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16/04/1986 | CJUE | N°234/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 16 avril 1986., Royaume de Belgique contre Commission des Communautés européennes., 16/04/1986, 234/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 16 avril 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs ies Juges,

A —

Le problème central qui se pose dans l'affaire sur laquelle nous nous prononçons aujourd'hui est celui de savoir si la souscription d'une augmentation de capital dans une entreprise industrielle par des instances publiques peut être considérée comme une aide au sens de l'article 92 du traité CEE.

1. L'entreprise de construction mécanique Meura SA a été créée en 1845 à Tourna

i (Belgique). Jusqu'à sa faillite en janvier 1986, elle produisait notamment des installations pour l'industr...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 16 avril 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs ies Juges,

A —

Le problème central qui se pose dans l'affaire sur laquelle nous nous prononçons aujourd'hui est celui de savoir si la souscription d'une augmentation de capital dans une entreprise industrielle par des instances publiques peut être considérée comme une aide au sens de l'article 92 du traité CEE.

1. L'entreprise de construction mécanique Meura SA a été créée en 1845 à Tournai (Belgique). Jusqu'à sa faillite en janvier 1986, elle produisait notamment des installations pour l'industrie alimentaire, en particulier des cuves pour le stockage de la bière. Le programme de fabrication de l'entreprise englobait également des générateurs de vapeur et d'autres produits de l'industrie métallurgique.

a) L'entreprise, qui avait connu des difficultés dès l'année 1974, a enregistré à la fin de l'année 1978 une perte de 95 millions de BFR. Sa banque habituelle, qui lui avait consenti dans le passé d'importants crédits par découvert, l'ayant privée de tout soutien, l'entreprise a dû s'adresser à l'État, qui a donné sa garantie pour un montant de 75 millions de BFR.

b) En avril 1979, des instances publiques ont souscrit une augmentation de capital; le capital a été ainsi porté de 4 millions de BFR à 44 millions de BFR.

c) Malgré cette première intervention de l'État, l'entreprise a subi de nouvelles pertes s'élevant à 95 millions de BFR. Il y eut en août 1980 une nouvelle « restructuration du capital » de la société: les actions encore détenues par des personnes privées (environ 30 % du capital) ont été déclarées nulles; les pouvoirs publics sont ainsi devenus le seul actionnaire de la société.

Pour réaliser cette « restructuration » financière, les biens immobiliers de l'entreprise ont fait l'objet d'une nouvelle évaluation et des réserves ont été portées au bilan. Le capital ainsi fixé à 180 millions de BFR a été ensuite réduit à zéro pour couvrir les pertes qui s'étaient accumulées. Des instances publiques ont ensuite souscrit une augmentation de capital de 150 millions de BFR.

d) L'entreprise a en outre bénéficié d'une série d'autres mesures de soutien telles que des subventions d'intérêts, l'octroi de garanties, des exonérations de taxe foncière et l'autorisation de procéder à des amortissements accélérés.

e) Un plan de restructuration décidé en 1980 s'est avéré infructueux; au cours des années 1980 à 1983, l'entreprise a enregistré des pertes s'élevant respectivement à 20, 33, 91 et 43 millions de BFR.

Eu égard à cette situation, la Région wallonne, une collectivité territoriale du royaume de Belgique (le requérant) a décidé le 23 juillet 1982 de souscrire, par l'intermédiaire de la Société régionale d'investissement de Wallonie (SRIW), une nouvelle augmentation de capital s'élevant à 145 millions de BFR. La réalisation de cette augmentation de capital a été subordonnée à la condition que d'autres bailleurs de fonds consentent également des crédits à l'entreprise, que des emplois soient
supprimés et qu'une coopération étroite avec une autre entreprise soit recherchée.

2. La Commission (la défenderesse), après avoir eu connaissance de l'augmentation de capital et d'une autre mesure — une subvention d'intérêts qui ne fait pas l'objet de la présente instance —, s'est adressée au requérant le 22 juillet et le 17 septembre 1982 et lui a rappelé ses obligations découlant de l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE selon lequel les États membres sont tenus de notifier au préalable les projets d'aides nouvelles.

Le requérant a fait parvenir sa réponse à cette demande de renseignements le 25 novembre 1982; il y fait notamment état d'un nouveau plan de restructuration de l'entreprise, sans toutefois joindre celui-ci à sa lettre.

Ensuite, la défenderesse a décidé d'engager la procédure de contrôle des aides de l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE et a mis le requérant en demeure de présenter ses observations. Dans sa réponse, le requérant a confirmé que la participation dans le capital de l'entreprise avait été décidée le 23 juillet 1982.

3. Dans sa décision du 17 avril 1984 ( 1 ), présentement attaquée, la défenderesse a notamment déclaré que l'aide en faveur d'une entreprise du secteur de la production d'installations pour l'industrie alimentaire accordée par le gouvernement belge en juin 1982 était incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE et devait dès lors être supprimée ( 2 ).

Dans le préambule de cette décision, la défenderesse considère notamment:

— que les apports en capital effectués tant par le gouvernement central que par d'autres instances publiques qui relèvent de l'autorité de l'État peuvent constituer des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE; que, en l'espèce, la situation financière de l'entreprise constituait un handicap tel qu'il était peu vraisemblable que l'entreprise puisse obtenir les sommes indispensables à sa survie sur les marchés de capitaux privés; que la prise de participation de 145 millions de
BFR par la SRIW dans le capital de l'entreprise en cause, qui était confrontée à des difficultés financières graves et répétées, est une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE, et non pas un apport en capital à risque selon la pratique normale des sociétés en économie de marché;

— que le bénéfice brut réalisé par l'entreprise depuis l'année 1977 n'a pas permis de générer les ressources nécessaires pour couvrir l'amortissement des installations; que, depuis l'année 1979, le « cash-flow » a été négatif, ce qui exclut selon toute vraisemblance que l'entreprise soit à même de financer sans l'aide de l'État le programme d'investissement envisagé de 110 millions de BFR.

La défenderesse évoque en outre les différentes mesures de soutien que les instances publiques belges avaient prises en faveur de l'entreprise depuis 1979. Elle analyse ensuite l'effet de l'augmentation de capital litigieuse sur les échanges communautaires et énonce:

— que, à partir du moment où une aide financière accordée par un État membre renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges communautaires, ces derniers doivent être considérés comme étant influencés par l'aide;

— que, dans le cas d'espèce, l'entreprise en cause exporte environ 40 % de sa production vers les autres États membres et que les aides octroyées par le requérant ont eu pour effet de réduire les charges financières de cette entreprise et de lui procurer par là même un avantage par rapport à ses concurrents qui doivent supporter eux-mêmes ces charges;

— que les dérogations à l'interdiction des aides, prévues à l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE, seules susceptibles d'être appliquées, précisent les objectifs poursuivis dans l'intérêt de la Communauté et non dans celui du seul bénéficiaire de l'aide;

— que, notamment, il doit exister, de la part de l'entreprise bénéficiaire, une contrepartie justifiant l'octroi de l'aide; que, en l'espèce, l'existence d'une telle contrepartie n'apparaît pas de la part de l'entreprise bénéficiaire de l'aide;

— que, en effet, le requérant n'a pu donner et la défenderesse n'a pu déceler aucune justification permettant d'établir que l'aide en cause remplit les conditions requises pour l'application d'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE;

— que, d'une manière générale, on constate que le secteur de la production d'installations pour l'industrie alimentaire doit actuellement faire face à une surcapacité certaine et que l'évolution de ce secteur conduit à la conclusion que le maintien de capacités de production au moyen d'aides d'État va à l'encontre de l'intérêt commun.

En ce qui concerne la procédure, la défenderesse énonce dans sa décision que les gouvernements de deux Etats membres et deux organisations professionnelles relevant du secteur en cause ont fait savoir qu'ils partageaient les préoccupations de la Commission à l'égard de l'aide belge.

4. Le requérant estime que la décision de la défenderesse est illégale pour plusieurs raisons.

Le requérant demande à la Cour:

— d'annuler la décision de la défenderesse du 17 avril 1984 dans la mesure où elle déclare que la participation de 145 millions de BFR par la SRJW dans le capital de la société Meura est incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE et doit être supprimée;

— de condamner la défenderesse aux dépens.

La défenderesse demande à la Cour:

— de rejeter le recours comme non fondé;

— de condamner le requérant aux dépens.

Elle maintient sa décision, tout en en précisant les motifs.

Nous reviendrons dans nos observations sur les différents arguments en droit exposés par les parties.

5. Sur demande de la Cour, le requérant a fourni des précisions sur l'évolution de la valeur et de la répartition de la production de la société Meura; il a également produit un plan remontant à l'année 1982, concernant la restructuration de l'entreprise.

B —

Le requérant ayant retiré au cours de la procédure orale, compte tenu de l'arrêt de la Cour dans l'affaire 52/84 ( 3 ), le moyen fondé sur l'affirmation selon laquelle il serait juridiquement impossible de se conformer à la décision de la défenderesse, il reste encore trois moyens du requérant à examiner:

— la participation en capital litigieuse ne constituerait pas une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE (moyen no 1);

— la décision serait insuffisamment motivée en ce qu'elle n'établirait pas en quoi les participations en cause affectent les échanges entre États membres et faussent la concurrence (moyen no 2) ;

— violation des droits de la défense en ce que la défenderesse n'aurait pas communiqué au requérant les observations des États membres, des organisations professionnelles et des entreprises qui ont participé à la procédure (moyen no 4);

Il y aura lieu également de se pencher sur la question de savoir si la disposition dérogatoire de l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE peut s'appliquer. Bien que le requérant n'ait pas expressément formulé de moyen sur ce point, on peut déduire de son argumentation qu'il faut également examiner la possibilité de considérer la souscription de capital litigieuse comme compatible avec le marché commun (moyen no 3).

1. Sur la question de savoir si la participation en capital litigieuse constitue une aide au sens de l'article 92 du traité CEE

a) Le requérant estime que, en interdisant à la Région wallonne, en tant qu'actionnaire principal de l'entreprise concernée, de participer à l'augmentation de capital litigieuse, la défenderesse place cette région dans une situation discriminatoire par rapport à un actionnaire privé. Il ne voit pas en quoi le comportement de la Région aurait été différent de celui adopté par un actionnaire privé dans les mêmes circonstances. Selon lui, ce n'est pas parce qu'une entreprise connaît des difficultés
qu'un actionnaire doit se retirer et précipiter sa ruine. Il affirme qu'il est normal qu'un actionnaire soutienne, par un apport de capital supplémentaire, l'effort de restructuration de l'entreprise concernée. Selon lui, c'est uniquement parce qu'il s'agissait de l'État que la défenderesse a interdit un comportement habituel chez des actionnaires privés, tel que le soutien apporté à des activités rentables mais passagèrement déficitaires. Il estime que le fait d'appliquer l'article 92 du
traité CEE en ce sens que les instances publiques se voient imposer des modes de comportement qui sont en dernière analyse discriminatoires serait contraire à la garantie du régime de la propriété dans les États membres, inscrite à l'article 222 du traité CEE.

Selon la défenderesse, la thèse du requérant revient à privilégier les entreprises publiques, car elle suppose que les autorités des États membres ne sont pas tenues, s'agissant de ces entreprises, au respect des règles de concurrence, notamment en matière d'aides, comme lorsqu'il s'agit d'entreprises privées. Elle estime que pareille supposition se heurte à l'évidence à l'article 90, paragraphe 1, du traité CEE aux termes duquel les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques,
n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment à celles prévues aux articles 85 à 94 inclus.

Selon la défenderesse, le comportement de la Région wallonne est totalement différent, en l'espèce, de celui qu'aurait adopté un actionnaire privé dans les mêmes circonstances. Elle estime que l'existence d'un lien entre les pertes subies par la société Meura SA et les aides qui lui ont été octroyées jusqu'en 1982 peut être déduite de l'équivalence des montants respectifs: environ 335 millions de BFR en aides reçues contre environ 320 millions de BFR en pertes subies. La défenderesse est
d'avis que, avec de pareilles pertes et une telle perspective de rentabilité, aucun actionnaire privé n'augmenterait le capital d'une entreprise. Toujours selon la défenderesse, les pertes montrent que l'entreprise ne s'est pas trouvée confrontée à de simples difficultés passagères, dues à des conditions autres que celles, normales, du marché; elle estime qu'on peut en déduire que l'entreprise n'a pu subsister jusqu'à ce jour que grâce aux interventions des fonds publics. Toujours selon la
défenderesse, l'apport en capital litigieux constituant, compte tenu de ces considérations, une mesure de sauvetage indispensable pour compenser les pertes d'exploitation, il ne peut évidemment pas en même temps avoir été destiné à soutenir un prétendu effort de restructuration de l'entreprise.

b) Aux termes de l'article 92 du traité CEE, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Il n'en est autrement que des aides qui, en application de l'article 92, paragraphe 2, du traité CEE, sont réputées compatibles
avec le marché commun en vertu du traité, ou bien qui, en application de l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun.

aa) Dans son arrêt du 14 novembre 1984 ( 4 ), la Cour a tiré de la formulation très large de cette disposition — aides accordées « sous quelque forme que ce soit » — la conclusion qu'une distinction de principe ne saurait être établie selon qu'une aide est accordée sous forme de prêts ou sous forme de participation au capital d'entreprises. Elle a considéré que les aides sous l'une et l'autre de ces formes tombent sous l'interdiction de l'article 92 du traité CEE lorsque les conditions
énoncées par cette disposition sont remplies.

La Cour n'a cependant pas eu à exposer en détail, dans cette affaire, les circonstances dans lesquelles une participation en capital de l'État doit être considérée comme une aide au sens de l'article 92 du traité CEE, le recours ayant dû être accueilli pour d'autres motifs.

Pas plus que le traité CECA, le traité CEE ne définit la notion d'aide. Une définition donnée par les traités ne serait sans doute ni possible ni opportune, toute définition concrète étant susceptible de limiter la notion d'aide. Mais une interprétation large s'impose, afin que l'article 92 du traité CEE puisse contribuer utilement à assurer que la concurrence ne soit pas faussée dans le marché commun, comme le commande le but fixé par l'article 3, sous f), du traité CEE.

Cela concorde avec la définition générale que la Cour a donnée de la notion d'aide du traité CECA dans son arrêt du 23 février 1961 dans l'affaire 30/59 ( 5 ). Selon cet arrêt, la notion d'aide comprend « des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise ».

Dans son arrêt du 22 mars 1977 dans l'affaire 78/76 ( 6 ), la Cour parle d'un « avantage gratuit » en s'inspirant de la formulation de la demande de décision préjudicielle dont elle avait été saisie à l'époque, tandis que, dans l'arrêt du 2 juillet 1974 dans l'affaire 173/73 ( 7 ), il n'est question que d'« avantages ».

On peut déduire de ces décisions que toute forme de soutien accordée par un État membre ou au moyen de ressources d'État, pour atteindre un objectif autre que purement économique, constitue une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE. En tout état de cause, un soutien constitue une aide lorsque le bénéficiaire obtient un avantage qu'il n'aurait normalement pas obtenu. Tel peut être, par exemple, le cas lorsque des capitaux sont mis à la disposition d'une entreprise dans
des circonstances qui ne correspondent pas aux conditions normales du marché des capitaux.

Ces considérations ne suffisent cependant pas pour apprécier la légalité d'une participation en capital de l'État dans une entreprise. On doit en effet déduire de la disposition de l'article 222 du traité CEE, selon laquelle ce traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres, que le traité CEE admet également l'existence d'un secteur économique public. Le traité CEE ne prévoit aucune influence de la Communauté sur l'existence d'entreprises publiques, mais il les
soumet aux règles du traité en interdisant aux États membres d'édicter ou de maintenir, en ce qui concerne ces entreprises, des mesures contraires aux règles du traité, notamment à celles prévues aux articles 85 à 94 inclus. Les entreprises publiques doivent s'insérer dans le marché commun et ne doivent pas entraver son établissement ni son fonctionnement.

L'article 90, paragraphe 2, du traité CEE ne prévoit des dérogations spécifiques que pour les entreprises « chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal ». Il en résulte que le traité ne prévoit pas, en règle générale, pour les entreprises publiques, de dérogation à son application.

bb) A l'issue de ces observations, nous en arrivons au coeur des questions de droit soulevées par cette affaire. Il convient à ce stade d'opérer une délimitation entre Vactivité d'entrepreneur qu'exerce, sans contrôle de la Communauté quant aux subsides octroyés, celui qui possède et contrôle les entreprises publiques, et l'activité de pourvoyeur de subsides des pouvoirs publics dans ce domaine, soumise à surveillance en application des articles 92 et suiv. du traité CEE. Il est dès lors
nécessaire de distinguer entre le comportement d'opérateur privé des pouvoirs publics, inspiré par l'esprit d'entreprise, d'une part, et l'action étatique, qui comporte des objectifs politiques et qui est au service de l'intérêt général, par exemple au moyen de mesures destinées à stabiliser le marché du travail, d'autre part.

La Commission a déjà fait état de ce problème dans les considérants de sa directive sur la transparence ( 8 ), où elle a énoncé ce qui suit:

« considérant que, en vertu du traité CEE, la Commission a le devoir de s'assurer que les États membres n'accordent pas, aux entreprises tant publiques que privées, des aides incompatibles avec le marché commun;

considérant, cependant, que la complexité des relations financières des pouvoirs publics nationaux avec les entreprises publiques est de nature à entraver l'exécution de cette tâche;

considérant, au surplus, qu'une application efficace et équitable aux entreprises publiques et privées des règles du traité CEE concernant les aides ne peut se faire que pour autant que ces relations financières soient rendues transparentes;

considérant, par ailleurs, que, en matière d'entreprises publiques, cette transparence doit permettre de distinguer clairement entre le rôle de l'Etat en tant que pouvoir public et en tant que propriétaire ».

L'article 3 de la directive sur la transparence contient une enumeration enunciative des relations financières entre les pouvoirs publics et les entreprises publiques que la directive impose de faire ressortir:

« ...

a) la compensation des pertes d'exploitation;

b) les apports en capital ou en dotation;

c) les apports à fonds perdus ou les prêts à des conditions privilégiées;

d) l'octroi d'avantages financiers sous forme de la non-perception de bénéfices ou du non-recouvrement de créances;

e) la renonciation à une rémunération normale des ressources publiques engagées;

f) la compensation de charges imposées par les pouvoirs publics. »

Toutefois, comme la Cour l'a constaté dans son arrêt du 6 juillet 1982 dans les affaires jointes 188 à 190/80 ( 9 ), cette enumeration des relations financières entre les entreprises publiques et les États membres ne constitue pas une définition de la notion d'aide au sens des articles 92 et suiv. du traité CEE. Elle se borne à préciser les opérations financières dont la Commission estime devoir être informée en vue de déterminer si un État membre a accordé, sans respecter son obligation
de notification inscrite à l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE, des aides à l'entreprise en question.

S'agissant d'une transaction financière entre un État membre et une entreprise publique, il faut chercher à opérer une délimitation, sur la base de critères spécifiques, entre le comportement d'entrepreneur et le comportement étatique lors de l'octroi d'une aide. En effet, les avantages que l'État consent à titre de dotation à une entreprise publique pourraient également apparaître comme un investissement inspiré par l'esprit d'entreprise. Il pourrait en être de même de la non-perception
de bénéfices ou de la compensation des pertes, un entrepreneur privé pouvant être également amené à devoir prendre de pareilles dispositions. La comparaison avec des dispositions correspondantes dans le secteur privé nous amène ainsi au stade suivant du raisonnement: l'on pourrait envisager de conclure à une aide d'État si l'on devait supposer qu'un actionnaire privé agissant en fonction de considérations économiques normales n'apporterait pas, dans des circonstances comparables, le même
soutien à l'entreprise en cause.

Si l'on retient comme critère le comportement hypothétique d'un actionnaire privé agissant en fonction de considérations économiques normales, on concède déjà à L'État en tant qu'actionnaire d'une entreprise une large liberté d'action. Il ne faut en effet pas méconnaître que l'État — même en tant qu'actionnaire privé — jouit de la possibilité de se procurer dans une mesure non négligeable les capitaux nécessaires: par des impôts ou des emprunts obligatoires. Un entrepreneur privé n'a
normalement guère la possibilité de se refinancer à une pareille échelle.

Bien que l'appréciation du point de savoir si une mesure étatique constitue une aide soit fonction, selon la jurisprudence de la Cour, non pas des causes ou des objectifs de la mesure mais de ses effets ( 10 ), il est néanmoins nécessaire, pour opérer la délimitation entre les aides d'État et les dotations de caractère privé apportées par l'État à des entreprises publiques, de tenir compte, au moins à titre d'indices, des buts de la mesure. Le but pourra être déterminant pour le classement
dans l'une ou l'autre catégorie d'un avantage consenti à des entreprises publiques, dans la mesure où une motivation d'ordre macroéconomique, résidant, par exemple, dans des raisons de politique sociale ou structurelle, fera plutôt apparaître un soutien comme une mesure d'aide, alors qu'un placement de caractère lucratif, axé sur la réalisation de bénéfices, sera moins susceptible d'être considéré comme une aide.

cc) Pour apprécier si la participation en capital litigieuse constitue une aide, il convient tout d'abord d'examiner brièvement l'évolution du capital social et des résultats d'exploitation de l'entreprise bénéficiaire.

Avant que la Région wallonne ne prît en 1979 une première participation dans l'entreprise concernée, le capital de celle-ci s'élevait à 4 millions de BFR; du fait de la prise de participation, il a été porté à 44 millions de BFR.

En face de ces chiffres, l'on trouvait à l'époque des pertes d'environ 95 millions de BFR. De nouvelles pertes de 95 millions de BFR ont porté au mois d'août 1980 le déficit global à 180 millions de BFR. Seule une nouvelle évaluation des biens immobiliers et l'inscription des réserves au bilan en 1980 ont permis de chiffrer le capital à 180 millions de BFR, ce capital ayant cependant été simultanément réduit à zéro pour compenser le déficit global qui s'était accumulé ( 11 ).

Pour procurer ensuite à l'entreprise les moyens nécessaires à la poursuite de son activité, les pouvoirs publics ont soucrit une nouvelle augmentation de capital de 150 millions de BFR. Aux deux moments auxquels les pouvoirs publics belges ont souscrit les deux premières augmentations de capital, la situation de l'entreprise présentait ainsi les caractéristiques suivantes:

— fin 1978/début 1979: pertes accumulées: 95 millions de BFR; suppression des lignes de crédit par la banque habituelle; capital: 4 millions de BFR; garantie de l'Etat: 75 millions de BFR.

— 1980: pertes accumulées: 180 millions de BFR, possibilité d'équilibrer le bilan uniquement grâce à une nouvelle évaluation des biens immobiliers et aux réserves.

Les chiffres indiqués montrent que, tant en 1979 qu'en 1980, l'entreprise concernée s'était trouvée dans une situation qui aurait dû conduire à sa liquidation. Seules les mesures prises par l'État, à savoir les participations en capital et les garanties, l'avaient mise en situation de se maintenir.

Malgré les interventions de l'État, de nouvelles pertes sont enregistrées au cours des années 1980 à 1982, s'élevant respectivement à 20,33 et 91 millions de BFR.

De ce fait, la deuxième participation en capital des pouvoirs publics, d'un montant de 150 millions de BFR, s'est elle aussi trouvée dans une large mesure absorbée.

C'est alors, dans cette situation, que les pouvoirs publics décident de souscrire une augmentation de capital de 145 millions de BFR. La défenderesse intervient, pour la première fois, à l'occasion de cette augmentation de capital, qu'elle qualifie d'aide au motif que la situation financière de l'entreprise constitue un handicap tel qu'il est peu vraisemblable que l'entreprise puisse obtenir les sommes indispensables à sa survie sur les marchés de capitaux privés. Elle cite à l'appui de cette
appréciation des détails concernant l'évolution du capital et les résultats de l'entreprise concernée.

Cette présentation de la situation est confirmée par les documents que le requérant a produits sur demande de la Cour. La conclusion à laquelle est parvenue la défenderesse, selon laquelle l'entreprise n'aurait pas pu obtenir les sommes nécessaires sur les marchés de capitaux privés, ne peut être réfutée compte tenu de l'évolution des résultats de l'entreprise. La défenderesse pouvait donc considérer, à juste titre, l'augmentation de capital projetée en 1982 comme une aide.

2. Sur la question de savoir si l'aide litigieuse affecte les échanges entre États membres et fausse la concurrence

L'octroi d'aides, notamment sous forme de prise de participations par l'État ou par des personnes morales de droit public, ne pouvant être considéré sans autre forme de procès comme contraire au traité, il convient de se demander à présent si les aides en cause constituent une infraction à l'article 92, paragraphe 1. Il y a lieu de rechercher notamment si les aides faussent ou menacent de fausser la concurrence et si elles affectent les échanges entre États membres.

a) Selon le requérant, la décision de la défenderesse ne contient aucun élément permettant de conclure que la prise de participation litigieuse affecte les échanges entre États membres ou fausse ou menace de fausser la concurrence. Le requérant souligne que le chiffre d'affaires de l'entreprise concernée n'a pas dépassé 450 millions de BFR, que ses exportations ont été réorientées vers les marchés extérieurs à la Communauté qui représentaient, en 1984, 50 % de son chiffre d'affaires, que
l'entreprise n'emploie plus que 232 travailleurs contre 587 en 1977 et que sa part de marché en Belgique n'est que de l'ordre de 5 à 10 %. Ces chiffres démontrent, selon le requérant, que, s'agissant d'une entreprise de taille aussi modeste, l'impact sur la concurrence entre États membres est à peine perceptible.

Toujours selon le requérant, il faut ajouter à cela que la défenderesse n'a donné aucune indication concrète sur la nature des prétendues atteintes portées à la concurrence, attitude critiquée par la Cour dans ses arrêts du 14 novembre 1984 dans l'affaire 323/82 ( 12 ) et du 13 mars 1985 dans les affaires jointes 296 et 318/82 ( 13 ). Il estime que la décision se borne à faire état d'objections soulevées par les gouvernements de deux États membres et par deux organisations professionnelles
relevant du secteur industriel en cause.

Selon la défenderesse, l'appréciation de l'impact d'une aide sur la concurrence au sein de la Communauté n'est pas fonction du degré de perceptibilité de cet impact. Elle estime que le droit des aides ne connaît pas de principe de minimis et qu'en conséquence le chiffre d'affaires et l'importance de l'effectif de l'entreprise en cause n'avaient pas à être pris en compte. Toujours selon la défenderesse, le facteur décisif est que l'entreprise en cause produit dans un secteur qui subit le
contrecoup du ralentissement des investissements. Elle estime que le marché du matériel fabriqué par elle se caractérise par une surcapacité de production et par une vive concurrence tant au niveau national que communautaire. A son avis, le fait que l'entreprise exporte environ la moitié de sa production hors de la Communauté ne modifie en rien cette conclusion, cela signifiant que l'autre moitié de sa production est commercialisée dans la Communauté.

b) Il faut tout d'abord constater que les énonciations de la décision attaquée concernant la question de savoir si l'aide litigieuse affecte les échanges entre États membres et fausse la concurrence sont très succinctes. La décision se borne à énoncer, quant aux faits, que l'entreprise en cause exporte environ 40 % de sa production vers les autres États membres. Elle ajoute que les aides octroyées ont eu pour effet de réduire les charges financières de cette entreprise et de lui procurer par là
même un avantage par rapport à ses concurrents qui doivent supporter eux-mêmes ces charges. La décision déclare également que, du seul fait que l'on renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes, les échanges communautaires doivent être considérés comme étant influencés par l'aide.

On ne trouve effectivement pas d'indications sur la part de marché détenue par l'entreprise concernée et sur les courants commerciaux des produits en cause.

Même si la défenderesse n'était assurément pas tenue d'énoncer dans sa décision tous les détails fondant la conclusion à laquelle elle est parvenue, elle devait cependant indiquer les motifs essentiels constituant le soutien de sa décision. La défenderesse a satisfait à cette obligation dans une mesure minimale, tout juste encore acceptable.

Les parties sont d'accord pour dire que l'entreprise en cause exportait une partie importante de sa production. Le requérant invoque cette circonstance à l'appui de son plan de restructuration.

Pour la défenderesse, il était constant que l'entreprise en cause exportait 40 % de ses produits vers d'autres États membres de la Communauté. C'est pourquoi elle pouvait se fonder à juste titre sur l'hypothèse que le maintien artificiel de l'existence de l'entreprise en cause suffisait pour fausser la concurrence et pour affecter les échanges entre États membres. L'octroi de l'aide ayant eu pour effet de réduire les charges financières de l'entreprise et de lui procurer par là même un avantage
par rapport à ses concurrents, il faut admettre, en cas de doute, que la concurrence pouvait s'en trouver faussée. Si l'entreprise en cause n'avait pas été maintenue artificiellement en vie, ses concurrents, qui n'ont pas reçu d'aides comparables, auraient pu reprendre sa part de marché aussi bien en Belgique que dans d'autres États de la Communauté. La décision de la défenderesse aurait assurément été plus claire et plus nette si elle avait donné des indications sur le volume d'affaires de
l'entreprise en cause en valeur absolue ainsi que sur sa part de marché à l'intérieur de la Belgique et de la Communauté; cependant, ces indications ne nous semblent pas avoir été absolument indispensables pour parvenir à la constatation intervenue dans la décision litigieuse. A la différence de ce qu'elle avait fait dans ses deux décisions du 22 juillet 1982, qui ont abouti aux arrêts de la Cour du 14 novembre 1984 et du 13 mars 1985 respectivement dans l'affaire 323/82 et dans les affaires
jointes 296 et 318/82, la défenderesse a malgré tout décrit, dans la décision attaquée en l'espèce, la participation de l'entreprise en cause aux échanges communautaires. Lorsqu'une entreprise qui participe aux échanges communautaires reçoit des aides que d'autres entreprises concurrentes ne reçoivent pas, l'on peut en conclure que les échanges communautaires sont influencés par l'aide et que la concurrence est faussée.

Le fait que l'entreprise en cause soit une entreprise relativement modeste ne change rien à cette constatation de principe. Il est vrai que, dans la jurisprudence de la Cour ( 14 )

en matière de droit des ententes, il a été fait appel au principe de perceptibilité. Selon cette jurisprudence, l'interdiction de l'article 85 du traité CEE ne peut s'appliquer, même en présence des éléments constitutifs visés par cette disposition, lorsque, compte tenu de la faible position des intéressés, leur entente n'est pas susceptible de nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États.

En matière d'aides d'État, la Cour n'a pas admis à ce jour l'application d'un pareil principe de perceptibilité. A notre avis, il n'y a d'ailleurs pas lieu de l'admettre dans le cadre de la procédure de contrôle des aides, car les aides d'État perturbent le régime d'une concurrence non faussée, voulu par le traité [article 3, sous f), du traité CEE]. Les États membres étant en outre tenus, aux termes de l'article 5 du traité CEE, de faciliter à la Communauté l'accomplissement de sa mission, il
est en principe justifié d'appliquer à leur comportement un critère plus rigoureux qu'au comportement des entreprises. En outre, rien ne permet de déduire du libellé de l'article 92 du traité CEE que les atteintes peu importantes à la concurrence doivent être exclues de la règle d'incompatibilité qu'il édicté. Compte tenu également des larges dérogations à l'interdiction des aides, prévues par l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité CEE, il apparaît justifié de retenir, indépendamment de son
degré, toute atteinte à la concurrence. vent pas d'avantages similaires et, partant, qu'elles faussent la concurrence. Les aides améliorant ainsi artificiellement la situation de l'entreprise bénéficiaire, il convient en outre d'admettre, en cas de doute, qu'elles affectent également les échanges entre États membres. Compte tenu de cette présomption, dont la force est indéniable, l'on ne devrait pas assortir l'obligation d'explication et de motivation incombant à la défenderesse d'exigences trop
élevées, à partir du moment où elle a constaté l'octroi d'une aide. En conclusion, nous sommes donc d'avis que la défenderesse a suffisamment justifié et motivé sa décision selon laquelle l'aide litigieuse fausse la concurrence et affecte les échanges entre Etats membres.

3. Bien que le requérant, conformément à sa thèse selon laquelle la participation en capital litigieuse ne constitue pas une aide, n'ait pas expressément visé la violation de l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE, nous estimons qu'il est nécessaire de nous pencher sur cette disposition dérogatoire.

a) Le requérant expose qu'en 1982 un deuxième plan de restructuration a été décidé pour l'entreprise bénéficiaire et que, eu égard à l'activité de grande exportation et au renom technologique de l'entreprise concernée, l'augmentation de capital était justifiée pour soutenir un plan de restructuration qui avait pour objet une compression supplémentaire des effectifs ainsi qu'un programme d'investissement destiné à accentuer la spécialisation de l'entreprise, à développer une nouvelle gamme de
produits dans le secteur des chaudières et à préparer la création d'une activité en dehors de la CEE.

Selon le requérant, l'augmentation de capital a été souscrite pour adapter la capacité de production de l'entreprise à de nouveaux marchés et à la réduire dans le secteur traditionnel (matériel pour l'industrie alimentaire). Il en résulte, selon lui, que la participation critiquée n'a pas servi à financer une augmentation des capacités de production existantes.

De l'avis de la défenderesse, l'apport en capital litigieux a été indispensable pour compenser les pertes d'exploitation subies et ne peut donc pas en même temps avoir été destiné à soutenir les prétendus efforts de restructuration de l'entreprise.

Dans la procédure écrite devant la Cour, la défenderesse a contesté l'existence et la réalisation d'un plan de restructuration sérieux. Selon elle, le requérant n'a fourni aucun élément concret de nature à démontrer que l'investissement effectué et les suppressions d'emplois se distinguent d'une adaptation normale, réalisée sans aide d'État, que toute entreprise doit effectuer lorsque l'on observe une modification sensible des conditions du marché.

Au cours de la procédure orale, la défenderesse a pris position sur le plan de restructuration de l'entreprise bénéficiaire, décidé en 1982, que le requérant avait produit sur demande de la Cour.

Même après avoir pris connaissance de ce plan, la défenderesse maintient la thèse qu'elle avait exposée dans la décision litigieuse. Selon elle, pour pouvoir relever de la disposition dérogatoire de l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE, les plans de restructuration doivent comporter une contrepartie de la part de l'entreprise bénéficiaire, justifiant l'aide. Elle estime que les objectifs poursuivis par l'aide doivent présenter un intérêt communautaire, par exemple celui de faciliter le
développement de certaines activités ou de certaines régions économiques. Selon la défenderesse, il est déterminant à cet égard que l'aide ne soit pas destinée à une activité qui présente des surcapacités sur le plan communautaire. Or, elle estime que tel est précisément le cas dans le secteur en cause.

Toujours selon la défenderesse, il doit s'agir en outre d'une restructuration qui s'inscrit dans le cadre de secteurs économiques intéressants du point de vue communautaire. Elle estime que les aides de routine pour la pure et simple modernisation, c'est-à-dire pour les investissements de remplacement nécessaires, ne peuvent relever de l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE, car ce sont des aides au fonctionnement. Elle considère que le plan de restructuration ne contient aucun détail quant
à la spécialisation de l'entreprise et met en doute l'élaboration d'une nouvelle gamme de produits, 71 % de sa production globale ayant été fournie, encore en 1984, au secteur de la brasserie.

En conclusion, la défenderesse conteste l'existence d'un véritable plan de restructuration de l'entreprise bénéficiaire.

Le requérant n'a pas dirigé de critiques de fond à l'encontre de cette appréciation du plan par la défenderesse.

b) En ce qui concerne la possibilité d'appliquer l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE, la défenderesse s'est d'abord livrée dans sa décision à des considérations théoriques. Elle a fait observer ensuite qu'une application de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité CEE ne pouvait être envisagée, la zone dans laquelle l'entreprise concernée est établie n'étant pas une région dans laquelle sévirait un niveau de vie anormalement bas ou un grave sous-emploi. Au cours de la procédure devant
la Cour, la défenderesse a précisé que cette énonciation avait été faite dans la décision par rapport à la situation dans la Communauté dans son ensemble. Cela ne saurait donner lieu à critique, la Cour ayant jugé dans son arrêt du 17 septembre 1980 dans l'affaire 730/79 ( 15 ) que la défenderesse était en droit d'apprécier le niveau de vie et le sous-emploi dans une région déterminée, non pas par référence au niveau moyen national, mais par rapport au niveau communautaire.

En ce qui concerne la possibilité d'admettre qu'une aide est compatible avec le marché commun conformément à l'article 92, paragraphe 3, sous b), du traité CEE, la défenderesse a énoncé que la Belgique faisait partie des régions centrales de la Communauté qui ne connaissent pas, dans un contexte communautaire, les problèmes sociaux et économiques les plus graves, alors que, en même temps, le risque de surenchère des aides est des plus réels et que, plus qu'ailleurs, toute aide serait
susceptible d'affecter les échanges entre États membres. Elle a ajouté qu'il ne ressortait pas des informations socioéconomiques disponibles relatives à la Belgique d'élément permettant de conclure à l'existence d'une perturbation grave de son économie telle que celle visée par le traité.

Ces explications nous semblent elles aussi limpides; en tout cas, le requérant n'a rien avancé qui puisse les ébranler sérieusement.

c) Il ne reste donc plus qu'à examiner la possibilité de dérogation de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité CEE. La défenderesse a refusé d'appliquer cette disposition dérogatoire au motif qu'on constate que le secteur de la production d'installations pour l'industrie alimentaire doit actuellement faire face à une surcapacité certaine et que l'évolution de ce secteur conduit à la conclusion que le maintien de capacités de production au moyen d'aides d'État va à l'encontre de l'intérêt
commun; elle ajoute que cette constatation reste valable même lorsque l'octroi de l'aide est lié à un effort de restructuration financière, commerciale ou de l'équipement productif.

A un autre endroit de la décision, la défenderesse a énoncé que le requérant n'avait pu donner et que la défenderesse n'avait pu déceler aucune justification permettant d'établir que l'aide en cause remplit les conditions requises pour l'application d'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE.

Ces énonciations pourraient faire apparaître la possibilité de conclure — ce que fait le requérant en se référant à l'arrêt de la Cour du 13 mars 1985 dans les affaires jointes 296 et 318/82 — que la défenderesse n'a pas tenu suffisamment compte d'un élément essentiel qui aurait éventuellement pu conduire à une appréciation différente, à savoir le fait que l'aide en cause est allée de pair avec une restructuration de l'entreprise bénéficiaire.

Si cet argument devait s'avérer fondé, la décision litigieuse de la défenderesse devrait être tout autant annulée que sa décision ayant conduit à l'arrêt du 13 mars 1985 dans les affaires jointes 296 et 318/82.

Le requérant avait certes déjà attiré l'attention de la défenderesse en 1982 sur l'existence du plan de restructuration; elle n'avait cependant pas fourni d'autres précisions. Dans la procédure devant la Cour, ce plan a été pour la première fois explicité de manière un peu plus détaillée dans une note contenue dans la réplique et a été finalement produit, mais seulement sur demande expresse de la Cour. Cette circonstance, vue dans le contexte de l'évolution effective de l'entreprise concernée,
qui a conduit à des pertes de plus en plus importantes et finalement à la faillite de l'entreprise, suffit à suggérer que le soi-disant programme de restructuration ne saurait avoir constitué un projet viable. Si l'on examine le plan de 1982 de plus près, on doit constater qu'il se compose effectivement pour l'essentiel de déclarations d'intention, de vœux quant à l'évolution future de l'entreprise et de la situation du marché ainsi que d'appels à la direction et au personnel de l'entreprise.

En revanche, là ou le plan comporte des éléments concrets, il parle pour l'essentiel des nouveaux besoins en capitaux de l'entreprise. Le rapport sur les mesures projetées, soumis par la SRIW à la Région wallonne, énonce que la réalisation du plan de restructuration postulerait, dans des conditions normales, la collaboration active d'un partenaire industriel compétent qui devrait également s'engager d'une manière significative sur le plan financier. Ce rapport ajoute que, toutefois, en raison des
conditions sociales et du niveau des engagements de la Région wallonne dans cette entreprise, il n'est pas possible de préparer un pareil projet en temps utile et que, de ce fait, il y a lieu de soutenir le plan proposé par l'entreprise — avec la souscription des pouvoirs publics qu'il comporte. Toujours selon ce rapport, il existe des négociations avec différentes entreprises pour réaliser une stratégie commune de commercialisation, mais les négociations menées avec l'une de ces entreprises
quant à une participation financière n'ont aucune chance d'aboutir dans la situation actuelle de la société Meura.

Il ne nous apparaît cependant pas nécessaire de nous appesantir davantage sur ce plan, le requérant n'ayant pas dirigé de critiques sérieuses à l'encontre de l'appréciation de la défenderesse selon laquelle le plan ne comporte pas de projet de restructuration viable.

La défenderesse pouvait donc conclure à juste titre que les aides octroyées par le requérant ne pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché commun au sens de l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE. Le fait que la défenderesse n'a eu connaissance des détails du plan élaboré en 1982 qu'à l'occasion de la procédure devant la Cour et ne l'avait donc pas pris en compte avec tous ses détails dans sa décision ne change rien non plus à cette constatation.

En effet, le requérant n'avait ni notifié l'aide à la défenderesse conformément à l'article 93, paragraphe 3, ni présenté ultérieurement ce plan de manière spontanée. Il n'a donc pas satisfait aux obligations qui lui incombent dans le cadre de la procédure de contrôle des aides. Si la défenderesse a pris, en étant ainsi insuffisamment informée, une décision justifiée quant au fond, on ne saurait lui faire grief de n'avoir pas pris en compte dans sa décision des documents qu'on s'était abstenu de
lui communiquer. Les dispositions de l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE constituant au surplus une exception au principe de l'interdiction des aides, l'on pourrait parfaitement considérer que celui qui veut invoquer l'exception — en l'occurrence, le requérant — doit communiquer, dès le stade de la procédure administrative, l'ensemble des détails qui pourraient justifier l'application de la disposition d'exception.

Rien ne permet donc de mettre en doute la légalité de la constatation de la défenderesse selon laquelle les aides consenties par les organismes publics du requérant ne peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun conformément à l'article 92, paragraphe 3, du traité CEE.

4. Sur la violation des droits de la défense

a) Le requérant fait observer qu'il ressort de la décision attaquée que la défenderesse a reçu des observations des gouvernements de deux États membres et de deux organisations professionnelles relevant du secteur concerné, qui lui auraient fait savoir qu'« ils partageaient les préoccupations de la Commission à l'égard de l'aide belge ».

Il ajoute que ni le contenu de ces observations ni l'identité des intéressés ne lui ont jamais été communiqués. Il estime que, dès lors, il n'a pas été en mesure de préparer efficacement sa défense.

Il estime enfin qu'il est contradictoire qu'en sa qualité d'État membre, il dispose de moins d'informations sur les griefs articulés à l'encontre de la participation litigieuse qu'un État tiers faisant l'objet d'une procédure antisubventions dans le cadre du règlement no 2176/84 ( 16 ). Il rappelle que, dans le cadre de cette procédure, les parties concernées et notamment les représentants du pays exportateur peuvent prendre connaissance de tous les renseignements fournis à la Commission par
toute personne concernée par l'enquête et qu'ils ont le droit d'être informés des principaux faits et considérations sur lesquels se fondent les autorités communautaires.

Selon la défenderesse, la mise en demeure des intéressés de lui présenter leurs observations a pour seule fin de lui permettre de réunir tous les éléments d'information nécessaires pour évaluer la compatibilité des aides avec le marché commun. Elle estime qu'il n'existe donc pas, en matière d'aides, une procédure contradictoire comparable à celle existant en matière de règles de concurrence applicables aux entreprises (articles 85 et suiv. du traité CEE).

Toujours selon la défenderesse, elle n'est pas en mesure, en raison de l'obligation au secret administratif découlant de l'article 214 du traité CEE, de communiquer les observations émanant des intéressés, celles-ci pouvant contenir des données propres aux entreprises concernées, dont certaines de nature confidentielle. Elle estime que, si elle ne respectait pas en cette matière une certaine obligation de réserve, cela pourrait dissuader des tiers de porter certains faits à sa connaissance, ce
qui l'empêcherait de remplir correctement sa tâche. La défenderesse considère que la comparaison avec la procédure antidumping démontre seulement qu'une intervention du législateur communautaire serait nécessaire pour que l'on puisse se fonder sur une disposition telle que celle souhaitée par le requérant.

b) Sur le plan des principes, il faut approuver la thèse du requérant selon laquelle l'intéressé doit être entendu, avant l'adoption d'une décision administrative, sur les points sur lesquels la décision se base. La Cour l'a expressément reconnu, notamment dans ses arrêts du 13 février 1979 dans l'affaire 85/76 ( 17 ) et du 20 mars 1985 dans l'affaire 264/82 ( 18 ).

Cela ne permet cependant pas, dans tous les cas, de donner à l'État membre concerné le droit de prendre connaissance des observations reçues par la défenderesse. En effet, il peut être le cas échéant interdit à la défenderesse, en raison du principe du secret administratif inscrit à l'article 214 du traité CEE, de transmettre certaines informations dans la mesure où elles sont confidentielles ( 19 ). Cela a pour seule conséquence qu'elle ne peut se fonder, dans la procédure administrative, sur
ces informations, autrement dit qu'elle ne peut les invoquer à l'appui de sa décision dans la mesure où elles n'ont pas été portées à la connaissance des intéressés ( 20 ).

La thèse de la défenderesse, selon laquelle le droit de prendre connaissance du dossier ne saurait exister aussi longtemps que ce droit n'est pas consacré en droit positif dans le cadre de la procédure en matière d'aides, n'est assurément pas fondée dans sa généralité, le droit de l'intéressé d'être informé sur les faits retenus à son encontre découlant du seul principe du respect des droits de la défense. Le requérant a fait observer lors de la procédure orale qu'il était moins bien traité que
ne l'est un État tiers en application des dispositions du règlement no 2176/84 (règlement antidumping/ antisubventions). C'est pourquoi la question de l'application de ce règlement par analogie pourrait se poser.

Nous estimons cependant, en dernière analyse, qu'il n'est pas nécessaire de résoudre définitivement ce problème, et ce même si nous ne mettons pas en avant le fait que le requérant, selon ses propres déclarations faites lors de la procédure orale, n'avait jamais demandé à la défenderesse de prendre connaissance des renseignements correspondants.

En effet, la décision de la défenderesse ne se réfère aux observations des autres parties que dans la mesure où elle déclare que celles-ci partagent les préoccupations de la défenderesse, connues du requérant, concernant les aides octroyées par le requérant. L'on ne saurait assurément voir dans cette circonstance un fait sur lequel le requérant aurait dû être entendu. Il s'agit au contraire d'une appréciation de faits qui étaient en tout état de cause connus du requérant.

La décision litigieuse ne repose donc pas sur les observations que les autres intéressés ont adressées à la défenderesse. Si tant est que les informations émanant des intéressés aient eu une quelconque portée, cela se limite au fait qu'elles ont pu corroborer la thèse de la Commission en ce qui concerne l'appréciation juridique du comportement du requérant. Par contre, il n'apparaît pas que le fait de s'abstenir de communiquer les informations émanant des intéressés ait porté atteinte aux
intérêts du requérant, qui connaissait dans leur intégralité les faits sur lesquels la décision de la requérante était basée: il s'agit de l'activité exportatrice de l'entreprise concernée, de l'évolution des pertes de l'entreprise et de leur compensation assumée par des instances publiques.

C —

Compte tenu de tout ce qui précède, nous proposons à la Cour de rejeter le recours et de condamner le requérant aux dépens exposés par la défenderesse.

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( *1 ) Traduit de l'allemand.

( 1 ) JO 1984, L 276, p. 34.

( 2 ) Note sans objet pour la traduction française.

( 3 ) Arrêt du 15 janvier 1986 dans l'affaire 52/84, Commission/Royaume de Belgique, Rec. 1986, p. 89.

( 4 ) Arrêt du 14 novembre 1984 dans l'affaire 323/82, SA Inter-mills/Commission, Rec. 1984, p. 3809.

( 5 ) Arrêt du 23 février 1961 dans l'affaire 30/59, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité de la CECA, Rec. 1961, p. 1, plus spécialement p. 39.

( 6 ) Arrêt du 22 mars 1977 dans l'affaire 78/76, Steinike et Weinlig/République fédérale d'Allemagne, Rec. 1977, p. 595.

( 7 ) Arrêt du 2 juillet 1974 dans l'affaire 173/73, République italienne/Commission, Recueil 1974, p. 709.

( 8 ) Directive de la Commission du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques, JO 1980, L 195, p. 35.

( 9 ) Arrêt du 6 juillet 1982 dans les affaires jointes 188 à 190/80, République française, République italienne et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord/Commission, Rec. 1982, p. 2545.

( 10 ) Arrêt du 2 juillet 1974 dans l'affaire 173/73, loc. cit., point 26 des motifs.

( 11 ) Ces chiffres, y compris l'opération comptable, ressortent du plan de restructuration de 1982.

( 12 ) Arrêt du 14 novembre 1984 dans l'affaire 323/82, SA Inter-mills/Commission, Rec. 1984, p. 3809.

( 13 ) Arrêt du 13 mars 1985 dans les affaires jointes 296 et 318/82, Royaume des Pays-Bas et autres/Commission, Rec. 1985, p. 809.

( 14 ) Voir, par exemple, arrêt du 9 juillet 1969 dans l'affaire 5/69, Franz Völk/SPRL Êts J. Vervaecke, Rec. 1969, p. 295, et arrêt du 6 mai 1971 dans l'affaire 1/71, SA Cadillon/Firma Höss, Maschinenbau KG, Rec. 1971, p. 351. Les aides consistant dans l'octroi d'avantages auxquels l'entreprise bénéficiaire n'a normalement pas droit, il faut admettre, en cas de doute, qu'elles améliorent la force concurrentielle de l'entreprise bénéficiaire par rapport à ses concurrents qui ne reçoi-

( 15 ) Arrêt du 17 septembre 1980 dans l'affaire 730/79, Philip Morris Holland BV/Commission, Rec. 1980, p. 2671, plus spécialement p. 2691 et suiv.

( 16 ) Règlement no 2176/84 du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne, JO 1984, L 201, p. 1.

( 17 ) Arrêt du 13 février 1979 dans l'affaire 85/76, Hoffmann-La Roche & Co. AG/Commission, Rec. 1979, p. 461, plus spécialement p. 510 et suiv. (procédure en matière de concurrence).

( 18 ) Arrêt du 20 mars 1985 dans l'affaire 264/82, Timex Corporation/Conseil et Commission, Rec. 1985, p. 849 (procédure antidumping).

( 19 ) Voir sur ce point nos conclusions du 22 janvier 1986 dans l'affaire 53/85, AKZO Chemie/Commission, Rec. 1986, p. 1965.

( 20 ) Voir l'arrêt du 13 février 1979 dans l'affaire 85/76, loc. cil., plus spécialement p. 512 et suiv. (point 14 des motifs).


Synthèse
Numéro d'arrêt : 234/84
Date de la décision : 16/04/1986
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Aides d'État - Prise de participation dans le capital d'une entreprise - Droits de la défense.

Aides accordées par les États

Concurrence


Parties
Demandeurs : Royaume de Belgique
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Due

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1986:151

Source

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