CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE 3 MAI 1979
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
La Cour est saisie de cette affaire, pour la seconde fois, par une demande de décision à titre préjudiciel formée par le Centrale Raad van Beroep d'Utrecht. La première fois, elle portait le numéro 117/77 et l'arrêt de la Cour a été rendu le 16 mars 1978. Il est reproduit au Recueil 1978, à la page 825.
Les faits pertinents ont été pleinement exposés à cette occasion et il nous paraît inutile de les rappeler aujourd'hui.
1. Dans le cadre des questions qui vous avaient été précédemment soumises à propos du litige opposant Mme Pierik, titulaire d'une pension d'invalidité, ou plus exactement l'Association professionnelle à laquelle elle était affiliée, à la Caisse de maladie de Drenthe, vous n'étiez pas appelés à vous prononcer sur le point de savoir si la notion de «titulaire de pension ou de rente» au sens de l'article 31 du règlement du Conseil no 1408/71 est plus étroite que le terme de «travailleur» employé
notamment à son article 1, lettre a).
Le point est à présent expressément soulevé et il fait l'objet de la première question qui vous est posée. La réponse n'a d'ailleurs d'intérêt, semble-t-il, que si les droits conférés par l'article 31 sont différents de ceux conférés par l'article 22. Cependant, la juridiction nationale s'abstient de vous interroger à cet égard et nous devons donc répondre dans l'abstrait à cette première question.
Bien que les vocables de population «active» ou «inactive» ne soient pas employés au chapitre I du titre III de ce règlement, ce chapitre est divisé en sections qui correspondent à des catégories différentes de bénéficiaires potentiels. Cette structure montre qu'aux fins de l'application des dispositions relatives au régime de maladie et maternité, il y a lieu de distinguer entre les personnes «actives» et les titulaires d'une rente ou d'une pension, de sorte que, lorsque ces derniers ou les
membres de leur famille séjournent dans un État autre que celui où ils résident, ils bénéficient des prestations en nature et, le cas échéant, en espèces selon les modalités fixées par l'article 31 dans la version découlant de l'Acte d'adhésion.
Un argument supplémentaire en faveur de cette distinction est constitué par les dispositions de l'article 34 qui distingue le cas du simple titulaire d'une pension ou d'une rente de celui du titulaire d'une pension ou d'une rente «qui a droit aux prestations au titre de la législation d'un État membre du fait de l'exercice d'une activité professionnelle» et qui, «dans ce cas, est considéré comme travailleur … pour l'application des dispositions du présent chapitre».
A vrai dire, cet argument nous paraît sans portée dans la mesure où, comme aux Pays-Bas par exemple, le cumul d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle, d'une part, et d'un salaire, d'autre part, est pratiquement impossible puisque, ou bien il n'y a pas ouverture du droit du fait de l'activité professionnelle continuée, ou bien le montant de la rente ou de la pension vient en déduction du salaire. Il paraît donc exclu qu'un titulaire de pension ou de rente puisse, au moins
dans cet État membre, utilement exercer une activité professionnelle.
Comme nous l'avons dit, la reconnaissance de cette distinction ne préjuge toutefois pas du point de savoir si les droits conférés par l'article 31 sont matériellement différents de ceux qui sont conférés par l'article 22. La Commission refuse expressément de se pronnoncer; la juridiction néerlandaise s'abstient, elle aussi, de vous interroger sur ce point et nous ne pensons pas que, saisis au titre de l'article 177, il vous appartienne de statuer d'office sur cette question. Par ailleurs, il ne
peut être exclu que, pour être complètement éclairé, le Centrale Raad van Beroep vous saisisse une troisième fois.
2. Par sa deuxième question, le juge national vous demande si, au sens de l'article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, l'obligation, pour l'institution compétente, d'octroyer l'autorisation requise joue, même lorsque les soins «appropriés» dont il s'agit ont été délibérément exclus de la liste des prestations prises en charge par la législation dont relève cette institution.
Par votre arrêt du 16 mars 1978 (Recueil 1978, p. 839), vous avez déjà répondu que «les termes “prestations en nature servies, pour le compte de l'institution compétente, par l'institution du lieu de séjour ou de résidence” ne désignent pas uniquement les prestations en nature servies dans l'État membre de résidence, mais aussi les prestations que l'institution compétente a la possibilité de servir».
Comme l'expose le gouvernement du Royaume-Uni dans ses observations, il s'agit de savoir si cette habilitation doit être appréciée par référence à la législation nationale dont relève l'institution compétente ou s'il suffit qu'elle découle directement du règlement no 1408/71.
A cet égard, vous avez précisé que cette obligation existe en tout cas:
1) lorsque les soins «appropriés»ne peuvent pas être dispensés sur le territoire de l'État membre de résidence;
2) lorsque les soins dispensés dans l'État de séjour temporaire sont plus efficaces que ceux dont l'intéressé peut bénéficier dans l'État membre où il réside.
La seule limitation posée par l'article 22, paragraphe 1, sous i), est que la durée du service des prestations est régie par la législation de l'État compétent. Sous cette réserve, les soins sont dispensés dans l'État membre de séjour (ou de résidence) conformément à la législation de cet État, car il ne serait pas raisonnable de demander aux institutions de sécurité sociale de chaque État de tenir compte des régimes de sécurité sociale de chacun des autres États.
En particulier, il serait directement contraire au principe de la libre circulation des travailleurs que l'institution compétente refuse à un assuré le bénéfice d'un traitement approprié à son état, traitement dont il aurait pu bénéficier, sans plus, s'il était resté dans son pays d'origine, même si, pour des raisons de gestion ou d'opportunité, l'administration de tels soins — à la supposer techniquement possible — ne fait pas l'objet d'une prise en charge par l'institution compétente. Une
éventuelle discrimination à rebours vis-à-vis des assurés nationaux ne saurait priver le travailleur d'un droit dont il aurait bénéficié s'il n'avait pas «migré».
Nous ne voyons rien à ajouter à cette réponse, sinon peut-être à réserver le cas des soins ou d'un traitement qui seraient manifestement contraires à la moralité publique de l'État de résidence habituelle. Mais, il nous paraîtrait inutile, sinon dangereux, d'envisager de façon générale et abstraite, dans le cadre de la présente affaire, diverses considérations d'éthique médicale, pour lesquelles un traitement serait délibérément exclu de la liste des prestations prises en charge par les caisses
de maladie. Le cas de Mme Pierik (traitement d'une affection rhumatismale) ne rentre manifestement dans aucune de ces hypothèses.
3. Par sa troisième question, le juge national vous demande si les termes de l'article 22, paragraphe 1 c), sous i), se rapportent directement au cas où l'institution de l'État de séjour temporaire peut discrétionnairement autoriser ou refuser l'administration des soins dont il s'agit ou si, avant d'octroyer son autorisation, l'institution compétente doit vérifier si l'institution de l'État de séjour temporaire prendrait en charge l'administration de tels soins à l'intéressé s'il était affilié
auprès de cette dernière. En d'autres termes, le Centrale Raad van Beroep voudrait savoir si l'institution de l'État de séjour temporaire jouit, vis-à-vis d'une personne venant d'un autre État membre pour recevoir des soins dans cet État, des mêmes pouvoirs qu'elle a vis-à-vis des personnes qui sont directement affiliées auprès d'elle.
Aux termes de la disposition en cause, l'intéressé a droit aux soins conformément à la législation de l'État de séjour (ou de résidence), selon les dispositions de la législation que l'institution de cet État applique, comme s'il était affilié à cette dernière. Bien entendu, le travailleur doit être autorisé par l'institution compétente à se rendre sur le territoire de l'autre État membre, mais le pouvoir de refuser cette autorisation ne peut s'exercer que dans les limites définies par
l'article 22, paragraphe 2, que nous avons rappelées. Par conséquent, le droit à recevoir des soins appropriés existe dans toute la mesure où l'institution du lieu de séjour (ou de résidence) l'accorderait à ses propres affiliés. En décider autrement constituerait une discrimination à raison de la nationalité, contraire à l'article 7 du traité. Mais, comme le fait observer le gouvernement du Royaume-Uni, aucune disposition de droit communautaire n'empêche l'institution compétente de s'enquérir,
avant de donner son autorisation, auprès de l'institution de l'État de séjour ou de résidence.
Nous concluons à ce que vous répondiez comme suit aux questions qui vous sont posées:
1) Les prestations en matière de soins de santé et de frais de maladie, dues à un titulaire de rente ou de pension, au titre de la législation d'un État membre, qui se déplace dans un autre État membre, sont régies par l'article 31 du règlement no 1408/71.
2) L'institution compétente est tenue d'accorder l'autorisation requise au titre du paragraphe 1 c) de l'article 22 pour tout traitement approprié de la maladie ou de l'affection dont l'intéressé est atteint.
3) Les prestations en nature au sens de l'article 22, paragraphe 1 c), sous i), visent également les prestations qui se rapportent à des soins plus efficaces que ceux dont l'intéressé pourrait bénéficier dans l'État membre où il réside habituellement et qui ne peuvent être dispensés dans cet État.