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02/12/1992 | CJUE | N°C-46/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général présentées le 2 décembre 1992., M. le Procureur du Roi contre Jean-Marie Lagauche et autres., 02/12/1992, C-46/90


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 2 décembre 1992 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A — Introduction

1. Dans l'affaire C-93/91 Evrard, qui a fait ľobjet d'une audience conjointement avec F affaire C-46/90 Lagauche, dans laquelle la procédure a été réouverte, il s'agit de l'interprétation de dispositions contractuelles applicables dans le cadre des dispositions belges relatives à la réglementation des teléét radiocommunications. Les problèmes jur

idiques sont similaires à ceux qui se posaient dans les affaires C-202/88 ( 1 ) et C-18/88 ( 2 ). ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 2 décembre 1992 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A — Introduction

1. Dans l'affaire C-93/91 Evrard, qui a fait ľobjet d'une audience conjointement avec F affaire C-46/90 Lagauche, dans laquelle la procédure a été réouverte, il s'agit de l'interprétation de dispositions contractuelles applicables dans le cadre des dispositions belges relatives à la réglementation des teléét radiocommunications. Les problèmes juridiques sont similaires à ceux qui se posaient dans les affaires C-202/88 ( 1 ) et C-18/88 ( 2 ).

2. Le litige au principal est une procédure pénale, comparable à celles qui ont déjà abouti à plusieurs procédures préjudicielles devant la Cour ( 3 ). Le prévenu au principal a été cité pour avoir, entre le 1er janvier 1989 et le 3 février 1989, détenu et mis en vente un téléphone sans fil non agréé par la RTT et, pour avoir, le 23 janvier 1990, détenu et mis en vente 11 appareils de radiocommunication, qui n'étaient pas non plus agréés, soit deux exemplaires de Carphone Plus, deux émetteurs sans
fil MPT 1344, 3 téléphones sans fil, respectivement Betacom, Betacom 7000 et Answercall Ranger 2000 ainsi qu'un appareil composé d'un système appel personne DNT et trois récepteurs DNT PRA 3000, sans avoir obtenu l'autorisation prévue à l'article 3, paragraphe 1 de la loi du 30 juillet 1979.

3. Le prévenu fait valoir pour sa défense en ce qui concerne, entre autres, l'un des appareils, que ce dernier a déjà été homologué par la Deutsche Bundespost.

4. La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la conformité des dispositions nationales applicables avec le droit communautaire. C'est pourquoi elle a saisi la Cour des questions suivantes:

« Les articles 30 à 37 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, ainsi que la directive de la Commission européenne du 16 mai 1988 relative à la concurrence sur les marchés des terminaux de télécommunication, doivent-ils être interprétés comme interdisant dans le secteur des radiocommunications des dispositions légales du type de la loi du 30 juillet 1979 et de l'arrêté royal du 15 octobre 1979, lesquelles sanctionnent par des peines d'emprisonnement et/ou d'amendes ceux qui
auront:

1) dans le royaume de Belgique ou à bord d'un navire, d'un bateau, d'un aéronef ou de tout autre support soumis au droit belge, détenu un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication, ou établi et fait fonctionner une station ou un réseau de radiocommunication sans avoir obtenu l'autorisation écrite, personnelle et révocable du ministre ou du secrétaire d'État ayant les télégraphes et les téléphones dans ses attributions;

2) mis en vente ou en location un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication sans qu'un exemplaire ait été agréé par la Régie des télégraphes et des téléphones comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le ministre compétent, et ce malgré, le cas échéant, l'existence d'une agréation obtenue dans le cadre d'une procédure établie par un autre État membre de la Communauté européenne. »

5. En ce qui concerne les détails de fait, les dispositions applicables et les moyens des parties, nous renvoyons au rapport d'audience.

B — Analyse

6. La présente affaire présente pour une grande partie des parallèles avec l'affaire C-46/90, Lagauche. Les deux procédures préjudicielles se fondent sur les mêmes dispositions nationales. Pour ces motifs, nous renvoyons entièrement à nos conclusions dans cette affaire, aussi bien à celles du 11 juillet 1991 qu'à celles d'aujourd'hui.

7. Les problèmes juridiques posés sont comparables à ceux exposés dans l'affaire Lagauche, en ce que d'une part ils visent dans le temps des faits qui se sont produits entre le 1er janvier 1989 et le 3 février 1989 et en ce qui concerne l'objet du litige, des téléphones sans fil d'une part et des appareils émetteurs d'autre part. Une différence avec la situation qu'il y a lieu d'apprécier dans l'affaire Lagauche, voire un élargissement des questions posées consiste d'une part dans la question du
traitement juridique d'appareils déjà autorisés dans un autre État membre et d'autre part dans la question de savoir si pour la période postérieure au 1er juillet 1989, par conséquent la période à partir de laquelle l'article 6 de la directive 88/301/CEE ( 4 ) déploie ses pleins effets, une autre appréciation juridique de la situation de fait est indiquée.

1. L'importance de l'agrément d'un appareil dans un autre État membre

8. Nous aimerions tout d'abord nous concentrer sur l'ensemble des conséquences qui résultent pour les appareils du fait qu'ils ont déjà été autorisés dans un autre État membre, selon les procédures applicables dans cet État. Les questions posées visent à savoir si l'on pourrait se dispenser de l'agrément d'un appareil dans un État membre lorsque ce type d'appareil a déjà été agréé dans un autre État membre. Le fait de continuer à exiger dans ces circonstances un agrément dans l'État membre de
commercialisation pourrait se révéler constitutif d'abus.

9. Il y a lieu de partir de l'idée que — en toute hypothèse encore actuellement — les systèmes de télécommunication dans les différents États membres présentent entre eux des différences techniques. L'objectif consiste sans aucun doute à rapprocher techniquement les systèmes de sorte qu'il faudra dans l'avenir reconnaître les agréments généraux des appareils également dans les autres États membres. Jusqu'à présent cet objectif n'a pas encore été atteint. C'est ce que montre la directive 86/361/CEE
concernant la première étape de la reconnaissance mutuelle des agréments d'équipement de terminaux de télécommunication ( 5 ).

10. Dans les conclusions Lagauche, nous avons soutenu la thèse que l'agrément des appareils est indispensable pour des motifs de sécurité publique. Pour souligner la nécessité de l'autorisation d'agrément le gouvernement belge a attiré l'attention sur le fait que par exemple les services d'appel de détresse pourraient être perturbés par des appareils émetteurs non autorisés. Si l'on part par conséquent en principe de l'idée que l'autorisation est indispensable, il faut garantir la compatibilité des
appareils avec le système de radio- et télécommunication en vigueur dans l'État membre en cause.

11. Si l'examen technique effectué dans le cadre de la procédure d'agrément devait porter sur les mêmes caractéristiques que dans un autre État membre, un nouvel examen serait effectivement superflu et par conséquent constitutif d'abus. Mais c'est précisément pour ces cas qu'existe — comme l'a exposé le gouvernement belge — une procédure simplifiée de déclaration de conformité qui ne comporte pas d'examen technique.

12. Selon nous, il n'y a par conséquent rien à redire au fait que tant qu'il n'y a pas eu harmonisation des systèmes et des dispositions applicables, un État membre continue d'exiger un agrément, au sens de l'attestation de conformité susmentionnée avant de commercialiser des appareils émetteurs.

2. Sur l'importance de l'entrée en vigueur de l'article 6 de la directive 88/301

13. Il ne reste qu'à répondre à la question de savoir quelles sont les conséquences qu'il y a lieu de tirer de l'entrée en vigueur de l'article 6 de la directive 8 8/301/CEE, le 1er juillet 1989. Les termes de l'article 6 de la directive 88/301/CEE sont les suivants:

« Les États membres assurent qu'à partir du 1er juillet 1989 la formalisation des spécifications mentionnées à l'article 5 et le contrôle de leur application ainsi que l'agrément sont effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications ».

14. Dans les conclusions Lagauche, nous avons exposé que le cumul déjà décrit de missions de puissance publique et de fonctions commerciales dans le chef d'une entreprise publique est contraire aux dispositions combinées des articles 86 et 90 du traité CEE. A cet égard, l'obligation inscrite à l'article 6 de la directive 88/301/CEE ne modifie pas la situation juridique existante, il s'agit simplement d'une précision par la Commission des obligations contractuelles des États membres en application de
l'article 90, paragraphe 3 ( 6 ). S'il était encore possible avant le 1er juillet 1989 d'avoir des doutes dans certains cas sur l'illégalité, en droit communautaire, du cumul des fonctions dans le chef d'une entreprise publique, ces doutes ne sont en toute hypothèse plus de mise après la date indiquée.

15. Dans les conclusions Lagauche nous avons également soutenu que l'obligation d'agrément ne devient pas en elle-même illégale du fait d'un cumul des fonctions contraire au droit communautaire. A la différence de cela, l'entrée en vigueur de l'article 6 de la directive 88/301/CEE pourrait avoir pour conséquence de rendre illégale la procédure d'agrément telle qu'elle est pratiquée actuellement, au point qu'un opérateur économique mis en cause pour non-respect de l'obligation d'agrément pourrait
invoquer l'applicabilité directe des dispositions citées pour se soustraire aux poursuites engagées contre lui.

16. Pour le dire d'emblée, nous sommes d'avis que cela n'est pas possible. Tout d'abord les motifs de conserver la procédure d'agrément continuent d'être tels que nous les avons indiqués dans l'affaire Lagauche, même après l'entrée en vigueur de l'article 6 de la directive 88/301/CEE.

17. Toutefois, le fait décisif est, selon nous, qu'il faut que la disposition de la directive invoquée par un particulier soit susceptible d'application directe. Selon la jurisprudence de la Cour elle doit être précise et inconditionnelle, de sorte que dans le cas d'un conflit entre le droit d'un État membre et le droit communautaire, le principe de la primauté du droit communautaire permet de trouver une solution.

18. Dans la présente affaire, l'illégalité en droit communautaire ne vise pas le contenu de la procédure d'agrément, mais la place accordée à l'entreprise publique chargée de mettre en œuvre cette procédure. Si l'on part de l'hypothèse que la dissociation requise entre les missions de puissance publique et les fonctions commerciales est intervenue par un acte juridique pris le 1er juillet 1989, la question de savoir comment et par qui les différentes fonctions sont exercées continue de rester sans
solution. La réglementation nationale qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération, en application du principe de la primauté du droit communautaire, laisserait une lacune qui ne pourrait précisément pas être comblée par le droit communautaire. Combler cette lacune nécessiterait des mesures législatives.

19. Selon nous, l'article 6 de la directive 88/301/CEE codifie une obligation adressée aux États membres qui ne fait naître qu'indirectement des droits pour les particuliers. Cette manière de voir les choses n'implique pas que le non-respect par un État membre de son obligation reste sans conséquence. Au contraire, au-delà des possibilités de solution évoquées dans nos conclusions sur l'affaire Lagauche, des conséquences juridiques sont envisageables. Outre les possibilités de recours en manquement,
une responsabilité directe de l'Etat membre pourrait être établie qui, le cas échéant, ouvrirait un droit à des dommages-intérêts ( 7 ).

20. Aux fins de la présente affaire, cette conception signifie, toutefois qu'il n'y aurait rien à objecter du point de vue du droit communautaire si une infraction à cette obligation d'agrément faisait l'objet de poursuites.

C — Conclusion

21. Nous proposons par conséquent de répondre comme suit à la juridiction de renvoi :

« Les articles 30 à 37 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, ainsi que la directive de la Commission européenne relative à la concurrence sur les marchés de terminaux de télécommunication sont à interpréter en ce sens qu'ils n'interdisent pas en eux-mêmes des dispositions légales du type de la loi du 30 juillet 1979 et de l'arrêté royal du 15 octobre 1979 dans le secteur des radiocommunications, lesquels sanctionnent par des peines d'emprisonnement et/ou d'amendes ceux
qui auront:

1) dans le royaume de Belgique ou à bord d'un bateau, d'un aéronef ou de tout autre support soumis au droit belge, détenu un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication, ou établi et fait fonctionner une station ou un réseau de radiocommunication sans avoir obtenu une autorisation écrite, personnelle et révocable du ministre ou du secrétaire d'État ayant les télégraphes et téléphones dans ses attributions;

2) mis en vente ou en location un appareil émetteur ou récepteur de radiocommunication sans qu'un exemplaire ait été agréé par la Régie des télégraphes et des téléphones comme satisfaisant aux prescriptions techniques fixées par le ministre compétent lorsqu'il est garanti que les organismes chargés de la mise en œuvre des procédures prévues — aussi bien sur le plan du contenu que sur le plan formel — n'apparaissent pas en qualité de concurrence sur le marché pour la commercialisation de tels
appareils.

22. Il en va de même pour les cas dans lesquels un agrément a déjà été accordé dans le cadre d'une procédure réglementée par un autre État membre de la Communauté européenne, lorsque l'examen interne sert à établir la déclaration de conformité et que la répétition de procédure d'examen déjà mise en œuvre est évitée. »

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( *1 ) Langue originale: l'allemand.

( 1 ) Arrêt du 6 décembre 1990 dans l'affaire C-202/88, Commission/Danemark, Rec. 1990, p. I-4445.

( 2 ) Arrêt du 13 décembre 1991 dans l'affaire C-18/88, RTT/SA GB Inno BM, Rec. 1991, p. I-5941.

( 3 ) Cf. C-46/90, Lagauche, C-69/91, Decoster et C-92/91, Taillandier (Rec. 1993, p. I-5383).

( 4 ) Directive 88/301/CEE de la Commission du 16 mai 1988 relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunication, JO L 131 du 27 mai 1988, p. 73.

( 5 ) Directive 86/361/CEE du Conseil du 24 juillet 1986, JO L 217 du 5 août 1986, p. 21.

( 6 ) Voir arrêt dans l'affaire C-202/88, loc. cit.

( 7 ) Voir l'arrêt du 19 novembre 1991 dans les affaires jointes C-6/90 et C-9/90, Andrea Francovich e.a./République italienne, Rec. p. I-5357.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-46/90
Date de la décision : 02/12/1992
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique.

Agrément national de terminaux de radiocommunication - Autorisation pour l'utilisation de tels terminaux - Articles 30 à 37 et 86 du traité CEE - Directive 88/301/CEE de la Commission.

Monopoles d'État à caractère commercial

Restrictions quantitatives

Concurrence

Ententes

Libre circulation des marchandises

Position dominante


Parties
Demandeurs : M. le Procureur du Roi
Défendeurs : Jean-Marie Lagauche et autres.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Edward

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1992:483

Source

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