Avis juridique important
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61987C0079
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 19 janvier 1988. - Office belge de l'économie et de l'agriculture (OBEA) contre SA Établissements Soules & Cie. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique. - Aide alimentaire - Procédure de gré à gré. - Affaire 79/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 00937
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Le tribunal de commerce de Bruxelles nous pose deux questions qui se situent dans le cadre d' un litige opposant l' Office belge de l' économie et de l' agriculture ( ci-après "OBEA ") à la société anonyme Établissements Soules & Cie à propos de la non-exécution d' un contrat d' adjudication pour la fourniture de 550 tonnes de farine de blé à titre d' aide alimentaire en faveur du Soudan . Les Établissements Soules contestent les conditions dans lesquelles l' OBEA a, par la suite, conclu un
marché de fourniture de gré à gré avec une autre entreprise pour suppléer à leur propre carence .
2 . Ce deuxième contrat a été conclu en vertu du règlement ( CEE ) n° 1058/82 de la Commission, du 4 mai 1982, relatif à l' ouverture d' une nouvelle adjudication pour la mobilisation de farine de froment tendre au Comité international de la Croix-Rouge au titre de l' aide alimentaire ( JO L 123 du 6.5.1982, p . 18 ).
3 . Aux termes de l' article 1 de ce règlement, cette action devait être exécutée conformément aux dispositions du règlement ( CEE ) n° 1974/80 de la Commission, du 22 juillet 1980, portant modalités générales d' application pour l' exécution de certaines actions d' aide alimentaire sous forme de céréales et de riz ( JO L 192 du 26.7.1980, p . 11 ).
4 . A propos de la procédure de gré à gré, l' article 9, paragraphe 1, de ce règlement prévoit ce qui suit :
"Lorsqu' il est décidé de déterminer les frais de fourniture par une procédure de gré à gré, l' organisme d' intervention désigné à cette fin, après avoir pris soin de mettre en concurrence plusieurs soumissionnaires, conclut le contrat sur la base des conditions les moins onéreuses ."
5 . Avant d' examiner les questions posées, je me sens obligé de faire quelques remarques à propos de certains problèmes soulevés au cours de la procédure orale par M . l' agent des Établissements Soules, cela afin d' expliquer pourquoi ces problèmes se situent, à mon avis, en dehors du cadre de la présente procédure préjudicielle .
6 . a ) L' agent de la partie défenderesse au principal a contesté tout d' abord que la Commission et l' OBEA se soient trouvés devant une situation d' urgence . Les circonstances n' auraient aucunement justifié de recourir à des procédures aussi expéditives que celles dont la Commission et l' OBEA ont fait usage .
7 . A ce propos, il suffira de rappeler que les questions posées par le tribunal de commerce ne portent nullement sur le point de savoir si le choix de la procédure de gré à gré était justifié dans des circonstances telles que celles de l' espèce .
8 . De toute façon, le fait que les 550 tonnes de farine aient pu être mobilisées en vertu d' une décision du Conseil de 1980 mettant une certaine quantité de céréales à la disposition de la Croix-Rouge internationale ne saurait être invoqué pour contester l' urgence de cette opération d' aide en faveur du Soudan . Le Conseil a en effet l' habitude de prendre, à titre de précaution, de tels engagements . Il appartient alors aux organismes bénéficiaires d' invoquer cette promesse d' aide au fur et à
mesure que le besoin s' en fait sentir . En l' occurrence, une aide alimentaire en faveur du Soudan a été décidée, à la demande de la Croix-Rouge, en décembre 1981, le délai d' embarquement étant fixé au mois de février suivant . Il ne saurait y avoir de doute que l' affaire était devenue particulièrement urgente lorsque, au début mai, l' opération n' avait toujours pas été exécutée .
9 . b ) Quant à la différence existant entre l' intitulé et le deuxième considérant du règlement n° 1058/82, d' une part, où il est question d' une nouvelle procédure d' adjudication, et l' annexe de ce règlement, qui prévoit que la procédure à appliquer pour déterminer les frais de fourniture est celle du gré à gré, il y a lieu de constater, à nouveau, que la juridiction belge ne nous a pas interrogés à ce sujet . Cela est d' ailleurs parfaitement compréhensible puisque les considérants expliquent
bien pourquoi ce nouveau règlement a dû être pris ( non-exécution de l' adjudication ) et dans quel cadre l' action se déroule . L' annexe, qui constitue la partie opérationnelle du règlement, ne laisse aucun doute sur le fait que c' est une procédure de gré à gré qu' on a entendu lancer .
10 . c ) Une autre question largement débattue lors de la procédure orale est celle de savoir si la Commission aurait ou non trop tardé à ouvrir la nouvelle procédure .
11 . Nous ne sommes pas non plus interrogés sur ce point, mais je voudrais signaler, à toutes fins utiles, que, d' après l' article 21 du règlement n° 1974/80 :
"Lorsqu' une même opération d' aide alimentaire fait intervenir plusieurs organismes d' intervention relevant de différents États membres, ces derniers se communiquent dans les meilleurs délais toutes les informations nécessaires à la réalisation de leurs missions respectives et utiles à la bonne fin de l' opération ."
L' article 22, paragraphe 4, prévoit que
"l' organisme d' intervention du pays d' embarquement ... prend les mesures nécessaires pour contrôler si la marchandise prise en charge par le bénéficiaire quitte le territoire géographique de la Communauté à partir du port indiqué ."
La Commission et l' OBEA étaient donc tributaires des informations fournies par ce dernier organisme et par la firme adjudicataire elle-même . Il résulte d' un télex non daté envoyé par l' organisme d' intervention italien à la Commission et à l' OBEA que le délai pour l' exécution de la fourniture en question avait été prorogé jusqu' au 22 mars 1982 . Aucune pièce du dossier ne permet cependant de conclure que la Commission ait été informée longtemps avant la date de l' adoption de son nouveau
règlement de la non-exécution du contrat d' adjudication .
12 . d ) Les Établissements Soules ont, enfin, fait valoir que les prix de la farine de froment étaient orientés à la baisse entre les mois de janvier et de mai 1982 et qu' il était dès lors inéquitable de mettre à leur charge la différence entre le prix arrêté lors de l' adjudication du 8 janvier ( 14 479 BFR la tonne ) et le prix convenu dans le cadre du marché de gré à gré conclu le 10 mai 1982 ( 17 510 BFR la tonne ), soit 3 031 BFR .
13 . Il résulte cependant du dossier du litige au principal, mis à la disposition de la Cour, que, devant le tribunal de commerce de Bruxelles, les Établissements Soules ont fait plaider que, "dans la pire des hypothèses, ils seraient responsables d' une différence de cours de 1 548 BFR la tonne ". Ils ont donc reconnu qu' il y avait eu une hausse des cours entre janvier et mai .
14 . De toute façon, dans le cadre de la procédure de l' article 177, il ne saurait être question pour la Cour de trancher les questions de fait qui jouent un rôle dans le litige au principal et qui, à juste titre, ne font nullement l' objet des questions posées par la juridiction nationale . J' estime, dès lors, qu' il ne m' appartient pas d' analyser ni de tirer des conclusions des listes de prix qui ont été communiquées à la Cour à l' issue de la procédure orale .
15 . Je voudrais, au contraire, en venir maintenant à l' examen des questions posées, dont le texte figure au rapport d' audience . Comme ces questions se réfèrent aux circonstances précises du cas d' espèce, il y a lieu d' en extraire les éléments d' interprétation du droit communautaire qu' elles comportent .
I - Quant à la première question
16 . Le tribunal de commerce de Bruxelles voudrait savoir en substance si, dans le cadre de l' application de l' article 9 du règlement n° 1974/80, un organisme national d' intervention est en droit de postuler une offre de la part de deux firmes seulement, en l' occurrence celles qui avaient déjà participé sans succès à la procédure d' adjudication relative à la même opération d' aide alimentaire .
17 . A cet égard, il importe de noter qu' aucune disposition du règlement de base n° 1974/80, ni du règlement n° 1058/82 portant ouverture de la procédure de gré à gré, ne prévoit l' exclusion de firmes non retenues lors d' une procédure d' adjudication antérieure portant sur la même opération .
18 . En second lieu, force est de constater que la condition prévue à l' article 9 du règlement n° 1974/80, d' après laquelle il y a lieu de "mettre en concurrence plusieurs soumissionnaires", a été respectée puisque, selon le langage courant, "plusieurs" signifie "plus d' un ". Comme la Commission l' a signalé à juste titre, le traité lui-même utilise l' expression dans ce sens à l' article 86 et la Cour, dans l' affaire 4/54, a également parlé de "une ou plusieurs entreprises" ( arrêt du 11
février 1955, ISA/Haute Autorité, Rec . vol . I, p . 193 ).
19 . De plus, je crois qu' en l' espèce les circonstances particulières ont justifié la façon dont a procédé l' OBEA . Il y a tout d' abord le fait que, dans le cadre de la procédure d' adjudication antérieure, l' OBEA avait déjà mis en concurrence toutes les entreprises de la Communauté susceptibles d' être intéressées par la fourniture de 550 tonnes de farine de froment .
20 . Ensuite, il semble que, compte tenu des quantités à livrer endéans les délais d' embarquement impartis, le nombre des entreprises potentiellement intéressées au marché en cause et aptes à l' exécuter ait été de toute façon limité . A l' occasion de l' adjudication susmentionnée, trois entreprises seulement s' étaient manifestées .
21 . Enfin, il ne faut pas oublier que le règlement n° 1058/82 a été publié au Journal officiel du 6 mai 1982 . Ce marché de gré à gré a donc été connu à travers la Communauté . D' autres entreprises auraient pu exprimer leur mécontentement de ne pas avoir été contactées par l' OBEA . Or, il n' a pas été soutenu qu' une autre entreprise ait montré de l' intérêt pour ce marché .
22 . Je vous propose dès lors de répondre comme suit à la première question :
"Un organisme d' intervention chargé de la mise en oeuvre d' une procédure de gré à gré dans le cadre de l' article 9 du règlement n° 1974/80 est en droit de postuler une offre de la part d' entreprises qui ont déjà participé sans succès à une procédure d' adjudication relative à la même opération d' aide alimentaire, et cela même s' il ne s' agit que de deux entreprises ."
II - Quant à la seconde question
23 . A travers sa seconde question, la juridiction belge nous demande si une offre acceptée par l' organisme d' intervention après l' entrée en vigueur du règlement portant ouverture de la procédure doit être considérée comme valable, alors que cette offre a été sollicitée et présentée avant cette entrée en vigueur et même avant la publication du règlement au Journal officiel .
24 . Tout comme l' a fait la Commission, je voudrais commencer par rappeler que, du point de vue juridique, l' article 9 du règlement n° 1974/80 distingue nettement deux phases, à savoir :
a ) la mise en concurrence des soumissionnaires;
b ) la conclusion du contrat .
25 . Chacune de ces deux phases est assortie d' une condition . La mise en concurrence doit se faire entre plusieurs soumissionnaires, et la conclusion du contrat doit avoir lieu sur la base des conditions les moins onéreuses .
26 . Pour le reste, l' article 9 laisse à l' organisme d' intervention une très grande liberté .
27 . Ainsi, à la différence de ce qui se passe lors d' une procédure d' adjudication, où il faut respecter un délai d' au moins dix jours entre la publication de l' avis d' adjudication et l' expiration du délai pour la présentation des offres ( article 3 du règlement n° 1974/80 ), aucune condition n' est fixée en ce qui concerne le moment auquel l' organisme national compétent peut conclure le contrat : à la limite, il peut donc procéder à cet acte le jour même de l' entrée en vigueur du règlement
. En l' occurrence, il l' a fait le troisième jour après celui de l' entrée en vigueur .
28 . Le règlement ne prescrit pas non plus à quel moment la mise en concurrence des soumissionnaires doit avoir lieu . On peut dès lors considérer que le respect des conditions requises par l' article 9 doit être apprécié au moment où le contrat devient parfait par la rencontre entre l' offre et l' acceptation .
29 . En l' occurrence, il aurait, certes, été préférable d' attendre l' entrée en vigueur du règlement avant de solliciter des offres, mais j' estime que, dans des circonstances telles que celles de l' espèce, la façon dont on a procédé ne peut pas être considérée comme affectant la validité du contrat .
30 . J' ai déjà rappelé que la procédure de gré à gré a été précédée d' une procédure d' adjudication portant sur la même opération de fourniture de farine au titre de l' aide alimentaire . La mise en concurrence des entreprises a eu lieu, pour ainsi dire, deux fois .
31 . De plus, il faut considérer le facteur "urgence" provoqué par les circonstances exceptionnelles de l' inexécution, par l' adjudicataire, du marché adjugé et du retard subséquent dans la livraison de la farine . C' est ce retard qui a déterminé, à juste titre, le recours à la procédure de gré à gré et qui justifie aussi, à mon avis, la mise en concurrence des soumissionnaires dès avant l' adoption du règlement . A cet égard entre aussi en ligne de compte le fait que l' embarquement avait été
fixé à la période du 15 au 31 mai 1982, débutant moins d' une semaine après l' entrée en vigueur du règlement n° 1058/82 .
32 . Enfin, il ne résulte d' aucun élément du dossier que la sollicitation des offres et leur dépôt, avant l' entrée en vigueur du règlement n° 1058/82, aient été la cause d' un préjudice quelconque . La sollicitation et la réception des offres n' entraînaient aucun engagement pour l' OBEA . Cet organisme avait gardé la liberté de demander, le cas échéant, une offre à d' autres entreprises .
33 . Pour toutes ces raisons, je propose de répondre comme suit à la seconde question :
"Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, un organisme d' intervention chargé de la mise en oeuvre d' une procédure de gré à gré est en droit d' entamer la mise en concurrence des soumissionnaires avant l' entrée en vigueur du règlement instituant la procédure pour un marché déterminé dès lors que la conclusion du contrat est postérieure à cette entrée en vigueur ."