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31/03/1993 | CJUE | N°C-337/91

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 31 mars 1993., A. M. van Gemert-Derks contre Nieuwe Industriële Bedrijfsvereniging., 31/03/1993, C-337/91


Avis juridique important

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61991C0337

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 31 mars 1993. - A. M. van Gemert-Derks contre Nieuwe Industriële Bedrijfsvereniging. - Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep 's-Hertogenbosch - Pays-Bas. - Egalité entre hommes et femmes - Sécurité sociale - S

uppression d'une prestation d'incapacité de travail en cas d'octroi d'une p...

Avis juridique important

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61991C0337

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 31 mars 1993. - A. M. van Gemert-Derks contre Nieuwe Industriële Bedrijfsvereniging. - Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep 's-Hertogenbosch - Pays-Bas. - Egalité entre hommes et femmes - Sécurité sociale - Suppression d'une prestation d'incapacité de travail en cas d'octroi d'une prestation de survivant. - Affaire C-337/91.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-05435

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Le Raad van Beroep te 's-Hertogenbosch vous adresse trois questions préjudicielles dont l' une recoupe une de celles posées dans l' affaire Steenhorst-Neerings (1) dans laquelle nous concluons également ce jour.

2. Le juge a quo s' interroge, en premier lieu, sur l' influence que pourrait avoir l' article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 février 1966 (2) (ci-après le "pacte international") sur le principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes dans le domaine des pensions légales de survivants. Il vous saisit, en second lieu, du problème de la compatibilité avec la directive 79/7/CEE du Conseil (3) (ci-après "la directive") d' une disposition nationale qui
s' appliquerait différemment aux hommes et aux femmes et des conséquences à tirer d' une éventuelle incompatiblité.

3. Les faits et la réglementation nationale à l' origine du litige sont les suivants (4).

4. Madame van Gemert-Derks a cessé, à compter du mois de février 1982, l' exploitation d' une laverie en raison de douleurs rhumatismales et a bénéficié, le 31 janvier 1983, d' une pension d' incapacité de travail au titre de la Nederlandse Algemene Arbeitsongeschiktheidswet (ci-après "AAW"). Son mari étant décédé le 23 octobre 1987, la Caisse de sécurité sociale (5) lui a octroyé, à compter du 1er octobre 1987, une pension de veuve au titre de l' Algemene Weduven- en Wezewet (ci-après "AWW") et lui
a retiré simultanément la pension qu' elle percevait au titre de son incapacité de travail dans la mesure où, aux Pays-Bas, il ne peut y avoir cumul entre ces deux prestations, l' AAW et l' AWW ayant "toutes deux pour but, lors de la survenance respectivement du risque d' incapacité de travail ou de décès, de garantir une prestation au niveau minimum" (6).

5. L' allocation d' une pension au titre de l' AWW et le retrait corrélatif de la pension au titre de l' AAW ont eu pour conséquence une diminution, à tout le moins momentanée, des ressources de l' intéressée, puisque, selon les constatations du juge a quo, le montant de l' indemnité pour incapacité de travail serait supérieur à celui de la pension de veuve, lorsque l' incapacité est, comme en l' espèce, totale.

6. La diminution de ressources afférente au passage d' un régime de pension à un autre a conduit Madame van Gemert-Derks à contester la légalité d' une telle mesure, sans qu' elle ait d' ailleurs fait état de l' implication du droit communautaire sur sa situation. La juridiction de renvoi a cependant considéré d' office qu' il y avait lieu de vous saisir.

7. La pension pour incapacité de travail, initialement réservée aux hommes et aux femmes célibataires, a pu, en vertu d' une loi du 20 décembre 1979, bénéficier aux femmes mariées dont l' incapacité était postérieure au 1er octobre 1975, puis a été étendue, par plusieurs arrêts du Centrale Raad van Beroep du 5 janvier 1988, à celles dont l' incapacité était apparue antérieurement. Cette jurisprudence a été entérinée par une loi du 3 mai 1989.

8. Il résulte de l' article 32, paragraphe 1, initio et sous b), de l' AAW que la femme, et elle seule, perd le bénéfice de cette pension lorsqu' elle acquiert le droit à une prestation de veuvage. Cette disposition anticumul n' accorde pas aux veufs le bénéfice d' une telle prestation. C' est par deux arrêts du 7 décembre 1988 que le Centrale Raad van Beroep leur a reconnu le droit à une pension de survie, en se fondant sur l' article 26 du pacte international.

9. Cet article dispose:

"Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d' opinion politique et de toute autre opinion, d' origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation".

10. Le Centrale Raad van Beroep a interprété cette disposition de droit international public comme devant assurer une égalité de traitement, y compris dans le domaine des prestations de survivants. A risque identique doit correspondre l' application tant aux hommes qu' aux femmes du même régime de protection sociale.

11. Rappelons, à cet égard, que la directive prescrit le principe de l' égalité dans certains domaines, mais prévoit de nombreuses dérogations parmi lesquelles les prestations de survivants. Ainsi, l' article 3, paragraphe 2, dispose que la directive ne s' applique pas

"(...) aux dispositions concernant les prestations de survivants ni à celles concernant les prestations familiales, sauf s' ils s' agit de prestations familiales accordées au titre de majorations des prestations dues en raison des risques visés au paragraphe 1 sous a)".

12. Selon la juridiction de renvoi, l' interprétation du Centrale Raad van Beroep pourrait "complique(r) derechef la réalisation d' une politique commune dans ce domaine" (7) et être incompatible avec l' article 5 du traité, dans la mesure où les prestations de survivants sont exclues de la directive. Cette dernière empêcherait, toujours selon le juge a quo, l' adoption de nouvelles dispositions nationales dans l' attente de dispositions communautaires relatives au principe d' égalité de traitement
dans le domaine des pensions de survivants. Cette obligation de "standstill" résulterait notamment d' une jurisprudence de la Cour.

13. Ainsi posée, cette question soulève le délicat problème de répartition des compétences entre les Communautés et les États membres. Si certaines compétences sont réservées aux États et d' autres aux Communautés, la plupart s' articulent, en sorte que les États membres sont habilités à légiférer dans le domaine concerné jusqu' au moment de l' exercice effectif de cette attribution par les Communautés, ceci afin d' éviter le risque de "vide juridique" pouvant résulter notamment de la difficulté de
parvenir à une règle commune.

14. Les États membres ne peuvent cependant, dans le cadre de telles compétences, mettre en échec les dispositions du traité ou les principes généraux du droit communautaire (8).

15. Ainsi que l' écrit Monsieur Isaac (9):

"Seul donc l' exercice effectif des compétences communautaires exclut progressivement la compétence nationale. Cette solution est la seule compatible avec des attributions de compétence qui sont faites par catégories d' actions à mener, laissant le choix de la date, de l' opportunité et de l' ampleur des interventions (notamment au titre du rapprochement des législations: art. 100 C.E.E., ou des compétences subsidiaires: 235 C.E.E.)" (10).

16. La directive a été adoptée sur le fondement de cette dernière disposition et tend, on le sait, à la "mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale" (11). L' article 119, quant à lui, ne vise l' égalité de traitement qu' en matière de rémunérations.

17. Ainsi que vous l' avez indiqué dans l' arrêt Defrenne III (12):

"(...) en contraste avec les dispositions de caractère essentiellement programmatique des articles 117 et 118, l' article 119, limité au problème des discriminations en matière salariale entre travailleurs masculins et travailleurs féminins, constitue une règle spéciale, dont l' application est liée à des données précises" (13).

18. Bien que

"le respect des droits fondamentaux de la personne humaine (fasse) partie des principes généraux du droit communautaire" (14),

en raison du caractère programmatique des articles 117 et 118 et à défaut d' harmonisation en la matière,

"(...) la situation soumise à l' appréciation des juridictions (...) relève des dispositions et principes de droit interne et de droit international en vigueur dans (l' )État membre" (15).

19. La directive excluant de son champ d' application les prestations de survivants, force est de constater que des différences de traitement peuvent - temporairement - être maintenues.

20. Le caractère fondamental du principe de l' égalité de traitement implique nécessairement que toute dérogation soit interprétée de manière restrictive, ainsi d' ailleurs que vous l' avez indiqué, en ces termes, dans l' arrêt Roberts (16):

"(...) compte tenu de l' importance fondamentale du principe de l' égalité de traitement que la Cour a itérativement rappelée, l' exception au champ d' application de la directive 76/207 prévue à l' article 1er, paragraphe 2, de cette directive, pour le domaine de la sécurité sociale, doit être interprétée de manière stricte. En conséquence, l' exception à l' interdiction de discriminations fondées sur le sexe prévue à l' article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 n' est applicable qu' à
la fixation de l' âge de la retraite pour l' octroi des pensions de vieillesse (...)" (17).

21. Cette méthode d' interprétation n' entache pas pour autant la validité de ces exclusions. Vous avez, en effet, indiqué dans l' arrêt Burton (18):

"Le directive 79/7 du Conseil (...) prévoit en son article 7 qu' elle ne fait pas obstacle à la faculté qu' ont les États membres d' exclure de son champ d' application la fixation de l' âge de la retraite pour l' octroi des pensions de vieillesse et de retraite (...)" (19),

pour conclure que

"(...) la fixation d' un âge minimum pour la retraite dans le cadre de la sécurité sociale, différent en ce qui concerne les hommes et femmes, ne constitue pas une discrimination interdite par le droit communautaire" (20).

22. Nous pouvons ainsi déduire des observations qui précèdent d' une part que l' élimination des différences de traitement entre hommes et femmes constitue l' un des objectifs essentiels de l' action des Communautés en matière sociale, d' autre part que, s' agissant d' un principe fondamental, toute dérogation appelle nécessairement une interprétation restrictive.

23. Les États membres peuvent maintenir, jusqu' à l' adoption d' une réglementation commune dans le domaine des prestations de survivants, leurs dispositions en la matière ou en adopter de nouvelles, à condition toutefois qu' elles ne portent pas atteinte aux règles contenues dans le traité ou dans le droit dérivé.

24. Ceci étant précisé, le juge a quo vous demande, en réalité, de dire si l' interprétation que fait le Centrale Raad van Beroep de l' article 26 du pacte international est conforme au droit communautaire, dans la mesure où cette juridiction fait produire effet au principe de l' égalité inscrit dans cette disposition, à compter de la date d' entrée en vigueur de la directive et dans un domaine exclu du champ d' application de cette dernière.

25. S' ils contiennent des dispositions précises consacrant l' égalité de rémunération entre hommes et femmes ou la non-discrimination des ressortissants communautaires en raison de la nationalité, les "traités fondateurs" n' ont pas dressé de liste exhaustive des droits fondamentaux au respect desquels l' action des Communautés serait subordonnée. Cependant, votre jurisprudence s' est, à de nombreuses reprises, référée, dans une première étape, de manière implicite (21), dans une seconde, de
manière expresse (22), à la convention européenne de sauvegarde des droits de l' homme et des libertés fondamentales.

26. Vous avez également invoqué le pacte international, notamment dans l' arrêt Orkem (23), nonobstant le fait que cette convention n' a pas été signée par la Grèce.

27. Une telle référence, à l' occasion de l' accomplissement de la mission que vous confère l' article 164 du traité, peut se justifier lorsque la réglementation nationale se situe dans le champ d' application du droit communautaire. Il résulte, en revanche, de votre jurisprudence constante que la Cour ne peut vérifier le respect des droits fondamentaux par une réglementation nationale lorsque celle-ci est étrangère à ce champ d' application.

28. Vous avez jugé, dans l' arrêt Cinéthèque (24):

"S' il est vrai qu' il incombe à la Cour d' assurer le respect des droits fondamentaux dans le domaine propre du droit communautaire, il ne lui appartient pas, pour autant, d' examiner la compatibilité, avec la convention européenne, d' une loi nationale qui se situe, comme en l' occurrence, dans un domaine qui relève de l' appréciation du législateur national" (25).

29. L' incompétence de votre Cour à vérifier la compatibilité avec une norme de droit international public de dispositions nationales qui se situent hors du champ d' application du droit communautaire a été confirmée par vos arrêts Elliniki (26) et Grogan (27).

30. Nous pouvons dès lors conclure que le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce qu' une juridiction nationale interprète l' article 26 du pacte international en ce sens que, depuis le 23 décembre 1984, cet article prescrit l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de prestations de survivants, dans la mesure où cette matière est hors du champ d' application de la directive et sous réserve que l' interprétation ainsi donnée ne porte atteinte ni au traité ni au droit dérivé.

31. Passons, à présent, aux deux autres questions préjudicielles relatives à la discrimination qui résulterait, du moins pour la période du 23 décembre 1984 au 1er décembre 1987 (28), du passage, pour les veuves en incapacité de travail, du régime de l' AAW à celui de l' AWW, alors que les veufs, dans cette même situation, continueraient à percevoir une indemnité au titre de l' AAW, sans pouvoir prétendre au régime de l' AWW.

32. Rappelons, en effet, ainsi qu' il ressort de l' ordonnance de renvoi, que l' article 32, paragraphe 1, réservait aux femmes en incapacité de travail et qui perdaient leur mari, le bénéfice de l' AWW, alors que les veufs en situation d' incapacité ne pouvaient y prétendre.

33. Cependant - nous l' avons indiqué -, par arrêts du 7 décembre 1988, le Centrale Raad van Beroep a jugé qu' une telle disposition devait également s' appliquer aux veufs, et ce à compter du 23 décembre 1984, en sorte que ces derniers peuvent désormais bénéficier d' une pension de veuvage. L' article 25, paragraphe 3, de l' AWW dispose que ce droit ne peut toutefois prendre effet plus d' un an avant l' introduction de la demande sauf, selon un autre arrêt du Centrale Raad van Beroep du 30 janvier
1991, cas de rigidité particulière (29).

34. Ainsi, la période au cours de laquelle un régime différent s' appliquait selon que l' assuré était un homme ou une femme s' étend bien du 23 décembre 1984 au 1er décembre 1987.

35. Il convient, à titre liminaire, de répondre à deux arguments, principalement développés, l' un par le gouvernement néerlandais, l' autre par la défenderesse au principal, respectivement relatifs au champ d' application ratione materiae de la directive et au caractère volontaire ou automatique du passage d' un régime à l' autre.

36. Le gouvernement néerlandais soutient que la directive n' aurait pas à s' appliquer en l' espèce, dès lors que la question posée porte incidemment sur les prestations de survivants, exclues de son champ d' application par son article 3, paragraphe 2. Seraient dès lors concernées par cette exclusion les dispositions "reprises dans des régimes légaux tels que l' AAW, qui concernent en soi des risques visés par l' article 3" (30); l' article 32, paragraphe 1, serait, dans ces conditions, hors du
champ d' application de la directive.

37. Une telle interprétation est difficilement conciliable avec votre jurisprudence constante selon laquelle les dérogations contenues dans les directives relatives à l' égalité de traitement entre hommes et femmes sont d' interprétation stricte (31).

38. Vous avez d' ailleurs précisé dans l' arrêt Johnston (32) que,

"(...) en déterminant la portée de toute dérogation à un droit individuel, tel que l' égalité de traitement entre hommes et femmes, consacrée par la directive, il faut respecter le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit qui sont à la base de l' ordre juridique communautaire. Ce principe exige que les dérogations ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché" (33).

39. Il suffira, à cet égard, de relever que la disposition litigieuse de l' AAW retire aux femmes une prestation d' incapacité de travail, alors que les hommes, dans la même situation, continuent à en bénéficier, n' ayant pas droit à une pension de veuvage. S' il s' agit, certes, d' une disposition anticumul, elle ne s' applique qu' aux femmes et aboutit, à tout le moins, à un traitement différencié entre hommes et femmes à la suite de la réalisation du même risque.

40. Il ne s' agit donc pas d' une différence de traitement à l' intérieur du régime des prestations de survivants mais de l' octroi, à risque égal, de prestations différentes, en sorte que, si une situation s' avérait discriminatoire,

"(...) les membres du groupe défavorisé ont le droit d' être traités de la même façon et de se voir appliquer le même régime que les membres du groupe favorisé se trouvant dans la même situation" (34).

41. S' agissant à présent de l' absence de différence de traitement en raison du caractère volontaire du passage d' un régime à l' autre, relevons que le juge a quo estime, quant à lui, qu' aux termes de la loi aucun choix n' était offert aux femmes et que, lorsque les conditions étaient réunies, elles percevaient automatiquement une prestation de veuvage.

42. L' article 32, paragraphe 1, sous b), dispose:

"La prestation en matière d' incapacité de travail est retirée:

(...)

b) lorsqu' une femme, à laquelle elle a été allouée, acquiert le droit à une pension de veuve ou à une prestation de veuve temporaire au titre de l' Algemene Weduwen- en Wezenwet".

43. Le gouvernement des Pays-Bas et la défenderesse au principal ont contesté devant vous l' affirmation de la juridiction de renvoi concernant le caractère impératif du retrait de la pension au titre de l' AAW. Nous envisagerons donc successivement, ce point relevant de l' appréciation souveraine du juge national, l' hypothèse d' un passage automatique, puis celle d' un passage volontaire, du régime de l' AAW à celui de l' AWW.

44. En cas de retrait automatique d' une prestation qui ne viserait que les femmes, vous avez indiqué dans l' arrêt Mc Dermott et Cotter (35):

"(...) jusqu' au moment où le gouvernement national adopte les mesures d' exécution nécessaires, les femmes ont le droit de se voir appliquer le même régime que les hommes dans la même situation, régime qui reste, à défaut d' application de ladite directive, le seul système de référence valable" (36).

45. Citons également votre arrêt Verholen e.a. (37), aux termes duquel:

"(...) la directive 79/7 doit être interprétée en ce sens qu' elle ne permet pas aux États membres de maintenir, après le délai de transposition fixé en son article 8, les effets d' une législation nationale antérieure qui excluait, dans certaines circonstances, les femmes mariées du bénéfice de l' assurance de vieillesse" (38).

46. Ainsi, le retrait automatique d' une prestation d' incapacité de travail porte atteinte à l' égalité de traitement entre hommes et femmes si ces dernières ne disposent pas du même régime que les hommes pour des risques identiques.

47. Mais si le passage d' un régime à l' autre procède d' un acte de volonté du bénéficiaire de la prestation, il ne saurait être question de discrimination, dès lors que les femmes sont parfaitement informées des conséquences présentes et futures de l' octroi d' une pension de survie aux lieu et place d' une prestation pour incapacité de travail.

48. La renonciation volontaire au bénéfice de la prestation d' incapacité doit avoir été précédée d' une information claire et précise des éventuelles conséquences financières en cas d' aggravation du risque. En effet, si à la date de l' octroi de la pension de veuvage celle-ci peut être plus avantageuse en raison du faible degré d' incapacité, la bénéficiaire doit être parfaitement informée qu' en cas d' aggravation le montant de la pension d' incapacité serait augmenté et pourrait éventuellement
devenir supérieur à celui de la pension de veuvage.

49. Ceci est d' autant plus nécessaire lorsque, une fois le choix opéré, la prestataire ne peut plus solliciter, en cas d' aggravation de l' incapacité, un retour au régime antérieur.

50. Sous ces réserves, nous estimons que l' existence d' un tel choix ferait échapper une mesure, telle que celle sous examen, à l' interdiction de discrimination édictée par l' article 4, paragraphe 1, de la directive.

51. Dans un arrêt Van den Broeck (39), la requérante, fonctionnaire des Communautés, s' était vue privée de l' indemnité de dépaysement en raison de l' acquisition, par mariage, de la nationalité de l' État membre dans lequel elle travaillait. Vous avez jugé, dans un tel cas, que,

"(...) la requérante ayant choisi de ne pas se prévaloir de cette faculté (de renonciation à la nationalité), il n' existe pas de raisons tenant à l' égalité de traitement pour ne pas tenir compte de sa nationalité belge" (40).

52. En résumé, l' article 4, paragraphe 1, de la directive fait donc obstacle à une disposition nationale qui retire aux veuves en état d' incapacité de travail la pension afférente à ce risque et leur alloue une prestation de veuvage, lorsqu' un tel retrait est automatique, qu' il ne s' applique pas aux hommes et qu' il a pour conséquence une diminution de revenus. Il ne saurait y avoir, en revanche, atteinte au principe d' égalité de traitement lorsque le passage d' un régime à l' autre résulte du
choix de la bénéficiaire, à la suite d' une information claire et précise donnée par l' organisme couvrant le risque quant aux conséquences présentes et futures de ce transfert, notamment en cas d' éventuelle aggravation de l' incapacité de travail.

53. Dans l' hypothèse où la substitution de régime se serait opérée de manière automatique, le droit communautaire permet-il au juge national de laisser la disposition anticumul inappliquée ou de l' interpréter en tant que règle de déduction?

54. Rappelons ici les termes de votre arrêt Simmenthal (41):

"(...) le juge national chargé d' appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l' obligation d' assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu' il ait à demander ou à attendre l' élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel" (42).

55. Ainsi, dans l' arrêt Lueck (43), vous avez indiqué que l' article 95 du traité excluait l' application de toute mesure nationale incompatible avec cette disposition. Quant aux conséquences résultant d' une telle incompatibilité, vous avez posé le principe du

"(...) pouvoir des juridictions nationales compétentes d' appliquer, parmi les divers procédés de l' ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire" (44),

pour conclure que,

"(...) lorsqu' une imposition intérieure n' est incompatible avec l' article 95, alinéa 1, qu' au-delà d' un certain montant, il appartient à la juridiction nationale de décider, selon les règles de son droit national, si cette illégalité affecte l' imposition en son entier, ou seulement dans la mesure où elle dépasse ledit montant" (45).

56. Les conséquences résultant, dans l' ordre juridique national, de l' obligation de donner plein effet aux normes communautaires relève de la seule compétence du juge national.

57. Le droit communautaire n' impose donc pas un cumul des prestations et, en conséquence, ne s' oppose pas à ce que les juridictions nationales, dont l' appréciation à cet égard est souveraine sous réserve des voies de recours internes, interprètent une disposition anticumul telle que celle de l' article 32, paragraphe 1, initio et sous b), comme une règle de déduction lorsque le droit national le permet et qu' une telle interprétation est appropriée pour assurer l' égalité de traitement.

58. Observons à cet égard que le système mis en place par les Pays-Bas vise, par l' instauration de cette disposition anticumul, à attribuer un revenu social minimum de remplacement.

59. Ainsi que vous l' avez indiqué dans l' arrêt Commission/Belgique (46),

"il y a lieu d' observer que l' attribution d' un tel revenu fait partie intégrante de la politique sociale des États membres" (47).

60. De même, dans l' arrêt Teuling (48), avez-vous admis qu'

"une telle garantie (de moyens d' existence minimum) accordée par des États membres aux ayants droit, qui autrement seraient frappés d' indigence, fait partie intégrante de la politique sociale des États membres" (49).

61. Nous concluons donc à ce que vous disiez pour droit:

1) Le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce qu' une juridiction nationale interprète l' article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 19 février 1966, en considérant que, depuis le 23 décembre 1984, cet article prescrit l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de prestations de survivants, dans la mesure où cette matière est hors du champ d' application de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, et sous réserve que l'
interprétation ainsi donnée ne porte atteinte ni au traité ni au droit dérivé.

2) L' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE s' oppose à ce qu' une règle nationale retire aux veuves en état d' incapacité de travail la pension afférente à ce risque et leur alloue une prestation de veuvage, lorsqu' un tel retrait est automatique, qu' il ne s' applique pas aux veufs bénéficiant d' une pension d' incapacité et qu' il a ou peut avoir pour conséquence une diminution des revenus. Il n' y a pas, en revanche, de discrimination fondée sur le sexe au sens de cette disposition
communautaire lorsque le passage d' un régime à l' autre est subordonné au libre choix du bénéficiaire, arrêté après qu' il ait obtenu de l' organisme prestataire une information claire et précise quant aux conséquences présentes et futures de ce transfert, notamment en cas d' une éventuelle aggravation de l' incapacité de travail.

3) Le juge national chargé d' appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions de la directive 79/7/CEE a l' obligation, dans le champ d' application de cette directive, de donner plein effet au principe d' égalité de traitement qu' elle met progressivement en oeuvre, en laissant au besoin inappliquée une règle nationale qui lui serait contraire. Aucune disposition de droit communautaire ne s' oppose à ce qu' une règle nationale interdise le cumul de deux prestations tendant chacune à
conférer à son bénéficiaire un revenu social minimum de remplacement.

(*) Langue originale: le français.

(1) - Affaire C-338/91, conclusions du 31 mars 1993.

(2) - Recueil des traités, volume 999, p. 171.

(3) - Directive du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO L 6 du 10 janvier 1979, p. 24).

(4) - Voir, pour plus ample exposé, le rapport d' audience, I. Faits et procédure.

(5) - Le Raad van Arbeit te Eindhoven, prédécesseur en droit de la Sociale Verzekeringsbank.

(6) - P. 24 de la traduction française du mémoire du gouvernement néerlandais.

(7) - P. 9 de l' ordonnance de renvoi.

(8) - Arrêt du 16 mars 1977, Commission/France (68/76, Rec. p. 515).

(9) - G. Isaac, Droit communautaire général , 3ème édition, Masson.

(10) - P. 39.

(11) - Cette progressivité est inscrite dans son préambule, et plus particulièrement dans son second considérant, aux termes duquel: il convient de mettre en oeuvre le principe de l' égalité de traitement en matière de sécurité sociale en premier lieu dans les régimes légaux qui assurent une protection contre les risques de maladie, d' invalidité, de vieillesse, d' accident du travail, de maladie professionnelle et de chômage, ainsi que dans les dispositions concernant l' aide sociale dans la mesure
où elles sont destinées à compléter les régimes précités ou à y suppléer .

(12) - Arrêt du 15 juin 1978 (149/77, Rec. p. 1365).

(13) - Attendu 19.

(14) - Attendu 26.

(15) - Attendu 32.

(16) - Arrêt du 26 février 1986 (151/84, Rec. p. 703).

(17) - Point 35.

(18) - Arrêt du 16 février 1982 (19/81, Rec. p. 555).

(19) - Point 13.

(20) - Point 14.

(21) - Arrêt du 14 mai 1974, Nold (4/73, Rec. p. 491).

(22) - Arrêt du 28 octobre 1975, Rutili (36/75, Rec. p. 1219).

(23) - Arrêt du 18 octobre 1989, point 31 (374/87, Rec. p. 3283).

(24) - Arrêt du 11 juillet 1985 (60 et 61/84, Rec. p. 2605).

(25) - Point 26.

(26) - Arrêt du 18 juin 1991, point 42 (C-260/89, Rec. p. I-2925).

(27) - Arrêt du 4 octobre 1991, point 31 (C-159/90, Rec. p. I-4685).

(28) - Ordonnance de renvoi, p. 11 et 12.

(29) - Ordonnance de renvoi, p. 11.

(30) - P. 22 de la traduction française du mémoire du gouvernement néerlandais.

(31) - Arrêt 151/84, précité, point 35.

(32) - Arrêt du 15 mai 1986 (222/84, Rec. p. 1651).

(33) - Point 38.

(34) - Arrêt du 21 novembre 1990, Integrity/Rouvroy, point 13 (C-373/89, Rec. p. I-4243).

(35) - Arrêt du 24 mars 1987 (286/85, Rec. p. 1453).

(36) - Point 18.

(37) - Arrêt du 11 juillet 1991 (C-87/90, C-88/90 et C-89/90, Rec. p. I-3757).

(38) - Point 30.

(39) - Arrêt du 20 février 1975 (37/74, Rec. p. 235).

(40) - Point 14.

(41) - Arrêt du 9 mars 1978 (106/77, Rec. p. 629).

(42) - Atendu 24.

(43) - Arrêt du 4 avril 1968 (34/64, Rec. p. 359).

(44) - Attendu p. 370.

(45) - Attendu p. 370.

(46) - Arrêt du 7 mai 1991 (C-229/89, Rec. p. I-2205).

(47) - Point 21.

(48) - Arrêt du 11 juin 1987 (30/85, Rec. p. 2497).

(49) - Point 16.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-337/91
Date de la décision : 31/03/1993
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep 's-Hertogenbosch - Pays-Bas.

Egalité entre hommes et femmes - Sécurité sociale - Suppression d'une prestation d'incapacité de travail en cas d'octroi d'une prestation de survivant.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : A. M. van Gemert-Derks
Défendeurs : Nieuwe Industriële Bedrijfsvereniging.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:123

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