Avis juridique important
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61992C0388
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 16 mars 1994. - Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne. - Admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux de voyageurs par route dans un Etat membre - Nouvelle consultation de Parlement européen. - Affaire C-388/92.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-02067
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Par le présent recours en annulation, le Parlement européen (ci-après "le Parlement") fait grief au Conseil d' avoir omis de le reconsulter à l' occasion de la procédure prévue à l' article 75, paragraphe 1, du traité CEE (1).
2. Rappelons les faits.
3. Le 4 mars 1987, la Commission présente au Conseil une proposition de règlement fixant les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux services de transports nationaux de voyageurs par route dans un État membre (2).
4. Faisant suite à votre arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil ("politique commune des transports") (3), cette proposition, composée de six articles, applique en la matière le principe d' égalité de traitement et prévoit que les transporteurs non résidents doivent "... être admis à effectuer des services de transports nationaux dans les mêmes conditions que celles que l' État membre concerné impose à ses propres transporteurs" (4).
5. Elle vise "tout transporteur de voyageurs par route pour compte d' autrui" (5) pourvu qu' il ait la nationalité d' un État membre et que l' entreprise de transport soit gérée effectivement par des ressortissants communautaires (6).
6. Saisi pour consultation le 17 mars 1987, le Parlement, sur rapport de la commission des transports, adopte le 21 janvier 1988 quatre amendements qui portent sur (i) la définition des "services non réguliers" (article 1er), (ii) le report de la date d' entrée en vigueur du règlement (article 2), (iii) la mise en oeuvre de sanctions en cas d' infractions commises par le transporteur (article 4), (iv) l' obligation faite aux États membres de notifier à la Commission les dispositions prises pour l'
exécution du règlement (article 5) (7).
7. La Commission s' étant opposée à ces amendements, le vote sur le projet de résolution législative du Parlement est reporté. Finalement, lors de sa session du 10 mars 1988, le Parlement approuve la proposition de la Commission sous réserve de trois amendements de compromis (8). La résolution (9) mentionne, on le notera au passage, que le Parlement "demande au Conseil à être reconsulté au cas où celui-ci entendrait apporter des modifications substantielles à la proposition de la Commission" (10).
8. Le 4 novembre 1988, le Conseil est saisi d' une proposition modifiée reprenant deux amendements du Parlement (11). L' article 1er prévoit désormais que le règlement est applicable aux transports nationaux de voyageurs exécutés au moyen d' autocars et d' autobus aptes à transporter plus de neuf personnes. Il est également ajouté que les États membres doivent communiquer à la Commission les textes adoptés en application de ce règlement. L' amendement proposant de reporter d' une année la date d'
entrée en application du règlement n' est pas repris par la Commission.
9. C' est sur la base de cette proposition que le Conseil adopte, le 23 juillet 1992, le règlement (CEE) n 2454/92 fixant les conditions de l' admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux de voyageurs par route dans un État membre (12). Le Parlement déclare en outre que, le 27 juillet 1992, il avait demandé à être reconsulté (13).
10. A l' inverse de la proposition initiale de la Commission, le règlement prévoit expressément une "mise en oeuvre progressive" (14) du libre accès.
11. Il s' en distingue sur sept points:
- les services non réguliers n' entrent dans le champ d' application du règlement qu' à compter du 1er janvier 1996 à l' exception des services en "circuits à portes fermées" immédiatement ouverts au cabotage (article 3, paragraphe 1);
- les services réguliers sont exclus du champ d' application du règlement, sauf ceux spécialisés destinés au transport des travailleurs, des écoliers et des étudiants dans les zones frontalières (article 3, paragraphe 2);
- sur la base d' un rapport de la Commission à établir avant fin 1995, le Conseil peut étendre le champ d' application du règlement à d' autres services de transport de voyageurs (article 12);
- le renvoi aux réglementations nationales est limité à certains points précis expressément énumérés (article 4);
- le transporteur doit être en possession d' une attestation - confirmant qu' il est autorisé, conformément à la législation communautaire en la matière, à exercer la profession de transporteur de voyageurs par route dans le domaine des transports internationaux - et de documents de contrôle (article 5 et annexe I, article 6 et annexe II);
- des mesures de sauvegarde peuvent être adoptées par la Commission après consultation d' un comité consultatif (articles 8 et 9);
- l' État membre d' accueil peut prendre des sanctions contre le transporteur non résident en infraction (article 10).
12. Selon le Parlement, ces différences seraient de nature substantielle et n' auraient pu être adoptées sans qu' il soit à nouveau consulté. Cette omission affecterait la validité du règlement qui devrait, en conséquence, être annulé.
13. On notera, avant d' examiner le fond, que le Conseil ne conteste pas (15) - comme il l' avait fait dans l' affaire C-65/90 (16) - la recevabilité du recours. Votre compétence pour connaître des recours en annulation formés par le Parlement qui tendent à la sauvegarde de ses prérogatives, d' abord admise par votre arrêt du 22 mai 1990, Parlement/Conseil ("Tchernobyl") (17), puis consacrée par le traité sur l' Union européenne (18), n' est plus discutée.
14. Précisément, vous considérez que "... au nombre des prérogatives conférées au Parlement figure notamment, dans les cas prévus par les traités, sa participation au processus d' élaboration des actes normatifs" (19) et que "... la consultation régulière du Parlement ... est un des moyens qui permettent au Parlement de participer effectivement au processus législatif de la Communauté..." (20).
15. Abordons le fond.
16. Dès les arrêts "Isoglucose" du 29 octobre 1980, vous avez souligné l' importance de la procédure de consultation du Parlement dans l' équilibre institutionnel de la Communauté:
"La consultation ... est le moyen qui permet au Parlement de participer effectivement au processus législatif de la Communauté. Cette compétence représente un élément essentiel de l' équilibre institutionnel voulu par le traité. Elle est le reflet, bien que limité, au niveau de la Communauté, d' un principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l' exercice du pouvoir par l' intermédiaire d' une assemblée représentative. La consultation régulière du Parlement dans les cas
prévus par le traité constitue dès lors une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l' acte concerné" (21).
17. L' obligation de reconsulter le Parlement n' est pas prévue par le traité (22). Vous n' en considérez pas moins que
"... l' exigence de consulter le Parlement européen au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique l' exigence d' une nouvelle consultation à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s' écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l' exception des cas où les amendements correspondent, pour l' essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même" (23).
18. Comme le note à juste titre le Parlement (24), il en résulte que la reconsultation s' impose sur la base de "critères objectifs, à savoir la comparaison de deux textes".
19. Mesurons bien l' enjeu de la présente affaire. Restreindre à l' extrême l' exigence d' une nouvelle consultation reviendrait à écarter le Parlement de la procédure législative alors que le texte finalement adopté divergerait dans sa substance de celui sur lequel il a déjà été consulté. A l' inverse, la généraliser conduirait à une deuxième lecture systématique et à une confusion entre les procédures de consultation et de coopération.
20. L' argumentation du Parlement porte sur deux points:
1) la quasi-exclusion des services réguliers du champ d' application ratione materiae du règlement d' une part, le report au 1er janvier 1996 de la libéralisation totale du cabotage en matière de services non réguliers d' autre part, constituent des modifications substantielles;
2) un faisceau de modifications touchant à la procédure d' admission au cabotage et aux formalités remet en cause l' économie de la proposition (25).
21. Examinons-les successivement.
1 - La quasi-exclusion des services réguliers du champ d' application du règlement et le report de la libéralisation des services non réguliers constituent-ils des modifications substantielles?
22. On ne peut qu' être frappé par la similitude entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à votre arrêt du 16 juillet 1992, précité, annulant le règlement (CEE) n 4059/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, fixant les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre.
23. Dans cette dernière, la proposition initiale prévoyait l' admission de tout transporteur de marchandises par route pour compte d' autrui, établi dans un État membre et habilité à effectuer de tels transports internationaux, aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre autre que celui dans lequel il est établi.
24. Le règlement n 4059/89 (i) fixait un contingent communautaire de cabotage comprenant 15 000 autorisations d' une durée de deux mois (26) et (ii) n' était applicable, de manière transitoire, que jusqu' au 31 décembre 1992, le Conseil devant adopter, avant le 1er juillet 1992, un nouveau règlement définissant le régime définitif du cabotage (27).
25. Ici, la proposition initiale retenait le principe de la liberté complète du cabotage en matière de services réguliers de transport de voyageurs par route comme en matière de "services de navette" ou de "services occasionnels".
26. En ce qui concerne le service régulier, le règlement attaqué restreint le champ d' application du cabotage aux seuls services spécialisés permettant le transport de travailleurs, d' écoliers et d' étudiants dans les zones frontalières. Le cabotage ne pourra être étendu à d' autres services réguliers de transport de voyageurs que par un nouveau règlement du Conseil pris sur proposition de la Commission, celle-ci devant, à cet effet, faire rapport au Conseil avant le 31 décembre 1995 (28).
27. Ainsi, en matière de service régulier et à l' exception d' une hypothèse marginale, le cabotage se trouve exclu du champ d' application du règlement jusqu' à adoption d' un nouveau texte.
28. Quant aux services non réguliers, la proposition initiale prévoyait, comme pour les services réguliers, un accès illimité et à bref délai aux transports nationaux pour les services de navette ou occasionnels. Le règlement adopté retarde leur libéralisation au 1er janvier 1996 et limite jusqu' à cette date le cabotage en la matière aux services "en circuit à portes fermées".
29. Dans ces deux domaines, à une ouverture complète et à terme rapproché du cabotage visée par la proposition, le règlement substitue donc une mise en oeuvre partielle dans un cas, progressive dans l' autre.
30. Ainsi que nous l' avions souligné dans nos conclusions sous l' affaire C-65/90, l' existence d' une différence substantielle entre proposition initiale et règlement finalement adopté peut résulter non seulement de modifications de méthode ou de fond mais également de dispositions ayant disparu du texte définitif (29).
31. S' agissant des services réguliers, nous voyons dans leur quasi-exclusion, donc l' extrême réduction du champ d' application ratione materiae et loci de la réglementation, des modifications "(qui) touchent le coeur même du dispositif mis en place et (qui) doivent donc être qualifiées de substantielles" (30). On notera d' ailleurs que le Conseil n' a pas tenté de démontrer que cette quasi-exclusion ne serait pas une modification substantielle (31).
32. En ce qui concerne les services non réguliers, il est certain que le Conseil pouvait, sans le reconsulter, retarder la date d' entrée en vigueur dont le Parlement avait lui-même proposé le report dans son premier amendement. A cet égard, un délai de trois ans pour mettre en oeuvre une libéralisation totale du cabotage en matière de services non réguliers ne saurait apparaître comme substantiellement différent de celui envisagé. Toutefois, comme nous l' avons déjà souligné, le Conseil ne pouvait,
sans reconsultation, limiter le champ d' application ratione materiae de l' admission aux transports de cabotage sans reconsulter le Parlement.
33. Résumons les termes de notre comparaison.
34. En matière de transports tant de voyageurs que de marchandises, la proposition initiale posait le principe de la liberté du cabotage sans restriction.
35. En matière de marchandises, celui-ci avait été limité par un contingentement et une admission temporaire. Vous avez déjà qualifié pareille limitation de modification substantielle par votre arrêt précité du 16 juillet 1992.
36. Ici, le champ d' application ratione materiae et loci du cabotage des voyageurs est fortement restreint. Vous devriez donc en tirer les mêmes conséquences.
37. Mais ces modifications substantielles correspondaient-elles, comme le Conseil le soutient, au souhait du Parlement, rendant ainsi sa reconsultation inutile?
38. Sous réserve des quatre amendements précités, le Parlement a expressément approuvé la proposition initiale de la Commission (32).
39. Nulle trace, dans ceux-ci, de limitation du champ d' application ratione materiae et loci du cabotage. Le Parlement avait, au contraire, pris soin, par son amendement relatif à l' article 1er du règlement, de reprendre les notions de "services réguliers" et de "services non réguliers".
40. Pour soutenir que le règlement adopté allait dans le sens souhaité par le Parlement, le gouvernement espagnol, partie intervenante qui vient à l' appui des conclusions du Conseil, se fonde, à tort selon nous, sur les avis de plusieurs commissions parlementaires qui, avant l' adoption de la résolution, auraient attiré l' attention du Parlement sur la nécessité de "tempérer la mesure de libéralisation proposée" (33).
41. Ces avis, en effet, ne lient nullement le Parlement lui-même. Ils ne matérialisent pas le "souhait" de cette institution qui ne peut résulter que de sa résolution législative et, le cas échéant, des amendements qu' il propose. Ainsi, dans l' arrêt du 16 juillet 1992, pour examiner si les modifications apportées par le Parlement correspondaient à son souhait, vous êtes-vous exclusivement référé à l' avis et aux amendements par lui adoptés (34).
42. Pour tenter de démontrer que la quasi-exclusion des services réguliers ne justifiait pas la reconsultation du Parlement, le Conseil déclare, en premier lieu, que cette modification correspondait au souhait du Parlement de mise en oeuvre progressive du cabotage routier tel qu' il résultait des avis émis en matière de cabotage routier de marchandises dans le cadre de la procédure d' adoption du règlement n 4059/89 (35), puis du règlement (CEE) n 3118/93 (36) qui l' a remplacé (37). Elle aurait
donc répondu à des "orientations préconisées par le Parlement lui-même" (38).
43. Mais le Conseil peut-il, pour éviter une reconsultation dans une procédure législative donnée, tenir compte de l' avis émis par le Parlement dans le cadre de l' adoption d' un texte distinct au prétexte qu' il l' estime connexe? Autrement dit, le Conseil peut-il, de son propre chef, décider que tel domaine est connexe à un autre et que l' avis du Parlement dans le premier cas vaut pour le second?
44. Nous y voyons deux obstacles: le premier d' ordre institutionnel, le second d' ordre matériel.
45. Le Conseil ne pourrait, en effet, sans remettre en cause le caractère obligatoire de la nouvelle consultation en cas de modifications substantielles, donc, l' équilibre institutionnel voulu par les traités, se dispenser de reconsulter le Parlement chaque fois que, selon lui, celui-ci aurait, d' ores et déjà, émis son avis dans une procédure législative connexe.
46. Il se ferait alors juge de cette connexité, transférant à son profit une appréciation qui relève du seul Parlement. Contrairement à ce qu' il soutient, le Conseil ne peut donc pas être admis à "réactualiser l' avis du Parlement" (39).
47. De plus, une telle façon de procéder ouvrirait la porte à d' inévitables dérives dès l' instant où le Conseil adopterait une conception extensive de la notion de connexité. L' avis émis par le Parlement dans le cadre de l' adoption d' un règlement concernant les transports de marchandises peut-il valoir dans le cadre de l' adoption d' un règlement portant sur les transports de voyageurs? Est-ce au Conseil d' en être juge?
48. Enfin, plus fondamentalement, les procédures d' adoption des réglementations communautaires ne sauraient être laissées à la libre appréciation des institutions. En se référant à l' arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/ Conseil (40), l' avocat général M. Jacobs a rappelé que
"... les règles concernant les modalités sous lesquelles les institutions communautaires parviennent à leurs décisions sont prévues par le traité et ne dépendent pas du bon vouloir des États membres ou des institutions elles-mêmes" (41).
49. Il n' y a donc pas place, ici, pour un "principe élémentaire d' économie de procédure" qui, selon le gouvernement espagnol, permettrait, dans certains cas, au Conseil de se référer à l' avis du Parlement rendu dans une procédure législative connexe (42).
50. Mais il est un autre obstacle, d' ordre matériel.
51. Certes, la mise en place du cabotage en matière de transports de marchandises par route n' est pas sans lien avec celle concernant le transport de voyageurs par route. Pris dans le cadre de l' article 75, paragraphe 1, sous b), du traité CEE, les règlements adoptés visent dans les deux cas l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux.
52. Il ne résulte toutefois d' aucun texte émanant du Parlement à l' occasion de la procédure d' adoption des règlements n s 4059/89 et 3118/93 concernant le cabotage en matière de transports de marchandises par route qu' il ait procédé à une approche globale du problème du cabotage ou que les avis émis dans le cadre du transport de marchandises vaillent également pour le transport des voyageurs.
53. Les spécificités et l' autonomie de ces deux secteurs et la nécessité de rechercher des solutions adaptées aux problèmes posés par chacun d' eux résultent suffisamment du fait que (i) la Commission a présenté des propositions distinctes pour les différents modes de transports routiers, (ii) les solutions adoptées, même si elles ont dans les deux cas pour effet de limiter la portée du cabotage, divergent. Dans un cas a été retenue la mise en place d' un contingentement communautaire, dans l'
autre la limitation du champ d' application ratione materiae et loci du règlement.
54. Ce n' est que dans l' hypothèse où le Parlement se serait expressément référé, dans le cadre de la procédure d' adoption du règlement sous examen, à un avis émis dans une autre procédure, que le Conseil aurait pu se fonder sur ce dernier. A défaut, il se devait de reconsulter le Parlement en cas de modification substantielle.
55. Le moyen de défense tiré des avis rendus par le Parlement en matière de transports de marchandises par route ne saurait donc convaincre.
56. En second lieu, le Conseil fait valoir que la libéralisation totale du cabotage en matière de transport de voyageurs par route se serait heurtée à un obstacle juridique: la confusion entre liberté d' établissement et liberté de prestation de services (43). Comment être prestataire de services de transport loin des zones frontières sans être en même temps établi dans l' État d' accueil?
57. A supposer que cette question juridique soit pertinente - elle n' a pas été soulevée, semble-t-il, dans les autres cas de libéralisation de transports -, nous pensons qu' elle nécessitait précisément que l' avis du Parlement fût à nouveau recueilli.
58. A ce propos, le Conseil relève que le Parlement "... n' ignorait pas ... les grandes difficultés, aussi bien techniques que politiques, que soulèverait l' élaboration de règles communes..." (44) en matière de cabotage. Il aurait eu "pleinement conscience" (45) que se poseraient des questions délicates, telle la mise en oeuvre progressive du cabotage.
59. Le Conseil en déduit, paradoxalement, que la reconsultation ne s' imposait pas. Nous considérons, au contraire, que c' est précisément dans de tels domaines, où les enjeux, notamment économiques et politiques, sont considérables, que le Parlement doit être mis en mesure d' exercer pleinement ses attributions consultatives.
2 - Le faisceau des autres modifications
60. Le Parlement énumère les cinq modifications suivantes qui touchent à la procédure et aux formalités (46):
- la limitation du renvoi à l' application des dispositions nationales à certains points précis: prix et conditions du contrat, poids et dimensions des véhicules, prescriptions de sécurité, etc. (article 4);
- l' obligation de présenter une attestation (article 5);
- l' obligation de présenter un document de contrôle (article 6);
- l' institution de mesures de sauvegarde avec la création d' un comité consultatif (articles 8 et 9);
- l' institution de sanctions en cas d' infraction (article 10).
61. Faisant la synthèse de votre jurisprudence, l' avocat général M. Mancini, dans ses conclusions sous l' affaire Roviello (47), relève qu' il n' y a pas lieu à reconsultation du Parlement lorsque les modifications "a) (laissent) intacts les aspects essentiels de la disposition plus large qu' ils affectent...; b) (ont) un caractère purement technique, c' est-à-dire (comportent) des modifications de méthode, ou en tout cas, (n' impliquent pas) un changement de fond...; c) (correspondent) à un
souhait du Parlement".
62. Sans qu' il soit nécessaire de prendre position sur le point de savoir si un faisceau de modifications concernant la procédure d' admission au cabotage et les formalités est équivalent à une modification substantielle, nous nous limiterons aux observations suivantes.
63. Quant aux sanctions, on relèvera que le Parlement avait proposé d' en instituer par son amendement sur l' article 4 de la proposition.
64. La limitation de l' application des dispositions nationales à certains domaines (article 4) correspond également à un voeu du Parlement (48).
65. Les modifications portant sur les attestations et le contrôle des formalités sont des mesures purement techniques qui n' affectent pas la substance de la réglementation.
66. L' institution de mesures de sauvegarde et la création d' un comité consultatif ne changent, certes, ni la nature ni la portée du projet de libéralisation. Elles en facilitent au contraire la mise en oeuvre. Toutefois, cette question a une dimension institutionnelle importante et, comme nous le relevions dans nos conclusions sous l' affaire C-65/90, l' attribution d' une compétence en matière de sauvegarde à la Commission ou au Conseil "... est une question importante quant à l' équilibre
institutionnel des Communautés" (49). Elle ne peut laisser le Parlement indifférent qui, sur ce point également, aurait dû être reconsulté.
67. Le moment est venu de conclure.
68. Nous considérons que les modifications substantielles que nous avons identifiées affectaient "le système du projet dans son ensemble" (50) et imposaient une nouvelle consultation du Parlement. Le défaut de reconsultation constitue une violation des formes substantielles justifiant l' annulation du règlement.
69. Cette annulation concerne le texte "considéré dans son ensemble" et doit porter sur le règlement tout entier (51).
70. Nous vous invitons, enfin, à maintenir jusqu' à l' adoption d' un nouveau règlement les effets du texte annulé, par application de l' article 174, deuxième alinéa, du traité CE. Donner plein effet à l' annulation aurait cette conséquence paradoxale de rendre totalement impossible toute forme de cabotage en matière de transports de voyageurs alors que le règlement entrepris avait précisément pour objet d' ouvrir ce marché.
71. Nous concluons donc
1) à l' annulation du règlement (CEE) n 2454/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, fixant les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux de voyageurs par route dans un État membre;
2) à ce que les effets de ce texte soient maintenus jusqu' à adoption d' un nouveau règlement par le Conseil;
3) à ce que les dépens de la présente procédure soient mis à la charge du Conseil, à l' exception de ceux afférents à l' intervention qui devront être assumés par le royaume d' Espagne.
(*) Langue originale: le français.
(1) - Cet article a été modifié par l' article G, point 16, du traité sur l' Union européenne. Le domaine des transports relève désormais de la procédure de coopération prévue par l' article 189 C, du traité CE.
(2) - COM(87)31 final (JO C 77, p. 13).
(3) - 13/83, Rec. p. 1513.
(4) - Troisième considérant.
(5) - Article 2, souligné par nous.
(6) - Voir l' article 3.
(7) - JO 1988, C 49, p. 85, 121, 122.
(8) - JO 1988, C 94, p. 109.
(9) - Ibidem, p. 125.
(10) - Point 4.
(11) - COM(88) 596 final (JO C 301, p. 8).
(12) - JO L 251, p. 1.
(13) - Voir la lettre du président du Parlement produite en annexe 6 de la requête que le Conseil précise n' avoir jamais reçue (mémoire en défense, point 11).
(14) - Cette formule est ajoutée au deuxième considérant, souligné par nous.
(15) - Mémoire en défense, p. 4.
(16) - Qui a donné lieu à l' arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil (Rec. p. I-4593), par lequel vous avez annulé le règlement (CEE) n 4059/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, fixant les conditions d' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre (JO L 390, p. 3).
(17) - C-70/88, Rec. p. I-2041, point 27.
(18) - Voir l' article 173, troisième alinéa, du traité CE tel que modifié par l' article G, point 53, du traité sur l' Union européenne.
(19) - Arrêt du 16 juillet 1992, précité note 16, point 13.
(20) - Ibidem, point 14. Voir également le point 16 de l' arrêt du 2 mars 1994, Parlement/Conseil (C-316/91, non encore publié au Recueil).
(21) - Point 33 de l' arrêt du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil (138/79, Rec. p. 3333), et point 34 de l' arrêt du 29 octobre 1980, Maïzena/Conseil (139/79, Rec. p. 3393).
(22) - Dans une résolution sur les relations entre le Parlement et le Conseil adoptée le 9 juillet 1981, le Parlement invite le Conseil à le consulter de nouveau dans le cadre de la procédure législative lorsque la Commission modifie la proposition initiale sur laquelle le Parlement avait déjà pris position et que ces modifications n' ont pas fait l' objet d' un débat du Parlement (JO 1981, C 234, p. 52, 54, point 11, sous b). Voir également l' article 62 du règlement intérieur du Parlement.
(23) - Point 16 de l' arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil, précité. Voir également les arrêts du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma (41/69, Rec. p. 661, attendu 178), et du 4 février 1982, Buyl e.a. (817/79, Rec. p. 245, point 23).
(24) - Mémoire en réplique, point 9.
(25) - Voir recours, point 25, et mémoire en réplique, points 20, 21 et 22.
(26) - Article 2, paragraphe 1.
(27) - Article 9.
(28) - Article 12 du règlement n 2454/92.
(29) - Point 47 (Rec. 1992, p. I-4611).
(30) - Point 19 de l' arrêt du 16 juillet 1992.
(31) - Le gouvernement espagnol soutient qu' il n' y a pas modification substantielle lorsque l' objectif poursuivi par la réglementation communautaire n' a pas été modifié entre la proposition et le texte définitif. Il constate entre ceux-ci une identité d' objet, à savoir l' élimination des restrictions applicables en raison de la nationalité aux transporteurs non résidents (p. 7 de la traduction française du mémoire en intervention). Ce critère ne rend pas compte, à notre avis, de votre
jurisprudence en la matière (voir le point 16 de l' arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil, précité, et la jurisprudence citée).
(32) - Voir supra, points 6 et 7.
(33) - Mémoire en intervention, p. 8 de la traduction française.
(34) - Point 19.
(35) - Précité, note 16.
(36) - Règlement du Conseil du 25 octobre 1993 fixant les conditions de l' admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux de marchandises par route dans un État membre (JO L 279, p. 1).
(37) - Mémoire en défense, point 22. Cette argumentation est également soutenue par le gouvernement espagnol, p. 12 de la traduction française de son mémoire en intervention.
(38) - Mémoire en défense, point 31.
(39) - Point 25 du mémoire en défense.
(40) - 68/86, Rec. p. 855, point 38.
(41) - Conclusions sous l' arrêt du 2 mars 1994, Parlement/Conseil (précité note 20, point 25).
(42) - Mémoire en intervention, p. 11 de la traduction française.
(43) - Points 27, in fine, et 29 du mémoire en défense.
(44) - Point 7 du mémoire en défense.
(45) - Ibidem, point 8.
(46) - Requête point 25.
(47) - Arrêt du 7 juin 1988, Roviello (20/85, Rec. p. 2805, point 11, in fine, des conclusions).
(48) - Voir l' annexe I, point 9, p. 12 du mémoire en défense.
(49) - Point 56.
(50) - Arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil, précité, point 20.
(51) - Voir le point 64 de nos conclusions sous le même arrêt et le point 20 de celui-ci.