Avis juridique important
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61993C0323
Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 4 mai 1994. - Société civile agricole du Centre d'insémination de la Crespelle contre Coopérative d'élevage et d'insémination artificielle du département de la Mayenne. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Insémination artificielle bovine - Monopole géographique. - Affaire C-323/93.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-05077
édition spéciale suédoise page I-00207
édition spéciale finnoise page I-00209
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. La Cour de cassation française a déféré à la Cour deux questions préjudicielles concernant notamment l' interprétation des articles 90, paragraphe 1, 86 et 30 du traité CEE. Ces questions se sont posées dans le cadre d' un litige opposant deux établissements français d' insémination. Le litige tire son origine des règles propres aux centres de mise en place, telles qu' elles résultent de la loi française du 28 décembre 1966 sur l' élevage (1).
2. Les questions déférées ont notamment trait à l' article 5 de la loi. Cette disposition prévoit, entre autres, que l' exploitation des centres d' insémination, qu' ils assurent et la production et la mise en place de la semence ou l' une seulement de ces activités, est soumise à l' autorisation préalable du ministre de l' Agriculture.
L' article 5 dispose en outre que
"Chaque centre de mise en place de la semence dessert une zone à l' intérieur de laquelle il est seul habilité à intervenir. L' autorisation le concernant délimite cette zone.
Les éleveurs se trouvant dans la zone d' action d' un centre de mise en place pourront demander à celui-ci de leur fournir de la semence provenant de centres de production de leur choix...; les frais supplémentaires résultant de ce choix seront à la charge des utilisateurs." (passages soulignés par nous).
3. Les parties au principal sont la Coopérative d' élevage et d' insémination artificielle du département de la Mayenne (ci-après la "CEIAM"), qui a, en 1970, été agréée par le ministère de l' Agriculture en tant que centre de mise en place pour le département de la Mayenne, et la Société civile agricole du Centre d' insémination de la Crespelle (ci-après le "Centre de la Crespelle"), qui a exercé à partir de 1961 les activités de mise en place dans une partie de la Mayenne, sans toutefois qu' elle
ait obtenu l' autorisation du ministère de l' Agriculture prévue par la loi de 1966.
4. La CEIAM a en 1985 assigné devant le tribunal de grande instance de Rennes le Centre de la Crespelle en faisant valoir que le Centre de la Crespelle avait porté atteinte à son droit exclusif de mise en place de la semence dans le département de la Mayenne. Elle a conclu à la condamnation du Centre de la Crespelle à indemniser la perte subie du fait de cette atteinte et à cesser son activité illégale. Le tribunal de grande instance a fait droit à la requête de la CEIAM et condamné le Centre de la
Crespelle, qui ne contestait pas avoir porté atteinte au droit exclusif, au paiement de dommages-intérêts substantiels et, infligé des astreintes à la société en cas de nouvelles infractions. Ce jugement a été confirmé par la cour d' appel de Rennes, qui a entre autres rejeté le moyen, soulevé par le Centre de la Crespelle, tiré de l' incompatibilité avec le droit communautaire du régime français établissant un monopole géographique pour les centres qui procèdent aux mises en place (2).
Le Centre de la Crespelle a formé un pourvoi devant la Cour de cassation à l' encontre de l' arrêt de la cour d' appel, en faisant valoir que l' arrêt repose sur une appréciation erronée de la portée des règles communautaires invoquées.
5. La Cour de cassation a déféré les questions suivantes:
"1) Les dispositions des articles 5, 86 et 90, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne s' opposent-elles à ce qu' une législation nationale, telle que celle de l' espèce, institue des centres de mise en place de la semence, seuls habilités à intervenir dans une zone délimitée, et leur réservent-elles la faculté de facturer des frais supplémentaires, lorsque les éleveurs se trouvent dans la zone où le centre a une compétence exclusive et demandent la fourniture de
semences provenant de centres de production agréés de leur choix?
2) Les articles 30 et 36 de ce même traité, l' article 2 de la directive 77/504/CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l' espèce bovine reproducteurs de race pure (3), et l' article 4 de la directive 87/328/CEE du Conseil, du 18 juin 1987, relative à l' admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure (4), s' opposent-ils à une réglementation nationale, telle que celle de l' espèce, qui impose aux opérateurs économiques important des semences provenant d' un
État membre de la Communauté de les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé?"
6. Des observations ont été déposées par les parties au principal ainsi que par le gouvernement français et la Commission.
7. Il ressort tant des questions que des observations présentées en l' espèce qu' il y a lieu de distinguer entre les éléments du régime français concernant la prestation de services consistant en la mise en place proprement dite et les éléments du régime concernant la fourniture et la conservation du produit ° la semence de taureau ° utilisé dans le cadre de la prestation de services.
Sur le contexte, le contenu et l' application pratique de la législation française
8. La loi de 1966 sur l' élevage a pour objet, aux termes de son article 1er, l' amélioration de la qualité du cheptel. Selon les travaux préparatoires de la loi (5), la loi avait, entre autres, pour but d' améliorer la sélection des bovins reproducteurs français et donc la capacité concurrentielle de l' agriculture française avant la réalisation de la politique agricole commune prévue par le traité CEE (6).
9. La règle fondamentale en matière d' amélioration génétique du cheptel est, ainsi qu' il a été indiqué, qu' un tel travail doit se faire dans le cadre des centres, qu' il s' agisse de centres de production ou de centres de mise en place, agréés par le ministère de l' Agriculture. Il ressort de l' article 5, troisième alinéa, de la loi que cette autorisation est octroyée en considération, notamment, "des équipements déjà existants, de la contribution que le centre intéressé est en mesure d'
apporter à l' amélioration génétique du cheptel et des garanties qu' il présente en particulier, tant en personnels qualifiés qu' en moyens matériels et en géniteurs..."
10. Il ressort de l' article 2 du décret n 69/258, du 22 mars 1969, relatif à l' insémination artificielle (7), que l' activité des centres de production consiste à "entretenir un dépôt de reproducteurs mâles agréé ou dont la mise à l' épreuve sur la descendance est autorisée, à assurer la responsabilité d' opérations de mise à l' épreuve sur la descendance conformément à un programme approuvé par le ministre de l' Agriculture et à procéder à la récolte, au conditionnement, à la conservation et à la
cession de la semence des animaux reproducteurs agréés ou mis à l' essai".
11. Il ressort de cette même disposition que l' activité des centres de mise en place consiste dans "l' insémination des femelles appartenant aux espèces désignées à l' article 1 de la loi du 28 décembre 1966" et que "les centres de mise en place peuvent être autorisés à entretenir les dépôts de reproducteurs agréés approvisionnés par des centres de production; dans ce cas, ils procèdent eux-mêmes à la récolte, au conditionnement et à la conservation de la semence des animaux dépendant de ces
dépôts".
12. Le gouvernement français a, dans sa réponse aux questions posées par la Cour, signalé qu' il existait en tout 23 centres de production, dont quelques-uns sont agréés pour uniquement une race alors que d' autres le sont pour plusieurs races. On trouve en tout 54 centres de mise en place. Les centres sont gérés par des coopératives agricoles ou des groupements de telles coopératives. Tous ces centres, à l' exception de 7 d' entre eux, sont regroupés, au niveau national, au sein de l' Union
nationale des coopératives agricoles d' élevage et d' insémination artificielle (UNCEIA). Le gouvernement français a indiqué que les coopératives sont gérées dans un but non lucratif (8).
13. Les centres de mise en place détiennent le droit exclusif de procéder à la mise en place à l' intérieur d' une zone géographique déterminée. Il ressort des travaux préparatoires de la loi (9) qu' un tel droit exclusif a, entre autres, été considéré comme nécessaire pour prévenir une concurrence sur les prix qui pourrait être préjudiciable aux centres exerçant une activité d' élevage méritoire. A propos du contexte qui sous-tend le droit exclusif, le gouvernement français a fourni les
explications suivantes:
"Le monopole, qui recueille l' adhésion des professionnels et résulte d' une collaboration permanente entre les administrations et la profession, poursuit un double objectif. Tout d' abord, il tend à assurer l' approvisionnement constant des éleveurs de la zone de semence, mais surtout, il tend à promouvoir, dans l' intérêt général, le progrès génétique en évaluant précisément la valeur génétique dans le cadre des schémas de sélection sur descendance. Le testage constitue en effet une opération
longue et coûteuse qui nécessite une opération stable permettant de dégager son propre financement. En effet, la mise en testage d' une série de taureaux ne garantit pas l' obtention d' un ou plusieurs taureaux améliorateurs. D' autre part, ce type d' évaluation génétique qui dure 5 à 10 ans coûte près de 300 000 francs par taureau évalué, alors qu' un taureau sur quatre sera agréé par les producteurs laitiers et un sur dix sera largement utilisé par les éleveurs. Dans ces conditions, l' exclusivité
de zone attribuée au centre de mise en place permet de planifier et de garantir techniquement un potentiel d' animaux pour la réalisation des inséminations artificielles de testage et de diffusion. Une suppression du monopole territorial tiendrait à multiplier les intervenants dans une même zone et diviserait ainsi le potentiel de testage, donc la taille de chaque programme et, partant, la probabilité de sélectionner des reproducteurs améliorateurs." (passages soulignés par nous).
14. Le droit exclusif est ainsi fondé, d' une part sur la sécurité d' approvisionnement de la zone considérée, d' autre part et surtout sur le souci d' assurer un cheptel suffisamment important, sur lequel on puisse procéder à des tests. A cela s' ajoute un aspect financier, qui est approfondi à l' annexe 3 des observations du gouvernement français. On peut, entre autres, y lire ce qui suit:
"Ainsi, au travers du prix de l' insémination artificielle pratiquée qui prend en compte le coût du programme de sélection, ce dispositif permet financièrement de répartir le coût élevé des programmes de sélection sur un grand nombre d' éleveurs compte tenu du statut coopératif des structures, et des contrats passés entre centres.
Les maîtres d' oeuvre des programmes disposent donc d' une stabilité de ressources nécessaire à ce type d' activité, dont les résultats n' apparaissent qu' à long terme."
15. Le droit exclusif des centres de mise en place n' est donc pas fondé sur la nécessité de recourir uniquement, dans la zone considérée, à des inséminateurs du centre. L' acte même de mise en place, selon les informations recueillies, n' est pas difficile. Un éleveur peut le cas échéant procéder lui-même à cet acte sous le contrôle du centre de mise en place (10).
16. Les centres de mise en place se procurent en général la semence servant à l' insémination auprès des centres de production avec lesquels ils ont passé des contrats. Les centres de mise en place ont l' obligation de conclure de tels contrats en sorte de garantir en permanence un approvisionnement en semence suffisant. Ces contrats établissent d' ailleurs également les obligations des centres de mise en place en ce qui concerne leur participation au travail d' amélioration génétique du cheptel.
17. Il ne fait pas de doute que les éleveurs acceptent que les centres de mise en place utilisent en principe la semence de ceux des centres de production avec lesquels ils sont liés par contrat. L' une des raisons à cet égard pourrait être que l' acquisition de semence en petites quantités entraîne des frais élevés (11).
18. L' obligation de garantir par contrat l' approvisionnement de semence n' exclut toutefois pas la possibilité de s' approvisionner par ailleurs. La législation française ne s' oppose pas à ce que des éleveurs, individuellement, ou des centres de mise en place s' adressent directement à des producteurs étrangers en vue de l' achat de semences.
Les règles à cet égard figurent, entre autres, à l' article 5 de la loi de 1966, aux termes duquel
° les éleveurs peuvent demander à leur centre local de mise en place de leur fournir de la semence provenant de centres de production de leur choix;
° le centre concerné est tenu d' effectuer les inséminations avec la semence qu' il s' est ainsi procurée, et
° les frais supplémentaires résultant de ce choix autonome sont à la charge des éleveurs.
19. Ces règles ont été précisées et complétées à l' article 10 de l' arrêté du ministère de l' Agriculture du 17 avril 1969 (12) relatif aux autorisations de fonctionnement des centres d' insémination artificielle, tel que modifié par arrêté du 24 janvier 1989 (13). Cette modification trouve son origine dans un avis motivé que la Commission avait adressé au gouvernement français. Faute d' informations à cet égard, nous ignorons si l' avis contenait d' autres griefs. L' article 10, dans sa version
actuellement en vigueur, est libellé comme suit:
"Les centres de mise en place sont normalement approvisionnés en reproducteurs ou en semence par le ou les centres agréés pour la production ayant leur siège sur le territoire de l' un des États membres de la Communauté économique européenne avec lesquels ils ont souscrit un contrat conforme aux dispositions de l' article 12 (14).
Ils peuvent compléter l' approvisionnement résultant de l' application des contrats mentionnés ci-dessus en s' adressant à d' autres centres de production, de leur propre initiative ou à la demande individuelle et écrite d' éleveurs de leur zone.
Tout autre opérateur économique qui importe des semences provenant d' un autre État membre de la Communauté économique européenne doit les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé de son choix."
20. Le gouvernement français a signalé que l' importation de semence d' autres États membres est soumise à l' exigence d' une autorisation d' importation.
La jurisprudence concernant le régime français d' autorisation exclusive
21. Il ressort des informations fournies à la Cour que le régime d' autorisation exclusive suscite des mécontentements au sein de la population agricole française. Le motif sous-jacent en pourrait être le fait que l' insémination artificielle représente, pour les agriculteurs, la forme de procréation la plus couramment utilisée pour le bétail (15), et que le coût d' une mise en place n' est pas négligeable; selon les renseignements qui ont été donnés, en tout cas pas moins de 100 FF et normalement
beaucoup plus. Il y a apparemment dans certains cas des différences de prix substantielles. Il a été signalé, par exemple, que les prix de la CEIAM étaient, en 1987, environ 30 % plus élevés que ceux du Centre de la Crespelle. Le régime d' autorisation exclusive a donné lieu à des actions intentées devant les juridictions françaises, liées au fait que des opérateurs exploitent des centres de mise en place non agréés, ou que des inséminateurs ou des vétérinaires mettent en place la semence, sans
avoir reçu l' autorisation nécessaire du centre local.
22. L' une de ces affaires a donné lieu aux questions préjudicielles déférées par le tribunal de grande instance de Bergerac dans l' affaire C-17/94, toujours pendante devant la Cour. Les questions se sont posées au cours d' une procédure pénale à l' encontre de vétérinaires français, poursuivis pour avoir porté atteinte au droit exclusif du centre local. Les questions déférées ont trait à l' importance des règles du traité relatives à la libre prestation des services par rapport aux restrictions
pouvant résulter de la législation française, dans le chef des vétérinaires, de procéder à la mise en place indépendamment des centres de mise en place.
23. La Cour a précédemment eu l' occasion, dans deux affaires, de statuer sur la légalité de différents aspects du régime français au regard de l' article 37 du traité, concernant les monopoles d' État à caractère commercial, et certaines directives du Conseil concernant les reproducteurs. Il s' agit, d' une part, d' un recours en manquement ° affaire 161/82, Commission/France ° et, d' autre part, d' une affaire préjudicielle ° affaire 271/81, Société coopérative d' amélioration de l' élevage et d'
insémination artificielle du Béarn ° qui ont donné lieu à deux arrêts de la Cour, du 28 juin 1983 (16).
24. Dans l' affaire citée en premier, la Cour, en donnant gain de cause à la République française, a rejeté les conclusions de la Commission selon lesquelles l' article 37 avait été enfreint dans le cadre des restrictions à l' importation de semence. La Cour s' est référée au fait qu' il n' avait pas été instauré en France de monopole national en ce qui concerne la commercialisation et l' exploitation de semence, et que la Commission n' avait pas réussi à "établir l' existence d' un organisme par
lequel l' État français, en droit ou en fait, contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les importations de semence en provenance d' autres États membres" (point 14, ensemble avec le point 19).
25. Dans l' affaire préjudicielle, deux inséminateurs, poursuivis pour avoir enfreint un droit exclusif du centre de mise en place, ont fait valoir que le régime d' autorisation exclusive était contraire à l' article 37 du traité. Le tribunal de renvoi indiquait que les éleveurs étaient tenus de faire procéder à la mise en place au centre de mise en place local dont ils dépendaient, et d' y acheter la semence de leur choix; c' est dans ce contexte que le tribunal de renvoi a déféré la question
préjudicielle de savoir si les prestations de services ont, au sens de l' article 37 du traité CEE, un caractère "commercial", dès lors que, érigées en monopole national, elles permettent à l' État d' assurer la direction d' une branche de l' économie nationale. La Cour a constaté que l' article 37 vise les échanges de marchandises et ne concerne pas un monopole de prestations de services tel que celui évoqué en l' espèce. La Cour continuait cependant en soulignant que
"Toutefois, la possibilité ne peut être exclue qu' un monopole de prestations de services puisse avoir une influence indirecte sur les échanges de marchandises entre les États membres. C' est ainsi qu' une entreprise, ou un ensemble d' entreprises, monopolisant la prestation de certains services, pourrait contrevenir au principe de la libre circulation de marchandises dans la mesure, notamment, où ce monopole aboutirait à une discrimination de produits importés par rapport aux produits d' origine
nationale" (point 10).
La Cour a toutefois estimé que dans les circonstances du cas d' espèce, la preuve n' avait pas été rapportée que les conditions d' exercice du monopole étaient contraires aux règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises. Elle a indiqué aux points 11 et 12 de l' arrêt ce qui suit:
"Les circonstances relevées par le jugement de renvoi et celles apparues au cours de la procédure devant la Cour ne suffisent cependant pas pour considérer qu' une législation du type de celle régissant en France l' insémination artificielle des bovins constitue de façon indirecte une monopolisation qui entrave la libre circulation des marchandises.
Ces circonstances font en effet apparaître que, d' après la législation applicable en France, tout éleveur individuel est libre de demander au centre de mise en place dont il dépend de lui fournir de la semence provenant du centre de production de son choix, en France ou à l' étranger. Le gouvernement français a indiqué que rien, dans la législation française, n' empêcherait un centre de mise en place ou même un éleveur individuel de s' adresser directement à un centre étranger pour lui acheter de
la semence, et d' obtenir la licence d' importation nécessaire à cet effet."
Considérations générales sur les questions déférées
26. Il y a lieu de rappeler que les questions de la Cour de cassation concernent trois aspects du régime français. Il est demandé tout d' abord si le droit exclusif, qui est octroyé aux centres de mise en place à l' intérieur d' une zone géographique déterminée, est en soi contraire au droit communautaire. Il est demandé ensuite d' apprécier la portée du droit communautaire par rapport à deux aspects plus spécifiques du régime français, à savoir d' une part l' obligation qui s' impose à tout
opérateur de laisser en dépôt la semence bovine dans des centres de mise en place agréés et, d' autre part, le droit pour ces centres de mise en place de facturer aux éleveurs des frais supplémentaires dans le cadre de l' achat et de la conservation de semence provenant de fournisseurs autres que les fournisseurs attitrés du centre.
27. La Cour de cassation souhaite notamment une interprétation de l' article 90, paragraphe 1, en liaison avec l' article 86, pour pouvoir apprécier si les aspects du régime d' autorisation exclusive qui ont été mentionnés pourraient éventuellement amener un comportement de nature à fausser la concurrence, contraire au traité, et de l' article 30 du traité pour pouvoir apprécier si les aspects qu' elle a mentionnés peuvent aboutir à des entraves illégales au commerce intracommunautaire.
28. La présente affaire ne peut, à notre avis, servir de base pour que la Cour statue sur la portée d' autres dispositions du traité, ou pour qu' elle étende son interprétation des dispositions du traité susvisées à d' autres aspects du régime français.
29. En répondant aux questions posées, il importe également de rappeler que le droit communautaire a été invoqué par le Centre de la Crespelle en vue de faire constater que le droit exclusif octroyé à la CEIAM en vertu de la législation française, qui sous-tend la demande de la coopérative, est contraire au droit communautaire et, partant, ne saurait servir de base légale à la demande. C' est à juste titre, à notre sens, que la CEIAM souligne que c' est à la lumière de ces considérations qu' il
convient de comprendre et d' examiner les questions posées. C' est le régime d' autorisation exclusive, en tant que tel, qui est contesté. Ce n' est que si le monopole géographique lui-même, instauré par la loi de 1966, ou si des aspects essentiels de ce régime, tel qu' il est interprété et appliqué, sont contraires au droit communautaire que le droit communautaire revêt de l' importance pour résoudre cette affaire. Il n' appartient pas en l' espèce à la Cour d' interpréter le droit communautaire en
vue de déterminer les limites qu' impose le droit communautaire, et notamment ses règles de concurrence, aux centres de mise en place dans l' exécution de leurs tâches.
Au cours de la procédure devant la Cour, des exemples concrets ont été cités pour démontrer que les centres de mise en place ont abusé de leur droit exclusif vis-à-vis des éleveurs, en pratiquant des tarifs exagérés ou, au reste, en limitant de manière indue leur liberté d' action. De tels exemples n' ont d' intérêt dans le contexte de la présente affaire que s' ils peuvent être regardés comme établissant la preuve que le régime lui-même ° globalement ou des aspects suffisamment importants de
celui-ci ° est contraire au droit communautaire.
Le droit exclusif des centres de mise en place est-il contraire aux dispositions combinées des articles 90 et 86 du traité?
30. La première question de la Cour de cassation concerne l' interprétation de l' article 90, paragraphe 1, de l' article 86 et de l' article 5 du traité, en vue d' une prise de position sur le point de savoir s' il est contraire à ces dispositions d' instaurer un régime national octroyant un droit exclusif de mise en place aux centres de mise en place et donnant aux centres la possibilité de facturer les frais supplémentaires que pourrait impliquer la commande de semence auprès de fournisseurs
autres que ceux qui livrent en permanence les centres.
31. L' article 90, paragraphe 1, du traité impose aux États membres l' obligation de s' abstenir, en ce qui concerne les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux exclusifs, d' édicter ou de maintenir des mesures contraires aux autres règles du traité, notamment à l' interdiction édictée à l' article 86 du traité, qui vise le fait pour des entreprises d' exploiter de façon abusive leur position dominante dans une partie substantielle du marché commun, dans la mesure où le commerce
entre États membres est susceptible d' en être affecté (17).
32. La jurisprudence de la Cour au cours des dernières années a montré l' importance de l' article 90, paragraphe 1, comme une limitation des possibilités pour les États membres, par l' octroi de droits exclusifs, de prendre des mesures susceptibles d' éliminer l' effet utile des règles de concurrence du traité (18).
33. Le point de départ continue d' être conforme au libellé de l' article 90, paragraphe 1, c' est-à-dire que l' octroi de droits exclusifs n' est pas, en lui-même, contraire au droit communautaire. C' est ainsi que dans ses deux arrêts les plus importants dans le contexte de la présente affaire ° Hoefner et Elser, C-41/90, et Merci convenzionali porto di Genova, C-179/90 (19) ° la Cour a constaté que "le simple fait de créer une position dominante par l' octroi de droits exclusifs, au sens de l'
article 90, paragraphe 1, de ce traité n' est pas, en tant que tel, incompatible avec l' article 86".
34. Mais ce principe est assorti d' une restriction importante, étant donné que la Cour souligne que l' effet utile des règles de concurrence du traité serait éliminé, à moins d' interpréter l' article 90, paragraphe 1, en ce sens qu' il est contraire au traité
° "(de maintenir) en vigueur une disposition légale créant une situation dans laquelle (une entreprise) serait nécessairement amené(e) à contrevenir aux termes de l' article 86" (point 27 de l' arrêt Hoefner et Elser), et
° "lorsque l' entreprise en cause est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive... ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus..." (point 17 de l' arrêt Merci convenzionali porto di Genova).
35. Il est constant que les centres de mise en place se sont vu octroyer des droits exclusifs au sens de l' article 90, paragraphe 1.
La question en l' espèce est donc de savoir si le fait même de concéder un droit exclusif en vue de procéder au travail de mise en place, ou des aspects essentiels de ce droit exclusif, impliquent que les centres sont amenés à exploiter leur position dominante de façon abusive par rapport à leurs fournisseurs et/ou leurs clients, notamment ° comme indiqué à l' article 86 ° en imposant des prix d' achat ou d' autres conditions de transaction non équitables, en limitant les débouchés ou en appliquant
à l' égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes.
36. Il n' y a pas selon nous, en l' état actuel du dossier, d' éléments permettant de considérer que le droit exclusif alloué aux centres aux fins de procéder au travail de mise en place à l' intérieur de zones géographiques implique une infraction à l' article 90, paragraphe 1, envisagé conjointement avec l' article 86. La position dominante met bien entendu les centres en mesure de commettre des abus en ce qui concerne la fixation des prix et, peut-être également, en vue de limiter les
possibilités éventuellement ouvertes, selon les règles existantes, à d' autres personnes, par exemple les éleveurs eux-mêmes ou des vétérinaires, de procéder à des mises en place. Il est probable que des possibilités d' abus existent également à d' autres égards. Mais le régime d' autorisation exclusive lui-même n' amène pas ° comme le présuppose à cet égard la jurisprudence que nous venons de mentionner ° les entreprises à commettre de tels abus et, d' autre part, on trouve tant en droit français
qu' en droit communautaire des dispositions qui permettent le cas échéant de sanctionner de telles formes d' abus concret.
37. Telle est d' ailleurs également la position de la CEIAM, du gouvernement français et de la Commission.
38. La Commission fait cependant valoir que le régime de droit exclusif, envisagé en liaison avec d' autres aspects du régime français, pourrait être contraire aux dispositions combinées des articles 90 et 86. La Commission insiste à cet égard sur les règles applicables aux fins de l' obtention de la semence utilisée dans le cadre des mises en place.
La Commission formule son point de vue de la manière suivante: "En l' espèce, les centres de mise en place cumulent deux droits exclusifs: celui du service de mise en place et celui de distribution de la semence. Afin d' obtenir une semence déterminée, en effet, il faut passer par les centres. De plus, la mesure étatique autorise la facturation de frais supplémentaires pour la fourniture d' une semence provenant d' un autre centre. Cet ensemble de mesures pourrait conduire à des entraves abusives à
la liberté des éleveurs quant à l' utilisation de la semence de leur choix."
39. Le point de vue de la Commission est à mettre en rapport avec son appréciation des possibilités laissées aux éleveurs et autres opérateurs d' acheter de la semence par l' intermédiaire des centres, et du droit reconnu, dans ce cadre, aux centres d' exiger un versement aux fins de la couverture de frais supplémentaires. La Commission renvoie notamment au fait que l' éleveur qui souhaite une semence autre que celle fabriquée par le ou les fournisseurs attitrés du centre doit en faire la demande
écrite et individuelle et payer les frais supplémentaires.
La Commission indique que l' éleveur a deux possibilités, à savoir: passer lui-même un contrat avec le fournisseur qu' il a choisi ou demander au centre de mise en place d' acquérir la semence auprès des fournisseurs qu' il a choisis.
La Commission fait valoir qu' il serait injustifié, dans le premier cas de figure, que le centre de mise en place exige de l' éleveur qu' il acquitte des frais supplémentaires, et que la loi ne précise pas si dans ce cas le centre peut exiger le paiement de frais supplémentaires.
De l' avis de la Commission, il est contraire au droit communautaire d' exiger le paiement de frais que le centre de mise en place n' a pas réellement encourus. En outre, l' exigence d' une demande individuelle et écrite adressée au centre, si celui-ci est appelé à procéder à l' achat, est une exigence disproportionnée et restreint indûment les possibilités pour les éleveurs de se procurer la semence par d' autres fournisseurs que les fournisseurs attitrés du centre.
40. En revanche, tout comme la CEIAM et le gouvernement français, la Commission estime que l' obligation de stocker toute semence achetée auprès de centres de production et de mise en place agréés est suffisamment justifiée par des raisons zootechniques et sanitaires. Ces participants à la procédure font observer que l' article 4 de la directive 87/328, qui complète la directive 77/504 en vue d' une libération progressive des échanges intracommunautaires en ce qui concerne les animaux de l' espèce
bovine reproducteurs de race pure, dispose que "Les États membres veillent à ce que, pour les échanges intracommunautaires, la semence visée à l' article 2 soit récoltée, traitée et stockée dans un centre d' insémination artificielle officiellement agréé."
41. On peut, à notre sens, tenir pour établi que l' exigence de stockage de la semence dans des centres agréés est suffisamment justifiée par des raisons zootechniques et sanitaires.
42. A l' audience, la Commission a cependant émis des doutes sur le point de savoir si l' exigence de stockage telle qu' elle résulte de l' article 10 de l' arrêté de 1969, précité, est destinée à s' appliquer à la seule semence importée. Le gouvernement français et la CEIAM ont fait savoir que l' exigence de stockage s' applique de manière générale. On doit pouvoir tenir pour établie l' information fournie par le gouvernement français à cet égard.
43. Le droit reconnu aux centres d' exiger des éleveurs qu' ils acquittent des frais supplémentaires dans le cadre de la fourniture de semence en provenance de fournisseurs autres que les fournisseurs attitrés du centre n' est pas en soi de nature à amener les centres à commettre des abus en violation de l' article 86. Il est constant que de telles fournitures spéciales impliquent certains frais, que l' on peut raisonnablement mettre à la charge des éleveurs. Certes, il y aurait abus de droit dans
l' hypothèse où les centres agiraient de la manière décrite par la Commission, à savoir s' ils facturaient des frais supplémentaires qui n' ont pas réellement été encourus. Mais ce risque d' abus n' est pas de nature telle que le droit de facturer des frais supplémentaires soit en tant que tel contraire à l' article 90, paragraphe 1, combiné avec l' article 86. Les règles françaises ne constituent pas une instigation, dans le chef des centres, à agir de la sorte.
44. Il est difficile de considérer que l' exigence d' une demande individuelle et écrite d' un éleveur qui souhaite que le centre local procède à l' achat de semences auprès d' autres fournisseurs que le ou les fournisseurs attitrés du centre ait pour conséquence que le régime français soit contraire au traité. Cette exigence ne paraît pas spécialement pesante et elle ne s' applique, d' après les indications mêmes de la Commission, que si l' éleveur souhaite avoir l' assistance du centre et ne
procède pas lui-même à l' achat ° le cas échéant, par l' intermédiaire des entreprises commerciales qui, d' après les informations fournies, existent effectivement en France et qui procèdent à l' importation de semences en provenance d' autres pays.
45. Nous considérons, dans ces conditions, qu' on ne peut pas, en l' état actuel du dossier, supposer que les aspects du régime examinés dans le cadre de la présente affaire conduisent à un abus de la position dominante des centres impliquant une violation de l' article 90, paragraphe 1, du traité, conjointement avec l' article 86 (20).
La règle relative au stockage de semence est-elle contraire à l' article 30 du traité?
46. La seconde des questions déférées tourne autour du point de savoir si l' article 30 du traité, envisagé conjointement avec l' article 36 et certaines dispositions de directives, doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à une règle nationale "qui impose aux opérateurs économiques importants des semences provenant d' un État membre de la Communauté de les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé" en vue de leur stockage au centre.
47. A l' origine de cette question se trouve, sans nul doute, l' obligation de l' importateur découlant de la disposition, citée au point 19, contenue à l' article 10 de l' arrêté de 1969.
48. Les dispositions de la directive envisagées dans la question sont l' article 2 de la directive 77/504 et l' article 4 de la directive 87/328/CEE qui, ainsi qu' il a été indiqué, prévoit que les États membres veillent à ce que, pour les échanges intracommunautaires, la semence soit récoltée, traitée et stockée dans un centre d' insémination officiellement agréé.
49. Dans les observations qui précèdent, nous avons tenu pour établi que l' exigence litigieuse a pour but d' assurer une conservation sans risque de la semence importée dans des centres agréés et que cette exigence trouve son pendant dans une exigence analogue en ce qui concerne la semence produite et commercialisée en France. Il s' agit également d' une exigence qui trouve un appui dans l' article 4, que nous venons de mentionner, de la directive 87/328. On ne peut pas dans ces conditions tenir
cette exigence pour contraire aux dispositions pertinentes de la directive.
50. De même, on ne saurait tenir cette exigence pour contraire à l' article 30.
51. Une obligation de stockage telle que celle en cause dans la présente affaire n' est pas apte à entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, au sens de la jurisprudence Dassonville (arrêt du 11 juillet 1974, 8/74, Rec. p. 837), pourvu qu' elle s' applique à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu' elle affecte de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des
produits nationaux et ceux en provenance d' autres États membres (21).
52. Selon les renseignements qui ont été fournis, l' obligation s' applique à tous les opérateurs concernés et aucune information n' a été fournie qui donne à penser que cette exigence affecte différemment la commercialisation de semence en provenance d' autres États membres, par rapport à la semence produite dans le pays même. On ne peut pas non plus exclure que cette exigence ° même si on pouvait faire apparaître des différences de fait quant aux incidences ° peut être justifiée par des raisons d'
ordre zootechnique et sanitaire, qui, ainsi qu' il a été indiqué, sont à l' origine même de cette exigence (22).
Conclusion
53. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions de la Cour de cassation comme suit:
"L' article 90, paragraphe 1, envisagé conjointement avec l' article 86, du traité CEE doit être interprété en ce sens qu' il ne s' oppose pas à ce qu' une législation nationale institue des centres de mise en place de la semence seuls habilités à intervenir dans une zone déterminée et leur réserve la faculté de facturer des frais supplémentaires lorsque ces éleveurs se trouvent dans la zone où le centre a une compétence exclusive et demandent la fourniture de semences provenant de centres de
production agréés de leur choix.
L' article 30 du traité et l' article 2 de la directive 77/504/CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, ainsi que l' article 4 de la directive 87/328/CEE du Conseil, du 18 juin 1987, doivent être interprétés en ce sens qu' ils ne s' opposent pas à une réglementation nationale qui impose aux opérateurs économiques important des semences en provenance d' un État membre de la Communauté de les livrer à un centre de mise en place ou de production agréé."
(*) Langue originale: le danois.
(1) - Journal officiel de la République française du 29.12.1966, p. 11619.
(2) - Le Centre de la Crespelle a fait valoir que le monopole géographique était contraire aux articles 3, 5, 85, 30 et 59 du traité CEE. La cour d' appel a rejeté ce moyen en déclarant
° premièrement, que l' article 85 du traité est inapplicable puisque la mesure susceptible de fausser la concurrence se trouve ancrée, non dans un accord, mais dans une loi;
° deuxièmement, que l' article 85, ensemble avec les articles 3 et 5, ne peut pas s' appliquer puisque la loi ne contient aucune disposition qui encourage la conclusion d' accords entre entreprises contraires à l' article 85;
° troisièmement, que l' article 30 est inapplicable puisque la législation française ne fait pas obstacle à l' importation de semences de taureaux mais prévoit simplement que l' importation doit se faire par l' intermédiaire de centres de mise en place et que cette exigence est conforme aux directives communautaires en la matière, et
° quatrièmement, que l' article 59 est inapplicable puisque l' affaire concerne une situation purement interne et ne comporte donc aucun élément d' extranéité.
(3) - JO L 206, p. 8.
(4) - JO L 167, p. 54.
(5) - Voir rapport de la commission de la production présenté lors de l' examen du projet de loi devant l' Assemblée nationale ° Documents de l' Assemblée nationale, première session ordinaire de 1966-1967, document n 2168, p. 909.
(6) - La sélection des bovins reproducteurs a abouti, dans tous les pays, à une amélioration tout à fait remarquable des capacités de production du cheptel, tant en ce qui concerne le lait que la viande. La mise en place, qui n' a connu son plein développement qu' après la deuxième guerre mondiale, a très largement contribué au succès de la sélection du cheptel. Il est particulièrement important que la semence bovine puisse être congelée et conservée durant de longues périodes, ce qui rend possible
l' utilisation de la semence d' un seul taureau aux fins de la mise en place dans un très grand nombre de cas ° en pratique, d' ores et déjà plus de 10 000 mises en place par an.
(7) - JORF du 23.3.1969, p. 2948.
(8) - Le gouvernement a indiqué que les centres agréés de mise en place des semences sont exclusivement des sociétés coopératives agricoles, régies par la loi du 10 septembre 1947... Conformément à l' article L 521.1 du code rural, il s' agit donc de groupements distincts, tant des sociétés civiles que des sociétés commerciales, ayant pour objet l' utilisation en commun par des agriculteurs de tous les moyens propres à faciliter ou à développer leur activité. Leur objectif n' est donc pas de
réaliser des bénéfices mais d' offrir aux adhérents des conditions avantageuses d' approvisionnement et de commercialisation.
(9) - Rapport de la commission des affaires économiques présenté lors de l' examen du projet de loi au Sénat ° Documents de l' Assemblée générale nationale, Sénat, première session ordinaire de 1966-1967, document n 63, p. 33.
(10) - A l' annexe 3 des observations du gouvernement français, on signale que si dans la pratique, la grande majorité des inséminations artificielles sont réalisées par des salariés inséminateurs de la coopérative agréée, la réglementation permet aux éleveurs eux-mêmes, dans leur propre élevage (arrêté du 1er juin 1978, modifié par l' arrêté du 31 mai 1983), et aux vétérinaires (arrêté du 21 novembre 1991) de pratiquer l' insémination sous réserve d' un accord contractuel avec le centre de mise en
place de la zone considérée. La réglementation permet de veiller à ce qu' en permanence le contrôle (zootechnique et sanitaire) de la mise en place dans une zone donnée soit assurée par le chef de centre de mise en place.
(11) - Voir à cet égard les explications fournies par le gouvernement français, telles qu' elles sont mentionnées au point 12 de l' arrêt dans l' affaire 161/82, Commission/France, citée ci-après.
(12) - JORF du 30.4.1969, p. 4349.
(13) - Article 2 de l' arrêté du 24 janvier 1989, JORF du 31.1.1989, p. 1469.
(14) - L' article 12 de l' arrêté dispose que:
Chaque centre de mise en place doit souscrire des contrats avec un ou plusieurs centres de production.
Les contrats doivent garantir la régularité des approvisionnements en semence de la zone concernée, compte tenu des besoins qui s' y manifestent, et pour des périodes d' une durée suffisante pour mener à bien les opérations de mise à l' épreuve.
Ces contrats doivent contenir l' engagement pris par le centre de mise en place de participer à des programmes de mise à l' épreuve mis en oeuvre par les centres de production auxquels il se lie. Cet engagement tient compte des possibilités qu' offre la zone pour l' application de programmes de mise à l' épreuve et d' une estimation des besoins à moyen terme de la zone en reproducteurs agréés.
(15) - Il résulte du rapport d' expert qui sous-tend le calcul de l' indemnisation dans l' affaire au principal que la CEIAM a procédé en 1987 à plus d' un quart de million de mises en place et que le Centre de la Crespelle a procédé, la même année, à environ 100 000 mises en place dans le seul département de la Mayenne.
(16) - Rec. p. 2079 et p. 2057.
(17) - Dans le cadre de l' application de l' article 90, paragraphe 1, l' article 5 du traité n' a pas d' importance autonome.
(18) - Voir, entre autres, arrêt du 19 mai 1993, Corbeau (C-320/91, Rec. p. I-2533).
(19) - Arrêts du 23 avril 1991, Rec. p. I-1979, et du 10 décembre 1991, Rec. p. I-5889.
(20) - Il n' est pas nécessaire, dans ces conditions, de se prononcer sur le point de savoir si les centres détiennent une position dominante dans une partie substantielle du marché commun et si l' abus de position dominante affecte le commerce entre États membres. Au cas où la Cour parviendrait à un résultat autre que celui que nous proposons, il y a lieu de mentionner le fait que les centres de mise en place, considérés isolément, ne détiennent sûrement pas une position dominante dans une partie
substantielle du marché commun, mais qu' en revanche, considérés globalement, ils détiennent assurément une telle position, et qu' au cas où on considérerait que le régime français engendre un tel abus, il conviendrait d' examiner l' effet global des droits exclusifs du centre, ce qui amènerait à la conclusion que la condition visée à l' article 86 est remplie à cet égard. Si la Cour estime que le régime engendre des abus, elle fondera assurément cette conclusion, entre autres, sur l' effet
restrictif quant à la possibilité pour les éleveurs d' obtenir de la semence de sources alternatives, d' où la conclusion que la condition de l' article 86 relative au commerce intracommunautaire est également remplie.
(21) - Cette exigence doit donc à notre sens être considérée comme l' une des exigences ne pouvant, selon l' arrêt de la Cour du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I-6097), être considérée comme entravant le commerce au sens de l' article 30 que si les conditions susmentionnées ne sont pas réunies. Il ne s' agit pas de l' une des exigences relevant de la jurisprudence de la Cour Cassis de Dijon, selon laquelle constituent des mesures d' effet équivalent, interdites
par l' article 30, les obstacles à la libre circulation des marchandises résultant, en l' absence d' harmonisation des législations, de l' application à des marchandises en provenance d' autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur
conditionnement), même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d' intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises. (point 15).
(22) - La Commission a fait valoir que l' exigence d' une demande écrite et individuelle adressée au centre, au cas où l' éleveur souhaite un fournisseur autre que le fournisseur attitré du centre, et le droit, pour le centre, de facturer des frais supplémentaires sont susceptibles de constituer une infraction à l' article 30 du traité. La Commission n' a pas fourni d' éléments qui donnent à penser que de telles modalités constituent des entraves au commerce intracommunautaire en violation de l'
article 30. Pour les raisons citées ci-dessus, nous estimons, sur la base des informations disponibles relativement à l' interprétation et à l' application des règles, que les règles françaises à cet égard ne sont pas contraires à l' article 30.