CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. MARCO DARMON
présentées le 9 juillet 1985
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. La réglementation déférée à votre censure résulte d'une modification de la législation allemande relative aux aliments pour animaux, par laquelle le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a imposé, pour les aliments destinés à l'allaitement des veaux d'élevage et d'embouche, le respect d'une teneur minimale en fer et maximale en sodium.
La Commission considère que les prescriptions ainsi édictées ont été adoptées en violation des règles de fond et de procédure établies par les directives tendant à harmoniser les législations nationales en la matière. En substance, vous serez amenés à vous prononcer sur la portée réelle de l'harmonisation communautaire afin de déterminer l'étendue exacte des compétences résiduelles des États membres.
Mais revenons sur la réglementation allemande mise en cause par le présent recours.
Cadre juridique
2. L'article 7, paragraphe 2, du règlement relatif aux aliments pour animaux du 16 juin 1976 (BGBl. I, p. 1497), dans la rédaction qui résulte de la modification intervenue le 19 juillet 1979 (BGBl. I, p. 1122), devenu l'article 8, paragraphe 3, du même décret, prévoit, dans sa version du 8 avril 1981 (BGBl. I, p. 352), que les aliments d'allaitement utilisés sous forme d'aliments complets doivent contenir par kilogramme de matière sèche
— au moins 60 mg de fer, s'ils sont destinés aux veaux d'élevage,
— au moins 40 mg de fer et pas plus de 6000 mg de sodium, s'ils sont destinés aux veaux d'embouche.
Conformément aux dispositions de l'article 14, paragraphe 1, de la loi sur les aliments pour animaux du 2 juillet 1975 (Futtermittelgesetz, BGBl. I, p. 1745), les aliments ne respectant pas ces prescriptions ne peuvent être commercialisés sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne.
Selon les indications fournies par le gouvernement allemand au cours de la procédure précontentieuse, cette réglementation serait justifiée par des motifs tirés de la protection de la santé animale et humaine. L'exigence d'une teneur minimale en fer répondrait à la nécessité de combattre une pratique consistant à nourrir les veaux avec des aliments pauvres en fer, afin d'obtenir artificiellement une viande plus blanche dont l'aspect constituerait à tort un critère de qualité pour les
consommateurs. Une telle pratique conduirait, chez les animaux, à l'anémie et menacerait, indirectement, la santé humaine. Quant à la teneur en sodium à ne pas dépasser, elle viserait à éliminer une autre pratique consistant à saler excessivement les aliments pour contraindre les veaux à absorber davantage d'aliments sous forme liquide. Or, une concentration trop élevée de sodium provoquerait des paralysies ou autres troubles du système nerveux, pouvant entraîner la mort de l'animal.
Telles sont, assorties de leurs justifications de fait, les données de droit interne qui constituent la toile de fond du litige. La Commission, remarquons-le, ne mésestime nullement le danger théorique pour la santé animale qu'une carence en fer ou un excès de sodium peut éventuellement représenter, mais elle en conteste les effets réels ainsi que les modalités adoptées par la défenderesse pour y faire face, eu égard au cadre juridique contraignant constitué par les directives d'harmonisation
applicables aux aliments pour animaux.
Il convient donc de présenter les dispositions pertinentes de la législation communautaire applicable en la matière.
3. Comme précisé, la réglementation critiquée vise les aliments complets pour veaux.
Leur utilisation est régie par les dispositions des trois directives suivantes, adoptées par le Conseil:
— la directive 70/524 du 23 novembre 1970 concernant les additifs dans l'alimentation des animaux, ci-après directive « additifs » (JO L 270, p. 1), telle que modifiée par les directives du Conseil 73/103 du 28 avril 1973 (JO L 124, p. 17) et 75/296 du 28 avril 1975 (JO L 124, p. 29);
— la directive 74/63 du 17 décembre 1973 concernant la fixation de teneurs maximales pour les substances et produits indésirables dans les aliments des animaux, ci-après directive « substances indésirables» (JO du 11.2.1974, L 38, p. 3), telle que modifiée par la directive du Conseil 80/502 du 6 mai 1980 (IO L 124, p. 17);
— la directive 79/373 du 2 avril 1979 concernant la commercialisation des aliments composés pour animaux, ci-après directive « aliments composés » (JO L 86, p. 30).
Par aliments des animaux, il faut entendre, selon la définition donnée par ces directives, « les substances organiques ou inorganiques] simples ou en mélange, comprenant ou non des additifs, destinées à la nutrition animale par voie orale » [voir, notamment, article 2, sous a), de la directive 79/373].
Les deux premières directives définissent les additifs autorisés et les substances nocives interdites. Quant à la troisième directive, elle vise les aliments composés qui forment' avec les aliments simples, l'une des deux catégories principales d'aliments pour animaux. La particularité des aliments composés est que ceux-ci sont constitués par un mélange d'aliments présenté « sous forme d'aliments complets ou d'aliments complémentaires » [article 2, sous b), de la directive 79/373]. En
l'occurrence, les aliments complets visés par la réglementation allemande sont ceux définis par la directive 79/373 comme « les mélanges d'aliments des animaux qui, grâce à leur composition, suffisent à assurer une ration journalière », c'est-à-dire « la quantité totale d'aliments... nécessaire en moyenne par jour à un animal ... pour satisfaire l'ensemble de ses besoins » (respectivement article 2, sous d) et c), de la directive 79/373).
En résumé, les aliments complets pour veaux relèvent des deux premières directives ou directives « spécialisées », en tant qu'elles appréhendent l'ensemble des aliments pour animaux, et de la directive 79/373, dans la mesure où l'aliment complet est l'une des formes de nutrition animale par voie d'aliments composés.
Fondées sur les articles 43 et 100 du traité CEE, ces directives ont donc pour objectif, selon ce dernier article, de rapprocher les «dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché commun », en l'occurrence du marché commun agricole, contribuant par là à renforcer la mise en œuvre du principe de libre circulation des produits destinés à l'agriculture (article 38, paragraphes 1 et 2, du
traité CEE). La structure des trois directives est assez voisine: champ d'application de l'harmonisation envisagée et procédures d'adaptation en cas de nécessité.
Revenons sur ces deux aspects.
a) Champ d'application respectif des directives
— La directive 70/524, dans son annexe I, dresse la nomenclature dés additifs autorisés en précisant tantôt leurs teneurs maximales et minimales, tantôt seulement leurs teneurs minimales. Elle impose aux États membres de prescrire que « seuls » les additifs qui y sont énumérés, « et seulement dans les conditions qui y sont indiquées, peuvent être contenus dans les aliments des animaux » (article 3, paragraphe 1). A cet égard, il y a lieu de relever que cette annexe comporte, sous la rubrique I «
Oligo-éléments », une liste d'additifs ferreux classés sous le numéro E 1, pour lesquels la teneur maximale autorisée est de 1250 mg par kg d'aliment complet.
— La directive « substances indésirables », applicable sans préjudice de la précédente [article 1er, paragraphe 2, sous a)], prévoit que « les Etats membres prescrivent que les substances et produits énumérés à l'annexe ne sont tolérés dans les aliments des animaux que dans les conditions fixées à cette annexe » (article 3, paragraphe 1).
— La directive « aliments composés », applicable également sans préjudice des deux précédentes [article 1er, paragraphe 2, sous b) et c)J, a un champ d'application plus vaste. Les Etats membres sont tenus de prescrire que les aliments composés « ne peuvent être commercialisés que s'ils sont sains, loyaux et de qualité marchande », « ne peuvent présenter aucun danger pour la santé animale ni pour la santé humaine et ne peuvent être présentés ou commercialisés d'une manière qui soit de nature à
induire en erreur » (article 3).
A cet effet, la directive détermine les prescriptions applicables au conditionnement des aliments composés pour animaux, relatives, notamment, à l'emballage (article 4) et au marquage (article 5).
En relation avec ces dispositions, figurent en annexe la liste des teneurs en constituants analytiques à déclarer (points 5 à 8) ainsi que les tolérances applicables en cas d'écarts constatés par rapport à la teneur prescrite (points 9 et 10).
La directive comporte quelques dispositions relatives à la composition des aliments composés. Les articles 6 et 7 renvoient ainsi à des teneurs maximales en eau et en cendre à respecter (points 2 à 4 de l'annexe). Quant à l'article 8, il autorise les États membres,
« pour autant que leurs dispositions nationales le prévoient au moment de l'adoption de la présente directive, à limiter la commercialisation des aliments composés à ceux:
— qui sont obtenus à partir de certains ingrédients, ou
— qui sont exempts de certains ingrédients ».
Enfin, l'article 14, sous a), précise que « n'est pas affecté le droit des États membres ... de recommander des types d'aliments composés répondant à certaines caractéristiques d'ordre analytique ».
Le respect des prescriptions établies par les trois directives est garanti par des contrôles officiels, effectués par les États membres (respectivement articles 15, 8 et 12 des directives). De plus, selon les dispositions des articles 13 de la directive «additifs», 7 de la directive « substances indésirables » et 9 de la directive « aliments composés », les aliments ne peuvent être soumis par les Etats membres à des restrictions de commercialisation autres que celles expressément prévues par
chacune d'elles. Néanmoins, certaines procédures sont aménagées en vue d'assouplir ces dispositions.
b) Les procédures d'adaptation
Les directives « additifs » et « substances indésirables » comportent une même procédure en cas de menace pour la santé animale ou humaine: les États membres ont la possibilité de déroger « provisoirement » aux prescriptions des directives en prenant des mesures de sauvegarde unilatérales (article 7, paragraphe 1, de la directive 70/524 telle que modifiée par la directive 73/103 et article 5 de la directive 74/63). Celles-ci déclenchent une procédure d'urgence par laquelle la Commission ou le
Conseil, selon le cas, après avis du comité permanent des aliments des animaux, décident « immédiatement si l'annexe doit être modifiée» (article 7, paragraphe 2, de la directive 70/524, telle que modifiée par la directive 73/103, et 5, paragraphe 2, de la directive 74/63).
Par ailleurs, et pour tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques, une procédure du même ordre est prévue dans les mêmes termes par les deux directives afin de réviser la liste des additifs autorisés et des substances indésirables interdites (article 6 de la directive 70/524, telle que modifiée par la directive 75/296, et article 6 de la directive 74/63).
La directive « aliments composés » prévoit, aux mêmes fins, une procédure analogue [articles 10, sous a), et 13]. Elle comporte de plus une disposition particulière: l'article 15 impose à la Commission de proposer, dans un délai de trois ans, et au Conseil de décider, dans un délai de cinq ans, à dater de la notification de la directive, les modifications qui, « sur la base de l'expérience acquise », permettraient de « réaliser la libre circulation des aliments composés des animaux et d'éliminer
certaines disparités, notamment en ce qui concerne l'utilisation des ingrédients et en matière d'étiquetage ».
Moyens des parties
4. A l'appui de son action en manquement, la Commission a présenté l'argumentation suivante:
— le dispositif communautaire établi par les trois directives serait exhaustif, ne laissant donc plus place, en dehors des conditions qui y sont fixées, à une intervention unilatérale des États membres, telle que celle reprochée à la République fédérale d'Allemagne;
— au surplus, la réglementation allemande établirait des restrictions contraires aux règles matérielles et aux procédures établies par chacune des directives prises isolément;
— enfin, et à titre subsidiaire, les restrictions introduites par la réglementation allemande, contraires à l'article 30 du traité CEE, ne pourraient être justifiées au titre de l'article 36 du même traité pour des raisons tirées de la protection de la santé animale ou humaine.
Reprenons successivement les trois volets de cette argumentation, tous contestés par la défenderesse.
a) Caractère exhaustif de l'harmonisation communautaire
A cet égard, la Commission ne soutient pas que l'harmonisation des législations nationales en matière d'alimentation pour animaux soit totalement réalisée. En particulier, devrait encore être harmonisé le secteur des micro-organismes pathogènes. Par contre, depuis l'entrée en vigueur le 1er janvier 1981 de la directive 79/373, le dispositif résultant des trois directives constituerait une réglementation exhaustive de la composition des aliments composés pour animaux. Ainsi, les deux premières
directives réglementeraient l'utilisation des substances réellement « problématiques » pour lesquelles elles auraient fixé des teneurs excluant expressément l'introduction par les États membres de restrictions de commercialisation autres que celles qu'elles prévoient, à tout le moins en dehors des procédures qu'elles organisent. Quant à la directive « aliments composés », limitée avant tout aux prescriptions relatives à l'emballage et au marquage des aliments, elle manifesterait la volonté du
législateur de consacrer la libre commercialisation dans la Communauté de tous les aliments respectant les prescriptions qu'elle énonce, laissant au fabricant la liberté de choisir la composition appropriée, et se bornerait, en cette matière, à interdire aux États membres d'introduire toute nouvelle restriction quant à la présence ou à l'absence d'ingrédients et à les autoriser à recommander certains types d'aliments composés répondant à certaines caractéristiques d'ordre analytique.
En définitive, en dehors des additifs autorisés et des substances indésirables interdites, il ressortirait de la directive « aliments composés » que, sauf exception expresse, la composition de ces derniers a été délibérément placée par le législateur communautaire hors du champ de toute réglementation nationale, en sorte que la disposition allemande critiquée viendrait contrecarrer la libre circulation de toutes les compositions d'aliments composés. La liberté des fabricants en matière de
composition aurait pour contrepartie la prérogative donnée aux Etats membres, sur le fondement de l'article 3 de la directive, de sanctionner les cas particuliers d'abus. Sauf à revenir sur l'harmonisation atteinte, cette dernière disposition ne saurait habiliter de façon générale les États membres à adopter des mesures unilatérales à caractère préventif.
Contrairement à la Commission, la République fédérale d'Allemagne considère que les trois directives n'ont pas complètement harmonisé les règles relatives à la composition des aliments composés, en particulier celles concernant les « éléments constitutifs » des aliments, tels que le fer et le sodium, qui, selon elle, ne pourraient être qualifiés ni d'additifs ni de substances indésirables.
Cette analyse serait notamment confirmée par les termes mêmes de la directive 79/373, dont les articles 8 et 15 démontreraient que, dans l'attente d'une réglementation communautaire, les États membres sont autorisés à maintenir leur propre réglementation en matière d'ingrédients. Or, malgré l'obligation contenue à l'article 15, la Commission n'aurait pas encore présenté de proposition de modification, en sorte que l'harmonisation en matière de composants d'aliments composés serait incomplète. Le
caractère non exhaustif des directives résulterait d'autres dispositions de la législation communautaire, notamment de la directive 82/471 relative aux bioprotéines qui aurait réglé pour la première fois l'emploi de certains composants. Au surplus, il résulterait de votre jurisprudence que le caractère exhaustif des directives n'est reconnu que lorsque l'harmonisation qu'elles poursuivent est totale.
En vérité, les trois directives n'auraient appréhendé que de manière fragmentaire la question des composants des aliments composés. Les États membres resteraient donc compétents pour adopter toute réglementation appropriée, à tout le moins chaque fois que des mesures sont nécessaires pour la protection de la santé animale ou humaine. A cet égard, la défenderesse relève que, contrairement aux deux autres, la directive 79/373 ne comporte aucune procédure spéciale permettant aux États membres de
satisfaire à un tel impératif. Or, admettre le caractère exhaustif de l'harmonisation reviendrait, en laissant une liberté complète aux fabricants, à priver les États membres de toute possibilité de prendre les mesures que l'urgence commanderait en pareille matière.
Ţel ne serait certainement pas le sens de l'article 3 dont la seconde phrase habiliterait de façon générale les Etats membres à prendre toute mesure en vue de garantir la protection de la santé animale et humaine contre les dangers pouvant résulter de la carence ou de l'excès de certains composants analytiques, tels le fer et le sodium.
Quant à l'interdiction des restrictions supplémentaires de commercialisation, énoncée à l'article 9 de la directive 79/373, elle ne saurait limiter les prérogatives que les États détiendraient au titre des articles 3, deuxième phrase, 8 et 15 précités.
b) Applicabilité des directives prises isolément
Pour la Commission, la réglementation allemande porte atteinte tant aux dispositions des directives relatives aux additifs et ^substances indésirables qu'à celles de la directive « aliments composés ».
La requérante considère que, pour respecter la teneur minimale en fer, le fabricant, libre du choix des moyens pour y parvenir, sera nécessairement incité à recourir aux additifs ferreux visés par la directive 70/524, plutôt qu'à choisir des ingrédients riches en fer. Recourir à ces ingrédients, de préférence aux additifs, le conduirait, en effet, à renoncer pour une part importante à l'utilisation des produits de base habituels avant une teneur en fer d'environ 30 mg/kg, et, notamment, au lait
en poudre subventionné par la Communauté. Or, s'agissant d'additifs ferreux, la directive ne prévoirait qu'une teneur maximale et interdirait toutes restrictions de commercialisation autres que celles prévues par elle, en sorte que, au moins de façon indirecte, la réglementation allemande empiéterait sur ses dispositions, contrevenant par là même à l'article 5 du traité CEE.
Quant au sodium, il devrait être considéré comme une substance indésirable ne pouvant relever que de la directive 74/63, dès lors qu'à partir d'une certaine teneur il' entraîne un risque pour la santé. Cette directive ne comportant aucune prescription relative au sodium, il en résulterait qu'une restriction du type de celle établie par la réglementation allemande est interdite.
En outre, les dispositions critiquées auraient, de façon délibérée, été adoptées en dehors des procédures appropriées prévues par les deux directives précitées tant pour faire face à une menace pour la santé humaine ou animale que pour tenir compte de l'évolution des connaissances.
En dernier lieu, si l'on devait considérer, comme l'a soutenu la défenderesse, que les dispositions attaquées ne visent pas l'utilisation du fer et du sodium en tant qu'additifs ou substances indésirables, mais en tant que composants analytiques des ingrédients, la Commission soutient que l'article 8 de la directive 79/373 interdirait, depuis le 2 avril 1979, aux États membres d'adopter, comme l'a fait la République fédérale d'Allemagne par le décret contesté, une nouvelle réglementation
prescrivant ou interdisant d'utiliser certains ingrédients. Un tel manquement ne saurait être justifié par le reproche qu'elle adresse à la demanderesse de ne pas avoir mis en œuvre la procédure de l'article 15 de la directive 79/373.
Pour sa part, le gouvernement allemand conteste l'applicabilité des directives spécialisées.
La directive 70/524 ne s'appliquerait, en effet, au fer que sous forme d'additifs, c'est-à-dire de composés ferreux, tels ceux énumérés dans l'annexe de. la directive, ajoutés délibérément à l'aliment et non au fer sous forme de constituant analytique, présent à l'état naturel dans certains ingré-. dients. Précisément, la réglementation allemande laisserait les fabricants libres de choisir les ingrédients riches en fer (par exemple la farine, de poisson), permettant d'atteindre la teneur minimale
exigée pour les aliments complets destinés aux veaux. La directive « additifs » ne serait donc pas applicable à la réglementation allemande.
Quant à la directive 74/63, elle n'interdirait que les substances nocives, indépendamment de leur concentration dans l'aliment. Or, le sodium est, au contraire, une substance nécessaire à l'alimentation des animaux, dont la présence est souhaitable, car elle constitue un facteur essentiel de la valeur nutritive de l'aliment. Il n'y aurait pas lieu, en conséquence, de qualifier le sodium de substance indésirable du seul fait qu'à dose excessive il peut s'avérer dangereux.
En définitive, la directive « additifs« ne visant que les substances ajoutées intentionnellement aux aliments pour animaux et la directive « substances indésirables » que celles qui sont naturellement nocives ne pourraient s'appliquer aux constituants analytiques ou composants des aliments composés pour animaux qui y sont présents à l'état naturel et en déterminent la valeur nutritive.
La Commission conteste la portée de la distinction ainsi effectuée par la défenderesse. La frontière entre composants, substances indésirables et additifs serait floue, en sone qu'une substance ne saurait nécessairement être classée a priori dans l'une ou l'autre de ces catégories. La notion de composants s'appliquerait à toutes les substances contenues dans un aliment. Dès lors, selon les cas, une même substance pourrait apparaître tantôt comme une substance indésirable — à dose excessive —,
tantôt comme un additif — s'il est ajouté délibérément —, tantôt comme un simple composant, sans qualité particulière.
c) Sur les justifications tirées de la santé humaine ou animale
Selon la Commission, le caractère exhaustif de l'harmonisation réalisée en la matière par les trois directives ne permettrait plus, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, de fonder légalement, par les dispositions dérogatoires de l'article 36 CEE, une interdiction de commercialisation non expressément prévue par les directives.
Les procédures d'adaptation prévues par les directives « additifs » et « substances indésirables » ne sauraient davantage être invoquées par la défenderesse dès lors que celle-ci s'est, en l'occurrence, délibérément située en dehors de leur champ d'application. Quant à l'article 3 de la directive 79/173, il n'autoriserait les États membres qu'à prendre des mesures contre les abus particuliers.
La Commission fait valoir qu'en toute hypothèse la réglementation allemande ne pourrait être justifiée par la volonté d'assurer la protection de la santé animale ou humaine. Elle observe, à cet égard, que la défenderesse n'a pu démontrer ni l'existence d'une menace concrète ni même la réalité des pratiques alléguées. Elle relève que, compte tenu de la teneur moyenne en fer des aliments pour animaux dans la Communauté, de l'ordre de 30 mg, une faible teneur en fer des aliments composés destinés
aux veaux ne serait pas nécessairement dangereuse pour ces derniers. Quant à l'excès de sodium, on n'apercevrait pas l'intérêt économique qu'il pourrait présenter pour les, fabricants: Enfin, la Commission relève que la directive 79/373 offrait à la défenderesse des moyens moins radicaux de prévenir les risques invoqués, soit par un étiquetage approprié, soit par l'exercice du droit de recommandation prévu par l'article 14, sous a). Au demeurant, elle rappelle que, saisi par la République
fédérale d'Allemagne, après l'avis motivé, d'une proposition de modification reprenant le contenu de la réglementation contestée, le comité permanent des aliments des animaux aurait opposé un refus fondé, pour l'essentiel, sur la même analyse que celle développée ici par la Commission.
La République fédérale d'Allemagne soutient que, pour combattre les pratiques abusives précitées, la réglementation en cause apparaît plus appropriée que les mesures suggérées par la Commission et relève que cette dernière ne conteste pas le risque auquel elle a entendu faire face. En conséquence, elle était fondée à prendre les mesures critiquées, soit sur la base de l'article 3, deuxième phrase, soit au titre des dérogations prévues par l'article 36 CEE.
Discussion
5. La solution du présent litige doit être recherchée dans la portée de l'harmonisation résultant des trois directives pertinentes en matière d'aliments composés pour animaux.
Comme nous l'avons déjà relevé, ces trois directives -s'inscrivent dans le cadre plus vaste de la libre circulation des produits agricoles, indispensable au bon fonctionnement du marché commun agricole et fondée sur le principe de la liberté d'accès de tous les opérateurs intéressés, notamment des fabricants de ce type de produit (affaires 5/77, Tedeschi, Rec. 1977, p. 1555, point 32, et 83/78, Pigs Marketing Board, Rec. 1978, p. 2347, point 57). En l'occurrence, cette liberté ne s'applique
cependant qu'aux aliments qui répondent aux prescriptions de composition et de conditionnement imposées par les directives « additifs », « substances indésirables » et « aliments composés », conformément aux dispositions respectives de leurs articles 14, 7 et 9 (arrêt 73/84, Denkavit, du 27 mars 1985, point 11). Ces prescriptions ont été adoptées tant en raison de l'importance de l'alimentation animale dans l'agriculture de la Communauté que de la nécessité de garantir l'utilisation d'aliments
appropriés de bonne qualité: elles constituent donc « un facteur essentiel de l'accroissement et de la productivité agricole »(considérants 1 et 2 des trois directives précitées).
Dans ce contexte, compte tenu du caractère incontestable du risque sanitaire que peut représenter pour l'animal une carence absolue en fer et une dose excessive de sodium dans son alimentation, les Etats membres sont-ils encore autorisés, pour des raisons tirées de la protection animale et humaine, à imposer des seuils à la teneur de certaines substances entrant dans la composition des aliments composés pour animaux?
On ne peut Sérieusement contester que la réglementation allemande mise en oeuvre s'analyse comme une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, prohibée par l'article 30 du traité CEE, puisqu'elle interdit l'accès au territoire allemand des aliments complets ne répondant pas aux prescriptions qu'elle édicté. En effet, selon votre jurisprudence, « il suffit que les mesures en question soient aptes à entraver, directement ou indirectement, actuellement ou
potentiellement, les importations entre États membres » (affaire 4/75, Rewe, Rec. 1975, p. 843, point 3). Une telle restriction de commercialisation peut toutefois relever des dispositions dérogatoires de l'article 36 du traité CEE lorsque, satisfaisant aux conditions qu'il édicté, elle est motivée par la protection de la santé animale ou humaine. Cependant, le recours à l'exception prévue par l'article 36 CEE cesse d'être justifié
« lorsque, par application de l'article 100 du traité, des directives communautaires prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à assurer la protection de la santé des animaux et des personnes et aménagent des procédures communautaires de contrôle de leur observation... ».
En ce cas,
« c'est dans le cadre tracé par la directive d'harmonisation que les contrôles appropriés doivent être effectués et les mesures de protection prises » (arrêt 5/77, précité, point 35).
C'est donc dans ce cadre que doit s'apprécier la conformité de la mesure nationale.
Selon les termes de cette alternative, c'est en fonction du « degré » de l'harmonisation résultant des trois directives régissant l'utilisation des aliments composés dans l'alimentation animale que s'organise le contrôle de la légalité de la réglementation attaquée. Or, comme la Commission l'a elle-même reconnu, l'harmonisation des règles nationales applicables à tous les aliments des animaux ne saurait être considérée comme absolument exhaustive. L'article 1er, paragraphe 2, de la directive
79/373 le confirme puisqu'il se réfère à la « fixation des teneurs maximales pour les résidus de pesticide » jusqu'ici non intervenue. Rappelons, par ailleurs, qu'analysant précisément cette même directive vous avez affirmé qu'elle ne s'appliquait pas au contrôle sanitaire des aliments composés (arrêt 73/84, Denkavit, précité, point 12). Ces limites n'excluent pas qu'un certain degré d'harmonisation ait été atteint par les trois directives en ce qui concerne la composition des aliments composés
des animaux.
A cet égard, il est constant que les deux directives « spécialisées » concernent la composition des aliments des animaux. On ne saurait davantage contester que la troisième directive ait pour principal objet de réglementer le conditionnement du type d'aliments visé par le règlement allemand: les aliments composés sous forme d'aliments complets. Elle ne traite qu'accessoirement de la composition des aliments composés.
Comme on l'a vu, l'argumentation de la République fédérale d'Allemagne consiste, en substance,
— à rejeter l'application des directives spécialisées aux substances dont elle a entendu réglementer la teneur: la réglementation critiquée viserait, en effet, un type de substances — les constituants analytiques — qui ne relèverait pas de ces directives;
— à déduire des « lacunes » de la directive 79/373 en matière de composition la compétence des États membres pour arrêter des mesures unilatérales, justifiées, en l'occurrence, par la volonté de garantir la protection de la santé animale ou humaine, conformément à l'article 3, deuxième phrase, de cette même directive.
Cette argumentation ne peut être retenue. Il ressort, en effet, de l'analyse du droit dérivé applicable en la matière, que non seulement chacune des trois directives précitées, prise isolément, permet d'établir l'incompatibilité de la réglementation allemande, mais encore que le dispositif cohérent qu'elles forment est de nature à écarter de façon générale, dans le domaine concerné, toutes interventions des Etats membres autres que celles expressément prévues par le législateur communautaire.
6. A ce stade et compte tenu de l'importance que leur a attribué la défenderesse, il convient de cerner les notions de « constituants analytiques » et d'« ingrédients ».
Sans revenir sur les qualifications, équivalentes selon lui, tour à tour utilisées en cours de procédure par l'État défendeur — « éléments constitutifs », « composants », « constituants analytiques », « ingrédients » —, on peut considérer, avec la Commission, que, par constituants analytiques, il faut entendre toute substance minérale ou végétale, présente dans les aliments des animaux. Comme cela résulte clairement de la directive 79/373, certains d'entre eux déterminent de façon substantielle
la qualité de l'aliment, en sorte qu'il apparaît nécessaire d'en déclarer la teneur (quatrième considérant): citons, notamment, le sodium, la cellulose brute, le calcium ou les sucres [article 5, paragraphe 1, sous e), et point 5 de l'annexe de la directive précitée]. Comme l'a souligné la Commission, en dehors de cette première catégorie, les constituants analytiques sont susceptibles d'être qualifiés soit d'additifs lorsque, sous une forme concentrée, ils sont ajoutés aux aliments, soit de
substances nocives quand ils entraînent, à certaines teneurs, un risque pour la santé. Pour sa part, la défenderesse soutient que le fer et le sodium pourraient être définis comme des constituants analytiques déterminant de façon substantielle la qualité des aliments composés pour veaux.
De cette première notion, il est nécessaire de distinguer celle d'« ingrédients », comme cela résulte sans ambiguïté des dispositions de la directive 79/373 [considérants 5 à 7, article 5, paragraphe 1, sous e), et paragraphe 4, sous b) et f), articles 8, 14, sous a), et 15]. Dans le sens indiqué par la Commission, on peut les définir comme les produits de base, telles les céréales ou la poudre de lait [article 5, paragraphe 4, sous 0], dont le mélange donne sa spécificité aux aliments composés.
Cette définition peut être déduite, elle aussi, de la directive 79/373 [article 5, paragraphe 1, dernier alinéa, article 5, paragraphe 4, sous f), et paragraphe 7].
En définitive, comme l'a précisé à.l'audience la Commission, il convient de qualifier le fer et le sodium de constituants analytiques des ingrédients entrant dans la composition des aliments complets pour veaux. D'après le gouvernement allemand, cette qualification les ferait échapper au champ d'application des deux directives spécialisées, l'harmonisation réalisée par la troisième directive étant encore lacunaire à leur égard.
7. Voyons en premier lieu le problème de l' applicabilité de la directive 74/63 au cas du sodium qui ne paraît guère soulever de difficultés. S'agissant de la fixation d'une teneur maximale en sodium, la République fédérale d'Allemagne, rappelons-le, soutient qu'il y aurait lieu, pour l'application de cette directive, de distinguer les substances nocives par nature, qui en relèveraient, dès substances, tel le sodium, dont la présence est, au contraire, souhaitable dans l'aliment complet, et qui
n'entreraient donc pas dans son champ d'application.
Cette distinction doit être rejetée, à la lumière des considérations tirées de votre arrêt Tedeschi. Vous y avez défini, par opposition aux additifs « volontairement » ajoutés « en vue d'obtenir un effet favorable » sur les caractéristiques des aliments, les substances indésirables comme étant celles qui sont « inéluctablement présentes dans ces aliments soit à l'état naturel, soit comme résidus de traitements antérieurement subis par ces aliments ou par les composantes de ces aliments » (arrêt
5/77, précité, point 28). Envisageant ensuite la procédure de sauvegarde organisée en cas de danger pour la santé animale ou humaine, vous avez dit que cette éventualité
« comprend l'hypothèse où des substances précédemment considérées comme non nuisibles se révéleraient l'être, notamment si, considérées dans un stade antérieur comme non nocives parce qu'elles ne se trouvent présentes qu'en quantités infimes, il apparaissait que dans d'autres mélanges alimentaires ou dans des mélanges faits dans des proportions nouvelles, elles sont présentes dans une proportion susceptible de les rendre indésirables » (arrêt 5/77, précité, point 39).
Contrairement à ce qu'affirme la défenderesse, il faut donc entendre par substances indésirables non seulement les substances naturellement nocives mais encore celles qui «à raison de leur teneur» (arrêt 5/77, point 43, souligné par nous), le deviennent alors que, comme le sodium, elles sont inoffensives, voire nécessaires, en moindres quantités.
Compte tenu de cette qualification, c'est dans le cadre tracé par le législateur communautaire que la compatibilité de la fixation unilatérale d'une teneur maximale en sodium doit être appréciée, l'harmonisation réalisée en la matière par la directive 74/63 étant incontestable.
Aucune prescription relative à la teneur en sodium des aliments pour animaux ne figure dans l'annexe de la directive 74/63. Or, en application de son article 3, les États membres sont tenus de prescrire que « les substances et produits énumérés à l'annexe ne sont tolérés dans les aliments des animaux que dans les conditions fixées à cette annexe» (c'est nous qui soulignons). Le silence de cette dernière doit donc être interprété, sauf à ôter toute signification à cette disposition, comme
consacrant en principe, quelle que soit leur teneur en sodium, la conformité des aliments aux prescriptions communautaires. Dès lors, la fixation d'une teneur en sodium à ne pas dépasser s'analyse comme une restriction de commercialisation non expressément prévue par la directive, donc comme une violation de l'article 7, selon lequel les États membres ont l'obligation de veiller
« à ce que les aliments des animaux, qui sont conformes à la présente directive, ne soient pas soumis à d'autres restrictions de commercialisation en ce qui concerne la présence de substances et de produits indésirables » (c'est nous qui soulignons).
Ceci n'enlève pas pour autant aux États membres toute compétence, dès lors qu'ils agissent dans le cadre tracé par la directive et aux conditions de forme et de fond qu'elle précise. Ainsi,
— la procédure d'urgence de l'article 5, telle qu'elle est complétée par celle de l'article 10, leur donne «le moyen de remédier à une lacune des législations harmonisées lorsque surgit un danger exigeant une intervention immédiate » (arrêt 5/77, précité, point 38);
— la procédure de l'article 6, complétée par l'article 9, leur ouvre la possibilité de provoquer l'adaptation de la directive à l'évolution des connaissances scientifiques et techniques.
En l'occurrence, le gouvernement allemand n'a pas cru devoir recourir à ces procédures. Dès lors, par sa réglementation sur le sodium, la République fédérale d'Allemagne a manqué tant au fond qu'en la forme aux dispositions de la directive 74/63.
8. En ce qui concerne la teneur minimale en fir, l'appréciation de są conformité au droit communautaire s'avère plus complexe. En effet, si l'on suit l'argumentation de la défenderesse, l'utilisation d'additifs ferreux dans les aliments complets destinés aux veaux ne serait pas nécessaire pour atteindre les teneurs prescrites puisqu'il serait loisible aux fabricants d'utiliser de préférence des ingrédients riches en fer échappant, comme tels, à la directive « additifs » pour ne relever que de la
directive « aliments composés ». Il faut néanmoins constater que l'article 7, paragraphe 2, devenu l'article 8, paragraphe 3, de la réglementation allemande relative aux aliments pour animaux ne précise pas les modalités à suivre par les opérateurs intéressés pour en respecter les dispositions. L'opportunité du choix entre le recours à des additifs ferreux ou l'utilisation d'ingrédients riches en fer étant laissée à l'appréciation des fabricants, on est donc amené à envisager les deux
éventualités précitées.
Le recours à des additifs n'est pas hypothétique. Avec la Commission, on peut considérer qu'à l'utilisation d'ingrédients riches en fer, leş fabricants auront tendance à préférer l'adjonction d'additifs ferreux, qui présentent l'avantage de ne pas remettre en cause la formule alimentaire, c'est-à-dire la combinaison des ingrédients qui constituent l'aliment complet, dans laquelle la poudre de lait représente une part importante. Ils y seront incités par les subventions communautaires accordées
pour ce produit. Dans ce cas, la directive 70/524 trouverait à s'appliquer, puisqu'elle vise toutes substances « volontairement ajoutées » aux aliments « en vue d'obtenir un effet favorable sur leurs caractéristiques » (arrêt 5/77, précité, point 28).
L'adjonction d'additifs ferreux correspond précisément, dans l'esprit du législateur allemand, à cet objectif. La directive n'autorise cependant que l'utilisation des additifs dont elle dresse la liste et fixe la teneur. Cela résulte non seulement de l'article 3, paragraphe 1, selon lequel
« les États membres prescrivent que ... seuls les additifs énumérés à l'annexe I, et seulement dans les conditions qui y sont indiquées, peuvent être contenus dans des aliments des animaux » (c'est nous qui soulignons),
mais encore de l'article 13 qui les oblige à veiller à ce que les aliments conformes aux prescriptions de la directive
« ne soient soumis quant à la présence ou à l'absence d'additifs ... qu'à des restrictions de commercialisation prévues par la présente directive » (c'est nous qui soulignons).
Autrement dit, alors que la directive « substances indésirables » n'interdit que les substances nocives qu'elle énumère, celles non expressément mentionnées pouvant être considérées comme autorisées, la directive « additifs » n'autorise l'adjonction, aux teneurs qu'elle y fixe, que des additifs énumérés en annexe, en sorte que seules les teneurs expressément imposées sont autorisées. Précisément, le point I de l'annexe précitée ne fixe, pour les oligo-éléments qu'il vise, qu'une teneur maximale à
ne pas dépasser. On doit en conclure que les États membres ne sont pas compétents pour imposer dans les aliments des animaux le respect d'une teneur minimale en fer, sauf à agir dans le cadre des procédures d'adaptation prévues par la directive elle-même en cas de menace pour la santé animale ou humaine ou pour tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques ou techniques. En l'occurrence, seule cette dernière procédure, que l'État membre défendeur n'a pas cherché à mettre en œuvre,
eût été applicable puisque la clause d'urgence de l'article 7 ne permet à l'État membre, en cas de danger pour la santé, que de suspendre l'utilisation ou de réduire la teneur maximale d'un additif.
Dès lors que la réglementation critiquée n'exclut pas que les fabricants incorporent, dans les aliments pour veaux, des additifs ferreux pour atteindre la teneur minimale en fer qu'elle impose, la République fédérale d'Allemagne, compte tenu du caractère exhaustif de l'harmonisation réalisée en la matière, a manqué aux obligations que lui impose la directive 74/63. L'incertitude résultant de ce silence suffirait, selon nous, à nous permettre de constater, également pour la teneur minimale en fer,
le manquement reproché à la République fédérale.
9. Examinons cependant l'autre modalité offerte aux fabricants, selon le gouvernement défendeur: l'utilisation, non d'additifs ferreux, mais d'ingrédients riches en fer. Pour la défenderesse, seule serait alors applicable la directive « aliments composés », qui présenterait des lacunes en matière de composition de ces aliments.
Pas plus que les précédentes, cette argumentation ne résiste à l'examen.
La directive 79/373 a un objet différent de ceux poursuivis par les directives spécialisées. Alors que par les directives « additifs » et « substances indésirables », le législateur communautaire a entendu harmoniser les règles applicables dans la Communauté à l'utilisation des constituants analytiques particuliers, la directive « aliments composés » concerne avant tout les conditions de mise en circulation, sur le marché de l'alimentation animale, d'un type particulier d'aliments pour animaux,
les aliments composés. En ce sens, elle vise à harmoniser les conditions matérielles d'information de l'utilisateur et la présentation du produit. Comme cela a déjà été souligné en analysant ses dispositions, ce n'est qu' accessoirement qu'elle envisage le problème de la composition.
Le législateur communautaire a-t-il entendu laisser aux États membres le soin de pallier les « lacunes » de cette directive? Rien ne permet de le penser: différentes dispositions démontrent, au contraire, sa volonté de prévenir toute intervention unilatérale des Etats membres, susceptible de compromettre, non seulement l'acquis mis en place par la directive, mais aussi ce qui reste encore à élaborer.
C'est en ce sens qu'il faut, en premier lieu, interpréter l'obligation de « stand still » de l'article 8 qui revient à « geler » l'état du droit interne des pays membres applicable aux ingrédients au stade où il se trouvait lors de l'adoption de la directive, soit le 2 avril 1979. Toute nouvelle réglementation sur les ingrédients s'en trouve donc prohibée. Pour autant qu'elle obligerait les fabricants d'aliments complets à recourir à un certain type d'ingrédients riches en fer, la réglementation
allemande du 19 juillet 1979 constitue donc, à compter du 1er janvier 1981, date de l'entrée en vigueur de la directive, une violation de l'obligation de ne plus faire énoncée par son article 8.
En deuxième lieu, la procédure communautaire d'adaptation à l'évolution des connaissances scientifiques et techniques, permettant de modifier l'annexe de la directive, contraint les États à agir dans le cadre tracé par celle-ci. La République fédérale d'Allemagne, en présentant au cours de la procédure précontentieuse une proposition de modification de la directive 79/373, semble avoir alors pris en compte le passage obligé par cette procédure.
En troisième lieu, en laissant aux États membres la faculté de «recommander les types d'aliments composés répondant à certaines caractéristiques d'ordre analytique » (souligné par nous), le législateur communautaire a clairement entendu leur retirer la possibilité a'imposer aux fabricants le recours à un type d'aliments composés, par exemple riches en fer [article 14, sous a)].
En quatrième lieu, en prévoyant par l'article 15 que la Commission proposerait et le Conseil déciderait, dans un délai déterminé, des modifications à apporter à la directive, notamment en ce qui concerne « l'utilisation des ingrédients », le législateur communautaire a entendu réserver exclusivement aux institutions communautaires l'adoption de règles complémentaires communes et prévenir ainsi toute intervention unilatérale des États membres. A cet égard, le retard mis par les institutions à
déférer à cette obligation, même si on peut le regretter, ne saurait justifier l'introduction de dispositions nationales nouvelles, unilatéralement établies en violation de l'article 8 de la directive.
La portée de ces différentes dispositions se trouve confirmée par celle de l'article 9 selon lequel les aliments composés ne doivent pas être soumis «pour des raisons concernant les dispositions contenues dans la présente directive» (souligné par nous) à des restrictions de commercialisation autres que celles qu'elle prévoit.
Loin de laisser subsister un vide juridique en matière de composition des aliments composés, la directive 79/373 consacre en ce domaine le principe de la libre circulation des aliments composés, tout en offrant aux États membres de multiples possibilités légales d'intervention. Outre la faculté de susciter, selon la procédure communautaire prévue à cet effet (articles 10 et 13), une modification appropriée de l'annexe en ce qui concerne le fer, qui n'y est pas visé, la République fédérale
d'Allemagne pouvait recommander l'utilisation d'aliments contenant une certaine teneur en fer, conformément à l'article 14, sous a), précité.
Quant à l'article 3 qui permet de fonder toute mesure nationale visant à sanctionner des pratiques déloyales ou dangereuses pour la santé animale, il ne saurait être interprété comme habilitant les États membres à réglementer de manière générale la composition des aliments. Comme vous l'avez relevé dans votre décision Denkavit précitée, cet article, explicité par les autres dispositions de la directive,
« se borne à imposer aux États membres l'obligation générale de prendre toutes dispositions utiles, de caractère législatif, administratif et judiciaire, en vue d'imposer le respect de certaines normes de qualité, d'assurer le contrôle sanitaire des aliments et de garantir la loyauté des transactions, quelle que soit l'origine des règles applicables... » (point 11).
L'article 3, pour tout ce que la directive vient régler ou pour les prescriptions nationales auxquelles elle est susceptible de renvoyer, apparaît donc comme imposant aux États membres non seulement de garantir la qualité des aliments composés fabriqués sur leur territoire, mais aussi de sanctionner le non-respect par les opérateurs concernés des règles précitées, en particulier si ces derniers, par des manipulations que la réglementation contestée entend combattre, devaient compromettre la santé
animale et humaine. Ces États seraient alors dans l'obligation de réprimer ces abus sans pouvoir recourir unilatéralement à une réglementation générale, à caractère préventif.
En définitive, la trilogie constituée par les articles 3, 8 et 15 de la directive répond aux préoccupations légitimes des États membres: « gel », par l'article 8, du droit interne en matière d'ingrédients, réduction à terme, par l'article 15, des divergences en résultant, obligation, par l'article 3, de garantir la loyauté des échanges et l'innocuité du produit pour la santé animale ou humaine.
L'analyse de la directive 79/373 met ainsi en évidence qu'en adoptant une réglementation obligeant les intéressés à utiliser des ingrédients riches en fer dans les aliments complets pour veaux, le gouvernement allemand a manqué aux obligations tant matérielles que procédurales édictées par elle. Avec cette dernière constatation, le manquement invoqué par la Commission se trouve confirmé.
10. Doit-on, comme le suggère cette dernière, franchir une étape supplémentaire en considérant qu'avec l'adoption de la directive 79/373 l'harmonisation des règles relatives à la composition des aliments composés, est achevée? La réponse à cette question impose que l'examen, jusqu'ici cantonné aux directives prises isolément, soit élargi au dispositif d'ensemble qu'elles constituent.
On pourrait décrire ce dispositif de la manière suivante:
— mise en place, par les directives 70/524 et 74/63, des prescriptions relatives aux constituants analytiques dont la réglementation est apparue indispensable soit en raison de leur utilisation en tant qu'additifs soit à cause de leur caractère nocif; pour les constituants analytiques autres qu'additifs et substances indésirables, prescriptions relatives à la teneur en eau et en cendre, droit des États membres de « recommander l'utilisation de types d'aliments ... présentant certaines
caractéristiques d'ordre analytique » [article 14, sous a), de la directive 79/373];
— pour les ingrédients, possibilité pour les Etats membres de maintenir le statu quo ante jusqu'à parachèvement d'une réglementation communautaire en la matière (articles 8 et 15 de la directive 79/373).
A ceci s'ajoutent les procédures communautaires qui permettent soit de compléter le contenu des directives en déclenchant le processus d'adaptation à l'évolution des connaissances, soit, pour les constituants les plus sensibles (additifs et susbtances indésirables), de parer à l'urgence par une procédure étroitement soumise au contrôle des institutions communautaires. Si une telle procédure n'est pas prévue dans la directive « aliments composés », c'est précisément parce que les risques pour la
santé humaine et animale se présentent normalement dans le domaine régi par les directives spécialisées. Nous avons vu, en effet, comment, dans le cadre de la directive 79/373, la protection de la santé pouvait être assurée.
A la lumière de l'ensemble de ces considérations, il apparaît que les mesures essentielles nécessaires à la protection humaine et animale ainsi que les procédures communautaires de contrôle de leur observation ont été adoptées en matière de composition des aliments composés. L'harmonisation des règles nationales relatives à la composition des aliments composés pour animaux apparaît sinon définitivement achevée, en tout cas suffisamment avancée pour que, sauf à « mettre en péril la réalisation
des buts ... du traité » (article 5, alinéa 2, CEE), les États membres ne puissent plus intervenir que dans le cadre du dispositif global mis en place. Toute autre solution ouvrirait la voie à un démantèlement progressif de ce dispositif, compromettant alors le processus d'adaptation des directives dont le législateur communautaire a entendu s'assurer la maîtrise.
11. Sans qu'il y ait lieu, dès lors, d'examiner le moyen tiré par la demanderesse des dispositions de l'article 36 CEE, nous vous proposons:
— de déclarer « qu'en adoptant une réglementation interdisant la commercialisation sur son territoire d'aliments composés ne comportant pas une teneur minimale en fer et une teneur maximale en sodium, le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations que lui imposaient les directives 70/524 concernant les additifs dans l'alimentation des animaux (JO L 270, p. 1), 74/63 concernant la fixation de teneurs maximales pour les substances et produits indésirables dans les
aliments pour animaux (JO L 38 du 11.2.1974, p. 31) et 79/373 du 2 avril 1979 concernant la commercialisation des aliments composés pour animaux (JO L 86, p. 30) »;
— de mettre les dépens à la charge de l'État défendeur.