ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
30 novembre 1994 ( *1 )
«Fonctionnaires — Examen médical d'embauché — Non-concordance entre la réclamation et le recours — Irrecevabilité»
Dans l'affaire T-588/93,
G, ancienne fonctionnaire stagiaire de la Commission des Communautés européennes, représentée par M" Michel Graindorge et Michel Fourman, avocats au barreau de Bruxelles,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. Joseph Griesmar, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Benoît Cambier, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet l'annulation de la décision de la Commission du 30 septembre 1993, rejetant la réclamation de la requérante dirigée contre la décision de la Commission du 31 mars 1993 de retirer sa décision du 1er septembre 1992 nommant la requérante en qualité de fonctionnaire stagiaire de la Commission,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
composé de MM. K. Lenaerts, président, R. Schintgen et R. Garcia-Valdecasas, juges,
greffier: M. H. Jung,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 26 octobre 1994,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du recours
1 Au cours de l'année 1986, la requérante a été engagée en qualité de secrétaire dans un hôpital de Bruxelles. Elle y a exercé ses fonctions jusqu'au mois de septembre 1992.
2 Le 28 avril 1992, la requérante a fait l'objet, à la suite d'incidents liés à ses prestations professionnelles, d'une mise en observation sur décision d'un médecin étranger à l'hôpital où elle travaillait. Cette mesure a été mise en œuvre conformément à la loi belge du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux. Elle a ensuite été internée dans le service psychiatrique d'un autre hôpital bruxellois jusqu'au 5 mai 1992.
3 Le 10 août 1992, étant lauréate d'un concours général de recrutement organisé par la Commission, la requérante a subi l'examen médical d'embauché prévu à l'article 33 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après«statut»). A cette occasion, un formulaire de renseignements lui a été remis. Ce formulaire comprenait, notamment, les mentions suivantes:
«Avez-vous été atteint des maladies ou troubles suivants:
...
du système nerveux — organique...
— psychique...»
ll se terminait par la mention suivante: «Je soussigné(e) déclare sur l'honneur que les renseignements que j'ai portés sur le présent formulaire sont véridiques et complets sous peine de nullité de l'examen médical d'embauché.»
4 La requérante s'est abstenue de mentionner sur ledit formulaire sa mise en observation, son internement et le fait que, suite à «une dépression réactionnelle à un surmenage dans son travail en décembre 1991 et janvier 1992», elle avait consulté le D' D., neuropsychiatre, «afin de l'aider à vite se remettre de son état de fatigue» (réplique p. 3).
5 Le 19 août 1992, le médecin-conseil de la Commission a rendu un avis favorable quant à l'aptitude physique de la requérante pour exercer ses fonctions.
6 Le 1er septembre 1992, la requérante a été nommée fonctionnaire stagiaire avec effet immédiat. Elle a été affectée à la direction générale Concurrence (DG IV).
7 Le 4 septembre 1992, la requérante a présenté un certificat médical attestant une incapacité de travail jusqu'au 30 septembre 1992. A cette date, le médecin-contrôleur, après avoir constaté que le congé de maladie était justifié, a conclu à la possibilité de reprendre le travail dès le lendemain. Le 1er octobre 1992, la requérante a déposé un nouveau certificat attestant une incapacité de travail jusqu'au 30 octobre 1992. Le 7 octobre 1992, le médecin-contrôleur a estimé que la requérante était
apte à travailler à mi-temps dès le 12 octobre et à temps plein à partir du 1er novembre 1992. A la mi-octobre 1992, la requérante a produit un second certificat médical la déclarant inapte au travail jusqu'au 30 octobre 1992.
8 Le 20 octobre 1992, le médecin-chef du service médical de la Commission a fait savoir à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») que Mme G «a celé, lors de son examen d'embauche, une pathologie dont elle souffrait antérieurement à son embauche par l'institution et qui est la même, récurrente, qui motive son incapacité actuelle. Le formulaire d'embauché montre clairement cette omission».
9 La requérante a repris le travail le 1er novembre 1992.
10 Le 11 novembre 1992, l'AIPN a déclaré nul et non avenu l'examen médical d'embauché du 10 août 1992 et a invité la requérante à se soumettre à un nouvel examen médical, au motif qu'elle avait caché l'existence d'une pathologie antérieure à son entrée en service à la Commission, susceptible de la rendre inapte à exercer ses fonctions. Cette décision a été notifiée à la requérante par lettre du 12 novembre, reçue le 18 novembre 1992.
11 Par lettre du 15 décembre 1992, la requérante a fait part à l'AIPN de son étonnement, de ce que, étant en bonne santé au moment de l'examen médical du 10 août 1992, elle n'aurait eu aucune raison de dissimuler une maladie quelconque et l'a informée qu'elle était prête à se soumettre à un nouvel examen médical.
12 Le 12 janvier 1993, la requérante s'est soumise à un nouvel examen médical d'embauché, conformément à l'article 33 du statut.
13 Le 17 février 1993, le médecin-conseil de la Commission chargé d'examiner la requérante a rendu un avis négatif. Cet avis a été notifié à la requérante le 24 février 1993.
14 Par lettre du 24 février 1993, la requérante a, d'une part, contesté «formellement la décision d'annuler la première visite médicale d'embauché ainsi que les deux rapports négatifs de la deuxième visite médicale» et, d'autre part, demandé que son cas «soit soumis à la commission médicale» prévue par l'article 33, deuxième alinéa, du statut.
15 Le 12 mars 1993, la commission médicale, composée de trois médecins, a entendu la requérante, assistée du médecin de son choix. Cette commission a confirmé l'avis selon lequel la requérante n'était pas apte à exercer un emploi de dactylographe auprès de la Commission.
16 Le 31 mars 1993, l'AIPN a décidé de retirer la nomination de la requérante en qualité de fonctionnaire stagiaire en date du 1er septembre 1992.
17 Le 7 avril 1993, la requérante a introduit une réclamation, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, à l'encontre de la décision de l'AIPN du 31 mars 1993 portant retrait de sa nomination. La partie pertinente de la réclamation, signée par l'avocat de la requérante, est rédigée comme suit: «Ma cliente m'a demandé formellement d'interjeter appel de cette décision sur base de l'article 90. J'introduis le présent recours dans le délai de trois mois et par voie recommandée. Ma cliente
conteste les appréciations médicales qui ont été formulées à son égard et maintient qu'elle est en excellente santé. A toute fin, elle signale qu'elle a été amenée à déposer plainte du chef d'atteinte à sa liberté individuelle sur base de l'article 434 du code pénal et ce contre notamment deux médecins de l'hôpital (où elle travaillait). Je me suis constitué partie civile en son nom devant le juge d'instruction le 2 mars 1993.»
18 Le 24 juin 1993, la requérante, assistée de son conseil, a été entendue par les fonctionnaires chargés d'instruire sa réclamation et a déposé un rapport d'examen mental daté du 23 juin 1993. Le 9 juillet 1993, une lettre de l'auteur de ce rapport, datée du 29 juin 1993 et précisant la portée de celui-ci, a été transmise à la Commission.
19 Le 30 septembre 1993, la Commission a rejeté la réclamation de la requérante essentiellement pour les motifs suivants: ce serait à la suite des déclarations inexactes de la requérante que celle-ci a dû repasser l'examen médical d'embauché puisque le précédent examen était nul et non avenu; le retrait de l'avis médical d'aptitude initial n'aurait pas fait l'objet d'une réclamation dans le délai imparti et serait, par conséquent, devenu définitif; la commission médicale, seule compétente pour
apprécier l'état de santé de la requérante, ayant rendu un avis médical défavorable, au terme d'une procédure dont la requérante ne conteste pas la régularité, la Commission n'aurait pu que constater que la requérante ne remplissait pas les conditions imposées par l'article 28, sous e), du statut et aurait retiré, en conséquence, sa nomination comme fonctionnaire stagiaire.
20 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 décembre 1993, la requérante a introduit le présent recours.
21 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l'audience du 26 octobre 1994.
Conclusions des parties
22 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— annuler la décision explicite de rejet de sa réclamation adoptée par la Commission le 30 septembre 1993;
— appliquer les articles 33 et 34 du statut;
— réintégrer la requérante dans sa fonction de fonctionnaire stagiaire à la DG IV de la Commission.
Au stade de la réplique, la requérante a conclu, en outre, à ce qu'il plaise au Tribunal:
— statuer sur les dépens comme de droit.
La Commission conclut, pour sa part, à ce qu'il plaise au Tribunal:
— rejeter le recours comme irrecevable ou, à tout le moins, comme non fondé;
— statuer sur les dépens comme de droit.
Exposé sommaire des moyens et arguments des parties
23 La requérante invoque quatre moyens à l'appui de son recours. Le premier est pris de la violation de l'article 34 du statut, en ce que la Commission aurait décidé, le 11 novembre 1992, d'annuler l'avis médical du 10 août 1992 au lieu de prolonger son stage pour une période correspondant à celle pendant laquelle elle avait été empêchée d'exercer ses fonctions par suite de maladie. Le deuxième moyen est tiré d'une violation du secret médical, en ce que la décision de rejet de la réclamation
cautionnerait une décision de l'AIPN fondée sur des informations recueillies en dehors de toute procédure légale et en violation du secret médical. Le troisième moyen est pris de la violation de l'article 28, sous e), du statut, en ce que, en faisant subir à la requérante un second examen médical postérieur de plusieurs mois à son entrée en fonction, la Commission ferait retroagir cet examen, alors que cette disposition requerrait que l'examen médical soit antérieur à l'entrée en fonction. Le
dernier moyen est tiré du non-respect du premier avis médical du 10 août 1992 par la décision du 11 novembre 1992, en ce que cette dernière remettrait en cause les appréciations médicales du premier avis médical sans pouvoir se fonder sur un autre avis médical puisque celui-ci n'est intervenu que le 12 janvier 1993.
24 Elle fait valoir, en outre, que le recours est recevable étant donné que la demande de saisine de la commission médicale qu'elle a introduite le 24 février 1993, conformément à l'article 33, deuxième alinéa, du statut, et la réclamation qu'elle a introduite le 7 avril 1993, conformément à l'article 90, paragraphe 2, du statut, ainsi que le présent recours ont «la même cause, à savoir l'annulation du premier avis médical, la même motivation, à savoir que la requérante ne souffre d'aucune maladie
ou trouble du système nerveux, et le même objet, à savoir la réintégration de la requérante en tant que fonctionnaire stagiaire à la Commission».
25 La Commission soutient que le recours est irrecevable pour deux motifs. D'une part, aucun des moyens invoqués à l'appui de celui-ci dans la requête n'aurait été soulevé dans la réclamation ni ne s'y rattacherait étroitement. En effet, dans ses réclamations du 24 février et du 7 avril 1993, la requérante se serait bornée à contester «les appréciations médicales qui ont été formulées à son égard» et à maintenir «qu'elle est en excellente santé». D'autre part, tous ces moyens auraient trait non à la
légalité de la décision du 31 mars 1993 de retirer la nomination de la requérante, mais à la légalité de la décision du 11 novembre 1992, laquelle n'aurait pas fait l'objet d'une réclamation dans le délai imparti, alors même qu'il s'agissait d'un acte faisant grief à la requérante, et qui serait donc devenue définitive.
Appréciation du Tribunal
26 Le Tribunal constate, à titre liminaire, qu'il est incompétent pour connaître des conclusions de la requérante tendant à la voir réintégrée «dans sa fonction de fonctionnaire stagiaire à la DG IV de la Commission». En effet, il est de jurisprudence constante que le Tribunal n'a pas compétence pour prononcer des injonctions dans le cadre d'un contrôle de légalité fondé sur l'article 91 du statut (arrêt de la Cour du 27 avril 1989, Turner/Commission, 192/88, Rec. p. 1017, et arrêt du Tribunal du 9
juin 1994, X/Commission, T-94/92, RecFP p. II-481, point 33).
27 Le Tribunal rappelle, ensuite, qu'il est également de jurisprudence constante que la recevabilité des recours de fonctionnaires est subordonnée au respect de la procédure précontentieuse qui a pour objet de permettre un règlement amiable des différends surgis entre les fonctionnaires ou agents et l'administration et que, pour qu'une telle procédure puisse atteindre son objectif, il faut que 1'AIPN soit en mesure de connaître de façon suffisamment précise les critiques que les intéressés formulent
à l'encontre de la décision contestée (arrêt du Tribunal du 29 mars 1990, Alexandrakis/Commission, T-57/89, Rec. p. II-143, point 8).
28 Force est de constater, en l'espèce, que durant la procédure précontentieuse la requérante s'est bornée à contester les appréciations médicales qui ont été formulées à son égard, indiquant, dans sa lettre du 15 décembre 1992: «Au moment de l'examen médical du 10 août 1992, j'étais en bonne santé; je n'avais aucune raison de dissimuler une maladie quelconque»; soulignant, dans sa lettre du 24 février 1993: «Je conteste formellement la décision d'annuler la première visite d'embauché ainsi que les
deux rapports négatifs de la deuxième visite médicale. Toutefois, j'accepte par la présente que mon cas soit soumis à la commission médicale dans les plus brefs délais. Je tiens à vous préciser que je suis en très bonne santé. Aujourd'hui encore avant de recevoir votre note, j'ai assumé mes responsabilités de secrétaire à la DG IV-E-4-Concurrence sans aucun problème...»; répétant, dans la réclamation du 7 avril 1993, rédigée par son avocat: «Ma cliente conteste les appréciations médicales qui ont
été formulées à son égard et maintient qu'elle est en excellente santé»; ajoutant dans le même document: «A toute fin, elle signale qu'elle a été amenée à déposer plainte du chef d'atteinte à sa liberté individuelle sur base de l'article 434 du code pénal et ce contre notamment deux médecins de l'hôpital (où elle travaillait). Je me suis constitué partie civile en son nom devant le juge d'instruction le 2 mars 1993» et y joignant, notamment, un rapport d'expertise mentale daté du 23 juin 1993.
29 Le Tribunal constate donc que la réclamation de la requérante, même lue à la lumière de ses lettres des 15 décembre 1992 et 24 février 1993, ne se réfère à aucun des moyens invoqués à l'appui de la requête et ne contient aucun élément dont la défenderesse aurait pu déduire, même en s'efforçant d'interpréter cette réclamation et ces lettres dans un esprit d'ouverture, que la requérante entendait invoquer l'un des chefs de contestation développés dans les quatre moyens invoqués à l'appui de sa
requête.
30 Le bien-fondé de cette analyse est corroboré par le fait que, alors même qu'elle avait indiqué que ses moyens s'inscrivaient dans l'esprit de la réclamation, la requérante a, lors de l'audience, reconnu que «les moyens invoqués dans la requête n'ont pas de lien concret avec la réclamation».
31 Chacun des moyens invoqués à l'appui du recours étant irrecevable, le recours doit être rejeté comme irrecevable dans sa totalité.
32 Au surplus, le Tribunal relève que, si le seul chef de contestation contenu dans la réclamation de la requérante, à savoir la contestation des «appréciations médicales qui ont été formulées à son égard», était couvert par la requête, il y aurait lieu de rappeler qu'il résulte d'une jurisprudence constante que le Tribunal est incompétent pour connaître des appréciations qui relèvent du domaine médical, son contrôle étant limité aux questions relatives à la constitution et au fonctionnement
régulier de la commission médicale (arrêts du Tribunal X/Commission, précité, points 39 à 41, du 14 avril 1994, A/Commission, T-10/93, Rec. p. II-179, point 61, et du 27 octobre 1994, C/Commission, T-47/93, RecFP p. II-0000, point 47). Or, à ce dernier égard, aucune critique n'a été formulée en l'espèce, ainsi que la requérante l'a confirmé lors de l'audience.
33 Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
34 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Chaque partie supportera ses propres dépens.
Lenaerts
Schintgen
Garcia-Valdecasas
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 novembre 1994.
Le greffier
H. Jung
Le président
K. Lenaerts
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( *1 ) Langue de procédure: le français.