La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/10/1985 | CJUE | N°192/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 16 octobre 1985., Commission des Communautés européennes contre République hellénique., 16/10/1985, 192/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 16 octobre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La procédure en manquement engagée par la Commission contre la République hellénique vise les conditions de crédit plus favorables qui seraient octroyées par les organimes bancaires grecs à l'achat de machines agricoles nationales, au détriment de machines de même nature importées des États membres. Une telle discrimination constituerait un manquement à l'interdiction de toute restriction quantitative Ã

  l'importation et mesure d'effet équivalent énoncée par l'article 30 du traité, en liaison ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 16 octobre 1985

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.  La procédure en manquement engagée par la Commission contre la République hellénique vise les conditions de crédit plus favorables qui seraient octroyées par les organimes bancaires grecs à l'achat de machines agricoles nationales, au détriment de machines de même nature importées des États membres. Une telle discrimination constituerait un manquement à l'interdiction de toute restriction quantitative à l'importation et mesure d'effet équivalent énoncée par l'article 30 du traité, en liaison
avec l'article 35 de l'acte d'adhésion selon lequel

« les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation ainsi que toute mesure d'effet équivalent existant entre la Communauté dans sa composition actuelle et la Grèce sont supprimées dès l'adhésion »,

soit le 1er janvier 1981.

La Commission reproche en outre aux autorités grecques d'avoir, en violation de l'article 5 du traité CEE, omis de fournir les informations, par elle demandées de façon répétée, sur les machines agricoles concernées par la discrimination critiquée.

2.  Afin d'éclairer les données du présent litige, il est nécessaire de présenter, dans leur ordre chronologique, les actes des autorités administratives et des services bancaires grecs qui constituent la trame de l'argumentation respective des parties.

A l'origine, la politique de crédit bancaire visant à protéger la production nationale de machines destinées à l'économie agricole en général a fait l'objet d'une décision 749 du 18 septembre 1970 (ci-après «la décision 749/70 ») du comité de coordination de la politique économique, rattaché au ministère de la Coordination. Selon cette décision, la Banque agricole de Grèce devait:

— pour certains types de machines limitativement énumérés, réserver les prêts aux seules machines de fabrication nationale;

— pour toute autre machine, n'octroyer un crédit à l'achat de machines importées que sur présentation d'une attestation du ministère de l'Industrie, valable six mois, certifiant formellement l'absence de fabrication nationale de la machine en cause.

Cette décision a été abrogée, à la suite de l'adhésion de la Grèce à la Communauté le 1er janvier 1981, par l'effet combiné des décisions 329/8 du comité monétaire du 20 août 1981 et 1748 du comité économique en date du 24 septembre 1981.

Par une instruction n° PH 5.3/42 du 31 mars 1982, le ministère de l'Industrie et de l'Énergie a indiqué que, s'agissant de l'octroi de prêts à l'achat de centrifugeuses et décanteurs pour l'équipement des huileries, la présentation par les intéressés de l'attestation délivrée par le ministère, certifiant l'absence de machines de même nature de fabrication nationale, devait être exigée par les services de la Banque agricole de Grèce « aussi longtemps que la décision 749/70 de l'ancien comité de
coordination de la politique économique continuera d'être appliquée... ». Cette instruction a été diffusée aux services concernés par la circulaire n° 96/82 de la Banque agricole de Grèce.

Enfin, le ministère de l'Économie nationale — qui, dans l'intervalle, a repris les attributions du ministère de l'Industrie — a, le 23 septembre 1984, adressé à la Banque agricole de Grèce une instruction révoquant celle du 31 mars 1982. Par la circulaire n° 238 du 24 septembre 1984, la Banque agricole a donc abrogé la circulaire n° 96/82.

3.  Selon la Commission, l'instruction ministérielle du 31 mars 1982 et la circulaire n° 96/82 de la Banque établissent des conditions discriminatoires de crédit en fonction de l'origine des machines concernées et favorisent, par conséquent, l'écoulement des machines de fabrication grecque. En effet, si ces mesures n'obligent pas l'acheteur à choisir les machines de fabrication nationale, elles l'y incitent fortement pour l'obtention d'un prêt de la Banque, principal organisme de crédit dans ce
secteur. Par là même, elles réagissent sur les importations qui, en l'absence de ces dispositions, auraient pu être effectuées. Ainsi, les mesures critiquées, bien que formellement non contraignantes, auraient pour effet de restreindre les échanges. Il s'agirait donc de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives, interdites par l'article 30 du traité CEE.

Cette conclusion, comme l'attesteraient d'ailleurs les plaintes reçues par la Commission, n'est pas infirmée par la contrariété existant entre les mesures critiquées et les décisions générales de rang supérieur adoptées en 1981 et visant à abroger le régime instauré par la décision 749/70.

De même, l'affirmation selon laquelle la plupart des machines utilisées en Grèce et bénéficiant d'un crédit de la Banque agricole sont des machines importées serait dépourvue de pertinence. En effet, il faut observer que le crédit est différencié en fonction du type de machine. Dès lors, s'il est possible qu'en chiffres absolus les machines de fabrication étrangère bénéficient largement du crédit bancaire grec, il n'en reste pas moins vrai que, pour les machines d'un type équivalent, la
politique de crédit différencié selon l'origine s'applique pleinement.

D'une façon plus générale, la Commission considère que les mesures spécifiques précitées seraient les symptômes isolés de la continuation d'une pratique discriminatoire, appliquée à d'autres machines agricoles. Le refus, par les autorités grecques, de lui fournir des informations pertinentes à cet égard l'aurait empêchée d'identifier précisément les différents types de machines concernés. Ce faisant, la République hellénique aurait manqué à l'obligation contenue à l'article 5 du traité CEE qui
impose aux États membres de faciliter à la Communauté « l'accomplissement de sa mission » et, par conséquent, aurait empêché la Commission de veiller, « en vue d'assurer le fonctionnement et le développement du marché commun... à l'application des dispositions du présent traité... » (article 155 du traité).

4.  Pour sa part, le gouvernement grec fait valoir que, pour se mettre en accord avec les principes du traité, il a expressément abrogé, par les décisions de 1981, le régime discriminatoire résultant de la décision 749/70. Or, en application des règles régissant la hiérarchie des normes nationales, les décisions de 1981 priveraient de toute validité l'instruction du 31 mars 1982 et, par conséquent, la circulaire n° 96/82. Bien que ces actes ne puissent, dès lors, sortir aucun effet, ils ont fait
l'objet d'une révocation expresse par l'instruction ministérielle du 23 septembre 1984 et la circulaire consécutive n° 238/84 de la Banque agricole.

La République hellénique ajoute qu'il n'existerait aucune autre disposition de cette nature, depuis les décisions générales d'abrogation adoptées en 1981 par les comités. Elle observe, au contraire, que les crédits bancaires ont largement profité aux machines importées et que, s'agissant de machines pour huileries, la plupart de celles qui ont bénéficié d'un crédit de la Banque agricole de Grèce seraient d'origine étrangère.

5.  Afin de circonscrire précisément les données du litige, trois observations s'imposent:

— il résulte sans ambiguïté de la chronologie des actes successifs relatifs aux conditions de crédit pour l'achat de machines agricoles que la République hellénique a, quoique avec un certain délai, abrogé les dispositions qui, avant son adhésion à la Communauté économique européenne, visaient, de façon générale, à protéger la production nationale de machines agricoles par le biais d'une politique de crédit différencié selon leur origine géographique;

— ces mesures n'ont pas eu tout l'effet escompté puisque l'instruction du ministère de l'Industrie n° PH 5.3/42 du 31 mars 1982 et la circulaire n° 96/82 de la Banque agricole de Grèce ont rétabli l'exigence de la présentation d'une attestation préalable de « non-concurrence » pour un type particulier de machines: les centrifugeuses et décanteurs pour huileries;

— il est vrai que cette résurgence a fait l'objet d'une mesure spéciale de révocation prise en cours de procédure, le 23 septembre 1984, par le ministère de l'Économie nationale et suivie de la circulaire n° 238 de la Banque agricole. Il reste que, dans l'intervalle, l'octroi d'un prêt à l'achat de centrifugeuses et décanteurs pour huileries, importés d'un autre État membre, a été régi par la circulaire n° 96/82 adoptée en application de l'instruction du 31 mars 1982.

Or, on ne peut sérieusement contester, comme en témoignent d'ailleurs les mesures générales initialement prises par la République hellénique et les mesures spéciales d'abrogation adoptées ultérieurement, que l'exigence imposée par les dispositions en cause est de nature à entraver la libre circulation des marchandises qui est garantie par le traité et dont le respect s'imposait à l'État grec dès son entrée dans la Communauté économique européenne, en application de l'article 35 de l'acte
d'adhésion.

Quelle est, en effet, la portée sur les échanges intracommunautaires d'une politique de crédit, définie par l'autorité publique et mise en œuvre par les services bancaires, qui en subordonne l'octroi, pour l'achat d'une machine importée, à la preuve de l'absence de machines nationales de même nature? Pour reprendre les exemples fournis par la directive 70/50 de la Commission relative à la « suppression des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation... » (JO L 13
du 19. 1. 1970, p. 29), une telle politique revient à imposer des conditions de paiement aux seules machines importées [article 2, paragraphe 3, sous h)], créant une incitation ou une préférence pour l'achat des seules machines nationales [article 2, paragraphe 3, sous k)]. Dans la mesure où elle impose une condition discriminatoire, cette politique est donc à ranger parmi « les mesures... qui font obstacle à des importations qui pourraient avoir lieu en leur absence », en rendant celles-ci «
plus difficiles ou onéreuses que l'écoulement de la production nationale » (article 2, paragraphe 1).

L'instruction du 31 mars 1982 et la circulaire n° 96/82 constituent donc des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, interdites entre États membres par l'article 30 du traité CEE.

6.  Cette conclusion n'est pas contredite par les arguments de la défenderesse tendant à démontrer qu'en pratique les mesures en cause n'auraient pas été appliquées.

A cet égard, les statistiques d'importation ne sont pas probantes. Exprimées en chiffres absolus, elles ne permettent nullement d'exclure l'application, pour le type particulier de machine considéré, des dispositions attaquées. Observons, au surplus, que l'entrave aux échanges n'est pas fonction du degré d'affectation du commerce entre États membres: en l'occurrence, il y a lieu de considérer qu'une politique discriminatoire de crédit agricole, fondée sur la présentation d'une attestation
officielle de l'absence de produits nationaux concurrents du produit importé, a été définie par l'autorité publique et reprise par la principale banque agricole. Une telle politique est, par elle-même, de nature à

« entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire » (8/74, Dassonville, Rec. 1974, p. 837, point 5).

Dès lors, apparaît tout autant dépourvue de pertinence la justification tirée du caractère non contraignant des dispositions critiquées, comme cela résulte d'ailleurs clairement de votre arrêt 249/81, Irlande (Rec. 1982, p. 4005, notamment point 28). Il en va de même de l'argument fondé sur l'invalidité desdites dispositions, consécutive aux mesures générales d'abrogation de 1981: la hiérarchie des normes nationales n'implique pas que l'acte successif, en principe dépourvu d'effet, ait été
laissé inappliqué. Au surplus, on doit rappeler que, par une jurisprudence constante, vous considérez qu'un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations communautaires (voir notamment 275/83, Commission/Belgique, 28 mars 1985, Rec. 1985, p. 1103, point 10).

7.  Si le manquement de l'État défendeur apparaît établi en ce qui concerne l'instruction ministérielle du 31 mars 1982 et la circulaire n° 96/82, on ne peut, en l'état actuel du dossier, suivre la Commission lorsqu'elle y voit l'indice d'une politique d'ensemble en la matière.

Dans le cadre de la procédure de l'article 169 du traité, il appartient à la Commission de rapporter la preuve de l'existence du manquement reproché. Or, il faut constater qu'en l'espèce elle n'a pas établi que les décisions générales d'abrogation de 1981 aient été transgressées sur d'autres points que celui précédemment évoqué.

Cette lacune est-elle imputable au défaut de collaboration de la République hellénique? Rien ne permet de l'affirmer. Certes, l'État défendeur s'est abstenu de communiquer l'instruction ministérielle et la circulaire de 1982 à la Commission. Celle-ci aurait donc été fondée, sur ce point précis et spécifique, à invoquer la violation de l'article 5 du traité. Mais cette dernière disposition n'est opposée à la défenderesse qu'en ce qui concerne les « autres catégories de machines » c'est-à-dire de
façon générale et imprécise. A cet égard, le silence de la République hellénique ne peut, en l'état, s'analyser comme une rétention d'information. Dès lors, le second manquement reproché ne peut être considéré comme établi.

8.  Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous proposons simplement de constater qu'en subordonnant l'octroi de crédits pour l'achat de machines agricoles importées — en l'occurrence décanteurs et centrifugeuses pour huileries — à la production d'un certificat ministériel attestant l'absence de machines nationales de même nature, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 192/84
Date de la décision : 16/10/1985
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé, Recours en constatation de manquement - non fondé

Analyses

Mesures d'effet équivalent - Conditions de crédit à l'achat de machines agricoles.

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République hellénique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:417

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award