Avis juridique important
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61992C0236
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 17 novembre 1993. - Comitato di coordinamento per la difesa della Cava et autres contre Regione Lombardia et autres. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia - Italie. - Mise en décharge de déchets solides urbains - Directive 75/442/CEE. - Affaire C-236/92.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-00483
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Par ordonnance du 1er avril 1992, le président du tribunal administratif régional de Lombardie vous adresse cinq questions préjudicielles (1) concernant l' interprétation de la directive 75/442/CEE du Conseil relative aux déchets (ci-après "directive") (2) posées à l' occasion d' un litige dans lequel un groupement et plusieurs particuliers contestent la décision de la région de Lombardie de localiser sur son territoire des décharges de déchets solides urbains (3).
2. Il ressort de l' ordonnance de renvoi que le juge a quo s' interroge sur la compatibilité de la réglementation nationale de transposition au regard du droit communautaire, dès lors qu' aucune mesure destinée à promouvoir le recyclage des déchets n' aurait été imposée en sorte qu' il s' avérerait désormais indispensable de recourir à la méthode de décharges pour parvenir à leur élimination. En revanche, est-il indiqué, si l' Italie avait pris les mesures nécessaires pour promouvoir, à la date d'
effet de la directive, l' élimination par voie de recyclage, il n' y aurait pas actuellement de nécessité de créer de nouvelles décharges (4). Le juge a quo a désigné un expert indépendant, laissant inappliquées les dispositions nationales lui faisant obligation de désigner l' administration en cette qualité, dès lors qu' il les considérait comme incompatibles avec le droit communautaire. La mission confiée à cet expert n' est cependant pas précisée dans l' ordonnance de renvoi.
3. Estimant que le contexte factuel et juridique n' était pas précisément retracé par le juge a quo, l' agent de la Commission a, lors de la procédure orale, déploré le caractère incomplet de la description des faits pertinents, faisant écho aux observations du gouvernement britannique, lequel s' est interrogé sur la recevabilité de la question préjudicielle posée.
4. Vous vous êtes toujours refusés à vous prononcer sur des questions de droit abstraites soulignant, à cet égard, que
"(...) la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que soit défini le cadre juridique dans lequel l' interprétation demandée doit se placer et que, dans cette perspective, il peut être avantageux, selon les circonstances, que les faits de l' affaire soient établis et que les problèmes de pur droit national soient tranchés au moment du renvoi à la Cour, de manière à permettre à celle-ci de connaître tous les éléments de fait et de
droit qui peuvent être importants pour l' interprétation qu' elle est appelée à donner du droit communautaire" (5).
5. Bien que l' ordonnance soit à certains égards succincte, il nous apparaît possible de répondre aux questions posées, les enjeux du litige pouvant être suffisamment appréhendés.
6. Certes, votre jurisprudence tend à devenir plus exigeante quant aux conditions d' exercice du devoir de coopération puisque vous venez de déclarer qu'
"(...) il est indispensable que la juridiction nationale explique les raisons pour lesquelles elle considère qu' une réponse à ses questions est nécessaire à la solution du litige (...)" (6).
7. C' est d' ailleurs ainsi que dans l' arrêt Telemarsicabruzzo (7), vous avez estimé qu' il n' y avait pas lieu à statuer, dès lors que
"(...) la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s' insèrent les questions qu' il pose ou qu' à tout le moins il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées" (8).
8. La présente affaire diffère de celle ayant donné lieu à cet arrêt en ce sens que, d' une part les questions posées ne sauraient être considérées comme intervenant dans un domaine
"(...) caractérisé par des situations de fait et de droit complexes" (9),
d' autre part, et principalement, il est tout à fait possible de cerner le cadre dans lequel votre interprétation doit intervenir.
9. En effet, rappelons que le litige porte sur la décision de localisation de décharges sur le territoire de Lombardie (10) et que la réglementation italienne, qui ne prévoirait que la décharge pour l' élimination des déchets, ferait obstacle à la directive communautaire qui imposerait des mesures pour promouvoir le recyclage (11).
10. La première question est relative à l' effet direct de l' article 4 de la directive, lequel dispose que:
"Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets seront éliminés sans mettre en danger la santé de l' homme et sans porter préjudice à l' environnement, et notamment:
- sans créer de risque pour l' eau, l' air ou le sol ni pour la faune et la flore,
- sans provoquer d' incommodités par le bruit ou les odeurs,
- sans porter atteinte aux sites et aux paysages."
11. Deux observations préliminaires.
12. En premier lieu, l' invocabilité directe d' une directive par un justiciable devant une juridiction nationale présuppose un "contexte juridique pathologique" (12), à savoir la non-transposition par l' État de la directive dans les délais impartis ou sa transposition incomplète ou incorrecte.
13. Il résulte, en effet, de votre jurisprudence constante que:
"(...) dans tous les cas où des dispositions d' une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à l' encontre de l' État, soit lorsque celui-ci s' abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu' il en fait une transposition incorrecte" (13).
14. Or, il ressort de l' ordonnance du juge a quo que la République italienne a adopté un décret de transposition (14).
15. En second lieu, vous vous êtes refusés à accorder un effet horizontal aux directives dans votre arrêt Marshall (15), estimant que
"(...) le caractère contraignant d' une directive sur lequel est fondée la possibilité d' invoquer celle-ci devant une juridiction nationale n' existe qu' à l' égard de 'tout État membre destinataire' " (16).
16. Il appartiendra donc à la juridiction de renvoi de s' assurer - ce qui ne devrait guère poser de difficulté s' agissant, en l' espèce, de la région de Lombardie -que la personne à l' encontre de laquelle est invoquée une directive est bien "l' État", entendu dans l' acception la plus large du terme, qui inclut tous ses organes, fussent-ils décentralisés (17).
17. Passons maintenant à l' examen de la directive et, plus particulièrement, de son article 4 afin de vérifier si, étant "inconditionnel" et "suffisamment précis", il est de nature à pouvoir être invoqué par tout particulier.
18. Il suffira de rappeler, à cet égard, qu' une disposition communautaire est inconditionnelle lorsqu' elle
"(...) n' est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l' intervention d' aucun acte, soit des institutions communautaires, soit des États membres" (18),
et précise, lorsque l' obligation qu' elle comporte est conçue
"(...) dans des termes non équivoques" (19).
19. Aucune des parties et intervenants ayant conclu devant vous n' attribue un effet direct à cette disposition et nous partageons cette opinion.
20. Rappelons que la directive a fait l' objet de nombreux recours devant vous, soit en manquement, soit à titre préjudiciel, en sorte que, si vous n' avez pas été interrogés directement sur la disposition litigieuse, vous vous êtes, en revanche, déjà prononcés sur la finalité de ce texte.
21. Ainsi qu' il ressort de son préambule, la directive poursuit deux objectifs: d' une part assurer une nécessaire harmonisation des législations nationales en matière d' élimination des déchets afin d' éviter une entrave aux échanges intracommunautaires et une affectation des conditions de concurrence (20), d' autre part protéger "(...) la santé de l' homme et de l' environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des
déchets" (21).
22. C' est d' ailleurs ce que vous avez déjà constaté dans un arrêt Commission/Italie (22), relatif à un recours en manquement pour inexécution des directives 75/442/CEE et 78/319/CEE (23).
23. Et vous poursuiviez en ces termes:
"En vue d' assurer la réalisation de ces objectifs, ces directives imposent aux États membres d' adopter certaines mesures" (24),
énoncées aux articles 5 et suivants:
- désignation d' autorités chargées notamment de planifier, autoriser et superviser les opérations d' élimination des déchets (article 5);
- établissement de plans portant notamment sur les "sites appropriés pour l' élimination [des déchets]" (article 6);
- remise des déchets à un ramasseur (article 7);
- autorisation de toute entreprise procédant au traitement desdits déchets (article 8);
- contrôles périodiques des entreprises ainsi agréées (article 9);
- surveillance des entreprises procédant à la collecte (article 10);
- principe dit du "pollueur-payeur" (article 11).
24. Ainsi que le remarque, à juste titre, le gouvernement britannique dans ses observations, la seule finalité de l' article 4, lequel ne constitue qu' une reprise du troisième considérant, ne se conçoit que dans le cadre des mesures plus spécifiques contenues aux articles 5 à 11 mais ne saurait, pris isolément, en constituer une.
25. Telle est la conception que vous avez retenue dans l' affaire ayant donné lieu à votre arrêt Traen (25), dans lequel, amenés à déterminer la portée du pouvoir discrétionnaire de l' État dans le cadre de l' article 10 précité, vous avez indiqué que:
"Cette disposition ne comporte donc aucune exigence particulière qui limiterait la liberté des États membres dans l' organisation de la surveillance des activités qui y sont visées. Cette liberté doit toutefois s' exercer en respectant les objectifs énoncés au troisième considérant et à l' article 4 de la directive, à savoir la protection de la santé de l' homme et de l' environnement" (26).
26. Nous considérons donc que, n' étant ni précises ni inconditionnelles, les dispositions de l' article 4 ne sauraient conférer directement de droits au profit des particuliers leur permettant de s' en prévaloir à l' égard de l' autorité publique.
27. Cette analyse doit cependant être complétée dès lors que, nonobstant, votre jurisprudence a dégagé le principe d' une interprétation du droit national qui soit, autant que faire se peut, conforme aux exigences du droit communautaire:
"(...) l' obligation des États membres, découlant d' une directive, d' atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que leur devoir en vertu de l' article 5 du traité de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l' exécution de cette obligation, s' imposent à toutes les autorités des États membres y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s' ensuit qu' en appliquant le droit national (...), la juridiction nationale est tenue d'
interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par l' article 189, paragraphe 3" (27),
et ce, même si le délai de transposition n' est pas encore écoulé (28).
28. Ici, et contrairement à ce qu' il en est lorsqu' une directive a un effet direct, l' invocabilité n' est pas limitée aux seules actions dirigées contre l' État ou ses démembrements puisque le juge national applique sa loi interne dont l' interprétation se trouverait ainsi orientée afin de la rendre conforme aux exigences du droit communautaire, ce qui a conduit une certaine doctrine à estimer qu' en pareil cas, il s' agissait de la reconnaissance d' un "effet horizontal indirect" (29).
29. Dès lors, lorsqu' un État membre n' a pas correctement transposé une directive, le juge chargé d' appliquer son droit interne doit, dans la mesure du possible, lui conférer l' interprétation qu' elle requiert.
30. Énoncer in abstracto ce principe ne saurait suffire à lui permettre de résoudre le problème d' interprétation qui se pose à lui. Vous devez, dans le cadre de la collaboration instaurée par l' article 177, lui fournir les éléments nécessaires pour lui permettre de rendre sa décision.
31. La question posée doit, en substance, être entendue ainsi: l' article 4 doit-il être interprété en ce sens que, à défaut de mesures adoptées par un État afin de promouvoir le traitement des déchets par voie de recyclage, les particuliers peuvent s' opposer à la création d' une décharge?
32. Cette question appelle, selon nous, une réponse négative, la date d' adoption de la directive ainsi que les termes utilisés militant, en effet, en faveur d' une interprétation souple, ainsi d' ailleurs que l' a admis la Commission lors de la procédure orale.
33. Adoptée en 1975, cette directive représente la première intervention commune des États membres, en tant que pays industrialisés, face aux nuisances créées par une mauvaise gestion ou, parfois, par une absence de gestion des déchets.
34. C' est la raison pour laquelle il a été décidé d' instituer une procédure de contrôle, par les pouvoirs publics ou par les autorités qu' ils délégueraient, des opérations d' élimination. Ce texte vise ainsi davantage à planifier l' élimination qu' à imposer telle méthode de traitement plutôt que telle autre.
35. Ceci est d' ailleurs confirmé par l' article 1er qui, par "élimination", vise tout à la fois la méthode de décharge et celle de recyclage même si, aux termes de l' article 3, paragraphe 1,
"Les États membres prennent les mesures appropriées pour promouvoir la prévention, le recyclage et la transformation des déchets, l' obtention à partir de ceux-ci de matières premières et éventuellement d' énergie, ainsi que toute autre méthode permettant la réutilisation des déchets".
36. Ce texte se borne à encourager cette méthode sans qu' on puisse en déduire une quelconque obligation d' y recourir.
37. En revanche, dans le cadre de la localisation d' une décharge, l' article 6 impose aux autorités compétentes l' obligation d' établir des plans destinés à localiser "les sites appropriés pour l' élimination". Après localisation, elles doivent s' assurer que l' élimination des déchets s' opérera sans danger pour l' environnement ou la santé de l' homme, respectant, à cette fin, les objectifs énoncés à l' article 4. C' est à l' intérieur de ces limites que la liberté de ces autorités est enserrée,
étant toutefois observé que toute mesure ayant pour objet l' élimination des déchets génère, en soi, des nuisances à l' environnement, quelle que soit la méthode mise en oeuvre.
38. L' article 4 n' imposant pas aux États membres, pour éliminer leurs déchets, de recourir à la méthode de recyclage, il n' apparaît pas qu' à défaut d' une disposition interne prescrivant une telle obligation le juge national puisse utilement recourir à la règle de l' interprétation conforme pour privilégier cette forme d' élimination.
39. Passons à la seconde question posée par le juge a quo portant sur la légitimité d' un système qui ne protégerait pas suffisamment les droits que les justiciables tirent du droit communautaire dans la mesure où, les assimilant à des "intérêts légitimes", le juge, lorsqu' il estime une expertise nécessaire à la solution du litige, serait contraint de désigner, en qualité d' expert, un agent de l' administration, elle-même partie au litige.
40. Nous conclurons, sur ce point comme sur les questions suivantes, de manière subsidiaire, dans la mesure où, selon nous, l' article 4 devant être interprété en ce sens qu' il ne comporte pas d' obligation pour les États membres de mettre en place un traitement des déchets par recyclage de préférence, les justiciables ne sauraient se prévaloir d' un droit effectif prétendument violé.
41. Le juge de renvoi vous demande de vous prononcer dans un domaine relevant de ce qu' il est convenu d' appeler l' autonomie procédurale des États membres.
42. Il résulte de votre arrêt Salgoil (30)
"qu' il appartient à l' ordre juridique national de déterminer la juridiction compétente pour assurer cette protection et, à cet effet, de décider comment la position individuelle ainsi protégée doit être qualifiée" (31).
43. Cependant, dans l' arrêt Ferwerda (32), vous avez estimé qu' il
"(...) incombe aux juridictions des États membres d' assurer, par application du principe de coopération énoncé à l' article 5 du traité, la protection juridique découlant de l' effet direct des dispositions communautaires, aussi bien lorsque celles-ci engendrent des obligations pour les justiciables que lorsqu' elles leur accordent des droits. Il appartient toutefois à l' ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales
des recours en justice destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l' effet direct du droit communautaire, étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et qu' en aucun cas ces modalités ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible l' exercice des droits que les juridictions nationales ont l' obligation de sauvegarder" (33).
44. La distinction entre "intérêts légitimes" et "droits subjectifs" est connue de vous, la même juridiction, en formation de jugement cette fois, vous ayant déjà interrogés sur ce point dans l' affaire ayant donné lieu à l' arrêt Enichem (34).
45. Certes, la question posée portait sur l' exigence d' un dédommagement des justiciables par l' administration en raison d' une atteinte alléguée aux droits protégés par le droit communautaire, alors même que l' ordre juridique interne n' ouvrait aucun droit à réparation.
46. Dans la mesure où le droit communautaire ne conférait aucun droit aux particuliers, vous n' aviez pas eu à y répondre, mais votre avocat général M. Jacobs s' exprimait sur ce point en ces termes, à titre subsidiaire:
"(...) lorsque le droit communautaire confère des droits aux particuliers, les juridictions nationales doivent ordonner des mesures de réparation appropriées et efficaces en cas d' atteinte par les autorités nationales à ces droits" (35).
47. Dans la même perspective, nous estimons que lorsque la norme communautaire attribue des droits, leur réelle protection implique nécessairement l' indépendance des experts désignés par la juridiction afin que l' instruction ait lieu dans la plus stricte impartialité et neutralité.
48. Rappelons, à cet égard, que dans votre arrêt Bozzetti (36), vous aviez déclaré, reprenant, tout en la complétant, la formule de votre arrêt Salgoil:
"(...) il appartient à l' ordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de l' ordre juridique communautaire, étant entendu cependant que les États membres portent la responsabilité d' assurer, dans chaque cas, une protection effective à ces droits" (37).
49. Or, comment concilier ce principe de protection effective avec l' absence de garantie de neutralité de l' expert qui a pour mission d' éclairer, en toute impartialité, la juridiction lorsque celui-ci relève de l' administration, partie au litige?
50. C' est bien la protection effective qui est compromise, dès lors que, principalement dans des affaires techniques et face à l' administration, le simple particulier ne dispose d' aucune compétence pour contester les dires de cette dernière. L' expert doit ainsi refléter l' indépendance du juge dont vous avez reconnu l' exigence (38).
51. Nous considérons donc que le droit communautaire s' oppose, lorsqu' il confère un droit aux particuliers, à une disposition interne imposant aux juridictions nationales de désigner, lorsque l' autorité publique est partie au litige, un de ses agents en qualité d' expert.
52. Par la troisième question préjudicielle, vous êtes invités à vous prononcer sur la portée de l' article 174, deuxième alinéa, du traité CEE. Le juge de renvoi vous demande, en substance, s' il a compétence, en cas de violation d' une norme communautaire, non pas pour laisser la norme nationale inappliquée, mais, au contraire, pour la maintenir en vigueur, dans l' intérêt général, afin d' éviter tout bouleversement dans l' ordre juridique interne.
53. Selon le standard bien connu de votre arrêt Simmenthal:(39)
"(...) le juge national chargé d' appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l' obligation d' assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu' il ait à demander ou à attendre l' élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel" (40).
54. Vous avez également indiqué dans votre arrêt Denkavit italiana (41) que:
"L' interprétation que, dans l' exercice de la compétence que lui confère l' article 17 7, la Cour de justice donne d' une règle de droit communautaire, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu' elle doit être ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l' arrêt
statuant sur la demande d' interprétation ... " (42),
sans que vous soyez pour autant empêchés de
"... limiter la possibilité pour tout intéressé d' invoquer la disposition ainsi interprétée en vue de remettre en cause ces relations juridiques" (43),
pour conclure que,
"Pareille limitation ne saurait toutefois être admise que dans l' arrêt même qui statue sur l' interprétation sollicitée. L' exigence fondamentale d' une application uniforme et générale du droit communautaire implique qu' il appartient à la seule Cour de justice de décider des limitations intratemporelles à apporter à l' interprétation qu' elle donne" (44),
limitations qui ne peuvent être qu' exceptionnelles.
55. Dans le cadre plus spécifique de la question posée, à savoir la possibilité de laisser appliquée une réglementation nationale incompatible avec le droit communautaire, il suffira de constater qu' une telle voie ne saurait être ouverte à une juridiction nationale sans compromettre tant la primauté que l' application uniforme du droit communautaire.
56. Observons cependant qu' il ne semble nullement résulter du contexte dans lequel le litige est né qu' il y ait eu atteinte à un droit communautaire protégé, dès lors que l' article 4 ne confère en soi aucun droit aux justiciables et que cette disposition, lue en combinaison avec l' article 6, ne saurait être interprétée, bien au contraire, comme interdisant ou limitant la faculté des États membres de recourir, pour l' élimination des déchets, à la méthode de décharge.
57. Abordons à présent la quatrième question par laquelle le juge a quo vous demande si, lorsqu' il estime qu' une loi est contraire au droit communautaire, il doit garantir, pour le pouvoir législatif national ou régional, le respect des droits de la défense, en sorte que ce dernier devrait être, à cette fin, attrait devant lui.
58. Il s' agit, ainsi que les observations présentées devant vous le soulignent, d' une question relevant exclusivement de l' ordre juridique italien et échappant, dès lors, au champ de compétence qui vous est conféré par l' article 177.
59. Il n' y a, dès lors, pas lieu de répondre à cette question, pas plus qu' à la cinquième, posée uniquement en cas de réponse affirmative à la précédente.
60. Nous concluons, en conséquence, à ce que vous disiez pour droit que:
1) L' article 4 de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, doit être interprété en ce sens qu' il ne confère aux particuliers aucun droit qu' ils pourraient faire valoir devant les juridictions nationales afin d' obtenir l' annulation d' une décision d' une autorité nationale relevant du domaine d' application de cette disposition, au motif que la réglementation interne n' aurait pas prévu les mesures nécessaires à la promotion de la méthode de traitement par recyclage pour l'
élimination des déchets;
2) À titre subsidiaire,
a) le droit communautaire s' oppose à ce qu' une réglementation nationale limite la protection des droits effectifs accordés aux particuliers par une norme communautaire en imposant le recours, en qualité d' expert, à un agent de l' administration, elle-même partie au litige;
b) lorsque, pour assurer le plein effet d' une norme communautaire faisant naître des droits dans le chef des particuliers, un juge national est conduit, de sa propre initiative, à laisser inappliquée une disposition interne contraire, il ne peut limiter les effets de sa décision, une telle limitation, en tant que fondée sur l' article 174, deuxième alinéa, du traité CEE, ressortissant à la compétence exclusive de la Cour de justice des Communautés européennes.
(*) Langue originale: le français.
(1) - Le libellé des questions figure au rapport d' audience: I.5.
(2) - Directive du 15 juillet 1975 (JO L 194, p. 39).
(3) - Ordonnance de renvoi: point A.1.
(4) - Ibidem, points 6.1. à 6.3.
(5) - Arrêt du 16 juillet 1992, Meilicke, point 26 (C-83/91, Rec. p. I-4871).
(6) - Arrêt du 16 juillet 1992, Lourenço Dias, point 19 (C-343/90, Rec. p. I-4673). Voir également les arrêts du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045), et du 12 juin 1986, Bertini (98/85, 162/85 et 258/85, Rec. p. 1885).
(7) - Arrêt du 26 janvier 1993 (C-320/90, C-321/90 et C-322/90, Rec. p. I-393).
(8) - Point 6.
(9) - Ibidem, point 7.
(10) - Point A.1. de l' ordonnance de renvoi.
(11) - Ibidem, points 6.1. à 6.3.
(12) - Isaac, G.: Droit communautaire général , 3ème édition, Masson, p. 163.
(13) - Arrêt du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen, point 7 (80/86, Rec. p. 3969).
(14) - Décret n 915 du Président de la République italienne du 10 septembre 1982 (Gazzetta Ufficiale della Repubblica italiana n 343, du 15 décembre 1982, p. 9071).
(15) - Arrêt du 26 février 1986 (152/84, Rec. p. 723).
(16) - Point 48.
(17) - Voir à cet égard, les arrêts 152/84, précité, et du 12 juillet 1990, Foster (C-188/89, Rec. p. I-3313).
(18) - Arrêt du 3 avril 1968, Molkerei Zentrale, p. 226 (28/67, Rec. p. 211).
(19) - Arrêt 152/84, précité, point 52.
(20) - Sixième considérant.
(21) - Troisième considérant.
(22) - Arrêt du 13 décembre 1991, point 2 (33/90, Rec. p. I-5987).
(23) - Directive du Conseil, du 20 mars 1978, relative aux déchets toxiques et dangereux (JO L 84, p. 43).
(24) - Point 3.
(25) - Arrêt du 12 mai 1987 (372 à 374/85, Rec. p. 2141).
(26) - Point 21.
(27) - Arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, point 26 (14/83, Rec. p. 1891); voir également les arrêts du 4 février 1988, Murphy (157/86, Rec. p. 673); 80/86, précité, et du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I-4135).
(28) - Arrêt 80/86, précité, point 15.
(29) - Emmert et Pereira De Azevedo: L' effet horizontal des directives - La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes: un bateau ivre? , RTDE 1993, n 3, p. 503.
(30) - Arrêt du 19 décembre 1968 (13-68, Rec. p. 661).
(31) - Dernier attendu p. 675.
(32) - Arrêt du 5 mars 1980 (265/78, Rec. p. 617).
(33) - Point 10, souligné par nous.
(34) - Arrêt du 13 juillet 1989 (380/87, Rec. p. 2491).
(35) - Ibidem, point 19.
(36) - Arrêt du 9 juillet 1985 (179/84, Rec. p. 2301).
(37) - Point 17, souligné par nous.
(38) - Voir, en dernier lieu, l' arrêt du 30 mars 1993, Corbiau (C-24/92, non encore publié au Recueil).
(39) - Arrêt du 9 mars 1978 (106/77, Rec. p. 629).
(40) - Attendu 24.
(41) - Arrêt du 27 mars 1980 (61/79, Rec. p. 1205).
(42) - Point 16, souligné par nous.
(43) - Point 17.
(44) - Point 18, souligné par nous.