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29/06/1982 | CJUE | N°59/81

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 29 juin 1982., Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes., 29/06/1982, 59/81


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 29 JUIN 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

L'affaire dans laquelle nous concluons aujourd'hui porte sur le troisième différend que la Cour est appelée à trancher et qui oppose la Commission au Conseil en ce qui concerne la possibilité prévue à l'article 65 du statut d'adapter annuellement les rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes. Les deux différends an

térieurs ont abouti aux arrêts que vous avez rendus dans les affaires 81/72 (Recueil 1973, p. 575) et ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 29 JUIN 1982 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

L'affaire dans laquelle nous concluons aujourd'hui porte sur le troisième différend que la Cour est appelée à trancher et qui oppose la Commission au Conseil en ce qui concerne la possibilité prévue à l'article 65 du statut d'adapter annuellement les rémunérations et pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes. Les deux différends antérieurs ont abouti aux arrêts que vous avez rendus dans les affaires 81/72 (Recueil 1973, p. 575) et 70/74 (Recueil 1975, p. 795). Disons
en bref que le premier arrêt a consacré le principe important selon lequel, lorsque le Conseil s'engage, dans le cadre des pouvoirs que lui confère l'article 65 du statut, à respecter pendant une période déterminée certains critères généraux en matière d'adaptation annuelle, la règle de la protection de la confiance légitime à laquelle les administrés peuvent prétendre implique que le Conseil doit respecter de tels engagements (attendus 8, 9 et 10).

Il s'agissait alors d'une décision du 21 mars 1972 par laquelle le Conseil s'était lié pour trois ans. Dans la présente affaire, c'est la méthode d'adaptation que le Conseil a arrêtée le 29 juin 1976 qui est applicable. En vertu de la lettre et de l'esprit du principe général que vous avez consacré à l'époque, celui-ci doit toutefois être considéré comme également applicable lors de l'examen des règlements que le Conseil vient d'arrêter. A cet égard, une importance particulière revient au principe
de base qui régit la nouvelle méthode, à savoir le principe selon lequel le système d'adaptation des rémunérations s'inscrit dans le cadre d'une politique visant à assurer à moyen terme le parallélisme entre l'évolution des rémunérations des fonctionnaires européens et celle de la moyenne des traitements des différentes catégories de fonctionnaires nationaux.

Les règlements attaqués du Conseil nos 187/81 (JO 1981, L 21, p. 18) et 397/81 (JO 1981, L 46, p. 1) comportent toutefois un écart vers le bas plus ou moins sensible de l'évolution moyenne, constatée pendant la période de référence, des traitements des différentes catégories de fonctionnaires nationaux. Pour les fonctionnaires dont la rémunération est la moins élevée, cet écart est relativement faible. Par application d'un système qu'on a coutume d'appeler aux Pays-Bas le système des «centen in
plaats van procenten» ( 2 ) tous les autres traitements sont relevés d'un montant net identique de 1107 BFR par mois. Il en résulte que le taux d'augmentation est nettement inférieur pour tous les fonctionnaires bénéficiant d'une rémunération plus élevée. L'augmentation globale moyenne consentie se monte à 1,5 % par rapport à une augmentation de 3,3 % observée pour les fonctionnaires nationaux au cours de la période de référence. C'est ainsi que la politique salariale établie dans les règlements en
cause a entraîné un net infléchissement de la politique salariale menée depuis 1966 qui visait, d'une part, à maintenir le pouvoir d'achat et, d'autre part, à instaurer le parallélisme des augmentations de revenus en termes réels par rapport aux fonctionnaires nationaux. Aucun de ces deux objectifs n'est respecté par les règlements attaqués. Pour plus de détails sur les antécédents du différend que nous avons très succinctement résumés, nous renvoyons au rapport d'audience.

Pour l'appréciation de cette affaire, nous voudrions faire remarquer en premier lieu qu'à notre avis, le changement intervenu dans la situation économique peut en effet contraindre également à infléchir une tendance allant dans le sens d'une croissance continue des revenus en termes réels et contraindre même à une réduction du pouvoir d'achat. L'évolution constatée actuellement dans de nombreux États membres atteste qu'une telle contrainte peut exister. Pareil infléchissement doit toutefois
respecter les garanties que le statut et la décision du Conseil du 29 juin 1976 reconnaissent au personnel des Communautés afin de ne pas entrer en conflit avec le principe que vous avez édicté dans votre arrêt précité, qui est le principe de la protection de la confiance légitime des agents concernés.

La Commission estime que le règlement attaqué a violé ces garanties à plusieurs égards. Afin de faire ressortir clairement les points que nous considérons comme décisifs, nous allons en quelque sorte regrouper les moyens invoqués à cet effet. En ce qui concerne les arguments présentés par la Commission et le Conseil à propos de ces moyens, nous renvoyons — pour être bref — au rapport d'audience.

2. Premier moyen

Dans son premier moyen, la Commission invoque la violation de l'article 65, paragraphe i, du statut en ce que, à l'appui du règlement no 187/81 et, par voie de conséquence, à l'appui de diverses dispositions du règlement no 397/81, le Conseil a tenu compte de «la détérioration de la situation économique générale dans la Communauté durant la période de référence, résultant notamment de l'augmentation du coût de l'énergie», alors que l'article 65, paragraphe 1, du statut lui imposait de mettre sa
décision d'adaptation des rémunérations et pensions en conformité, non pas avec «la situation économique», mais avec la «politique économique et sociale des Communautés».

Nous estimons que ce premier moyen est fondé et suffit à lui seul pour conclure à l'annulation des règlements contestés. Indépendamment de nombreux autres arguments de poids que la Commission á invoqués à l'appui de ce moyen, nous voudrions à cet égard attirer l'attention notamment sur le fait qu'à notre avis la disposition imperative du statut selon laquelle le Conseil doit mener sa politique d'adaptation «dans le cadre de la politique économique et sociale des Communautés» constitue en fait, dans
une situation de crise telle que nous la connaissons actuellement, la garantie statutaire la plus forte pour assurer une politique équilibrée dans ce domaine. Précisément dans une situation de crise qui impose certains infléchissements de la politique, elle assure que les charges dues à ces infléchissements ne pèsent pas unilatéralement ou d'une manière disproportionnée sur le personnel des Communautés. C'est donc à notre avis à juste titre que la Commission a indiqué que la lettre et l'esprit de la
disposition statutaire en cause s'opposaient à ce que la «politique économique et sociale des Communautés» soit considérée comme identique à la «situation économique dans la Communauté». En tant que garantie jouant au profit des fonctionnaires, cette obligation statutaire est, de cette façon, complètement vidée de sa substance. Tant la lettre que l'esprit de l'obligation contraignent à l'interpréter en ce sens que notamment l'imposition d'une réduction des revenus réels doit à tout le moins aller de
pair avec une directive ou au moins une recommandation expresse et également effettive adressée aux États membres dans le cadre de l'article 103 du traité CEE pour qu'ils adoptent une politique similaire. Il résulte à suffisance du dossier qu'il n'a pas été question d'une telle directive ou recommandation. Nous renvoyons à cet égard à l'annexe I du mémoire en défense du Conseil et aux observations complémentaires que son représentant a faites lors de la procédure orale à la suite d'une question que
nous lui avons posée. Les tentatives du Conseil visant à présenter les règlements en soi comme une recommandation en ce sens adressée aux États membres (en donnant l'exemple) doivent déjà être rejetées sur la base de la lettre et de l'esprit de l'article 65 du statut. Au demeurant toutefois, en raison de la faible masse salariale des Communautés, elles doivent déjà également être rejetées comme manquant de crédibilité. Croire que la politique salariale nationale puisse être mise en mouvement par le
biais d'un exemple aussi peu important serait contraire à l'expérience. Comme chacun sait, des doutes sérieux existent même sur la possibilité d'utiliser les traitements des fonctionnaires nationaux, dont la masse est bien plus importante, comme un indicateur d'orientation décisive en matière de politique salariale.

3. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens

Dans son deuxième moyen, la Commission invoque «la violation de l'article 65, paragraphe 1, du statut, en ce que les règlements attaqués consacrant à compter du 1er juillet 1980 une diminution du pouvoir d'achat des fonctionnaires européens sont à l'opposé de la politique salariale suivie durant la période de référence juillet 1979/juin 1980 au sein des fonctions publiques nationales, alors que la disposition statutaire en cause imposait au Conseil de prendre en considération l'augmentation
éventuelle des traitements publics».

Compte tenu de votre arrêt de 1973 dont nous avons parlé, il nous parait souhaitable d'examiner ce moyen en rapport avec les trois moyens suivants. En effet, ces moyens dont le texte intégral figure dans le rapport d'audience auquel nous renvoyons, étayent manifestement le deuxième moyen. Le troisième moyen invoque à cet égard la prétendue création d'un droit coutumier qui oblige de sauvegarder le maintien du pouvoir d'achat lors des adaptations, puis également de faire varier celui-ci en fonction
du relèvement du pouvoir d'achat au niveau national, notamment en ce qui concerne le pouvoir d'achat des fonctionnaires nationaux. Nous estimons que ce moyen est faible en soi, ne serait-ce que parce que, dans le cadre d'une politique communautaire plus large d'infléchissement des orientations, une crise économique est assurément susceptible de justifier, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, une baisse du pouvoir d'achat. Nous estimons que les arguments présentés à ce propos par la Commission
ne revêtent de l'importance que dans la mesure où ils se rapportent également à la méthode d'adaptation arrêtée par le Conseil en 1976. Cependant, compte tenu de votre arrêt de 1973 que nous avons déjà cité à plusieurs reprises, le quatrième moyen a davantage de poids, étant donné qu'il se réfère directement au principe que vous avez alors énoncé, à savoir le principe de la protection de la confiance engendrée dans le chef des administrés par suite d'une décision du Conseil et justifiée par
celle-ci, c'est-à-dire en l'espèce la confiance dans le maintien du principe de base consacré dans la décision citée du Conseil de 1976, à savoir le principe du parallélisme de l'évolution des salaires des fonctionnaires au niveau communautaire et au niveau national. Le cinquième moyen tend, lui aussi, à faire constater la violation de la méthode de juin 1976 et la méconnaissance de la confiance qu'elle a engendrée, mais cette fois-ci du fait que les trois premiers critères — fondés sur le principe
de base de l'évolution parallèle du pouvoir d'achat — ont été écartés pour faire prévaloir le quatrième critère et ce, dans des conditions erronées en droit. Nous rappelons à cet égard que le quatrième critère de la méthode de 1976 a trait aux indicateurs généraux macroéconomiques d'ordre économique et social caractéristiques de la politique économique et sociale des États membres, tels que le produit intérieur brut par personne active et la masse salariale par salarié dans l'ensemble de l'économie.
En ce qui concerne ce critère spécifique, nous rejoignons tout d'abord la Commission pour dire qu'il doit être interprété dans le contexte de l'obligation statutaire selon laquelle la politique d'adaptation doit s'inscrire dans le cadre de la politique économique et sociale des «Communautés». Ce n'est que dans le cadre d'une politique communautaire plus large d'infléchissement des orientations, qui pourrait éventuellement être jugée nécessaire, que des indicateurs non explicitement cités dans le
quatrième critère pourront eux aussi fournir des indications utiles pour déterminer la politique salariale à suivre envers les fonctionnaires communautaires, indicateurs qui peuvent partiellement compenser l'effet de l'application des autres critères de la méthode de 1976. Nous parlons en l'occurrence d'une compensation partielle, puisque nous aussi estimons, comme la Commission, que ce critère, tout comme les autres critères de la méthode de 1976 — à défaut certes d'une telle politique
d'infléchissement plus large —, doit être interprété dans le contexte du principe de base précité de cette méthode, à savoir celui consistant à assurer à moyen terme aux fonctionnaires européens et nationaux une évolution parallèle des traitements, le Conseil ayant par là donné à la dernière phrase du premier paragraphe de l'article 65 du statut une interprétation plus stricte qui le lie. C'est ainsi qu'en définitive ce cinquième moyen parait, lui aussi, avoir un rapport direct avec le deuxième
moyen.

Si nous examinons maintenant les quatre moyens précités ensemble, nous devons commencer par rejeter l'argument que le Conseil déduit du texte de l'article 65 et selon lequel le Conseil est simplement tenu de «prendre en considération» l'évolution nationale des traitements sans devoir y attacher une importance décisive. En effet, le principe de base précité de la méthode de 1976 interprète l'obligation statutaire en cause dans le sens d'une garantie de l'évolution parallèle à moyen terme.

En soi, le Conseil a certes raison lorsqu'il affirme dans sa duplique que ce principe de l'évolution parallèle, prévu dans la méthode de 1976, n'implique pas d'indexation automatique. Cela résulte déjà du poids différent que le Conseil, tout en procédant à une pondération scrupuleuse, peut attacher aux divers critères spécifiques de la méthode. C'est à juste titre qu'il souligne également à cet égard les différences existant par rapport à la méthode de 1972. Ce qui est toutefois plus important,
c'est de constater qu'une interprétation de l'ensemble des critères spécifiques de la méthode de 1976, qui entraine un résultat opposé à l'évolution nationale des traitements des fonctionnaires au cours de la période de référence jugée déterminante au vu de cette méthode, est difficilement conciliable avec le principe de base de celle-ci.

Le Conseil est convaincu du contraire, précisant que le principe de base ne garantit l'évolution parallèle qu'à moyen terme. Cela exclurait une concrétisation annuelle et permettrait d'assurer l'évolution parallèle une fois tous les cinq ans, c'est-à-dire à l'avenir. Comme il s'agit en l'espèce de la dernière application de la méthode de 1976, une telle interprétation priverait pour commencer la méthode de tout caractère tendant à la sauvegarde de droits. Comme nous le savons, la méthode — y compris
son principe de base précité — a déjà été remplacée entre-temps par une autre méthode d'adaptation. Toutefois, une importance tout aussi grande doit être donnée au fait que les trois premiers critères spécifiques de la méthode font apparaître à l'évidence que la méthode doit à chaque fois être appliquée sur la base des évolutions nationales passées. Des évolutions à moyen terme ne peuvent dès lors être prises en compte, d'une part, sur la base de considérations tenant à la sécurité juridique et à la
sauvegarde des droits et, d'autre part, sur la base du système non équivoque de la méthode, que dans la mesure où elles se rapportent au passé. C'est ainsi par exemple qu'il peut être tenu compte d'une hausse des rémunérations du personnel des Communautés au cours des cinq années écoulées qui s'avère après coup trop forte et ce, par rapport à l'évolution des traitements des fonctionnaires nationaux. Il pourrait ressortir des données figurant à la page 9 du rapport d'audience qu'entre 1975 et 1979,
un tel écart de l'ordre de 0,4 % s'est effectivement présenté au profit du personnel des Communautés et le Conseil aurait alors effectivement pu corriger cet écart en décidant de l'adaptation pour l'année 1980.

Il ne nous reste plus qu'à examiner dans quelle mesure l'application du quatrième critère déjà cité de la méthode de 1976 pourrait appeler une autre conclusion. A cet égard, il convient de citer notamment le troisième considérant du règlement contesté no 187/81. Celui-ci est rédigé comme suit:

«Considérant que la prise en compte de l'évolution du coût de la vie et des revenus réels des fonctionnaires nationaux doit être tempérée par l'application des facteurs généraux d'ordre économique et social; que, à cet égard, il y a lieu de tenir compte de la détérioration de la situation économique générale dans la Communauté au cours de la période de référence, résultant notamment de l'augmentation du coût de l'énergie; que toutefois, dans cette situation, il convient de prendre en considération
les fonctionnaires et agents dont la rémunération est la moins élevée et dont le pouvoir d'achat doit être maintenu; que, dès lors, il convient d'accorder à ces agents l'augmentation proposée par la Commission tout en accordant aux autres fonctionnaires et agents une augmentation identique en valeur absolue.

Considérant que la proposition dont le Conseil est saisi concerne également diverses indemnités et allocations, le montant des pensions acquises, l'adaptation des coefficients correcteurs applicables aux divers lieux d'affectation ainsi que les coefficients correcteurs applicables à la rémunération des personnes visées à l'article 2 du règlement (CEE/Euratom/CECA) no 160/81; qu'il convient d'adapter ces éléments en conséquence.»

Sur ce point également, il convient de noter en premier lieu que le quatrième critère de la méthode de 1976 se rapporte, lui aussi, à l'évidence, à l'évolution des indicateurs macroéconomiques en question au cours de la période de référence retenue. Lors de la procédure orale, la Commission a rappelé une nouvelle fois que, selon l'annexe 3 de sa réplique, ces indicateurs étaient positifs, eux aussi, et ne pouvaient justifier, ne fût-ce que pour ce motif, une réduction du pouvoir d'achat du personnel
des Communautés, dès lors que les trois premiers critères marquaient, eux aussi, une évolution positive. Le Conseil a fait valoir, à l'opposé, qu'il n'était pas tenu de prendre en considération exclusivement les indicateurs explicitement cités dans le quatrième critère, mais pouvait également inclure dans son analyse d'autres données macroéconomiques. En principe, nous acquiesçons à cette thèse, mais nous avons déjà précédemment attiré l'attention sur le fait que cela ne peut tout au plus être jugé
admissible, eu égard à la troisième phrase du premier paragraphe de l'article 65 du statut, que si les conclusions qui en sont tirées dans le sens d'un infléchissement s'inscrivent dans le cadre d'une politique communautaire plus large d'infléchissement des orientations arrêtée sur la base notamment de l'article 103 du traité CEE. Cette politique d'infléchissement plus large devrait alors comprendre entre autres des directives ou, à tout le moins, des recommandations claires destinées aux États
membres afin que ceux-ci mènent une pareille politique tendant à réduire le pouvoir d'achat des fonctionnaires. En tout cas, tant qu'il ne sera pas question d'une telle politique de crise plus large, le principe de base de l'évolution parallèle établi dans la méthode de 1976 demeurera prioritaire. Tel est notamment le cas lorsqu'aucun des critères explicitement énoncés dans la méthode n'est susceptible de justifier un infléchissement de la politique salariale des Communautés telle qu'elle a été
appliquée.

En résumé, nous estimons que considérés conjointement, les deuxième, quatrième et cinquième moyens notamment de la Commission sont, eux aussi, fondés et que les règlements contestés du Conseil doivent à ce titre également être déclarés nuls.

4. Les sixième et septième moyens

Après ce que nous venons de constater, nous ne devons plus nous attarder sur le sixième moyen, celui-ci ayant un caractère subsidiaire. A propos de l'obligation de motiver qui est surtout invoquée à cet égard, nous nous bornerons à faire observer qu'à notre avis, il y aurait lieu, d'une manière plus générale, de faire grief au Conseil d'avoir par trop sommairement motivé l'infléchissement manifeste de sa politique d'adaptation antérieure, qu'il a opéré dans les règlements incriminés. Les
considérants du règlement no 187/81 ne sauraient emporter la conviction nécessaire pour engendrer la confiance du personnel dans le fait qu'il a été procédé, lors de cet infléchissement, à une pondération scrupuleuse et équilibrée de l'ensemble des critères pertinents.

Comme vous le savez, le septième moyen est tiré de la violation de l'article 65, paragraphe 2, du statut ainsi que de la méconnaissance du principe de l'égalité de traitement entre fonctionnaires et de l'obligation qui en découle d'assurer à ceux-ci, au moyen de la rémunération, un pouvoir d'achat équivalent quel que soit le lieu d'affectation. La méconnaissance en question s'est traduite dans la fixation uniforme de l'augmentation des rémunérations et pensions à compter du 1er juillet 1980 sans
tenir compte, quant aux coefficients correcteurs valables pour les différents lieux d'affectation à taux d'inflation élevé autres que la Belgique et le Luxembourg, de la proposition de la Commission tendant à adapter ces coefficients dès le 1er avril 1980.

A notre avis, ce moyen est, lui aussi, fondé et nous estimons qu'un motif explicite sur ce point devrait figurer dans l'arrêt que vous êtes invités à rendre, motif dont le Conseil pourra tenir compte en révisant les règlements sur ce point.

Nous concédons certes que l'on ne saurait déduire de l'article 65, paragraphe 2, du statut, une obligation d'appliquer cet article chaque trimestre. Cependant, une interprétation raisonnable de cette disposition doit nous amener à conclure que, dès que la Commission dépose un projet d'ajustement des coefficients correcteurs après avoir constaté une variation sensible du coût de la vie, le Conseil est tenu de prendre une décision y afférente dans un délai de deux mois. Lorsque même le Conseil ne peut
raisonnablement nier qu'une telle variation sensible du coût de la vie est intervenue, cette décision doit avoir un résultat positif et, le cas échéant, produire un effet rétroactif à la date à laquelle la variation sensible est intervenue. Ainsi qu'il est dit une fois de plus en résumé dans le rapport d'audience, le taux d'inflation annuel aux lieux d'affectation en cause autres que la Belgique et le Luxembourg oscillait entre 20 % et 89 %. On ne saurait raisonnablement nier qu'en présence de tels
taux d'inflation — qui dépassent sensiblement ceux existant en Belgique et au Luxembourg — il y a lieu de parler d'une variation sensible du coût de la vie dans les lieux d'affectation concernés et qu'en l'espèce, le défaut d'application de coefficients correcteurs dans ce contexte à partir du 1er avril 1980 constitue une violation de l'article 65, paragraphe 2, du statut ainsi que de l'égalité de traitement de tous les fonctionnaires de la Communauté quel que soit leur lieu d'affectation.

5. Résumé et conclusion finale

Nous pouvons résumer notre opinion en ce sens que considérés conjointement, les premier, deuxième, quatrième, cinquième et septième moyens de la Commission sont fondés. En particulier tout au plus une politique communautaire plus large d'infléchissement des orientations arrêtée dans le cadre de l'article 103 du traité CEE, est susceptible, sur la base du texte du premier paragraphe de l'article 65 du statut, de justifier une dérogation au principe de l'évolution parallèle de la politique salariale
nationale et communautaire envers les fonctionnaires, principe que le Conseil s'est engagé à respecter dans sa décision du 29 juin 1976 relative à la méthode, donnant ainsi un effet précis à la dernière phrase de cette disposition du statut 1. Le quatrième critère de la décision en cause relative à la méthode pourrait, sur la base du texte clair à cet égard de l'avant-dernière phrase de l'article 65, paragraphe 1, du statut, justifier une dérogation à ce principe de l'évolution parallèle tout au
plus dans le cadre d'une politique d'infléchissement des orientations plus large comme nous l'avons indiqué ( 3 ). Le refus du Conseil de mettre en vigueur, des coefficients correcteurs pour les lieux d'affectation autres que la Belgique et le Luxembourg à compter du 1er avril 1980 est contraire, compte tenu de la variation sensible du coût de la vie qui y est intervenue, à l'article 65, paragraphe 2, du statut et au principe de l'égalité de traitement de l'ensemble des agents de la Communauté quel
que soit leur lieu d'affectation.

Il ressort de la réponse du 27 mai 1982 de la Commission et du Conseil à la question que vous leur avez posée à l'audience au sujet des dépenses qu'occasionnerait l'adaptation intégrale des règlements aux propositions de la Commission que celles-ci s'élèveraient à 6850940,27 UCE pour le deuxième semestre de 1980. A ce sujei, nous nous bornerons à faire observer que si l'annulation des règlements attaqués entraîne à notre avis un effet général qui est l'adaptation des rémunérations et pensions rendue
nécessaire par suite de l'annulation, toutefois, elle n'a pas nécessairement pour effet de déterminer leur montant exact. Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'observer, on pourrait ici tenir compte des résultats divergents des divers critères spécifiques cités dans la méthode de 1976. Bien entendu, une pondération scrupuleuse doit avoir pour conséquence que, si l'on attache plus de poids à certains critères, il y a lieu également de motiver ce choix. Au cours de la procédure orale, le
représentant de la Commission, lui aussi, a admis, en répondant à une question de la Cour, que le principe du parallélisme n'implique pas nécessairement une évolution totalement parallèle de la politique salariale nationale et communautaire envers les fonctionnaires. Seule la tendance à la hausse dans la politique salariale des autorités nationales durant la période de référence doit en tout état de cause étre respectée. Quant à la nature et à l'étendue des écarts, un expert de l'Office statistique
des Communautés a encore donné des informations instructives lors de la procédure orale, auxquelles nous nous permettons de renvoyer.

En définitive, telles sont les considérations qui nous amènent à conclure à ce que vous

1) annuliez le règlement (Euratom, CECA, CEE) no 187/81 du Conseil du 20 janvier 1981 (JO 1981, L 21, p. 18, remplacé par le texte publié au JO L 130 du 16.5.1981, p. 26);

2) annuliez les articles la, 2a, 2b et l'article 11, alinéa 1, du règlement complémentaire (Euratom, CECA, CEE) no 397/81 du Conseil du 10 février 1981 (JO 1981, L 46, p. 1, remplacé par le texte publié au JO L 130 du 16.5.1981, p. 29);

3) déclariez, conformément à la demande formulée par la Commission et à votre arrêt dans l'affaire 81/72, que le premier règlement ainsi que les dispositions précitées du deuxième règlement continueront de produire effet jusqu'à la mise en oeuvre des règlements à intervenir consécutivement à votre arrêt;

4) condamniez chaque partie à supponer ses propres dépens, aucune d'elles n'ayant conclu à l'application de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.

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( 1 ) Traduit du néerlandais.

( 2 ) Ndt: «des cents au lieu de pour cent».

( 3 ) Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de répondre explicitement à la question de savoir si ce principe doit être respecte, même dans le cadre d'une politique d'infléchissement des orientations plus large, en vertu du principe de la protection de la confiance legitime, puisqu'il n'a pas été question, comme nous l'avons dit, d'une telle politique d'infléchissement plus large.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 59/81
Date de la décision : 29/06/1982
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Adaptation annuelle du traitement des fonctionnaires.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : VerLoren van Themaat
Rapporteur ?: Touffait

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1982:240

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