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61993J0306
Arrêt de la Cour du 13 décembre 1994. - SMW Winzersekt GmbH contre Land Rheinland-Pfalz. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Mainz - Allemagne. - Renvoi préjudiciel - Appréciation de validité - Désignation des vins mousseux - Interdiction de la référence à la méthode d'élaboration dite 'méthode champenoise'. - Affaire C-306/93.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-05555
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
++++
1. Questions préjudicielles ° Compétence de la Cour ° Limites ° Question manifestement dénuée de pertinence
(Traité CEE, art. 177)
2. Agriculture ° Organisation commune des marchés ° Vin ° Désignation et présentation des vins ° Vins mousseux ° Mention de la méthode d' élaboration dite "méthode champenoise" ° Interdiction pour des vins n' ayant pas droit à l' appellation contrôlée "champagne" ° Droit de propriété ° Libre exercice des activités professionnelles ° Égalité de traitement ° Violation ° Absence ° Pouvoir d' appréciation des institutions
(Règlement du Conseil n 2333/92, art. 6, § 5, alinéas 2 et 3)
Sommaire
1. Lorsqu' une question sur la validité d' un acte pris par les institutions de la Communauté est soulevée devant une juridiction nationale, c' est à cette juridiction de juger si une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement et, partant, de demander à la Cour de statuer sur cette question. Il incombe alors à celle-ci, dans le cadre de la coopération étroite avec les juridictions nationales établie par l' article 177 du traité, de répondre à la question posée par la juridiction
nationale, sauf s' il lui apparaissait que la question posée n' a aucun lien avec la réalité ou l' objet du litige au principal.
2. L' interdiction d' utiliser la référence à la méthode d' élaboration dite "méthode champenoise" pour des vins n' ayant pas droit à l' appellation contrôlée "champagne", qu' édicte l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement n 2333/92, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés, ne saurait être considérée comme une atteinte à un prétendu droit de propriété d' un producteur de vin déterminé,
dès lors que la mention "méthode champenoise" est une indication qui, avant l' adoption dudit règlement, pouvait être utilisée par tous les producteurs de vins mousseux.
Elle ne porte pas davantage atteinte à la substance même du droit au libre exercice d' une activité professionnelle des producteurs de vin devant à l' avenir renoncer à l' usage de ladite référence puisqu' elle n' affecte que les modalités d' exercice d' un tel droit sans en mettre en péril l' existence même et est donc admissible, pour autant qu' elle vise à atteindre un objectif d' intérêt général, qu' elle n' affecte pas de manière disproportionnée la situation desdits producteurs et entre, de ce
fait, à l' intérieur de la marge d' appréciation dont dispose le Conseil en matière de politique agricole commune.
A cet égard, il apparaît que, pour atteindre l' objectif d' intérêt général que constitue la protection des appellations d' origine ou des indications de provenance géographique des vins, le Conseil pouvait considérer comme essentielles, d' une part, une information précise du consommateur final et, d' autre part, l' impossibilité pour un producteur de tirer profit, pour son propre produit, d' une réputation établie pour un produit similaire par les producteurs d' une autre région, ce qui impliquait
l' interdiction qu' il a posée, en l' assortissant d' ailleurs, pour tenir compte de la situation des producteurs qui devaient s' y plier, de mesures transitoires et de la possibilité de recourir à des mentions alternatives.
L' interdiction en cause ne constitue par ailleurs pas une atteinte au principe d' égalité, dans la mesure où le fait pour certains producteurs d' être titulaires du droit à l' appellation contrôlée "champagne" constitue un élément objectif justifiant une différence de traitement par rapport aux producteurs de vins mousseux.
Parties
Dans l' affaire C-306/93,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Verwaltungsgericht Mainz (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
SMW Winzersekt GmbH
et
Land Rheinland-Pfalz,
une décision à titre préjudiciel sur la validité de l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement (CEE) n 2333/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés (JO L 231, p. 9),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, F. A. Schockweiler et P. J. G. Kapteyn, présidents de chambre, G. F. Mancini, C. N. Kakouris, J. C. Moitinho de Almeida et J. L. Murray (rapporteur), juges,
avocat général: M. C. Gulmann,
greffier: M. H. A. Ruehl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
° pour la Firma SMW Winzersekt GmbH, par Me Gert Meier, avocat à Cologne,
° pour le gouvernement français, par M. Jean-Louis Falconi, secrétaire des Affaires étrangères à la direction des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et par Mme Catherine de Salins, conseiller des Affaires étrangères au même ministère, en qualité d' agents,
° pour le Conseil de l' Union européenne, par MM. Bernhard Schloh et Arthur Brautigam, conseillers juridiques, en qualité d' agents,
° pour la Commission des Communautés européennes, par M. Ulrich Woelker, membre du service juridique, en qualité d' agent,
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les observations orales de la Firma SMW Winzersekt GmbH, du gouvernement français, du Conseil de l' Union européenne et de la Commission des Communautés européennes à l' audience du 7 juin 1994,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 13 juillet 1994,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par ordonnance du 25 mars 1993, parvenue à la Cour le 4 juin suivant, le Verwaltungsgericht Mainz a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur la validité de l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement (CEE) n 2333/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés (JO L 231, p. 9, ci-après le "règlement n 2333/92").
2 Cette question a été posée dans le cadre d' un litige qui oppose la Firma SMW Winzersekt GmbH (ci-après "Winzersekt") au Land Rheinland-Pfalz à propos de l' utilisation de la mention "Flaschengaerung im Champagnerverfahren" (fermentation traditionnelle en bouteille selon la méthode champenoise) pour désigner certains vins mousseux de qualité produits dans une région déterminée (ci-après "v.m.q.p.r.d.") après le 31 août 1994.
3 A la suite de nombreuses modifications du règlement (CEE) n 3309/85 du Conseil, du 18 novembre 1985, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés (JO L 320, p. 9, ci-après le "règlement n 3309/85"), a été adopté le règlement n 2333/92.
4 Selon le deuxième considérant de ce dernier règlement, le but de toute désignation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés est de fournir des informations aussi exactes et aussi précises que nécessaire pour l' appréciation des produits concernés par le consommateur final et par les organismes publics chargés de la gestion et du contrôle du commerce de ces produits.
5 Son dixième considérant expose que les dispositions particulières relatives aux vins de qualité produits dans des régions déterminées (ci-après "v.q.p.r.d.") sont établies par le règlement (CEE) n 823/87 du Conseil, du 16 mars 1987, établissant des dispositions particulières relatives aux vins de qualité produits dans des régions déterminées (JO L 84, p. 59), et que ces dispositions précisent les règles d' utilisation des noms d' une région déterminée pour la désignation des v.q.p.r.d., y compris
les v.m.q.p.r.d. En conformité avec ces règles, seul le nom géographique d' une aire viticole produisant des vins qui possèdent des caractéristiques qualitatives particulières peut être utilisé pour désigner un v.m.q.p.r.d..
6 Le vingt-deuxième considérant de ce même règlement expose enfin que doit être prévue la possibilité d' adopter des dispositions transitoires, notamment pour permettre l' écoulement des produits dont la désignation est effectuée conformément aux dispositions nationales applicables avant l' entrée en vigueur du règlement n 2333/92, qui ne seraient pas conformes aux nouvelles dispositions communautaires.
7 Ces objectifs sont mis en oeuvre notamment par l' article 6 du règlement n 2333/92, qui coïncide pour l' essentiel avec l' article 6 du règlement n 3309/85. Cet article prévoit, entre autres:
"1. Le nom d' une unité géographique, autre qu' une région déterminée, plus petite qu' un État membre ou qu' un pays tiers, ne peut être utilisé que pour compléter la désignation d' un:
° v.m.q.p.r.d.,
...
L' utilisation de cette indication n' est admise que si:
a) elle est conforme aux dispositions de l' État membre ou du pays tiers dans lequel l' élaboration du vin mousseux a eu lieu;
b) l' unité géographique en question est délimitée exactement;
c) tous les raisins à partir desquels ce produit a été obtenu proviennent de cette unité géographique, à l' exception des produits contenus dans la liqueur de tirage ou dans la liqueur d' expédition;
d) en ce qui concerne un v.m.q.p.r.d., cette unité géographique est située à l' intérieur de la région déterminée dont ce vin porte le nom;
...
4. L' indication des mentions 'fermentation en bouteille selon la méthode traditionnelle' ou 'méthode traditionnelle' ou 'méthode classique' ou 'méthode traditionnelle classique' ainsi que des mentions résultant d' une traduction de ces termes ne peut être utilisée que pour la désignation d' un:
° v.m.q.p.r.d.,
...
L' utilisation d' une des mentions visées au premier alinéa n' est admise que si le produit mis en oeuvre:
a) a été rendu mousseux par deuxième fermentation alcoolique en bouteille;
b) s' est trouvé sans interruption sur lies pendant au moins neuf mois dans la même entreprise à partir de la constitution de la cuvée;
c) a été séparé des lies par dégorgement.
5. L' indication d' une mention relative à une méthode d' élaboration comportant le nom d' une région déterminée ou d' une autre unité géographique, ou d' un terme dérivé d' un de ces noms, ne peut être utilisée que pour la désignation d' un:
° v.m.q.p.r.d.,
...
Cette mention n' est admise que pour la désignation d' un produit ayant droit à une indication géographique visée au premier alinéa.
Toutefois, la référence à la méthode d' élaboration dite 'méthode champenoise' , pour autant qu' elle était d' usage traditionnel, peut être utilisée en association avec une mention équivalente relative à cette méthode d' élaboration pendant cinq campagnes viticoles à partir du 1er septembre 1989 pour des vins n' ayant pas droit à l' appellation contrôlée 'Champagne' .
L' utilisation d' une mention visée au troisième alinéa n' est admise en outre que si les conditions visées au paragraphe 4, deuxième alinéa, sont respectées."
8 Winzersekt est une association de viticulteurs qui élaborent du vin mousseux à partir de vins de la région de culture Mosel-Saar-Ruwer selon un procédé dit "méthode champenoise", ce qui signifie notamment que la fermentation se produit dans la bouteille et que la séparation des lies de la cuvée se fait par dégorgement. Les v.m.q.p.r.d. ainsi produits sont commercialisés sous la désignation "Flaschengaerung im Champagnerverfahren" (fermentation en bouteille selon la méthode champenoise) ou
"klassische Flaschengaerung ° méthode champenoise" (fermentation classique en bouteille ° méthode champenoise).
9 Par jugement définitif du 2 février 1989, le Verwaltungsgericht Mainz a constaté que Winzersekt était en droit d' utiliser dans les désignations précitées la mention "méthode champenoise" pour ses produits conformes aux exigences de la fermentation traditionnelle en bouteille jusqu' au 31 août 1994.
10 Le 7 janvier 1992, Winzersekt a demandé au ministère de l' Agriculture, de la Viticulture et des Forêts du Land Rheinland-Pfalz un "avis contraignant" sur la licéité de l' utilisation de la désignation "Flaschengaerung im Champagnerverfahren" au-delà du 31 août 1994. Par décision du 15 janvier 1992, le ministère, se référant au jugement du Verwaltungsgericht Mainz du 2 février 1989, a constaté que, en application de l' article 6, paragraphe 5, du règlement n 3309/85, l' utilisation de la mention
en question ne saurait être autorisée au-delà du 31 août 1994.
11 Le 4 février 1992, Winzersekt a déposé un recours devant le Verwaltungsgericht Mainz visant à faire reconnaître qu' elle était également en droit d' utiliser cette désignation après cette date. Estimant que l' issue du recours dépendait de la validité des deuxième et troisième alinéas de l' article 6, paragraphe 5, du règlement n 2333/92, la première chambre du Verwaltungsgericht Mainz a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Le régime prévu par l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas du règlement (CEE) n 2333/92 du Conseil, du 13 juillet 1992 (JO L 231 du 13 août 1992, p. 9), est-il invalide dans la mesure où il prescrit qu' à compter du mois de septembre 1994 les vins mousseux de qualité produits dans une région déterminée (v.m.q.p.r.d.) à partir de vins n' ayant pas droit à l' appellation contrôlée 'Champagne' ne pourront plus porter de référence à la méthode d' élaboration dite 'méthode
champenoise' en association avec une mention équivalente relative à cette méthode d' élaboration?"
Sur la recevabilité de la question posée
12 Le gouvernement français propose de répondre à la juridiction de renvoi qu' il n' y a pas lieu de statuer sur la question posée puisque la solution du litige au principal est liée à l' appréciation de la validité du règlement n 3309/85 dont l' interprétation a servi de fondement à l' avis contraignant donné par le ministère de l' Agriculture, de la Viticulture et des Forêts du Land Rheinland-Pfalz et non au règlement n 2333/92 qui n' était pas en vigueur à l' époque. La question posée à la Cour
serait donc dépourvue de pertinence. A l' audience, le gouvernement français a en outre exprimé des doutes quant à la réalité du litige.
13 Ces objections doivent être écartées.
14 Tout d' abord, il convient de constater que le règlement n 2333/92 codifie de nombreuses modifications du règlement n 3309/85. En ce qui concerne l' article 6 du règlement n 2333/92 mentionné dans la question préjudicielle, il convient de relever que, mis à part quelques différences rédactionnelles mineures, il coïncide pour l' essentiel avec l' article 6 du règlement n 3309/85, qui a servi de base à la décision du 15 janvier 1992 et contre laquelle Winzersekt a déposé un recours devant le
Verwaltungsgericht Mainz à la suite de l' adoption du règlement n 2333/92. La réponse de la Cour à la question posée permettra donc au juge de renvoi de trancher le litige qui est pendant devant lui.
15 Quant au second argument du gouvernement français, il y a lieu de rappeler que, lorsqu' une question sur la validité d' un acte pris par les institutions de la Communauté est soulevée devant une juridiction nationale, c' est à cette juridiction de juger si une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement et, partant, de demander à la Cour de statuer sur cette question. Il incombe alors à celle-ci, dans le cadre de la coopération étroite avec les juridictions nationales établie
par l' article 177 du traité, de répondre à la question posée par la juridiction nationale, sauf s' il lui apparaissait que la question posée n' a aucun lien avec la réalité ou l' objet du litige au principal.
16 En l' occurrence, rien ne permet de mettre en doute la réalité du litige au principal.
17 Il ressort en effet de l' ordonnance de renvoi que le recours au principal vise à faire reconnaître que Winzersekt est en droit d' utiliser la mention "Flaschengaerung im Champagnerverfahren" après le 31 août 1994. De même, la question posée présente un lien incontestable avec l' objet de ce recours. A cet égard, aucune disposition du traité ne peut contraindre Winzersekt à attendre l' expiration, à cette date, de la période transitoire avant de pouvoir invoquer l' inapplicabilité devant une
juridiction nationale d' une disposition telle que celle sous examen.
18 Il s' ensuit que les objections du gouvernement français selon lesquelles il n' y a pas lieu de statuer sur la question posée par le Verwaltungsgericht Mainz doivent être rejetées.
Sur le fond
19 Il résulte des mémoires et des débats qui ont eu lieu devant la Cour que la validité de l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement n 2333/92 est mise en cause au regard de deux principes ou groupes de principes: le droit de propriété et le libre exercice des activités professionnelles, d' une part, et le principe général d' égalité, d' autre part.
Sur le droit de propriété et le libre exercice des activités professionnelles
20 Winzersekt considère que la disposition litigieuse porte atteinte tant à son droit de propriété qu' au libre exercice des activités professionnelles qui font partie des principes généraux du droit communautaire. A cet égard, elle expose que la mention "méthode champenoise" revêt une importance primordiale pour son activité commerciale en ce qu' elle lui permet de faire connaître au public son procédé d' élaboration. Ce procédé la distinguerait de la vaste majorité des producteurs allemands de vin
mousseux, qui utilisent soit la méthode appelée cuve close, soit la méthode de transvasement, deux méthodes moins onéreuses que la "méthode champenoise" et qui leur permettent de proposer leurs produits aux consommateurs à des prix beaucoup plus intéressants que ceux de Winzersekt. En outre, cette mention ferait partie de l' actif de son patrimoine qui devrait bénéficier de la protection accordée au droit de propriété. Dès lors, si Winzersekt ne pouvait continuer à utiliser la mention "méthode
champenoise", elle serait désavantagée sur le plan de la concurrence, et son existence même pourrait être mise en péril.
21 A cet égard, il convient de relever que le législateur communautaire dispose en matière de politique agricole commune d' un large pouvoir d' appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 et 43 du traité lui attribuent et que la Cour a, à maintes reprises, jugé que seul le caractère manifestement inapproprié d' une mesure arrêtée dans ce domaine, par rapport à l' objectif que l' institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d' une telle mesure
(voir, en dernier lieu, arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, non encore publié au Recueil, points 89 et 90).
22 En outre, il y a lieu de rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle tant le droit de propriété que le libre exercice des activités professionnelles ne constituent pas des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l' usage du droit de propriété et au libre exercice d' une activité professionnelle, notamment dans le cadre d' une organisation commune de marché, à
condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d' intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir, en dernier lieu, arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, précité, point 78).
23 S' agissant de l' atteinte au droit de propriété alléguée par Winzersekt, il convient de constater que la mention "méthode champenoise" est une indication qui pouvait être utilisée, avant l' adoption du règlement, par tous les producteurs de vins mousseux. L' interdiction d' utiliser cette mention ne saurait être considérée comme une atteinte à un prétendu droit de propriété de Winzersekt.
24 En ce qui concerne l' atteinte au libre exercice d' une activité professionnelle, il y a lieu de relever que l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement n 2333/92, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de libre exercice d' une activité professionnelle invoquée par Winzersekt puisqu' il n' affecte que les modalités de l' exercice d' un tel droit sans mettre en péril l' existence même de ce droit. Il importe donc de vérifier que ces dispositions poursuivent
des objectifs d' intérêt général, qu' elles n' affectent pas de façon disproportionnée la situation de producteurs tels que Winzersekt et que, partant, le Conseil n' a pas dépassé les limites de sa marge d' appréciation en l' espèce.
25 A cet égard, il convient de noter que, parmi les objectifs poursuivis par le règlement n 2333/92, celui de la protection des appellations d' origine ou d' indications de provenance géographique des vins constitue un objectif d' intérêt général. Pour la réalisation de cet objectif, le Conseil pouvait considérer comme essentiel, d' une part, que le consommateur final obtienne des informations aussi exactes que nécessaires pour l' appréciation des produits concernés et, d' autre part, que le
producteur ne puisse pas tirer profit, pour son propre produit, d' une réputation établie pour un produit similaire par les producteurs d' une autre région. Cela implique qu' on ne saurait autoriser un producteur de vin à utiliser, dans les mentions relatives à la méthode d' élaboration de ses produits, des indications géographiques qui ne correspondent pas à la provenance effective du vin.
26 Cet objectif est notamment mis en oeuvre par l' article 6 du règlement n 2333/92, qui prévoit en effet que l' emploi de mentions relatives à une méthode d' élaboration ne peut se référer au nom d' une unité géographique que lorsque le vin concerné a droit à cette indication géographique.
27 Il s' ensuit que l' interdiction prévue par cette disposition n' est pas d' un caractère manifestement inapproprié par rapport à l' objectif visé par le règlement litigieux.
28 Par ailleurs, d' une part, en adoptant des dispositions transitoires comme celles énoncées à l' article 6, paragraphe 5, troisième alinéa, dudit règlement et, d' autre part, en permettant aux producteurs qui, comme Winzersekt, se sont servis de la mention "méthode champenoise", d' avoir recours aux mentions alternatives prévues par l' article 6, paragraphe 4, du règlement n 2333/92 comme 'fermentation en bouteille selon la méthode traditionnelle' , 'méthode traditionnelle' , 'méthode classique'
ou 'méthode traditionnelle classique' ainsi que les mentions résultant d' une traduction de ces termes, le Conseil a pris en compte la situation de ces producteurs. Dans ces circonstances, la disposition litigieuse ne peut pas être considérée comme une mesure disproportionnée.
29 De ce qui précède, il résulte que l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement n 2333/92 poursuit des objectifs d' intérêt général et ne saurait être considéré comme constituant une intervention démesurée dans la situation de producteurs tels que Winzersekt. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en adoptant cette disposition, le Conseil n' a pas dépassé les limites de sa marge d' appréciation.
Sur le principe général d' égalité
30 A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe d' égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière identique, à moins qu' une telle différenciation ne soit objectivement justifiée (voir arrêt du 7 juillet 1993, Espagne/Commission, C-217/91, Rec. p. I-3923, point 37).
31 En l' occurrence, il y a lieu de constater que l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement n 2333/92 s' applique à tous les producteurs de vin mousseux de la Communauté sauf ceux d' entre eux qui ont droit à l' appellation contrôlée "champagne". Le fait d' être titulaire de cette appellation contrôlée est un élément objectif qui peut fonder une différence de traitement. Dans ces conditions, un traitement différent pour chacun de ces deux groupes de producteurs est
justifié.
32 Il convient en conséquence de répondre à la juridiction de renvoi que l' examen de la question préjudicielle n' a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement n 2333/92.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
33 Les frais exposés par le gouvernement français, le Conseil de l' Union européenne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur la question à elle soumise par le Verwaltungsgericht Mainz, par ordonnance du 25 mars 1993, dit pour droit:
L' examen de la question préjudicielle n' a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l' article 6, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement (CEE) n 2333/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés.