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05/12/1984 | CJUE | N°264/82

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 5 décembre 1984., Timex Corporation contre Conseil et Commission des Communautés européennes., 05/12/1984, 264/82


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 5 décembre 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le présent recours, fondé sur l'article 173, alinéa 2, du traité, est dirigé par la société Timex Corporation, ci-après Timex, contre l'article 1er du règlement no 1882/82, du 12 juillet 1982, par lequel le Conseil a institué

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 5 décembre 1984

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  Le présent recours, fondé sur l'article 173, alinéa 2, du traité, est dirigé par la société Timex Corporation, ci-après Timex, contre l'article 1er du règlement no 1882/82, du 12 juillet 1982, par lequel le Conseil a institué

« un droit antidumping définitif sur les montres-bracelets mécaniques originaires d'Union soviétique » ( 1 ).

La requérante est le principal producteur communautaire de montres et de mouvements de montres mécaniques et le seul fabricant de ces produits au Royaume-Uni. Par son action, elle entend contester la légalité de l'application par le Conseil du règlement no 3017/79, du 20 décembre 1979,

« relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne » ( 2 ).

Afin de saisir les données pertinentes du litige, il convient d'en rappeler brièvement la genèse.

2.  Considérant que sa position sur le marché et ses ventes avaient considérablement souffert des pratiques de dumping résultant des prix artificiellement bas des montres et mouvements de montres mécaniques importés de l'Union soviétique, Timex avait adressé une plainte à la Commission des Communautés européennes en avril 1979: cette plainte fut rejetée car elle émanait d'un seul producteur du Royaume-Uni. Elle fut alors renouvelée en juin 1980 par l'association professionnelle intéressée (British
Clock and Watch Manufacturers Association Ltd), au nom de fabricants britanniques et français représentant la majeure partie de la production communautaire de montres mécaniques.

La procédure antidumping ouverte à la suite de cette plainte a conduit la Commission à instituer, par le règlement no 84/82 ( 3 ), un droit antidumping provisoire portant exclusivement sur les montres-bracelets mécaniques originaires de l'Union soviétique. Elle n'a, en effet, établi aucun droit sur les mouvements de montres, considérant que, malgré l'existence de

« marges de dumping substantielles, le faible niveau de pénétration du marché et l'effet des restrictions quantitatives en vigueur en France sont tels qu'aucun préjudice sensible n'a été causé et qu'il n'y a aucun risque pour qu'un tel préjudice soit causé » ( 4 ).

Ce droit provisoire a été prorogé par le règlement du Conseil no 1072/82 du 4 mai 1982 ( 5 ). Le règlement no 1882/82 du Conseil a ensuite institué un droit antidumping définitif dont le taux, correspondant à la marge de dumping constatée, s'élève à:

— 12,6 % pour les montres sans placage or ou avec placage d'une épaisseur ne dépassant pas cinq microns;

— 26,4 % pour les montres avec placage or ou d'une épaisseur dépassant cinq microns ( 6 ).

3.  Rappelons que l'établissement de mesures visant à protéger la production communautaire contre les pratiques de dumping est régi par le règlement no 3017/79 qui définit les conditions et les modalités d'institution des droits antidumping.

Ce règlement dispose notamment que

« peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l'objet d'un dumping lorsque sa mise à la consommation dans la Communauté cause un préjudice »,

et que le dumping sur un produit est constitué lorsque

« son prix à l'exportation vers la Communauté est inférieur à la valeur normale d'un produit similaire » ( 7 ).

C'est justement la détermination de la valeur normale qui constitue la toile de fond du présent litige « dans le cas d'importations en provenance de pays n'ayant pas une économie de marché ». Aux termes de l'article 2, paragraphe 5, du règlement précité, elle doit, dans cette hypothèse, être évaluée

« d'une manière appropriée et non déraisonnable sur la base de l'un des critères suivants :

a) le prix auquel un produit similaire d'un pays tiers à économie de marché est réellement vendu:

i) pour la consommation sur le marché intérieur de ce pays

ou

ii) à d'autres pays, y compris la Communauté,

ou

b) la valeur construite du produit similaire dans un pays tiers à économie de marché

ou

c) lorsque ni les prix ni la valeur construite tels qu'ils ont été établis conformément aux lettres a) et b) ne fournissent de base adéquate, le prix réellement payé ou à payer dans la Communauté pour le produit similaire, au besoin dûment ajusté afin d'inclure une marge bénéficiaire raisonnable ».

4.  Timex considère que le règlement no 1882/82 du Conseil ne respecte pas certaines règles de procédure et de fond prescrites par le règlement no 3017/79. Elle a donc introduit le présent recours par lequel elle demande l'annulation de l'article 1er du règlement no 1882/82 en ce que:

— d'une part, le montant du droit antidumping définitif sur les montres est insuffisant,

— d'autre part, aucun droit antidumping n'a été institué sur les mouvements mécaniques originaires d'Union soviétique.

Avant d'envisager les moyens avancés par Timex pour fonder ce recours, il faut s'interroger sur la pertinence de l'exception d'irrecevabilité soulevée par les institutions défenderesses.

Sur la recevabilité

5. Cette question, sur laquelle une discussion approfondie avait été engagée à l'origine, a bénéficié, depuis, de l'éclairage nouveau fourni, comme le relèvent d'ailleurs le Conseil et la Commission, par vos arrêts FEDIOL ( 8 ) et Allied Corporation ( 9 ), intervenus en cours de procédure. Les institutions défenderesses ont, cependant, maintenu en la forme l'exception introduite: il convient donc, dans un premier temps, de rappeler l'apport essentiel de cette jurisprudence avant d'en tirer les
conséquences pertinentes au regard de la recevabilité du recours qui nous occupe.

6. Les principes dégagés par votre arrêt FEDIOL permettent d'affirmer que, dans le cadre de l'application du règlement no 3017/79, les plaignants peuvent revendiquer l'exercice par la Cour de justice d'un contrôle judiciaire tant sur les garanties procédurales prévues par ce règlement qu'au fond sur l'absence d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir ( 10 ). Il s'agit là d'une solution de principe, tirée du système établi par le règlement no 3017/79 et des principes généraux du
traité. En tant que telle, elle s'applique à tous les actes pris par les institutions dans le cadre des procédures antidumping et antisubventions et, notamment, aux règlements qui établissent des droits.

Nous sommes, dès lors, conduit à subordonner la recevabilité du recours en annulation introduit par la requérante contre le règlement du Conseil au seul respect des conditions prescrites par les alinéas 2 et 3 de l'article 173 du traité.

7. La condition de délai n'étant pas ici contestée, il reste à déterminer si le règlement no 1882/82 du Conseil constitue une décision, prise sous l'apparence d'un règlement, qui concerne la requérante directement et individuellement.

Vous avez eu à vous prononcer sur cette question dans le cadre d'un recours introduit par des entreprises assujetties à un droit antidumping. Considérant que les droits antidumping « ne peuvent être institués qu'en fonction de constatations résultant d'enquêtes sur les prix de production et les prix d'exportation d'entreprises individualisées », vous avez conclu qu'il suffit aux entreprises assujetties, pour que leur recours soit receyable, de « démontrer qu'elles ont été identifiées dans les
actes de la Commission ou du Conseil ou concernées par les enquêtes préparatoires » ( 11 ).

8. Peut-on appliquer cette solution au problème posé par la recevabilité du recours introduit par Timex?

On doit, à cet égard, observer que la situation du plaignant et celle de l'entreprise assujettie ne sont pas identiques. En effet, alors que le règlement qui institue un droit antidumping est dirigé contre les pratiques effectuées par des entreprises qu'il permet d'identifier, ce même règlement a pour objet de protéger, de façon indéterminée, une production communautaire au nom des intérêts de la Communauté ( 12 ). En ce sens, il est destiné, sur le marché communautaire considéré, à s'appliquer «
à des situations déterminées objectivement » et à produire ses effets à l'égard de « catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite » ( 13 ).

Il reste que cette constatation n'exclut pas qu'un tel règlement puisse, en réalité, constituer une décision concernant directement et individuellement le plaignant. Tel est précisément le cas en l'espèce. Cette conclusion résulte sans ambiguïté de l'exposé des motifs des règlements nos 84/82 et 1882/82, qui renvoie à ce dernier, d'après lesquels le droit antidumping a été établi en fonction des conséquences que le dumping a entraîné pour la requérante.

Dans le règlement no 84/82, la Commission précise, en effet, qu'elle a été amenée à concentrer son attention sur la situation de cette entreprise parce que

« celle-ci représente, à elle seule, une proportion importante de la production communautaire totale de montres mécaniques, et que les exportations du produit faisant l'objet de l'enquête vers la Communauté sont essentiellement concentrées sur le marché du Royaume-Uni sur lequel d'autres fabricants communautaires ne vendent qu'une très petite part de leur production... » ( 14 ).

Voilà pourquoi le Conseil, tenant compte de « l'importance du préjudice subi par Timex du fait des importations à prix de dumping » ( 15 ), a fixé le taux du droit définitivement institué au niveau de la marge de dumping constatée.

En vérité, la production communautaire menacée se confondant pratiquement avec celle de Timex, la procédure antidumping et son issue ont été déterminées exclusivement en fonction de la situation de la requérante. Celle-ci apparaît comme directement bénéficiaire du règlement qui vise à mettre un terme à la pratique qu'elle était seule à subir. Par ailleurs, ce dernier la concerne non en raison de son appartenance à la catégorie, définie abstraitement, des producteurs du produit en cause, mais

« en raison de certaines qualités qui [lui] sont particulières ou d'une situation de fait qui [la] caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, [l']individualise d'une manière analogue à celle du destinataire » ( 16 ).

Le règlement no 1882/82 doit donc être considéré non comme une mesure de portée générale, mais comme une décision qui concerne directement et individuellement la requérante. Celle-ci doit, dès lors, être déclarée recevable en son action.

Quant au fond

9. Rappelons que Timex vous demande d'annuler l'article 1er du règlement no 1882/82 du Conseil en raison de l'insuffisance du droit antidumping définitif qu'il fixe pour les importations de montres d'origine soviétique et de l'absence de tout droit sur les mouvements de montres.

A cet égard, il est utile de préciser que la marge d'appréciation discrétionnaire dont jouissent les institutions, dans le cadre de l'application du règlement no 3017/79, porte notamment sur la détermination, compte tenu des intérêts de la Communauté, du taux des droits compensateurs ou antisubventions nécessaires pour faire face au préjudice subi par une production communautaire. En conséquence, il ne vous appartient pas d'apprécier l'opportunité de l'institution des droits antidumping ou
antisubventions ni, a fortiori, leur taux. Il vous appartient, par contre, car discrétionnaire ne signifie pas arbitraire, de constater, le cas échéant, soit que les institutions se sont déliées du respect des garanties procédurales établies par le règlement, soit qu'elles ont commis une erreur manifeste dans l'appréciation des faits conduisant à l'institution des droits, ou qu'elles ont exercé leur pouvoir dans un but autre que l'intérêt public communautaire ( 17 ).

Cette observation préliminaire nous incite à requalifier l'objet de la demande introduite par Timex. Sa requête, qui n'invoque aucun détournement de pouvoir, est articulée sur deux ordres de moyens, les uns ayant trait au respect de certaines garanties procédurales, les autres à l'appréciation de certaines données de fait. Pour la clarté de l'exposé, nous distinguerons cependant le cas des montres du problème des mouvements.

A — En ce qui concerne les montres

10. Timex allègue, d'une part, la violation par la Commission du droit d'accès aux renseignements, consacré par l'article 7, paragraphe 4, sous a), du règlement no 3017/79; elle conteste, d'autre part, l'appréciation qui a conduit les institutions à choisir Hongkong comme pays à économie de marché analogue à l'Union soviétique pour la détermination de la valeur normale du produit similaire (article 2, paragraphe 5).

1. Le libre accès aux renseignements [violation de l'article 7, paragraphe 4, sous a)]

11. La requérante relève que la Commission a refusé de lui communiquer certaines des informations collectées auprès des entreprises de Hongkong choisies comme entreprises de référence. La Commission aurait ainsi porté atteinte à son droit d'être entendue pendant le déroulement de l'enquête, tel qu'il est garanti par l'article 7, paragraphe 4, sous a), en vertu duquel :

« Le plaignant... [peut] prendre connaissance de tous les renseignements fournis par la Commission par les parties concernées par l'enquête... »

Il ressort, en effet, du dossier que la Commission, sollicitée par la requérante, n'a transmis, parmi les données recueillies à Hongkong auprès des entreprises de référence pour l'établissement de la valeur construite du produit similaire, que la liste des mouvements sélectionnés en France et considérés comme comparables aux mouvements soviétiques. Par ailleurs, elle a fait parvenir à Timex « un tableau indiquant (sans révéler aucun élément confidentiel touchant les prix et les coûts) les
modalités de calcul de la valeur normale ».

a) Argumentation des parties

12. Timex fait valoir que la Commission a refusé de lui communiquer deux séries de renseignements concernant, d'une part, les boîtiers et cadrans des montres fabriquées à Hongkong et considérées comme similaires aux montres soviétiques, d'autre part, les éléments de calcul de la valeur construite, plus précisément le prix des articles assemblés à Hongkong.

S'agissant des boîtiers et cadrans, Timex reproche, en effet, à la Commission de ne pas lui avoir fait parvenir des échantillons, alors que c'est l'aspect extérieur des montres de Hongkong qui aurait déterminé leur similarité au regard des montres soviétiques. L'absence de toute information à ce sujet aurait placé la requérante dans l'impossibilité d'acquérir elle-même les échantillons utiles.

Les institutions relèvent que l'article 7, paragraphe 4, sous a), qui ne vise que « les parties concernées », exclurait par là même les entreprises du pays analogue; par ailleurs, cette disposition obligerait la Commission à fournir uniquement des renseignements et non des échantillons; enfin, elle relativise l'incidence financière de ces pièces sur le coût total de la montre et l'importance de l'aspect extérieur pour l'établissement de la similarité du produit.

S'agissant du prix des articles fabriqués et assemblés à Hongkong, Timex reproche à la Commission de s'être bornée à lui faire parvenir une liste sans prix. Elle estime que les dispositions de l'article 8, qui régissent la confidentialité, ne sauraient lui être opposées, car il en ressortirait clairement que la protection du secret des affaires doit être limitée au strict nécessaire. Timex ajoute qu'il existait d'ailleurs différentes modalités permettant de lui communiquer les informations
recueillies auprès des entreprises de Hong-kong sans porter atteinte à leur éventuel caractère confidentiel.

Les institutions, pour leur part, font observer que, sauf à tarir progressivement les sources d'information, la coopération des entreprises d'un pays tiers exigerait le respect du secret des affaires. L'article 8 du règlement no 3017/79, auquel l'article 7, paragraphe 4, sous a), renvoie expressément, garantit le caractère confidentiel des informations recueillies par la Commission. S'il organise la conciliation entre l'information et le secret des affaires, il obligerait néanmoins à respecter
strictement ce caractère confidentiel. En ce qui concerne les modalités alternatives évoquées par Timex, il y aurait lieu de relever que cette dernière n'aurait fait aucune demande en ce sens lors de l'enquête; au surplus, les modalités proposées seraient impraticables, en raison notamment de la concordance des prix appliqués par les entreprises de référence.

b) Discussion

13. Des arguments ainsi échangés par les parties, il ressort que nul ne conteste que les renseignements « utilisés par la Commission dans l'enquête » soient « pertinents pour la défense [des] intérêts » de la plaignante ( 18 ).

Doit-on considérer, avec les institutions, que le droit d'être entendu, consacré à l'article 7, paragraphe 4, sous a), ne saurait porter sur les renseignements fournis par les entreprises de référence?

Cette interprétation, par trop restrictive, ne peut être retenue.

En premier lieu, elle est contraire à la finalité même de l'article 7, paragraphe 4, sous a). En effet, les dispositions de l'article 7, qui traite de l'ouverture et du déroulement de l'enquête, habilitent la Commission à procéder directement, ou par l'intermédiaire des États membres, à des enquêtes auprès des entreprises d'un pays tiers, sous réserve de leur accord ( 19 ). Ces renseignements vont pouvoir être utilisés par la Commission au cours de l'enquête et déterminer sa décision au regard
des droits antidumping. On concevrait mal, dès lors, sous réserve de leur confidentialité, qu'ils ne puissent être connus et discutés tant par le plaignant que par l'éventuel assujetti, qui seraient, en pareil cas, privés de la possibilité de défendre normalement leurs intérêts ( 18 ).

Elle est, en second lieu, difficilement conciliable avec le texte même de l'article 7. On peut, en effet, observer que le cercle des parties concernées n'y est expressément restreint que pour les phases ultérieures de l'enquête: seules peuvent ainsi être entendues les parties « concernées par le résultat de la procédure... » et confrontées celles qui sont, également, «directement concernées » ( 20 ). Relevons, au surplus, que la confrontation intervenue en l'espèce réunissait, outre les
représentants de Timex et du principal importateur du produit en cause, un agent de l'une des entreprises de Hongkong.

Ne doit-on pas, dès lors, considérer, avec Timex, que la Commission a manqué à l'obligation d'information que lui impose l'article 7, paragraphe 4, sous a), et, partant, entaché la légalité du règlement contesté?

A cet égard, il faut souligner, ce que nul ne conteste, qu'aucun renseignement concernant tant les boîtiers et cadrans que le prix des différentes pièces des montres-bracelets assemblées à Hongkong n'a été fourni à la plaignante.

S'agissant des boîtiers et cadrans, il suffit de retenir que les institutions ont reconnu que le choix du produit similaire avait été fait sur la base de l'aspect extérieur des différents types de montres retenus, sans qu'aucune des parties, et non seulement Timex, ait eu la possibilité de faire valoir concrètement son point de vue quant au choix effectué.

S'agissant du prix des pièces utilisées pour la fabrication des montres à Hongkong, l'argument tiré de la confidentialité repose sur une interprétation erronée du système établi par les articles 7 et 8 du règlement no 3017/79. Le traitement confidentiel des informations recueillies par la Commission met à la charge de cette dernière une obligation de moyen quant à la conciliation des exigences liées au droit à l'information et de celles rattachées au secret des affaires. Cela résulte clairement
de la structure même de l'article 8 dont le paragraphe 2, sous a), impose certes une obligation de réserve aux institutions et à leurs agents, mais dont les paragraphes 2, sous b), 3 et 4 mettent en évidence l'obligation pour la Commission, au cours de l'enquête, de s'efforcer de réduire la part du secret au strict nécessaire. Ainsi, le champ d'application de la confidentialité ne couvre-t-il que l'information dont la « divulgation est susceptible d'avoir des conséquences défavorables
significatives pour celui qui a fourni ou est à la source de cette information » ( 21 ). Quant au traitement confidentiel lui-même, il doit être demandé, justifié et accompagné« d'un résumé non confidentiel de l'information ou d'un exposé des motifs pour lesquels l'information n'est pas susceptible d'être résumée » ( 22 ). Bien plus, si la Commission considère que la demande de traitement confidentiel d'une information est injustifiée, elle a la faculté de décider qu'« il peut ne pas être tenu
compte de l'information en question » ( 23 ).

Nul ne met en doute que la coopération volontaire des entreprises des pays tiers soit indispensable au déroulement d'une enquête, puisque leur accord est nécessaire pour l'obtention des informations demandées. Néanmoins, cette coopération doit s'effectuer dans le respect des règles qui régissent le droit d'être entendu, reconnu à toutes les parties, sinon le règlement n'aurait pas exigé une demande préalable de traitement confidentiel de leur part. Relevons au passage que le règlement no 2176/84
du Conseil, qui remplace depuis le 1er août dernier le règlement no 3017/79, a rectifié sur ce point la rédaction du paragraphe 2, sous a), de l'article 8, en mentionnant « expressis verbis » cette exigence ( 24 ).

La Commission avait donc, en l'espèce, l'obligation de permettre à Timex de prendre connaissance des renseignements recueillis au cours de l'enquête, notamment auprès des entreprises de Hongkong, dès lors qu'aucun traitement confidentiel n'avait été légitimement demandé par ces dernières. Elle ne pouvait se borner à décider d'office que tel ou tel renseignement était confidentiel. Cette solution s'impose d'autant plus qu'il s'agissait de déterminer la valeur normale, non sur la base du prix du
marché d'un pays tiers, mais sur la valeur construite. Dans un tel cas, l'impératif de conciliation du principe de transparence et du secret des affaires s'impose encore plus à la Commission, sauf à vider de leur sens les dispositions des articles 7 et 8 précités.

Ainsi Timex n'a-t-elle pas été mise en mesure de défendre normalement ses intérêts, la Commission ne lui ayant pas donné les moyens de faire valoir utilement son point de vue tant sur la similarité du produit que sur la valeur construite obtenue, qui sont, avec le choix du pays analogue, les données fondamentales de la détermination de la valeur normale. Or, le strict respect de cette garantie procédurale apparaît comme la contrepartie de la marge d'appréciation discrétionnaire reconnue aux
institutions dans le cadre du règlement no 3017/79. Dès lors, cette inobservation constitue, au sens de l'article 173, alinéa 1, une «violation des formes substantielles » qui entache de nullité l'article 1er du règlement adopté par le Conseil sur la base des dispositions de la Commission, telles que celle-ci les avait énoncées dans son règlement no 84/82.

2. Le choix de Hongkong

14. Par ce second moyen, la requérante veut démontrer que les institutions ont commis une erreur manifeste d'appréciation lors de la détermination de la valeur normale du produit considéré. Afin d'en apprécier la pertinence, il convient au préalable de rappeler brièvement les dispositions applicables puis les éléments essentiels de la controverse.

a) Les règles applicables

15. La marge de dumping, à partir de laquelle sont fixés les droits antidumping, exprime, en règle générale, la différence entre le prix à l'exportation du produit « dumpé » et le prix du produit similaire tel qu'il résulterait du jeu normal de la loi de l'offre et de la demande dans le pays d'exportation.

Néanmoins, lorsque ce dernier est un pays à commerce d'État, on ne peut se référer au prix pratiqué pour le produit sur le marché intérieur, dans la mesure où il ne résulte pas « d'opérations commerciales normales » ( 25 ), mais d'une décision de l'État prise en fonction d'impératifs non exclusivement économiques. De plus, le prix est exprimé en monnaie non convertible.

L'article 2, paragraphe 5, précité, a donc prévu en ce cas que la Commission déterminerait la valeur normale « d'une manière appropriée et non déraisonnable », à partir du prix du produit similaire tel qu'il est pratiqué dans un pays tiers à économie de marché. L'analyse du paragraphe 5 révèle que la Commission est conduite à prendre en considération soit le prix auquel le produit « est réellement vendu » dans ce pays, soit, à défaut, sa valeur « construite » ( 26 ) , ou, en dernier ressort, «
le prix réellement payé ou à payer dans la Communauté ».

C'est dans ce cadre qu'il faut situer l'option choisie par la Commission et contestée par Timex.

b) Arguments de Timex

16. Ainsi qu'il ressort de l'exposé des motifs du règlement no 84/82 ( 27 ), la Commission a choisi comme base de calcul de la valeur normale la valeur construite des montres-bracelets fabriquées à Hongkong, considérées comme similaires aux montres originaires d'Union soviétique. Ce calcul a été effectué à partir du prix d'achat à Hongkong d'une sélection de mouvements importés depuis la France et des coûts d'assemblage des montres à Hongkong, auxquels sont venus s'ajouter, notamment, les coûts
relatifs aux boîtiers, aux cadrans, aux aiguilles, plus les frais généraux et le bénéfice.

Le désaccord entre les parties porte sur le choix de Hongkong comme pays analogue, la Commission ayant, en effet, écarté l'autre État de référence suggéré par Timex — la Suisse — en raison de l'impossibilité de procéder à une enquête sur place.

Timex relève que, selon une pratique constante des institutions, c'est la similarité des procédés et des techniques de production qui serait décisive pour déterminer le pays analogue au pays à commerce d'État. Le choix de Hongkong serait contraire à cette pratique. A l'inverse de l'industrie horlogère soviétique, celle de Hongkong ne connaîtrait pas un cycle complet de production. Les mouvements des montres qui y sont assemblées seraient importés de France. Or, aucun pays ne réunirait les
avantages d'une technologie avancée, comme la France, et d'une main-d'œuvre à bon marché, comme Hongkong. En effet, envisagée dans un même pays, la rémunération d'une main-d'œuvre qualifiée, nécessaire pour la fabrication des mouvements, réagirait nécessairement sur le niveau des salaires de la main-d'œuvre non qualifiée requise pour l'assemblage. La Commission aurait ainsi reconstitué un cycle artificiel de production qui ne pourrait exister dans un même pays à économie de marché. En
définitive, la base de calcul choisie par la Commission aboutirait non à une valeur normale, mais à une valeur « optimale », dans la mesure où ce sont des coûts anormalement faibles qui en détermineraient le niveau. En élaborant la valeur normale à partir des coûts constatés dans deux pays différents, la Commission aurait violé les dispositions de l'article 2, paragraphe 5, qui exigeraient que ce calcul soit effectué dans un seul pays.

c) Discussion

17. Nous ne pouvons souscrire à cette argumentation. Il nous semble, en effet, que le choix de Hongkong s'inscrit dans le cadre du pouvoir d'appréciation discrétionnaire reconnu aux institutions par le règlement no 3017/79. Rappelons, à cet égard, que vous n'exercez qu'un contrôle judiciaire restreint lorsque l'illégalité reprochée met en cause un tel pouvoir d'appréciation. La seule question qui se pose dès lors est de savoir si, en choisissant Hongkong comme pays de référence, les institutions ont
commis une erreur manifeste d'appréciation.

Or, dans le cadre de l'article 2, paragraphe 5, les institutions ont un large pouvoir d'appréciation quant aux caractéristiques qu'il convient de retenir pour déterminer le pays analogue. Elles s'inspirent, à cet égard, de critères tirés, non seulement, de la similarité du produit, condition nécessaire, mais encore du niveau de développement , de la compétitivité du marché et de la structure du processus de production du pays considéré. Cette pratique, qui permet d'affiner l'analogie, correspond
au souci d'une détermination « appropriée et non déraisonnable » de la valeur normale.

Les caractéristiques qui conduisent la Commission à sélectionner le pays analogue peuvent donc être multiples. Au surplus, contrairement à ce qu'affirme Timex, le critère tiré de la comparabilité des structures de production n'est pas nécessairement déterminant. Dès lors, le choix, en l'occurrence, d'un pays où le cycle de production associe à l'importation de certaines pièces leur assemblage sur place ne constitue pas, en tant que tel, une erreur manifeste d'appréciation.

A l'appui de cette conclusion, on peut ajouter que la réalité économique est caractérisée par l'interdépendance croissante des économies nationales et par la recherche des moindres coûts, notamment de main-d'œuvre, et que la coexistence d'une certaine avance technologique et d'une main-d'œuvre bon marché n'est pas inconnue dans un seul et même pays à économie de marché, comme en témoigne l'exemple du Japon.

Par conséquent, la requérante n'a pas apporté la preuve qu'en choisissant Hongkong en fonction de son niveau de développement et de la compétitivité de son marché, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation.

B — En ce qui concerne les mouvements de montres

18. Le dernier grief soulevé par la requérante a trait à l'absence, dans le règlement no 1882/82 du Conseil, de toute fixation de droits antidumping sur l'importation de mouvements de montres originaires d'Union soviétique.

A cet égard, il suffit de retenir que ce grief tiré du défaut de motivation est mal dirigé. En effet, dès lors que la Commission avait écarté l'institution d'un droit sur les mouvements, l'enquête sur ce point devait être considérée comme terminée. La requérante ne saurait valablement faire revivre à l'encontre du règlement du Conseil les critiques qu'il lui appartenait de faire valoir en temps utile à l'égard du règlement pris à titre provisoire par la Commission. Comme le précédent grief,
celui-ci ne peut être retenu.

Portée de l'annulation

19. En conclusion, même s'il n'est pas entaché d'erreur manifeste, l'article 1er du règlement no 1882/82 du Conseil encourt, conformément aux dispositions de l'article 173, alinéa 1, du traité, votre censure pour inobservation des formes substantielles.

En pareille hypothèse, on ne saurait pour autant se satisfaire d'une annulation pure et simple de l'acte contesté. Sur le plan de la sécurité juridique, une telle solution irait, en effet, à l'encontre tant de l'intérêt de la Communauté que de celui de la requérante. Elle créerait une solution de continuité que ne pourrait combler un nouveau règlement, puisque ce dernier ne pourrait avoir une portée rétroactive.

Les dispositions de l'article 174, alinéa 2, du traité vous donnent le moyen de pallier cet inconvénient en indiquant « ceux des effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs ». Le recours à cette disposition permettrait de maintenir le droit antidumping prévu par l'acte annulé, en attendant que l'institution dont émane l'acte prenne, conformément à l'article 176, alinéa 1, « les mesures que comporte l'exécution de [votre] arrêt ... ».

20. Nous vous proposons en conséquence:

1) de déclarer nul l'article 1er du règlement no 1882/82 du Conseil en date du 12 juillet 1982;

2) d'en maintenir les effets jusqu'à ce que l'institution compétente ait pris les mesures que comporte l'exécution de votre arrêt;

3) de mettre les dépens de la présente procédure à la charge des institutions.

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( 1 ) JO L 207 du 15 juillet 1982, p. 1.

( 2 ) JO L 339 du 31 décembre 1979, p. 1.

( 3 ) JO L 11 du 16 janvier 1982, p. 14.

( 4 ) Règlement no 84/82, considérant 31.

( 5 ) JO L 125 du 7 mai 1982, p. 1.

( 6 ) Règlement no 1882/82, précité, artide 1er, paragraphe 2.

( 7 ) Article 2, A, paragraphes 1 et 2.

( 8 ) 191/82, FEDIOL, du 4 octobre 1983, Rec. 1983, p. 2913.

( 9 ) 239 et 275/82, Allied Corporation, du 21 février 1984, Rec. 1984, p. 1005.

( 10 ) 191/82, précité, points 28 a 30.

( 11 ) 239 et 275/82, précité, points 11 M 12.

( 12 ) Article 4, paragraphe 1, et article. 11, paragraphe 1, du règlement no 3017/79.

( 13 ) 307/81, Alusuisse (Rec. 1982, p. 3463), point 9.

( 14 ) Règlement no 84/82, considérant 22, et règlement no 1882/82, considérant 12.

( 15 ) Règlement no 1882/82, dernier considérant.

( 16 ) 25/62, Plaumann (Rec. 1963, p. 223).

( 17 ) FEDIOL, précité, points 26, 29 et 30.

( 18 ) Article 7, paragraphe 4, sous a).

( 19 ) Article 7, paragraphes 2, sous b), et 3, sous a).

( 20 ) Article 7, paragraphes 5 et 6. C'est nous qui soulignons.

( 21 ) Article 8, paragraphe 3.

( 22 ) Article 8, paragraphe 2, sous b).

( 23 ) Article 8, paragraphe 4.

( 24 ) Règlement (CEE) du 23 juillet 1984 (JO L 201 du 30 juillet 1984, p. 1).

( 25 ) Article 2, paragraphe 3, sous a), du règlement no 3017/79.

( 26 ) Coûts des matériaux et de la fabrication, au cours d'opérations commerciales normales, plus benefices et frais généraux [voir article 2, paragraphe 3, sous b), ii) du reglement no 3017/79].

( 27 ) Considérant 12.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 264/82
Date de la décision : 05/12/1984
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Droit antidumping sur les montres-bracelets mécaniques.

Dumping

Politique commerciale

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : Timex Corporation
Défendeurs : Conseil et Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Everling

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1984:377

Source

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