Avis juridique important
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61994A0154
Arrêt du Tribunal de première instance (troisième chambre élargie) du 22 octobre 1996. - Comité des salines de France et Compagnie des salins du Midi et des salins de l'Est SA contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'Etat - Régime général d'aides à finalité régionale - Lettre de la Commission relative à une aide - Recours en annulation - Irrecevabilité. - Affaire T-154/94.
Recueil de jurisprudence 1996 page II-01377
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1. Exception d' illégalité ° Caractère incident ° Recours principal irrecevable ° Irrecevabilité de l' exception
(Traité CE, art. 184)
2. Recours en annulation ° Actes susceptibles de recours ° Actes produisant des effets juridiques obligatoires ° Lettre de la Commission se limitant à donner, sur demande, des informations relatives à une aide relevant d' un régime général ° Exclusion
(Traité CE, art. 93, § 2, et 173)
Sommaire
1. La possibilité que donne l' article 184 du traité d' invoquer, lors d' un recours contre une décision, l' inapplicabilité de l' acte de caractère général qui constitue sa base juridique ne constitue pas un droit d' action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente. Plus particulièrement, en l' absence d' un droit de recours principal, ledit article ne peut pas être invoqué.
2. Constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l' objet d' un recours en annulation au sens de l' article 173 du traité les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci.
N' est donc pas susceptible de faire l' objet d' un recours en annulation une lettre par laquelle la Commission répond à une demande d' information formulée par une organisation professionnelle de producteurs en envoyant une copie d' une décision d' approbation d' un régime général d' aides à finalité régionale d' un État membre, en faisant savoir qu' une entreprise a effectivement demandé une aide au gouvernement de cet État et en l' informant qu' une telle aide relève dudit régime général, dont l'
application ne doit pas faire l' objet d' une approbation spécifique par la Commission.
En effet, une telle lettre, dont la portée ne saurait être influencée par le seul fait qu' elle ait été signée par le membre de la Commission responsable de la politique de concurrence, se limite à donner des informations et ne constitue ni un refus d' ouvrir la procédure de l' article 93, paragraphe 2, du traité, ni un rejet de plainte.
Parties
Dans l' affaire T-154/94,
Comité des salines de France, syndicat national professionnel de droit français, établi à Paris,
Compagnie des salins du Midi et des salines de l' Est SA, société de droit français, établie à Paris,
représentés par Mes Dominique Voillemot, avocat au barreau de Paris, et Peter Verloop, avocat au barreau d' Amsterdam, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Jacques Loesch, 11, rue Goethe,
parties requérantes,
soutenues par
Salt Union Ltd, société de droit anglais, établie à Cheshire (Royaume-Uni), représentée par MM. Jonathan Scott et Craig Pouncey, solicitors, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Georges Baden, 8, boulevard Royal,
et
Suedwestdeutsche Salzwerke AG, société de droit allemand, établie à Heilbronn (Allemagne),
Verein Deutsche Salzindustrie eV, association de droit allemand, établie à Bonn (Allemagne),
représentées par Mes Thomas Jestaedt et Baerbel Altes, avocats à Duesseldorf, et par Mes Walter Klosterfelde et Karsten Metzlaff, avocats à Hambourg, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Philippe Dupont, 8-10, rue Mathias Hardt,
parties intervenantes,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. Giuliano Marenco, conseiller juridique principal, et Jean-Paul Keppenne, membre du service juridique, puis par MM. Marenco et Paul Nemitz, membre du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
soutenue par
Frima BV, société de droit néerlandais, établie à La Haye (Pays-Bas), représentée par Mes Tom Ottervanger et Gerrit Vriezen, avocats au barreau de Rotterdam, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Carlos Zeyen, 67, rue Ermesinde,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande d' annulation de la décision prétendument contenue dans une lettre de la Commission du 7 février 1994 adressée au Comité des salines de France et ayant trait à une aide accordée à la société Frima BV par les autorités néerlandaises,
LE TRIBUNAL DE PREMI RE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),
composé de MM. C. P. Briët, président, B. Vesterdorf, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 2 juillet 1996,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
Faits à l' origine du recours
1 Par lettre du 24 septembre 1990, le gouvernement néerlandais a notifié à la Commission, en application de l' article 93, paragraphe 3, du traité CEE, un régime général d' aides à finalité régionale pour la période allant de 1991 à 1994 intitulé "Subsidieregeling regionale investeringsprojecten 1991" (ci-après "régime néerlandais"). Après examen, la Commission a informé le gouvernement néerlandais, par lettre du 27 décembre 1990, qu' elle considérait le régime néerlandais comme compatible avec le
marché commun, en vertu de l' article 92, paragraphe 3, sous c), du traité (ci-après "décision d' approbation").
2 Un résumé de la décision d' approbation a été publié dans le Vingtième Rapport sur la politique de concurrence (point 330) dans les termes suivants:
"En décembre, la Commission a décidé d' accepter les grandes lignes de la politique régionale pour la période 1991-1994 aux Pays-Bas, qui prévoit une diminution du taux d' aide ainsi que des régions éligibles aux aides à l' investissement.
La Commission ne s' est pas opposée aux aides à l' investissement d' un taux de 20 % brut pendant la totalité de la période de quatre ans pour les provinces de Groningue, de Frise, ainsi qu' à Lelystad. Pour le sud-est de Drenthe, l' approbation de la Commission reste toutefois limitée à deux ans; la situation de cette région fera l' objet d' un réexamen dans le courant de 1992."
3 En mai 1991, la société néerlandaise Frima BV (ci-après "Frima") a sollicité l' octroi, par les autorités néerlandaises, en vertu du régime néerlandais, d' une aide de 12,5 millions de HFL, soit 10 % des coûts éligibles, pour la construction d' une nouvelle saline (unité de production de sel) à Harlingen, dans la province de Frise. Au cours de l' année 1993 et au début de l' année 1994, Frima a fourni des précisions quant à sa demande d' aide.
4 A la suite de la publicité suscitée par cette demande, la Commission a été saisie de plusieurs plaintes et de demandes d' information, parmi lesquelles figure une lettre en date du 6 décembre 1993, écrite par le président du Comité des salines de France (ci-après "Comité des salines" ou "Comité") à M. K. Van Miert, membre de la Commission responsable de la politique de concurrence.
5 Cette lettre est libellée comme suit:
"Le Comité des salines de France est une organisation professionnelle qui regroupe les producteurs de sel établis en France. A ce titre, elle figure parmi les fédérations affiliées au Conseil national du patronat français. Elle est également habilitée à intervenir pour défendre les intérêts solidaires de ses adhérents.
Ceux-ci ont été informés par voie de presse de ce qu' une certaine société Frima BV, enregistrée aux Pays-Bas, devait prochainement recevoir, dans ce pays, diverses aides de la part des pouvoirs publics [...] en vue d' établir une nouvelle unité de production de sel d' une capacité annuelle de 1,2 million de tonnes.
En leur nom, le Comité s' étonne que de telles aides [...] puissent être accordées à une entreprise privée pour la création d' une nouvelle et puissante unité de production dans un secteur largement surcapacitaire, où le marché est, selon les segments, en stagnation ou en régression. Et son impact en matière d' emploi serait absolument négatif.
De telles aides sont, selon le traité de Rome, de nature à fausser la concurrence et, de ce fait, sont, en principe, interdites. Néanmoins, la Commission des Communautés européennes aurait, par une décision de décembre 1990, autorisé un régime d' aides spécifiques pour faciliter le développement de la province de Frise. Le Comité des salines de France souhaiterait obtenir une copie de cette décision afin de pouvoir mieux apprécier ce projet sur lequel il importait que votre attention fût attirée.
Avec nos remerciements pour la suite que vous voudrez bien donner à cette demande [...]"
6 Par lettre du 7 février 1994, M. Van Miert a répondu:
"Mes services ont obtenu des autorités néerlandaises des éclaircissements [au sujet des aides en cause], dont découle ce qui suit.
L' entreprise bénéficiaire Frima BV a effectivement demandé une aide de 10 % des coûts éligibles, soit de 12,5 millions HFL, en vertu du régime d' aides au développement régional 'Subsidieregeling regionale investeringsprojecten 1991' . Conformément à votre demande, je vous transmets en annexe une copie de la lettre au gouvernement néerlandais par laquelle la Commission a approuvé le régime en question [...] L' application éventuelle de ce régime en faveur de Frima BV ne devrait pas faire l' objet
d' une approbation spécifique par la Commission [...]"
Procédure
7 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 avril 1994, les requérants ont introduit le présent recours.
8 Par ordonnance du 10 février 1995, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d' admettre l' intervention dans le litige de Frima à l' appui des conclusions de la Commission. Il a également admis l' intervention des sociétés Salt Union Ltd (ci-après "Salt Union") et Suedwestdeutsche Salzwerke AG (ci-après "SWS"), ainsi que de l' association Verein Deutsche Salzindustrie eV (ci-après "VDS") à l' appui des conclusions des requérants. Dans la même décision, il a par ailleurs fait droit
partiellement à la demande de traitement confidentiel présentée par les requérants.
9 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d' ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d' instruction préalables. Il a toutefois décidé de poser une question écrite aux requérants et aux parties intervenantes appuyant les conclusions de ceux-ci. Les parties concernées ont répondu à cette question dans le délai imparti par le Tribunal.
10 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l' audience publique qui s' est déroulée le 2 juillet 1996.
Conclusions des parties
11 Les requérants concluent à ce qu' il plaise au Tribunal:
° dire et juger illégale la décision d' approbation pour violation du traité, des règles de droit relatives à son application et des formes substantielles;
° annuler la décision de la Commission en date du 7 février 1994 pour les mêmes motifs, en ce qu' elle a décidé que l' octroi d' une aide de 12,5 millions HFL à Frima "ne devrait pas faire l' objet d' une approbation spécifique par la Commission";
° condamner la Commission aux dépens.
12 Salt Union, SWS et VDS soutiennent entièrement les conclusions formulées par les requérants.
13 La Commission conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:
° rejeter le recours comme irrecevable et, subsidiairement, comme non fondé;
° condamner les requérants aux dépens.
14 Frima conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:
° rejeter le recours comme irrecevable et, subsidiairement, comme non fondé;
° condamner les requérants aux dépens, y compris ceux exposés par son intervention.
Sur les conclusions visant à faire constater l' illégalité de la décision d' approbation
15 Par le premier chef de conclusions, les requérants demandent au Tribunal de dire et juger illégale la décision d' approbation. Ils excipent de l' illégalité de cette décision en application de l' article 184 du traité CE, afin d' obtenir l' annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre de la Commission du 7 février 1994.
16 A cet égard, il convient d' observer que la possibilité que donne l' article 184 du traité d' invoquer l' inapplicabilité de l' acte de caractère général qui constitue la base juridique de la décision attaquée ne constitue pas un droit d' action autonome et ne peut être exercée que de manière incidente. Plus particulièrement, en l' absence d' un droit de recours principal, ledit article 184 ne peut pas être invoqué (arrêts de la Cour du 16 juillet 1981, Albini/Conseil et Commission, 33/80, Rec.
p. 2141, point 17, et du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil, 87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, point 36).
17 Or, dans le cas d' espèce, les requérants ne peuvent invoquer l' article 184 du traité que si le deuxième chef de conclusions tendant à l' annulation de la prétendue décision de la Commission contenue dans la lettre du 7 février 1994 est recevable. Dans ces circonstances, il convient d' examiner tout d' abord la recevabilité de ce deuxième chef de conclusions.
Sur la recevabilité des conclusions tendant à l' annulation de la décision de la Commission prétendument contenue dans la lettre du 7 février 1994
Résumé des principaux arguments des parties
18 La Commission estime que les conclusions en annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre du 7 février 1994 sont irrecevables. Selon elle, cette lettre n' est pas un acte susceptible de recours au sens de l' article 173, quatrième alinéa, du traité, puisqu' elle n' a pas de caractère décisionnel. D' une part, cette lettre aurait un caractère purement informatif ne modifiant en rien la situation juridique des requérants. D' autre part, elle s' inscrirait dans un contexte dans
lequel la Commission ne pouvait prendre aucune décision.
19 En ce qui concerne le caractère informatif de la lettre du 7 février 1994, la Commission renvoie au texte de la lettre du Comité des salines du 6 décembre 1993 (voir ci-dessus point 5). Elle fait observer qu' il ressort d' une simple lecture de cette lettre que le Comité voulait seulement obtenir une copie de la décision d' approbation, afin de s' assurer que l' aide litigieuse était couverte par cette décision. Elle souligne que le Comité ne l' a pas invitée à prendre une quelconque décision.
Dans sa réponse du 7 février 1994, M. Van Miert aurait seulement confirmé l' hypothèse formulée par le Comité selon laquelle l' aide litigieuse était couverte par la décision d' approbation. Cette lettre aurait donc un caractère informatif et non pas un caractère décisionnel, de sorte que les conclusions en question seraient irrecevables.
20 En ce qui concerne le contexte dans lequel la lettre du 7 février 1994 a été rédigée, la Commission fait valoir, tout d' abord, que cette lettre ne peut comporter une décision de rejet de plainte, du fait que cette catégorie de décisions n' existe pas en matière d' aides d' État à défaut de dispositions créant un statut du plaignant dans ce domaine. Selon elle, les arrêts de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission (166/86 et 220/86, Rec. p. 6473), et du 24 mars 1993, CIRFS
e.a./Commission (C-313/90, Rec. p. I-1125) ne sauraient être interprétés en ce sens qu' une catégorie de décisions de rejet de plainte aurait été reconnue par le juge communautaire.
21 La Commission renvoie ensuite à l' arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Italie/Commission, dit "Italgrani" (C-47/91, Rec. p. I-4635, points 24 et 25), et fait observer que l' aide litigieuse a été octroyée en application d' un régime général d' aides à finalité régionale préalablement approuvé, de sorte que cette aide était une aide existante qui ne devait plus être notifiée. Il s' ensuivrait qu' elle n' avait même pas le pouvoir de prendre une quelconque décision, positive ou négative, à l' égard
de l' aide litigieuse.
22 De surcroît, se référant au point 36 des conclusions de l' avocat général M. Darmon sous l' arrêt Irish Cement/Commission, précité, la Commission souligne que les requérants auraient pu attaquer, devant le juge national, la décision des autorités néerlandaises d' octroyer l' aide litigieuse à Frima et qu' ils auraient pu mettre en cause, dans ce cadre, la légalité de la décision d' approbation.
23 Frima se rallie aux arguments avancés par la Commission. Elle ajoute que l' absence de caractère décisionnel de la lettre du 7 février 1994 ressort également du fait que, en vertu de l' arrêt Italgrani, précité (point 21), l' aide litigieuse, simple mesure d' exécution du régime néerlandais, a été examinée à la lumière des mêmes critères d' appréciation que ceux utilisés par la Commission lors de la décision d' approbation. En conséquence, par la lettre du 7 février 1994, la Commission n' aurait
pas pris une décision, mais aurait simplement confirmé l' application des mêmes critères d' appréciation que ceux utilisés lors de son examen du régime néerlandais.
24 Frima renvoie en outre à l' arrêt du Tribunal du 28 octobre 1993, Zunis Holding e.a./Commission (T-83/92, Rec. p. II-1169, point 31), et fait valoir que les conclusions en cause ne seraient recevables que si l' acte que la Commission refuse de retirer, à savoir la décision d' approbation, avait pu être attaqué par les requérants. Or, les requérants ne seraient pas directement et individuellement concernés par la décision d' approbation, de sorte qu' ils ne seraient pas recevables à introduire un
recours en annulation contre cette décision. Dans ces conditions, les conclusions de l' espèce seraient également irrecevables.
25 Frima estime enfin que les conclusions en cause doivent être déclarées irrecevables pour éviter que la confiance légitime créée dans son chef par la décision d' approbation ne soit violée. A l' appui de cette affirmation, elle renvoie plus particulièrement aux arrêts de la Cour du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne (C-5/89, Rec. p. I-3437, point 14), et Italgrani, précité (point 24).
26 Les requérants, quant à eux, font tout d' abord observer que si la lettre attaquée avait un caractère purement informatif, elle n' aurait pas été signée par le commissaire responsable de la politique de concurrence en personne. Ils renvoient ensuite aux arrêts de la Cour Irish Cement/Commission, précité, et CIRFS e.a./Commission, précité, et affirment que la lettre attaquée constitue une décision de ne pas ouvrir la procédure de l' article 93, paragraphe 2, du traité à la suite de la plainte que
le Comité avait introduite par lettre du 6 décembre 1993. Il s' agit donc, selon eux, d' une décision de rejet de plainte, qui comporte de ce fait des effets juridiques définitifs et, partant, est attaquable au titre de l' article 173 du traité (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, points 9 et 10).
27 L' arrêt Italgrani, précité, ne serait pas pertinent en l' espèce, puisque, dans cette affaire, la question était de savoir si l' aide en cause était une aide existante ou une aide nouvelle, afin de déterminer dans quelle mesure la Commission pouvait en suspendre le versement. En revanche, dans la présente affaire, la question serait celle de savoir si la Commission perd tout pouvoir de contrôle à l' égard d' une aide octroyée dans le cadre d' un régime général d' aides à finalité régionale comme
le régime néerlandais, dès lors qu' elle a approuvé ce régime d' aides. De plus, contrairement à l' affaire Italgrani, il ne s' agirait pas dans le cas d' espèce d' une simple mesure d' exécution d' un régime général, la décision d' approbation de la Commission n' ayant fait qu' autoriser les "grandes lignes" du régime néerlandais.
28 S' agissant de l' affirmation de la Commission selon laquelle il serait impossible pour elle d' intervenir à l' égard d' une aide octroyée en vertu d' un régime général, elle serait en contradiction avec les termes de la résolution du Conseil du 20 octobre 1971 (JO C 111, p. 1), selon lesquels la Commission a "la possibilité [...] d' utiliser, le cas échéant, la procédure visée à l' article 93, paragraphe 2, du traité [...] notamment lorsque l' application des régimes généraux d' aides fait l'
objet de plaintes justifiées émanant d' un État membre". La seule référence aux plaintes d' un État membre s' expliquerait par le fait que, en 1971, l' idée des plaintes de particuliers dans le domaine des aides n' avait pas encore fait son chemin.
29 Les requérants contestent l' affirmation de Frima selon laquelle l' examen de l' aide litigieuse aurait été fondé sur les mêmes critères d' appréciation que ceux utilisés à l' occasion de l' examen du régime néerlandais. Ils renvoient à l' arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, dit "Alfa Roméo" (C-305/89, Rec. p. I-1603, point 26), et font remarquer que, compte tenu de la surcapacité dans le secteur du sel, l' aide litigieuse aurait fait l' objet, dans le cadre d' un examen
individuel, d' une approche particulièrement rigoureuse.
30 Quant à l' arrêt Zunis Holding e.a./Commission, précité, ils affirment que la recevabilité d' un recours formé à l' encontre d' une décision de la Commission refusant d' ouvrir la procédure de l' article 93, paragraphe 2, du traité est acquise, sans référence à la jurisprudence sur les actes "négatifs". Cet article reconnaîtrait aux personnes intéressées des garanties procédurales, dont le respect implique que celles-ci puissent contester devant les juridictions communautaires une décision de la
Commission de ne pas ouvrir ladite procédure (arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198/91, Rec. p. I-2487, points 23 et 24, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, points 17 et 18).
31 Les requérants contestent que la prétendue confiance légitime de Frima affecte la recevabilité de leur recours. Ils font observer que, en tout cas dans les arrêts cités par cette partie intervenante, le principe de la protection de la confiance légitime n' a pas été examiné au stade de la recevabilité. Du reste, selon eux, la prétendue confiance légitime d' un bénéficiaire d' une aide d' État ne saurait en aucune manière affecter le droit des parties de former un recours contre un acte qui leur
cause préjudice.
32 Enfin, les requérants font valoir que si, d' une part, une décision de la Commission autorisant un régime général d' aides, tel que le régime néerlandais, ne constituait pas un acte attaquable, et si, d' autre part, les actes de la Commission relatifs aux aides individuelles octroyées en vertu d' un tel régime ne constituaient pas non plus des actes attaquables, la légalité d' une aide telle que l' aide litigieuse ne pourrait jamais être contrôlée par le juge communautaire. Ils affirment encore
qu' ils ne disposent d' aucune voie de recours en droit interne, puisque, selon une jurisprudence constante, seul l' article 93, paragraphe 3, du traité, qui comporte l' obligation de notification des projets d' aide, a un effet direct, alors que, selon la Commission, une aide individuelle accordée dans le cadre d' un régime général approuvé ne devrait plus faire l' objet de notification.
33 SWS et VDS soutiennent en tous points les arguments des requérants. Ils ajoutent que, en vertu de l' article 16, sous f), du régime néerlandais, le ministre des Affaires économiques ne peut pas octroyer une aide en vertu dudit régime lorsqu' une circonstance existe, qui (traduction) "conduit à ce que le projet soit incompatible avec la structure souhaitée du secteur concerné". Ils renvoient au commentaire accompagnant le régime néerlandais, selon lequel l' article 16, sous f), se réfère notamment
à une situation (traduction) de "surcapacité démontrable dans un secteur déterminé". En conséquence, en application du régime tel que notifié à la Commission et approuvé par celle-ci, une aide ne pourrait pas être octroyée si des surcapacités démontrables existent dans le secteur concerné. En accordant l' aide litigieuse, les autorités néerlandaises auraient versé une aide dans un secteur connaissant une surcapacité et auraient donc violé les dispositions mêmes de leur régime.
34 Les intervenantes soulignent qu' il ne s' agit pas en l' espèce d' une modification mineure d' une mesure d' aide approuvée par la Commission, comme c' était le cas dans l' arrêt de la Cour du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C-44/93, Rec. p. I-3829). Elles estiment en conséquence que, si le gouvernement néerlandais entendait octroyer une aide dans un secteur connaissant une surcapacité démontrable, il aurait dû la notifier à titre d' aide d' État nouvelle, conformément à l' article
93, paragraphe 3, du traité. Au vu de la disposition de l' article 16, sous f), du régime néerlandais, la Commission aurait été tenue à tout le moins d' ouvrir la procédure de l' article 93, paragraphe 2, du traité, à l' égard de l' aide litigieuse.
35 La Commission estime que l' argument tiré par les parties intervenantes de l' article 16, sous f), du régime néerlandais est irrecevable du fait de son caractère autonome. Selon elle, l' argument est, en tout état de cause, non fondé. D' une part, le libellé général et imprécis dudit article 16, sous f), notamment du terme "structure souhaitée" employé dans cet article, démontrerait que les autorités néerlandaises disposent d' un large pouvoir d' appréciation dans l' application de l' article. D'
autre part, l' hypothèse d' une "surcapacité démontrable" ne serait citée qu' à titre d' exemple. D' après la Commission, face à la situation de monopole qui régnait dans le secteur de la production de sel aux Pays-Bas, il était tout à fait raisonnable que la création d' un nouveau producteur concurrent fût jugée compatible avec la structure du secteur concerné. Par ailleurs, les intervenantes n' auraient pas avancé de chiffres quant à une surcapacité du marché du sel néerlandais, bien qu' un tel
chiffre soit le seul pertinent dans le contexte de l' application d' une loi nationale.
36 Salt Union n' a pas présenté des observations particulières en ce qui concerne la recevabilité du recours.
Appréciation du Tribunal
37 Selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l' objet d' un recours en annulation au sens de l' article 173 du traité les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (arrêt IBM/Commission, précité, point 9; arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64/89, Rec. p. II-367, point 42, et du 24 mars 1994, Air
France/Commission, T-3/93, Rec. p. II-121, point 43).
38 A l' effet de vérifier si la lettre de la Commission du 7 février 1994 constitue une telle mesure, il convient de rechercher, tout d' abord, quel est l' objet de la lettre du Comité des salines du 6 décembre 1993 à laquelle cette lettre du 7 février 1994 constitue une réponse.
39 Dans sa lettre du 6 décembre 1993 (voir ci-dessus point 5), le Comité des salines indique qu' il a été informé par voie de presse que Frima devait recevoir des aides des pouvoirs publics néerlandais, dont l' aide litigieuse. Il "s' étonne" que de telles aides puissent être accordées à une entreprise du secteur du sel, qui connaîtrait une importante surcapacité, et affirme que l' impact de telles aides en matière d' emploi "serait absolument négatif". Il fait ensuite valoir que, selon le traité,
de telles aides sont de nature à fausser la concurrence et sont donc, "en principe", interdites. Il observe néanmoins que la Commission aurait, par une décision de décembre 1990, autorisé un régime général d' aides pour faciliter le développement de la province de Frise. Dans ces conditions, il sollicite la communication d' une "copie de cette décision afin de pouvoir mieux apprécier ce projet".
40 L' objet de la lettre du 6 décembre 1993 était ainsi une demande d' information. En effet, après avoir formulé des observations introductives, le Comité des salines a demandé à la Commission de lui fournir une copie de la décision d' approbation. Il ressort également du dernier paragraphe de la lettre, dans lequel le Comité remercie le membre de la Commission de la suite que celui-ci voudra donner "à cette demande", que l' objet de la lettre était d' obtenir une copie de la décision d'
approbation, c' est-à-dire une demande d' information. Ainsi que la Commission l' a fait valoir à juste titre, le Comité désirait obtenir une copie de la décision d' approbation, afin de s' assurer que l' aide en faveur de Frima était couverte par cette décision. Par ailleurs, l' analyse de la lettre fait apparaître que le Comité n' a pas invité la Commission à prendre une quelconque décision.
41 Il convient ensuite d' examiner la lettre de la Commission du 7 février 1994 (voir ci-dessus point 6). Par cette lettre, la Commission répond à la demande formulée par le Comité des salines en envoyant à celui-ci une copie de la décision d' approbation. En outre, elle fait savoir au Comité que Frima a "effectivement" demandé une aide, à savoir l' aide litigieuse, au gouvernement néerlandais. De plus, elle informe le Comité que cette aide relève du régime néerlandais, tel qu' approuvé par la
décision d' approbation. Enfin, elle observe que l' application éventuelle du régime néerlandais en faveur de Frima "ne devrait pas faire l' objet d' une approbation spécifique par la Commission".
42 L' objet de la lettre du 7 février 1994 était donc de répondre à la demande formulée par le Comité des salines dans sa lettre du 6 décembre 1993. Il est évident que le simple envoi par la Commission, sur demande du Comité, d' une copie de la décision d' approbation ne saurait produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants au sens de la jurisprudence citée ci-dessus (point 37). Par ailleurs, en faisant savoir au Comité que Frima avait "effectivement"
demandé une aide au gouvernement néerlandais, la Commission n' a fait que confirmer au Comité une information déjà obtenue par celui-ci. Dès lors, cette information ne saurait non plus être considérée comme produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants.
43 En ce qui concerne l' information de la Commission selon laquelle l' aide litigieuse relevait du régime néerlandais approuvé par la décision d' approbation, il convient d' observer que le Comité des salines n' a soutenu ni dans sa lettre du 6 décembre 1993, ni dans la requête, ni dans la réplique que l' aide litigieuse ne relevait pas du régime néerlandais. Dans ces circonstances, l' information de la Commission ne produit pas non plus des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les
intérêts des requérants.
44 Par ailleurs, en ce qui concerne l' argument des parties intervenantes SWS et VDS selon lequel l' aide litigieuse ne relèverait pas du régime néerlandais (voir ci-dessus points 33 et 34), il ne saurait a posteriori déterminer la portée de la lettre du 7 février 1994. En outre, dès lors qu' il se place totalement hors du cadre du présent litige, tel que défini par l' objet de celui-ci, cet argument ne saurait être pris en compte. En effet, il est de jurisprudence constante que l' objet d' un
litige ne saurait être modifié en cours d' instance (arrêt Automec/Commission, précité, point 69, et arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Kahn Scheepvaart/Commission, T-398/94, Rec. p. II-0000, point 20).
45 En ce qui concerne l' observation de la Commission selon laquelle l' aide litigieuse ne doit pas faire l' objet d' une "approbation spécifique" de la part de la Commission, il s' agit également d' une simple information ne produisant pas des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants. En donnant cette information, la Commission a tout simplement fait état de sa pratique selon laquelle les aides individuelles relevant d' un régime général d' aides sont des
aides existantes qui ne doivent pas, sauf si des réserves ont été émises en ce sens par la Commission dans la décision d' approbation, lui être notifiées.
46 Or, la Cour a expressément approuvé cette pratique dans son arrêt Italgrani, précité (point 21). Il ressort d' ailleurs de cet arrêt (points 24 et 25) que si les requérants avaient contesté la légalité de l' aide litigieuse, la Commission n' aurait même pas eu le pouvoir de prendre une décision spécifique concernant la légalité de cette aide, dès lors qu' un premier examen de sa part avait fait apparaître que l' aide litigieuse relevait du régime néerlandais, régime général d' aides préalablement
approuvé par elle.
47 Enfin, le seul fait que le membre de la Commission responsable de la politique de concurrence a lui-même signé la lettre du 7 février 1994 ne saurait influencer la portée de cette lettre.
48 Il résulte de ce qui précède que la lettre de la Commission du 7 février 1994 ne constitue pas une mesure produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de ceux-ci. Les conclusions des requérants tendant à l' annulation de la prétendue décision de la Commission contenue dans cette lettre sont donc dirigées contre un acte non susceptible de recours au sens de l' article 173 du traité.
49 Afin d' appuyer la recevabilité de ces conclusions, les requérants soutiennent encore que la lettre du 7 février 1994 constitue le refus de la Commission d' ouvrir la procédure de l' article 93, paragraphe 2, du traité vis-à-vis de l' aide litigieuse. Les requérants seraient dès lors recevables à contester cette décision de refus de la Commission. A cet égard, il convient de constater que, dans la lettre du 7 février 1994, la Commission ne s' est nullement exprimée en ce sens qu' elle aurait
refusé ou non d' ouvrir la procédure dudit article 93, paragraphe 2. En outre, force est de constater qu' elle ne pouvait même pas ouvrir cette procédure, dès lors qu' un premier examen mené par elle avait fait apparaître que l' aide litigieuse relevait d' un régime général d' aides préalablement approuvé (arrêt Italgrani, précité, point 24). Il s' ensuit qu' en l' absence de possibilités d' adoption d' une décision l' argument des requérants ne saurait non plus conduire à la recevabilité des
conclusions en cause.
50 Les requérants affirment en outre que leurs conclusions sont recevables au motif que la lettre du 7 février 1994 constituerait un rejet de plainte. A cet égard, il ressort de l' analyse de la lettre du Comité des salines du 6 décembre 1993 (voir ci-dessus points 39 et 40) que cette lettre ne saurait être qualifiée de plainte, dès lors qu' il s' agit d' une simple demande d' information. Par conséquent, la lettre de la Commission du 7 février 1994 ne saurait en aucun cas être qualifiée de rejet de
plainte. Par suite, et en tout état de cause, l' argument examiné ne saurait non plus entraîner la recevabilité des conclusions en question.
51 Par ailleurs, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, il ne suffit pas qu' une lettre ait été envoyée par une institution communautaire à son destinataire, en réponse à une demande formulée par ce dernier, pour qu' elle puisse être qualifiée de décision au sens de l' article 173 du traité, ouvrant ainsi la voie du recours en annulation (arrêt du Tribunal du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T-277/94, Rec. p. II-0000, point 50).
52 Il résulte de ce qui précède que les conclusions des requérants tendant à l' annulation de la décision de la Commission prétendument contenue dans sa lettre du 7 février 1994 doivent être rejetées comme irrecevables. Dès lors que ces conclusions sont irrecevables, les conclusions visant à faire constater l' illégalité de la décision d' approbation sont également irrecevables (voir ci-dessus points 16 et 17).
53 Enfin, le Tribunal souligne que les requérants ont eu la possibilité de contester la légalité de l' aide litigieuse devant le juge néerlandais. Ils ont indiqué, dans leur réponse à la question écrite du Tribunal et lors de l' audience, qu' ils ont effectivement emprunté cette voie, mais que, devant le College van Beroep voor het Bedrijfsleven, ils ont seulement contesté la légalité de l' aide litigieuse au regard du droit national. N' ayant pas estimé opportun de mettre en cause, devant ce juge
national, la validité de la décision d' approbation au regard du droit communautaire, ils ont choisi de ne pas lui demander de poser, en vertu de l' article 177 du traité, une question préjudicielle à la Cour de justice en ce qui concerne cette validité. Dans ces circonstances, et contrairement à ce que soutiennent les requérants (voir ci-dessus point 32), la solution de la présente affaire n' a pas, en soi, pour effet de les priver de la possibilité de soumettre la légalité de l' aide litigieuse au
contrôle juridictionnel.
54 Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être déclaré irrecevable dans son ensemble.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
55 Conformément à l' article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leurs prétentions, il y a lieu, au regard des conclusions de la Commission, de les condamner aux dépens, y compris ceux exposés par Frima, celle-ci ayant formulé des conclusions en ce sens. Salt Union, SWS et VDS supporteront leurs propres dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Les requérants sont condamnés aux dépens, y compris ceux exposés par Frima BV.
3) Salt Union Ltd, Suedwestdeutsche Salzwerke AG et Verein Deutsche Salzindustrie eV supporteront leurs propres dépens.