Avis juridique important
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61990C0029
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 4 février 1992. - Commission des Communautés européennes contre République hellénique. - Manquement d'État - Rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques. - Affaire C-29/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-01971
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Par le présent recours, la Commission vous demande de constater que la République hellénique a manqué à ses obligations communautaires, en subordonnant la mise sur le marché des produits cosmétiques au dépôt d' une déclaration accompagnée de renseignements et de pièces justificatives ainsi qu' à la tenue d' un dossier contenant des données qui soit figurent déjà sur les emballages, les récipients ou les étiquettes de ces produits, soit ne se justifient pas en vue d' un traitement rapide et
approprié.
2. La directive 76/768/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976 (1) (ci-après "directive"), a harmonisé les dispositions législatives nationales relatives aux produits cosmétiques. Selon son article 7, paragraphe 1, "les États membres ne peuvent, pour des raisons concernant les exigences contenues dans la présente directive et ses annexes, refuser, interdire ou restreindre la mise sur le marché des produits cosmétiques qui répondent aux prescriptions de la présente directive et ses annexes".
3. L' article 6, paragraphe 1, subordonne la mise sur le marché des produits cosmétiques à ce que leurs emballages, récipients ou étiquettes portent, "en caractères indélébiles, facilement lisibles et visibles", certaines mentions énumérées par cette disposition.
4. Signalons également que l' article 7, paragraphe 3, du texte communautaire réserve la possibilité pour tout État membre d' "exiger, dans l' intérêt d' un traitement médical rapide et approprié en cas de troubles, que des informations adéquates et suffisantes concernant les substances contenues dans les produits cosmétiques soient mises à la disposition de l' autorité compétente, qui veillera à ce que ces informations ne soient utilisées qu' aux fins d' un traitement".
5. Dans votre arrêt Provide (2), vous avez jugé que
"la directive (a) procédé à une harmonisation exhaustive des règles nationales d' emballage et d' étiquetage" (3)
et que la liste des mentions prescrites par son article 6, paragraphe 1, est, elle aussi, exhaustive (4).
6. La Commission, à l' appui de son recours en manquement, se fonde sur deux chefs d' incompatibilité du droit hellénique au regard de la directive.
7. Elle vise, en premier lieu, le décret présidentiel n 532, du 23 mai 1981, qui prévoit, dans son article 2, que "tout produit cosmétique est commercialisable après le dépôt par le fabricant et, pour les produits importés, par le responsable de la mise en circulation, d' une déclaration auprès de l' Organisme national des médicaments accompagnée des renseignements et pièces justificatives ci-après:
a) nom du produit,
b) sa forme,
c) sa composition qualitative et quantitative,
d) nom et adresse du laboratoire ou de l' usine où il est fabriqué,
e) nom, prénom et adresse du responsable de la mise en circulation,
f) constantes physico-chimiques et description du produit,
g) spécimen de la notice,
h) spécimen du texte figurant sur l' étiquette ou reproduit sur chaque récipient".
8. La Commission estime que cette disposition est contraire à la directive. A notre sens, les mentions exigées sous a), c) et f) pourraient, le cas échéant, constituer les "informations adéquates et suffisantes concernant les substances contenues dans les produits cosmétiques" que l' État membre, au titre de l' article 7, paragraphe 3, de la directive, peut exiger de voir communiquer à l' autorité compétente "dans l' intérêt d' un traitement médical rapide et approprié en cas de troubles".
Toutefois, en plus de l' obligation de déclaration auprès de l' Organisme national des médicaments, l' article 2, paragraphe 2, du décret présidentiel n 532/81 prévoit que "les fabricants ou les responsables de la mise en circulation de produits cosmétiques sont tenus, en vue d' un traitement médical immédiat et approprié en cas de difficultés, de mettre à la disposition du Centre antipoison des directives et des informations suffisantes concernant les substances contenues dans leurs produits. Le
Centre antipoison veillera à ce que ces informations soient utilisées uniquement en vue d' une action thérapeutique". Cette disposition semble être l' application de l' option permise par l' article 7, paragraphe 3, de la directive.
9. A notre sens, si une directive permet à un État membre d' exiger la communication à l' autorité compétente de certains informations en vue de prévenir d' éventuelles atteintes à la santé publique, il n' est pas sûr que la législation nationale qui prévoirait la communication à plusieurs organismes de telles informations soit de nature à être déclarée incompatible avec le texte communautaire. L' organisation administrative d' un État membre justifie peut-être que deux autorités, ayant toutes deux
la compétence d' informer rapidement le public de ce qu' il convient de faire en cas de troubles causés par un produit cosmétique, soient destinataires des informations nécessaires à cette fin, et notamment de celles relatives à la composition du produit. On ne saurait exclure, en revanche, qu' un État membre qui multiplie les exigences de déclaration à divers organismes, même pour des raisons de santé publique, aille au-delà de la dérogation au principe de libre circulation des marchandises permise
par la directive.
10. Mais vous n' aurez pas, sans doute, à juger aujourd' hui cette délicate question. Il vous suffit, à notre sens, de constater que, parmi les informations qui doivent être transmises à l' Organisme national des médicaments, ne sont pas nécessaires pour permettre une action thérapeutique rapide en cas de troubles les mentions figurant sous b), d), e), g) et h).
11. Certes, lors de la procédure orale, le gouvernement hellénique a fait état d' un décret présidentiel n 40, du 28 février 1991, lequel aurait abrogé le décret n 532/81. La Commission ne s' est pas désistée de son recours. Selon votre jurisprudence constante, si, postérieurement à celui-ci, le fait constitutif d' un manquement disparaît, cela demeure sans influence sur le bien-fondé du recours de la Commission (5). Il appartient à cette dernière, indépendamment de la procédure qu' elle a engagée,
d' examiner la nouvelle disposition de droit national afin de déterminer si elle constitue une transposition correcte de la directive. Il résulte des documents figurant dans le dossier que le gouvernement hellénique se proposait de faire disparaître certaines des informations exigées dans la déclaration à adresser à l' Organisme national des médicaments. La question, délicate, que nous avons évoquée précédemment pourra, le cas échéant, être soumise à votre Cour. En l' état, il ne vous appartient
pas, à notre sens, de la trancher aujourd' hui.
12. Le second chef d' incompatibilité nous retiendra moins longtemps. La Commission vise l' article 5 du décret présidentiel n 532/81, exigeant que tout fabricant ou responsable de la mise en circulation d' un produit cosmétique conserve, au siège de son entreprise en Grèce, un dossier pour chaque produit fabriqué ou importé, contenant toutes les données concernant la composition qualitative et quantitative, les constantes physico-chimiques, la description du produit, le protocole de fabrication et
de contrôle de chaque lot et la méthode suivie pour ce contrôle, de manière que le fabricant ou l' importateur soit en mesure, en cas de contrôle par sondage, de démontrer les caractéristiques du produit.
13. Le gouvernement hellénique, dans une lettre de sa représentation permanente datée du 23 février 1987, informait la Commission de ce que cette exigence serait supprimée.
14. Aucune disposition de la directive ne permet, en effet, aux États membres de prévoir une telle disposition.
15. Il semble que le décret n 40/91, cité par le gouvernement hellénique lors de la procédure orale, ait, sur ce point, rendu le droit grec conforme à la directive. Il n' en demeure pas moins que ce gouvernement ne s' est pas conformé, dans les délais requis, à l' avis motivé et que le manquement, de ce chef, est constitué.
16. Nous concluons donc à ce que
1) vous constatiez que la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 76/768/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques,
a) en subordonnant la mise sur le marché des produits cosmétiques au dépôt, auprès de l' autorité nationale compétente, d' une déclaration comportant des informations autres que celles qu' un État membre peut exiger au titre de l' article 7, paragraphe 3, de la directive précitée,
b) en exigeant de tout fabricant et de tout responsable de la mise sur le marché d' un produit cosmétique de conserver, au siège de son entreprise en Grèce, un dossier pour chaque produit fabriqué ou importé, contenant toutes les données concernant la composition, les caractéristiques, la description du produit, le protocole de fabrication et de contrôle de chaque lot et la méthode suivie pour ce contrôle;
2) la République hellénique soit condamnée aux dépens.
(*) Langue originale: le français.
(1) Concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 262, p. 169).
(2) Arrêt du 23 novembre 1989 (C-150/88, Rec. p. 3891).
(3) Point 28.
(4) Voir point 17.
(5) Par exemple, arrêt du 21 septembre 1978, Commission/Italie (69/77, Rec. p. 1749).