérations à effectuer en application des actes ou des dispositions visés à l'article 1 exigent d'exprimer en une monnaie des sommes indiquées en une autre monnaie, le taux de change à appliquer est celui qui correspond à la parité déclarée auprès du Fonds monétaire international et reconnue par celui-ci.») (JO no 106 du 30. 10. 1962, p. 2554

L'article 3 dispose:

«1.   Lorsque les pratiques monétaires de caractère exceptionnel sont de nature à mettre en danger l'application des actes ou des dispositions visées à l'article 1, le Conseil ou la Commission, dans le cadre des pouvoirs dont ils disposent en vertu de ces actes ou dispositions et selon les procédures prévues dans ces actes ou dispositions pour chaque cas particulier, peuvent, après consultation du comité monétaire, prendre des mesures dérogatoires au présent règlement et notamment dans les cas
suivants:

a) quand un pays membre du Fonds monétaire international ayant déclaré une parité de sa monnaie auprès de cette institution, parité reconnue par celle-ci, permet des variations de la valeur de sa monnaie dans les limites plus larges que celles prévues en vertu des règles de cette institution;

b) quand un pays a recours à des techniques de change anormales telles que taux fluctuants, taux de change multiples, ou applique un accord de troc;

c) quand il s'agit de pays dont la monnaie ne fait pas l'objet de cotation sur les marchés officiels de change.

2.   Toutefois, en cas d'urgence, les mesures prévues au paragraphe précédent peuvent être prises sans consultation préalable du comité monétaire, auquel cependant une demande d'avis est adressée simultanément En pareil cas, ces mesures dérogatoires ont un caractère provisoire; les mesures définitives ne sont prises qu'après avis du comité monétaire.» (JO no 106 du 30. 10. 1962, p. 2554)

C'est la dévaluation du franc français au cours de l'été de 1969, qui a été suivie par la réévaluation du DM à l'automne de la même année, qui a sonné le glas de l'âge d'or. Ces événements ont exigé des mesures particulières pour sauvegarder le fonctionnement de la politique agricole commune.

L'âge d'or a pris fin au printemps de 1971, lorsque le DM et le florin néerlandais ont été autorisés à flotter. Cette situation a conduit à l'instauration de montants compensatoires monétaires par le règlement (CEE) no 974/71 du Conseil du 12 mai 1971 et par deux règlements d'exécution arrêtés par la Commission le 17 mai 1971: les règlements (CEE) nos 1013/71 et 1014/71. Initialement, les montants compensatoires monétaires n'ont été appliqués, conformément à ces règlements, qu'en république fédérale
d'Allemagne et aux Pays-Bas.

En août 1971, les États-Unis d'Amérique ont, sans modifier la parité officielle du dollar US, suspendu sa convertibilité en or. Cela signifiait que, bien que la parité du dollar déclarée au FMI et reconnue par celui-ci demeurât inchangée, la valeur réelle ou commerciale du dollar était moindre.

Si le système des montants compensatoires monétaires ne visait pas au départ à parer à cette situation, il permettait néanmoins d'y faire face, puisque l'article 2 du règlement no 974/71 prévoit:

«Pour les produits pour lesquels des mesures d'intervention sont prévues, les montants compensatoires sont égaux aux montants obtenus en appliquant aux prix le pourcentage représentant l'écart entre:

— la parité de la monnaie nationale de l'État membre en cause declarée auprès du Fonds monétaire international et reconnue par celui-ci, d'une part,

et

— la moyenne arithmétique des cours de change au comptant… de cette monnaie par rapport au dollar des États-Unis d'Amérique, d'autre part.» (JO no L 106 du 12. 5. 1971, p. 2)

Le système des montants compensatoires monétaires a été étendu en deux temps aux États membres auxquels il ne s'appliquait pas initialement. Il a été étendu à la Belgique et au Luxembourg en août 1971, puis à la France et à l'Italie par le règlement no 2887/71 de la Commission du 30 décembre 1971 (JO no L 288 du 31. 12. 1971, p. 57)

Par l'effet combiné de ce règlement et du règlement (CEE) no 2888/71 de la Commission qui a, lui aussi, été arrêté le 30 décembre 1971, les montants compensatoires monétaires ont été déclarés applicables, à compter du 24 décembre 1971, aux importations en France en provenance des pays tiers, à moins qu'il ne s'agisse d'importations réalisées à la suite de contrats conclus avant le 19 décembre 1971.

Les montants des montants compensatoires monétaires à appliquer ont été fixés aux annexes du règlement (CEE) no 17/72 de la Commission du 31 décembre 1971 (JO no L 5 du 6. 1. 1972, p. 1). L'annexe IX traitait des matières grasses, et en particulier des graines de colza et de navette. Pour les importations de pareilles graines en France à partir des pays tiers, elle prévoyait un montant de 3,95 FF par 100 kg. Les montants ont été modifiés par le règlement (CEE) no 144/72 de la Commission du
21 janvier 1972 (JO no L 19 du 23. 1. 1972, p. 1), qui a porté le montant précité, avec effet à compter du 24 janvier 1972, de 3,95 FF à 4,75 FF par 100 kg.

Toutefois, le 26 janvier 1972, la Commission a arrêté le règlement (CEE) no 189/72 (JO no L 24 du 28. 1. 1972, p. 25), par lequel elle a abrogé ladite annexe IX avec effet au 1er février 1972, si bien qu'à partir de cette date, les montants compensatoires monétaires ne s'appliquaient plus aux importations de graines de colza et de navette dans aucun État membre.

Les requérantes dans les présents recours détenaient toutes des certificats dans lesquels l'aide prévue à l'article 27 du règlement no 136/66 avait été fixée à l'avance. Leurs demandes se divisent en deux catégories.

Le premier groupe de demandes a trait à des certificats qui ont été sollicités au cours de la période allant du 24 décembre 1971 au 31 janvier 1972, pendant laquelle les importations de graines de colza et de navette en France étaient soumises à des montants compensatoires monétaires, mais qui n'ouvraient aux requérantes un droit au versement de l'aide qu'à l'expiration de cette période, lorsque les graines auraient été soit transformées, soit mises sous contrôle avec la garantie qu'elles seraient
transformées.

La seconde catégorie de demandes concerne des certificats qui ont été sollicités en février et en mars 1971.

Les demandes des requérantes dans les affaires 67-75, 68-75, 71-75, 73-75, 79-75, 81-75, 83-75 et 85-75 appartiennent à la première catégorie; les demandes des requérantes dans les affaires 72-75, 76-75, 77-75 et 84-75 font partie de la deuxième catégorie, et les demandes des requérantes dans les affaires 69-75, 70-75, 74-75, 78-75, 80-75 et 82-75 relèvent des deux catégories.

Il est constant entre les parties que, durant toute la période en question, les prix des graines de colza et de navette sur le marché mondial ont été déterminés par la Commission, en. vue de la fixation de l'aide, sur la base de cotations de graines de colza canadiennes, caf Rotterdam, exprimées en dollars US. Il est aussi constant qu'à cette occasion, la Commission a encore retenu comme valeur du dollar US la parité de cette monnaie déclarée au FMI et reconnue par celui-ci. Il en découle que l'aide
a été fixée sur la base de prix fictifs du marché mondial, plus élevés que les prix réels sur ce marché.

D'après les requérantes, si nous avons bien compris leur argumentation, cela n'avait pas d'importance aussi longtemps que les importations en provenance des pays tiers étaient soumises à des montants compensatoires monétaires, puisque ceux-ci compensaient alors la différence existant entre les prix fictifs du marché mondial et les prix réels. Pour l'essentiel, les requérantes incriminent la suppression des montants compensatoires monétaires, décidée sans aucun ajustement concomitant de l'aide, ce
qui a eu comme conséquence que l'aide n'a plus couvert intégralement la différence existant entre le prix indicatif communautaire et le prix auquel les graines de colza et de navette provenant de pays tiers pouvaient être vendues dans la Communauté.

Selon les requérantes, cette mesure violait de ce fait l'article 27 du règlement no 136/66.

Plus spécifiquement, elles ont fait valoir que la Commission avait enfreint l'obligation que lui imposait l'article 1, paragraphe 3, du règlement no 115/67, de déterminer le prix du marché mondial «sur la base des possibilités d'achat réelles les plus favorables». Elles ont aussi allégué que le dommage subi par elles était d'autant plus réel qu'elles avaient acheté des graines cultivées en France, auprès d'intermédiaires agréés, à un prix voisin du prix indicatif et que, pratiquement, elles avaient
dès lors versé l'aide aux producteurs, par le canal de ces intermédiaires, avant de la recevoir elles-mêmes. En outre, elles ont soutenu que le comportement de la Commission avait violé trois principes fondamentaux ancrés dans le traité CEE. En premier lieu, il aurait violé le principe de la préférence communautaire, en rendant l'achat de graines produites dans des pays tiers plus intéressant pour les triturateurs communautaires que l'achat de graines cultivées dans la Communauté. En deuxieme lieu,
il aurait violé le principe selon lequel la concurrence à l'intérieur de la Communauté ne doit pas être faussée, car il aurait permis aux triturateurs communautaires, qui n'étaient pas tenus par des contrats a long terme, d'acheter des graines d'origine communautaire, d'acquérir a des conditions plus favorables des graines provenant de pays tiers. En troisième lieu, il aurait voilé ie principe de non-discrimination entre les opérateurs des divers États membres, car, du fait que les monnaies de ces
États ne se seraient pas toutes valorisées par rapport au dollar US dans la même mesure, les triturateurs de certains de ces pays auraient pu acquérir des graines sur le marché mondial à meilleur compte que leurs concurrents d'autres États membres.

Les requérantes n'ont pas incriminé le comportement de la Commission apres le 31 mars 1972, et cela, parce que, à partir du 1er avril 1972, pour déterminer les prix des graines de colza et de navette sur le marché mondial, la Commission a exercé le pouvoir d'appréciation que lui conférait l'article 6 du règlement no 115/67, qui l'habilitait à ajuster ce prix à la lumière de la rentabilité de la transformation de pareilles graines par rapport à la rentabilité de la transformation d'autres espèces de
graines. Cet ajustement a apparemment eu pour effet de porter l'aide à un montant que les requérantes ont considéré comme adéquat.

En mai 1972, les États-Unis d'Amérique ont déclaré une nouvelle parité du dollar US au FMI et cette nouvelle parité a dorénavant été utilisée pour calculer l'aide.

Il sied, nous semble-t-il, de souligner que les requérantes n'incriminent pas la suppression des montants compensatoires monétaires comme tels. Comme il s'agit d'entreprises trituratrices et non exportatrices de graines cultivées dans la Communauté, elles n'avaient effectivement aucun droit a des montants compensatoires monétaires (sauf peut-être pour les exportations d'huile, mais cet aspect ne fait pas l'objet de la présente affaire). De plus, la jurisprudence de la Cour démontre amplement que les
montants compensatoires monétaires ne peuvent être appliqués que lorsqu'ils sont nécessaires pour éviter toute perturbation du fonctionnement de l'organisation commune du marché des produits en question, que la Commission est tenue de les supprimer lorsqu'il est acquis que la situation du marché les rend superflus à cette fin, et que la Commission dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation: cf. en particulier l'arrêt rendu dans l'affaire 74-74, CNT A/Commission (Recueil 1975, p. 545 et
suiv.). Ainsi que nous l'avons dit, les requérantes reprochent essentiellement a la Commission d'avoir supprimé les montants compensatoires monétaires sans majorer l'aide.

Les requérantes ont fait valoir dans leurs observations écrites qu'en supprimant les montants compensatoires monétaires sans leur accorder le bénéfice de la moindre disposition transitoire, la Commission avait déçu leur confiance légitime et qu'elle était à ce titre tenue de les dédommager. Elles ont déclaré qu'elles avaient acheté des graines cultivées dans la Communauté, au prix communautaire, pour constater simplement ensuite qu'elles devaient vendre l'huile obtenue à partir de ces graines, sur
un marché où se pratiquaient les prix inférieurs du marché mondial. Les requérantes n'ont toutefois pas insisté sur ce moyen à l'audience. Il nous semble que cela eût d'ailleurs été vain. Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, les montants compensatoires monétaires ont été rendus applicables en France par le règlement no 2887/71, qui a été publié le 31 décembre 1971. Ils ont été supprimés, en ce qui concerne les matières grasses, par le règlement no 189/72, qui a été publié le 28 janvier 1972. C'est
donc pendant une période maximale de 28 jours seulement qu'une des requérantes peut avoir pris une quelconque décision commerciale en se fiant au maintien en vigueur des montants compensatoires monétaires. A l'audience, l'avocat des requérantes a d'ailleurs signalé à la Cour que les contrats en vertu desquels celles-ci avaient acheté des graines étaient des contrats à long terme, d'une durée d'environ 8 mois, et que cette pratique était inévitable, parce que les contrats en exécution desquels elles
vendaient des tourteaux étaient eux aussi des contrats à long terme. Les réalités commerciales étaient telles qu'elles n'avaient pas d'autre choix que de poursuivre la trituration, que leur marché national soit ou non protégé par des montants compensatoires monétaires. En fait, aucun indice n'a été fourni qui permette de penser qu'une des requérantes avait acheté ou trituré une seule tonne de graines, ou sollicité un seul certificat d'aide, en se fiant au maintien en vigueur des montants
compensatoires monétaires. De plus, il n'existe aucun élément non plus permettant de penser que la suppression des montants compensatoires monétaires a affecté le prix de l'huile sur le marché français et. causé de ce fait des pertes aux requérantes ou entraîné un manque à gagner. Nous ajouterons qu'un document déposé par les requérantes, à savoir le procès-verbal d'une réunion que le Conseil d'administration de la Société inter-professionelle des oléagineux a tenue à Paris le 18 janvier 1972
(annexe I à la réplique) montre que, à cette date déjà, on savait que la Commission était favorable à la suppression des montants compensatoires monétaires sur les graines et les huiles de colza.

A l'audience, l'agent de la Commission a relevé que, dans la mesure où les présents recours se fondent sur le moyen des requérantes que nous avons qualifié d'essentiel, ils étaient irrecevables, parce que les conclusions des requérantes tendaient en réalité à obtenir une aide supplémentaire et que, à cette fin, elles auraient dû poursuivre l'autorité responsable française, en paiement de l'aide devant les juridictions françaises. L'avocat des requérantes a objecté sur le champ que l'irrecevabilité
des recours n'avait pas été invoquée au cours de la procédure écrite et qu'il était trop tard pour soulever ce moyen à l'audience.

Messieurs, nous ne rétracterons aucunement ce que nous avons déclaré dans l'affaire 46-75, IBC/Commission (non encore publiée) au sujet de l'impossibilité pour les parties devant cette Cour de faire valoir à l'audience des moyens qui n'ont pas été soulevés lors de la procédure écrite. Mais, dans cette affaire, nous envisagions le cas de moyens de fond. Le problème de la recevabilité d'un recours, portant sur la compétence de la Cour, peut être soulevé par la Cour elle-même, d'office, à tout stade de
la procédure. Il en découle nécessairement, selon nous, qu'une partie peut en débattre à n'importe quel stade.

Nous estimons toutefois que les présents recours sont recevables. La demande que les requérantes formulent en l'espèce est d'un genre différent de celles qui ont été formulées dans l'affaire 96-71, Haegeman/Commission (Recueil 1972, p. 1005), dans l'affaire 99-74, Société des Grands Moulins des Antilles/Commission (non encore publié) et dans l'affaire IBC/Commission. Dans chacune d'elles, la Cour a jugé que la voie à suivre par les requérantes consistait à attraire l'autorité nationale responsable
devant la juridiction nationale compétente, et non d'attaquer la Commission devant la Cour au titre de l'article 178 du traité. Dans chacune de ces affaires, la requérante réclamait le paiement d'une somme liquide. Dans la première et dans la troisième affaire, il s'agissait d'une somme à propos de laquelle la requérante soutenait que l'autorité nationale concernée l'avait indûment exigée d'elle en application d'une législation communautaire qu'elle estimait illégale. Dans la deuxième affaire, il
s'agissait d'une somme à laquelle la requérante prétendait avoir droit en vertu de la législation communautaire applicable. Dans aucune de ces affaires, il n'existait le moindre doute ni le moindre différend au sujet du montant de la somme réclamée. Dans la présente instance, au contraire, les sommes réclamées par les requérantes ne sont pas liquides. Certes, les requérantes se sont, dans leurs mémoires, efforcées de les chiffrer par référence aux montants des montants compensatoires monétaires qui
avaient été supprimés, mais cette tentative d'évaluation ne résiste pas à l'examen, ne serait-ce que parce qu'elle présuppose que la valeur marchande du dollar US est restée inchangée tout au long des mois de février et mars 1972. De là l'alternative proposée par les requérantes, qui concluent à titre subsidiaire à ce que les montants soient déterminés par un expert indépendant

Le véritable grief des requérantes est double. En ce qui concerne la première catégorie de leurs demandes, elles reprochent la Commission de ne pas avoir, après la suppression des montants compensatoires monétaires, procédé à un nouveau calcul des aides fixées à l'avance, en se fondant sur les prix du marché mondial révisés. En ce qui concerne le deuxième groupe de leurs demandes, elles incriminent le fait que tout au long de février et mars 1972, elle a, semaine après semaine, erronément déterminé
le prix du marché mondial des graines de colza et de navette, utilisé pour calculer l'aide.

Il ne fait aucun doute que, dès le moment où le prix indicatif communautaire et le prix du marché mondial sont tous deux connus, le calcul de l'aide même ne constitue plus qu'un simple problème d'arithmétique. La détermination du prix du marché mondial, par contre, est un problème pour lequel la Commission est, en vertu du règlement no 115/67, appelée à exercer de larges pouvoirs d'appréciation. Sans doute suffirait-il que nous nous référions à cet égard à l'article 6 de ce règlement, mais nous
voudrions renvoyer aussi aux articles 2 et 3 (auxquels nous avons déjà fait allusion) et à l'article 5. Les articles 2 et 3 sont libellés comme suit:

«Article 2

Dans le cas où aucune offre et aucun cours ne peuvent être retenus pour la détermination du prix du marché mondial d'une espèce de graine, la Commission détermine ce prix à partir de la valeur des quantités moyennes d'huile et de tourteaux qui sont obtenues de la transformation, dans la Communauté, de 100 kilogrammes de graines de cette espèce, en diminuant cette valeur d'un montant correspondant aux coûts de transformation desdites graines en huile et en tourteaux.

Article 3

Dans le cas où aucune offre et aucun cours ne peuvent être retenus pour la détermination du prix du marché mondial d'une espèce de graine et où, en outre, il est impossible de constater la valeur des tourteaux ou de l'huile qui en sont issus, le prix du marché mondial est déterminé à partir de la dernière valeur connue des huiles ou des tourteaux, ajustée pour tenir compte de l'évolution des prix mondiaux des produits concurrents, en appliquant à cette valeur les règles de l'article 2.» (JO no 111
du 10. 6. 1967, p. 2197)

Selon l'article 5, lorsque les offres ou cours ne sont pas ceux qui valent pour «des graines en vrac, de la qualité type pour laquelle a été fixé le prix indicatif, et livrées à Rotterdam», la Commission doit procéder «aux ajustements nécessaires».

A notre avis, il ne saurait être exact d'affirmer que, dans les cas où il était soutenu que la Commission avait déterminé le prix du marché mondial en partant d'une base juridique erronée, les juridictions nationales des divers États membres pouvaient être saisies du problème de savoir comment la Commission aurait dû exercer de pareils pouvoirs d'appréciation.

Selon nous, la présente affaire s'apparente à l'affaire 43-72, Merkur/Commission (Recueil 1973, p. 1055), à l'affaire 153-73, Holtz & Willemsen/Conseil et Commission (Recueil 1974, p. 675) et à l'affaire CNTA (que nous avons déjà citée). Dans chacune d'elles, la Cour a jugé une requérante en droit d'agir au titre de l'article 178, lorsque son grief porte sur le défaut de l'institution ou des institutions défenderesses de lui conférer un droit au paiement d'une certaine somme. Elle s'apparente plus
particulièrement aux affaires 9 et 11-71, Compagnie d'approvisionnement/Commission (Recueil 1972, p. 403), dans laquelle la Cour a jugé recevable, au titre de cet article, un recours formé contre la Commission parce qu'elle avait fixé certaines aides à un niveau trop bas.

Nous estimons toutefois que, bien qu'ils soient recevables, les présents recours doivent être rejetés, et cela, pour le motif bien simple que la Commission a invoqué, à savoir que l'article 2 du règlement no 129 l'obligeait à attribuer au dollar US, malgré la suspension de sa convertibilité en or, la parité de cette monnaie déclarée au FMI et reconnue par celui-ci. Dans ces conditions, la Commission n'aurait pu échapper à cette exigence qu'en exerçant les pouvoirs que lui conférait l'article 3 du
règlement no 129, et elle n'aurait pu le faire que si elle avait été convaincue du fait que la suspension de la convertibilité du dollar était «de nature à mettre en danger l'application» des dispositions du règlement no 136/66 relatives à l'aide prévue pour les graines de colza et de navette (et que le problème était suffisamment sérieux pour en saisir le Comité monétaire). Les requérantes n'ont pas été jusqu'à prétendre que la Commission aurait dû agir de la sorte. Cette assertion aurait
d'ailleurs été inconciliable avec le fait que la Commission a (à tort ou à raison) estimé que les montants compensatoires monétaires sur ces produits pouvaient être supprimés sans conséquences fâcheuses.

En conclusion, nous estimons que les présents recours devraient être rejetés et les requérantes condamnées aux dépens.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 67
Date de la décision : 26/02/1976
Type de recours : Recours en responsabilité - non fondé, Recours en responsabilité - irrecevable

Analyses

Matières grasses

Responsabilité non contractuelle

Agriculture et Pêche

Mesures monétaires en agriculture


Parties
Demandeurs : Lesieur Cotelle et Associés SA et autres
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: Donner

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1976:31

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