Avis juridique important
|
61992J0134
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 novembre 1993. - Burkhard Mörlins contre Zuckerfabrik Königslutter-Twülpstedt AG. - Demande de décision préjudicielle: Landgericht Braunschweig - Allemagne. - Sucre - Quotas - Application des règles nationales. - Affaire C-134/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-06017
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
++++
Agriculture - Organisation commune des marchés - Sucre - Quotas de production - Relations entre fabricants de sucre et producteurs de betteraves - Offres d' achat, par le fabricant, des quantités de betteraves destinées à la fabrication du sucre dans les limites des quotas A et B - Modalités de répartition des quantités à livrer entre les vendeurs - Compétence communautaire - Inaction du législateur communautaire - Application du droit national - Limites
(Règlement du Conseil n 1785/81)
Sommaire
Dès lors que le législateur communautaire n' a pas encore exercé la compétence que lui attribue le règlement n 1785/81, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre, pour établir les modalités de la répartition, entre les vendeurs, des quantités de betteraves à sucre que le fabricant offre d' acheter, avant les ensemencements, pour la fabrication du sucre dans les limites des quotas A et B, ledit règlement ne s' oppose pas à l' application à cette répartition du droit national
qui impose l' égalité de traitement tant entre fournisseurs, en vertu du droit des ententes, qu' entre actionnaires d' une société anonyme à prestations accessoires, en vertu du droit des sociétés. Toutefois, étant habilités à appliquer leur droit national, les États membres ne sont pas dispensés de respecter les principes et les règles générales qui régissent la politique agricole commune.
Parties
Dans l' affaire C-134/92,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Landgericht Braunschweig et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Burkhard Moerlins
et
Zuckerfabrik Koenigslutter-Twuelpstedt AG,
une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation du règlement (CEE) n 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4),
LA COUR (sixième chambre),
composée de MM. G. F. Mancini, président de chambre, M. Díez de Velasco, C. N. Kakouris, F. A. Schockweiler et P. J. G. Kapteyn, juges,
avocat général: M. M. Darmon
greffier: M. H. A. Ruehl, administrateur principal
considérant les observations écrites présentées:
- pour Burkhard Moerlins, par Me B. Tammen, avocat à Braunschweig,
- pour le gouvernement allemand, par M. E. Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l' Economie, et par M. C. D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d' agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. U. Woelker, membre du service juridique, en qualité d' agent, assisté de Me R. Winkler, avocat au barreau de Bruxelles,
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les observations orales de Zuckerfabrik Koenigslutter-Twuelpstedt AG, représentée par Me B. Huck, avocat à Braunschweig, et de la Commission à l' audience du 27 mai 1993,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 16 septembre 1993,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par ordonnance du 7 avril 1992, parvenue à la Cour le 27 avril suivant, le Landgericht Braunschweig a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles concernant l' interprétation du règlement (CEE) n 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4, ci-après "règlement n 1785/81").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' un litige opposant M. Burkhard Moerlins (ci-après "M. Moerlins") à la société Zuckerfabrik Koenigslutter-Twuelpstedt (ci-après "Zuckerfabrik") à propos de l' attribution de quantités de livraison de betteraves à sucre dans le cadre de contrats annuels.
3 M. Moerlins est un producteur de betteraves à sucre établi en Allemagne et actionnaire de la sucrerie Zuckerfabrik. Les statuts de cette société prévoient que les actionnaires sont tenus de lui livrer leur production de betteraves.
4 Le règlement n 1785/81 établit, notamment, un régime de quotas pour la production de sucre. En application de ce régime, le sucre est divisé en trois catégories A, B et C, les deux premières faisant l' objet d' un quota. Les quantités de sucre A et B bénéficient de garanties en matière de prix, le prix minimum du sucre B étant inférieur au prix minimum du sucre A.
5 L' article 30 du règlement n 1785/81 établit, dans les contrats relatifs aux livraisons de betteraves destinées à la fabrication du sucre, une distinction entre les betteraves selon que les quantités de sucre qui seront fabriquées à partir de celles-ci entrent dans les limites du quota A ou du quota B.
6 Il résulte du dossier que, en application de cette disposition, Zuckerfabrik a attribué à M. Moerlins des quantités de livraison de betteraves à sucre à la fois au titre du quota A et au titre du quota B. Considérant que ces quantités devaient être rééquilibrées par augmentation de celles attribuées au titre du quota A, M. Moerlins a assigné Zuckerfabrik devant le Landgericht Braunschweig afin qu' elle soit condamnée à conclure un nouveau contrat de livraison.
7 Le Landgericht a estimé que le recours soulevait des problèmes d' interprétation du droit communautaire et a, dès lors, décidé de poser les questions préjudicielles suivantes:
"1. Dans quelle mesure, s' agissant d' apprécier les critères auxquels doivent se conformer les fabricants pour la répartition entre les vendeurs des quantités de betteraves que les fabricants de sucre offrent d' acheter avant les ensemencements pour la fabrication du sucre dans les limites des quotas A et B, les articles 7 et 30 (entre autres dispositions) du règlement (CEE) n 1785/81 du Conseil, du 30 juin 1981, s' opposent-ils à une application des règles de concurrence du droit allemand des
ententes et du régime juridique de la Nebenleistungsaktiengesellschaft du droit allemand, en vertu duquel l' actionnaire est tenu à des prestations périodiques en nature (dites 'obligations accessoires' )?
2. Quels critères l' organisation commune des marchés dans le secteur du sucre fournit-elle, à titre de droit directement applicable, au droit national des contrats lors de la conclusion d' accords relatifs à l' achat et à la vente de betteraves à sucre, au regard de la répartition des quantités de betteraves à sucre que le fabricant offre d' acheter avant les ensemencements pour la fabrication du sucre dans les limites des quotas A et B?"
8 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation nationale, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
9 Par la première question, le juge national vise, en substance, à savoir dans quelle mesure le règlement n 1785/81 s' oppose à l' application du principe de l' égalité de traitement des fournisseurs, en vertu du droit allemand des ententes, et des actionnaires d' une société anonyme à prestations accessoires, en vertu du droit allemand des sociétés, dans le domaine de la répartition des quantités de betteraves à sucre entre les vendeurs. Par la deuxième question, le juge national demande à la Cour
d' indiquer quels sont les critères que l' organisation commune des marchés dans le secteur du sucre fournit pour effectuer cette répartition. Ces questions étant intimement liées, il convient de les examiner ensemble.
10 En premier lieu, il convient d' observer que l' article 30 du règlement n 1785/81 contient des dispositions sur la répartition entre les vendeurs des quantités de betteraves destinées à la fabrication du sucre. D' après le paragraphe 5 de cet article, les modalités d' application de cette disposition devaient être arrêtées selon la procédure prévue à l' article 41. Il résulte de la rédaction de ce paragraphe 5 que font partie de ces modalités les critères auxquels doivent se conformer les
fabricants de sucre pour la répartition, entre les vendeurs de betteraves, des quantités pour lesquelles il y a lieu de conclure des contrats avant les ensemencements. Toutefois, ces modalités d' application n' ont toujours pas été arrêtées.
11 En second lieu, il convient de relever que l' article 7, paragraphe 3, du même règlement attribue au Conseil le pouvoir d' arrêter des dispositions-cadres auxquelles, selon le paragraphe 1 de cet article, doivent se conformer les accords interprofessionnels ainsi que les contrats conclus entre les vendeurs et les acheteurs de betteraves.
12 A cet égard, il importe de souligner que le règlement (CEE) n 206/68 du Conseil, du 20 février 1968, établissant des dispositions-cadres pour les contrats et accords interprofessionnels concernant l' achat de betteraves (JO L 47, p.1), qui n' a pas été abrogé par le règlement n 1785/81, ne prévoit pas non plus de dispositions quant à la répartition des quantités de betteraves entre les vendeurs.
13 En troisième lieu, il convient de se référer à l' article 7, paragraphe 5, du règlement n 1785/81, aux termes duquel, en cas d' absence d' accords professionnels, l' État membre en cause peut prendre les mesures nécessaires pour préserver les intérêts des parties concernées.
14 De même, le règlement (CEE) n 741/75 du Conseil, du 18 mars 1975, établissant des règles particulières concernant l' achat des betteraves à sucre (JO L 74, p. 2), précise en son article 1er, premier alinéa:
"Lorsqu' il n' y a pas eu d' accord, par voie d' accords interprofessionnels, sur la répartition entre les vendeurs des quantités de betteraves que le fabricant offre d' acheter avant les ensemencements pour la fabrication de sucre dans les limites du quota de base, l' État membre concerné peut prévoir des règles pour la répartition."
15 De l' ensemble de ces dispositions, il résulte tout d' abord que le législateur communautaire est compétent pour établir les modalités de la répartition, entre les vendeurs, des quantités de betteraves à sucre que le fabricant offre d' acheter, avant les ensemencements, pour la fabrication du sucre dans les limites des quotas A et B, mais qu' il n' a pas encore adopté de règles à cet égard.
16 Il y a lieu de constater ensuite que, selon ces mêmes règlements, en l' absence de règles communautaires ou d' accords conclus dans le cadre d' un accord interprofessionnel, les États membres sont habilités à procéder, selon les règles de leur propre droit national, à une telle répartition.
17 Il s' ensuit que le règlement n 1785/81 ne s' oppose pas à l' application du droit national des ententes et des sociétés en ce qui concerne la répartition des quantités de betteraves à sucre entre les vendeurs de celles-ci dans les limites de quota A et B. Toutefois, étant habilités à appliquer leur droit national, les États membres ne sont pas dispensés de respecter les principes et les règles générales qui régissent la politique agricole commune.
18 Il y a lieu par conséquent de répondre aux questions préjudicielles posées que, dès lors que le droit communautaire n' a pas encore fixé les critères de la répartition entre les vendeurs des quantités de betteraves à sucre que le fabricant offre d' acheter avant les ensemencements pour la fabrication du sucre dans les limites des quotas A et B, le règlement n 1785/81 ne s' oppose pas à l' application du principe de l' égalité du traitement des fournisseurs, qui résulte du droit national des
ententes, et des actionnaires d' une société anonyme à prestations accessoires, qui résulte du droit national des sociétés, à l' égard de cette répartition. Toutefois, étant habilités à appliquer leur droit national, les États membres ne sont pas dispensés de respecter les principes et les règles générales qui régissent la politique agricole commune.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
19 Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Landgericht Braunschweig, par ordonnance du 7 avril 1992, dit pour droit:
Dès lors que le droit communautaire n' a pas encore fixé les critères de la répartition entre les vendeurs des quantités de betteraves à sucre que le fabricant offre d' acheter avant les ensemencements pour la fabrication du sucre dans les limites des quotas A et B, le règlement n 1785/81 ne s' oppose pas à l' application du principe de l' égalité du traitement des fournisseurs, qui résulte du droit national des ententes, et des actionnaires d' une société anonyme à prestations accessoires, qui
résulte du droit national des sociétés, à l' égard de cette répartition. Toutefois, étant habilités à appliquer leur droit national, les États membres ne sont pas dispensés de respecter les principes et les règles générales qui régissent la politique agricole commune.