Avis juridique important
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61995J0294
Arrêt de la Cour (première chambre) du 12 novembre 1996. - Girish Ojha contre Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Fonctionnaire - Affectation hors Communauté - Mesure de mutation dans l'intérêt du service - Recours en annulation - Indemnisation du préjudice moral. - Affaire C-294/95 P.
Recueil de jurisprudence 1996 page I-05863
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1. Fonctionnaires ° Décision faisant grief ° Réaffectation ° Obligation de motivation ° Portée
(Statut des fonctionnaires, art. 25, al. 2)
2. Fonctionnaires ° Organisation des services ° Affectation du personnel ° Pouvoir d' appréciation de l' administration ° Limites ° Intérêt du service ° Respect de la correspondance entre l' emploi et le grade
(Statut des fonctionnaires, art. 7, § 1)
3. Pourvoi ° Moyens ° Motifs d' un arrêt entachés d' une violation du droit communautaire ° Dispositif fondé pour d' autres motifs de droit ° Rejet
4. Fonctionnaires ° Obligation d' assistance incombant à l' administration ° Conditions
(Statut des fonctionnaires, art. 24)
5. Fonctionnaires ° Décision affectant la situation administrative d' un fonctionnaire ° Prise en considération d' éléments ne figurant pas dans son dossier individuel ° Illégalité
(Statut des fonctionnaires, art. 26)
6. Fonctionnaires ° Décision affectant la situation administrative d' un fonctionnaire ° Prise en considération d' éléments ne figurant pas dans son dossier individuel ° Influence décisive ° Annulation ° Conditions
(Statut des fonctionnaires, art. 26)
Sommaire
1. Une décision faisant grief est suffisamment motivée dès lors qu' elle est intervenue dans un contexte connu du fonctionnaire concerné qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. Tel est le cas lorsqu' une décision de réaffectation dans l' intérêt du service a été précédée d' une lettre et d' entretiens, par lesquels les supérieurs hiérarchiques ont exposé à l' intéressé la situation ainsi que les raisons de la réaffectation envisagée, et que le fonctionnaire a eu la
possibilité d' exposer ses arguments à l' encontre de la décision lui signifiant qu' il devait prendre les mesures nécessaires à son déménagement.
2. Les institutions de la Communauté disposent d' un large pouvoir d' appréciation dans l' organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l' affectation en vue de celles-ci du personnel qui se trouve à leur disposition, à condition que cette affectation se fasse dans le respect de la correspondance entre l' emploi et le grade.
Lorsqu' elles causent des tensions préjudiciables au bon fonctionnement du service, des difficultés relationnelles internes peuvent justifier la mutation d' un fonctionnaire, dans l' intérêt du service. Une telle mesure peut même être prise indépendamment de la question de la responsabilité des incidents en cause.
Cette règle s' impose à plus forte raison dans le domaine des relations extérieures d' un service, tout particulièrement lorsque celui-ci est investi de missions diplomatiques. Le propre des fonctions diplomatiques est, en effet, de prévenir toute tension et d' apaiser celles qui pourraient néanmoins survenir. Elles requièrent impérativement la confiance des interlocuteurs. Dès que celle-ci est ébranlée, pour quelque raison que ce soit, le fonctionnaire impliqué n' est plus en mesure de les assurer.
Afin que les reproches qui lui sont faits ne s' étendent pas à l' ensemble du service concerné, il est de bonne administration que l' institution prenne à son égard, dans les meilleurs délais, une mesure d' éloignement.
3. Si les motifs d' un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit communautaire, mais que son dispositif apparaît fondé pour d' autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté.
4. Dès lors qu' une mutation ou une réaffectation peut être décidée en considération de la simple existence de plaintes, lorsque l' intérêt du service l' exige, il ne saurait être fait grief à l' institution d' avoir adopté une telle mesure sans avoir ouvert au préalable une enquête afin de vérifier le bien-fondé desdites plaintes. Dans un tel contexte, l' éventuelle inexécution du devoir d' assistance au titre de l' article 24 du statut n' est susceptible que d' entraîner l' annulation de la seule
décision portant refus de l' assistance demandée et, le cas échéant, de constituer une faute de service pouvant engager la responsabilité de la Communauté.
5. Une décision de l' autorité investie du pouvoir de nomination affectant la situation administrative et la carrière du fonctionnaire ne saurait être fondée sur des faits concernant son comportement, non versés à son dossier personnel et non communiqués à l' intéressé.
Une décision de réaffectation affecte nécessairement la situation administrative du fonctionnaire intéressé puisqu' elle en modifie le lieu et les conditions d' exercice des fonctions ainsi que leur nature. Elle peut également avoir une incidence sur sa carrière dans la mesure où elle est susceptible d' exercer une influence sur ses perspectives d' avenir professionnel, certaines fonctions pouvant, à classement égal, conduire mieux que d' autres à une promotion, en raison de la nature des
responsabilités exercées.
Dès lors, en jugeant, d' une part, que l' article 26 du statut a pour but d' assurer le respect des droits de la défense du fonctionnaire, en évitant que des décisions prises par l' autorité investie du pouvoir de nomination, qui affectent sa situation administrative et sa carrière, soient fondées sur des faits relatifs à son comportement, non mentionnés dans son dossier personnel et, d' autre part, que la décision de réaffectation n' affectait précisément ni la situation administrative ni la
carrière du fonctionnaire, le Tribunal a méconnu l' article 26 du statut. En admettant que des documents non communiqués au fonctionnaire et relatifs à son comportement dans le service pouvaient lui être opposés, le Tribunal a plus particulièrement méconnu l' article 26, deuxième alinéa, du statut.
6. La violation de l' article 26 du statut n' entraîne l' annulation d' une décision prise par l' autorité investie du pouvoir de nomination affectant la situation administrative et la carrière du fonctionnaire que s' il est établi que les pièces concernant le comportement du fonctionnaire, non versées à son dossier personnel et non communiquées à celui-ci, ont pu avoir une incidence décisive sur la décision.
A cet égard, le seul fait que des pièces n' aient pas été versées au dossier individuel n' est pas de nature à justifier l' annulation d' une décision qui fait grief si elles ont été effectivement portées à la connaissance du fonctionnaire. En effet, il ressort de l' article 26, deuxième alinéa, du statut que l' inopposabilité à l' égard d' un fonctionnaire de pièces concernant sa compétence, son rendement ou son comportement frappe seulement les pièces qui ne lui ont pas été préalablement
communiquées et ne vise pas les pièces qui, quoique portées à sa connaissance, n' ont pas encore été versées à son dossier personnel.
Parties
Dans l' affaire C-294/95 P,
Girish Ojha, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, représenté par Me E. H. Pijnacker Hordijk, avocat au barreau d' Amsterdam, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me L. Frieden, 62, avenue Guillaume,
partie requérante,
ayant pour objet un pourvoi formé contre l' arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (première chambre) du 6 juillet 1995, Ojha/Commission (T-36/93, RecFP p. II-497), et tendant à l' annulation de cet arrêt,
l' autre partie à la procédure étant:
Commission des Communautés européennes, représentée par Mme A. M. Alves Vieira, membre du service juridique, en qualité d' agent, assistée de Me D. Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
LA COUR (première chambre),
composée de MM. D. A. O. Edward, faisant fonction de président de chambre, P. Jann et M. Wathelet (rapporteur), juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les observations orales de M. Ojha, représenté par Mes E. H. Pijnacker Hordijk et K. Coppenholle, avocat au barreau de Bruxelles, et de la Commission, représentée par Mme A. M. Alves Vieira, assistée de Me D. Waelbroeck, à l' audience du 13 juin 1996,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 4 juillet 1996,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 septembre 1995, M. Ojha a, en vertu de l' article 49 du statut CE et des dispositions correspondantes des statuts CECA et CEEA de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l' arrêt du 6 juillet 1995, Ojha/Commission (T-36/93, RecFP p. II-497, ci-après l' "arrêt attaqué"), par lequel le Tribunal de première instance a rejeté son recours tendant à l' annulation de la décision de la Commission du 20 octobre 1992 de le réaffecter de manière anticipée à
Bruxelles, dans l' intérêt du service (ci-après la "décision litigieuse").
2 Il ressort des constatations du Tribunal que M. Ojha, fonctionnaire de grade A 5 à la direction générale Emplois, relations industrielles et affaires sociales de la Commission à Bruxelles (DG V), a été affecté, le 15 août 1991, à la délégation de la Commission à Dacca (Bangladesh) afin d' y remplir les fonctions de conseiller et de superviseur de projets de développement et d' aide.
3 Par note du 8 mai 1992, le directeur de la direction "Asie" de la direction générale Relations extérieures de la Commission (DG I), M. Fossati, a fait part au requérant de quatre plaintes, émanant respectivement du gouvernement du Bangladesh, de la Banque mondiale et de deux firmes européennes, aux termes desquelles il lui était reproché d' avoir fait preuve d' un comportement inapproprié dans l' exercice de ses fonctions.
4 Le requérant a répondu par une série de télécopies et de notes, adressées les 15 et 28 juin et entre les 11 et 18 juillet 1992 à M. Fossati ou au chef de la délégation à Dacca, M. Bailly.
5 Le 13 juillet 1992, M. Prat, directeur général chargé des relations Nord-Sud à la DG I, a informé le requérant de son intention de demander sa réaffectation à Bruxelles. Il soulignait que cette mesure ne serait ni une sanction disciplinaire ni le résultat d' une appréciation négative de ses capacités professionnelles de réflexion et d' analyse. Il estimait simplement que ses qualités pouvaient être mieux exploitées à l' intérieur de la Commission que dans une délégation où il n' avait pas fait
preuve de la capacité d' adaptation à un milieu diplomatique que l' on pouvait attendre de lui.
6 Malgré les explications données par le requérant le 7 août à l' assistant de son directeur général, M. Lipman, le 7 septembre à son directeur et le 9 septembre à son directeur général à Bruxelles, ce dernier a maintenu la demande de réaffectation. Le 9 octobre 1992, le directeur général du personnel et de l' administration et le directeur général de la DG I ont décidé, conformément à un avis émis le 22 septembre 1992 par le comité de rotation ° prévu par la communication de la Commission du 26
juillet 1988, intitulée "Orientations sur le nouveau système de rotation du personnel hors Communauté" °, que le requérant devait prendre les mesures nécessaires à son retour à Bruxelles à compter du 1er novembre suivant.
7 Le 19 octobre 1992, M. Ojha a fait appel de cette décision devant le comité de rotation. Par note du 20 octobre, le directeur général du personnel et de l' administration a fait savoir au requérant que le comité avait rejeté son appel et que, en conséquence, il avait arrêté, en sa qualité d' autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l' "AIPN"), la décision, prise dans l' intérêt du service, de le réaffecter à Bruxelles avec effet au 1er novembre suivant.
8 Après avoir introduit une réclamation au titre de l' article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le "statut"), le requérant a saisi, le 1er juin 1993, le Tribunal d' un recours contre la décision implicite de rejet de sa réclamation, acquise le 1er mars 1993.
9 M. Ojha a demandé au Tribunal l' annulation de la décision litigieuse et, pour autant que de besoin, celle du 9 octobre 1992. Il a également sollicité la condamnation de la Commission à lui verser la somme de 500 000 BFR en réparation du dommage moral prétendument subi ainsi qu' aux dépens.
10 A l' appui de ses conclusions, il a avancé quatre moyens tirés de la violation, en premier lieu, de la procédure de rotation et de l' obligation de motivation, en second lieu, du devoir de sollicitude, de la confiance légitime et des droits de la défense, en troisième lieu, des articles 24 et 26 du statut et, en dernier lieu, des articles 86 et suivants du statut. Ces moyens ne seront résumés que dans la mesure où ils concernent le présent pourvoi.
11 En premier lieu, la décision litigieuse aurait été insuffisamment motivée. Elle se limiterait à constater que le requérant avait montré son inaptitude à exercer une fonction diplomatique. Or, cette réaffectation aurait nécessité une motivation de la plus grande précision puisqu' elle ne constituait pas un mouvement de rotation normal.
12 En deuxième lieu, la Commission aurait violé les droits de la défense du requérant en s' abstenant, malgré ses demandes répétées, de lui communiquer les documents sur la base desquels elle avait adopté la décision de réaffectation. Ainsi, elle ne lui aurait pas transmis les quatre plaintes évoquées par le directeur de la DG I, M. Fossati, dans sa note du 8 mai 1992, mais se serait limitée à lui en fournir un résumé. De même, une série de documents, annexés à son mémoire en défense, ne lui
auraient jamais été communiqués auparavant.
13 En troisième lieu, en adoptant la décision litigieuse sur la base des accusations portées contre le requérant sans avoir ouvert une quelconque enquête, la Commission aurait violé l' article 24, premier alinéa, du statut, aux termes duquel:
"Les Communautés assistent le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l' objet, en raison de sa qualité ou de ses fonctions."
14 Selon le requérant, l' article 24 du statut imposait l' ouverture d' une enquête afin de rétablir sa réputation mise en cause par des accusations non fondées (voir arrêts du 11 juillet 1974, Guillot/Commission, 53/72, Rec. p. 791, point 3, et du 18 octobre 1976, N./Commission, 128/75, Rec. p. 1567, points 10 et 15).
15 En quatrième lieu, la Commission aurait violé l' article 26 du statut, dont les deux premiers alinéas disposent:
"Le dossier individuel du fonctionnaire doit contenir:
a) toutes pièces intéressant sa situation administrative et tous rapports concernant sa compétence, son rendement ou son comportement;
b) les observations formulées par le fonctionnaire à l' égard desdites pièces.
Toute pièce doit être enregistrée, numérotée et classée sans discontinuité; l' institution ne peut opposer à un fonctionnaire ni alléguer contre lui des pièces visées au point a), si elles ne lui ont pas été communiquées avant classement."
16 A la suite des accusations portées à l' encontre du requérant par les autorités du Bangladesh, le chef de la délégation, M. Bailly, aurait, en effet, adressé à la Commission à Bruxelles un rapport du 21 mars 1992 sur son comportement sans le lui avoir communiqué et sans qu' une copie soit versée à son dossier personnel.
L' arrêt attaqué
17 S' agissant du premier moyen, le Tribunal a d' abord rappelé, au point 59, que l' obligation de motiver une décision faisant grief a pour but de permettre à l' intéressé d' apprécier si la décision est ou non entachée d' une illégalité et au juge communautaire d' exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée.
18 Il a ensuite souligné, au point 60, que l' étendue de l' obligation de motiver doit, dans chaque cas, être appréciée en fonction des circonstances concrètes (arrêts de la Cour du 21 juin 1984, Lux/Cour des comptes, 69/83, Rec. p. 2447, point 36, et du 13 décembre 1989, Prelle/Commission, C-169/88, Rec. p. 4335, point 9). En particulier, une décision est suffisamment motivée lorsqu' elle intervient dans un contexte connu du fonctionnaire concerné, qui lui permet d' en saisir la portée (arrêt de la
Cour du 29 octobre 1981, Arning/Commission, 125/80, Rec. p. 2539).
19 En l' espèce, le Tribunal a relevé, au point 61, que, avant l' adoption de la décision litigieuse, le requérant avait d' abord été informé de la perspective de sa réaffectation par M. Lipman, assistant du directeur général, puis par une lettre du 13 juillet 1992 de M. Prat. En outre, le requérant avait eu une série d' entretiens à ce sujet avec MM. Lipman, Fossati et Prat entre les 7 août et 9 septembre 1992. Enfin, le requérant avait pu exposer ses arguments à l' encontre de la décision de
réaffectation du 9 octobre 1992 dans son appel du 19 octobre.
20 Estimant que le requérant avait été mis en mesure d' apprécier le bien-fondé de la décision litigieuse et l' opportunité de la soumettre à un contrôle juridictionnel, le Tribunal a jugé, au point 62, que la motivation de cette décision était suffisante.
21 S' agissant de la prétendue violation des droits de la défense et de l' article 24 du statut, le Tribunal a d' abord rappelé, au point 81, que les institutions de la Communauté disposaient d' un large pouvoir d' appréciation dans l' organisation de leurs services et dans l' affectation, en vue de l' accomplissement de leurs missions, du personnel qui se trouve à leur disposition, pourvu que cette affectation se fasse dans l' intérêt du service et dans le respect de l' équivalence des emplois. Il
a également souligné que, lorsqu' une telle mesure ne porte pas atteinte à la position statutaire du fonctionnaire ou au principe de correspondance entre le grade et l' emploi, l' administration n' est pas tenue d' entendre au préalable l' intéressé (arrêt du 7 mars 1990, Hecq/Commission, C-116/88 et C-149/88, Rec. p. I-599, point 14).
22 Ensuite, il a rappelé, au point 83, que la mutation d' un fonctionnaire pour mettre fin à une situation administrative devenue intenable constituait une mesure prise dans l' intérêt du service et qu' une décision de réaffectation d' un fonctionnaire qui entraînait son déménagement dans un autre lieu d' affectation, contre sa volonté, devait être adoptée avec la diligence nécessaire et un soin particulier, notamment en prenant en considération l' intérêt personnel du fonctionnaire concerné (arrêt
de la Cour du 7 mars 1990, Hecq/Commission, précité, points 22 et 23, et arrêt du Tribunal du 8 juin 1993, Fiorani/Parlement, T-50/92, Rec. p. II-555, point 35).
23 Le Tribunal a estimé, au point 85, que la mesure de réaffectation litigieuse devait être regardée comme ayant été adoptée dans le seul intérêt du fonctionnement de la délégation de la Commission à Dacca et, plus généralement, des relations extérieures de l' institution avec le pays tiers concerné.
24 Des différentes pièces versées au dossier, il ressortait, en effet, que la situation au sein de la délégation était très tendue et que plusieurs plaintes avaient mis en cause le comportement du requérant. A cet égard, le Tribunal a considéré que la simple existence des plaintes, indépendamment de leur bien-fondé, pouvait justifier, dans le seul intérêt du service, la réaffectation du requérant au siège de l' institution.
25 D' autre part, le Tribunal a relevé, au point 85, que la décision litigieuse n' avait ni emporté un changement de grade ni affecté la situation statutaire du requérant, mais avait été motivée par le fait que le requérant, sans que ses qualités professionnelles soient mises en cause, n' avait pas fait preuve des aptitudes indispensables pour l' exercice d' une fonction de type diplomatique. Aucune procédure disciplinaire n' avait été ouverte contre le requérant pour ces faits.
26 S' agissant d' une mesure prise dans l' intérêt du service et non d' une sanction disciplinaire ou d' une décision affectant la situation statutaire du requérant, le Tribunal a considéré, au point 86, que ce dernier ne pouvait se prévaloir d' une violation de ses droits de la défense (arrêts Fiorani/Parlement, précité, point 36; Arning/Commission, précité, point 17, et du 7 mars 1990, Hecq/Commission, précité, point 14).
27 Le Tribunal s' est également fondé sur le caractère de mesure prise dans l' intérêt du service de la décision litigieuse pour rejeter le grief tiré de la violation de l' article 24 du statut.
28 Il a considéré, au point 89, que l' obligation faite à la Commission par l' article 24 du statut, en présence d' accusations graves quant à l' honorabilité professionnelle d' un fonctionnaire, de prendre toutes les mesures utiles pour vérifier si les accusations sont fondées ne s' applique que lorsqu' elle décide d' ouvrir une procédure disciplinaire à l' encontre du fonctionnaire. En revanche, lorsque la Commission décide, comme en l' espèce, qu' il n' y a pas lieu de donner suite aux
accusations portées contre ledit fonctionnaire et qu' aucune conséquence dommageable pour son honorabilité professionnelle ne saurait en résulter, une telle décision revient, selon la jurisprudence de la Cour, à écarter les accusations portées contre le requérant et à rétablir ainsi sa réputation professionnelle (arrêt N./Commission, précité, points 13 à 15).
29 S' agissant de la violation de l' article 26 du statut, le Tribunal a rappelé, au point 102, que cette disposition a pour but d' assurer le respect des droits de la défense du fonctionnaire, en évitant que des décisions prises par l' AIPN et affectant sa situation administrative soient fondées sur des faits concernant son comportement, non mentionnés dans son dossier individuel (arrêts du Tribunal du 5 décembre 1990, Marcato/Commission, T-82/89, Rec. p. II-735, point 78; du 30 novembre 1993,
Tsirimokos/Parlement, T-76/92, Rec. p. II-1281, points 33 à 35, et du 9 février 1994, Lacruz Bassols/Cour de justice, T-109/92, RecFP p. II-105, point 68). La décision litigieuse étant une mesure prise dans l' intérêt du service et non une sanction disciplinaire ou une mesure affectant la situation administrative ou la carrière du requérant, celui-ci ne pouvait se prévaloir d' une éventuelle violation de l' article 26 du statut.
30 En conséquence, le Tribunal a rejeté, au point 108, le recours en annulation dans son ensemble. Il a également rejeté, au point 131, la demande d' indemnisation, étant donné que l' illégalité du comportement reproché à la Commission était fondée sur les mêmes griefs que ceux soulevés à l' appui du recours en annulation. Enfin, le Tribunal a condamné, au point 137, la Commission à supporter, outre ses propres dépens, la moitié de ceux du requérant, dès lors que le comportement de la Commission
après l' adoption de la décision litigieuse avait contribué à l' introduction du recours.
Le pourvoi
31 Contre l' arrêt attaqué, le requérant a introduit un pourvoi, dans le cadre duquel il demande à la Cour:
° d' annuler l' arrêt rendu par le Tribunal;
° d' annuler la décision litigieuse;
° de renvoyer l' affaire devant le Tribunal pour qu' il statue à nouveau sur les conclusions du requérant tendant à la réparation du préjudice moral que lui a causé la décision litigieuse;
° de condamner la Commission aux dépens des deux instances.
32 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi comme non fondé et de condamner le requérant aux dépens.
33 Dans son pourvoi, le requérant formule à l' encontre de l' arrêt attaqué une série de griefs qui peuvent être regroupés en six moyens:
° erreur de droit et de motivation en ce qui concerne l' étendue de l' obligation de motivation incombant à la Commission;
° erreur de droit résultant de ce que le Tribunal a admis que la simple existence de plaintes à son encontre pouvait, indépendamment de leur bien-fondé, justifier, dans le seul intérêt du service, sa réaffectation;
° erreur de droit résultant de ce que le Tribunal n' a pas pris en compte ses intérêts personnels et violé l' article 24 du statut;
° violation de l' article 26 du statut résultant de ce que le Tribunal a admis que des pièces ne figurant pas dans le dossier individuel d' un fonctionnaire lui soient opposées;
° restriction indue du champ d' application des droits de la défense;
° prise en considération indue de pièces par le Tribunal.
Sur le premier moyen
34 Le requérant soutient que le Tribunal a jugé à tort que la décision litigieuse était suffisamment motivée. La Commission aurait, en effet, retenu une série d' informations pertinentes tout au long de la procédure qui a conduit à l' adoption de la décision de réaffectation. Ainsi, en dépit des demandes répétées du requérant, la Commission aurait toujours refusé de lui communiquer les plaintes sur lesquelles elle se fondait, se limitant à lui en fournir un résumé oral.
35 Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une décision est suffisamment motivée dès lors qu' elle est intervenue dans un contexte connu du fonctionnaire concerné qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêts précités Arning/Commission, point 13, et du 7 mars 1990, Hecq/Commission, point 26).
36 Or, il ressort de l' arrêt attaqué que:
° par note du 8 mai 1992, le requérant a été informé de l' existence de quatre plaintes se référant à un comportement inapproprié dont il aurait fait preuve dans l' exercice de ses fonctions à la délégation de Dacca;
° par une série de télécopies et de notes, adressées les 15 et 28 juin et entre les 11 et 18 juillet 1992, il a répondu aux mises en cause ainsi portées à sa connaissance;
° le 13 juillet 1992, le directeur général chargé des relations Nord-Sud à la DG I l' a informé de son intention de demander sa réaffectation à Bruxelles, en soulignant que cette mesure ne serait ni une mesure disciplinaire ni le résultat d' une appréciation négative de ses qualités professionnelles de réflexion et d' analyse, mais le résultat de la constatation que ses capacités pourraient être mieux exploitées dans le cadre d' un travail à l' intérieur de la Commission que dans une délégation où
sa capacité d' adaptation à un milieu diplomatique n' était pas celle qui avait été espérée;
° M. Ojha a donné ses explications à l' assistant de son directeur général le 7 août 1992, à son directeur le 7 septembre 1992 et à son directeur général à Bruxelles le 9 septembre 1992;
° dans l' appel de la décision qu' il a introduit devant le comité de rotation, il a exposé les arguments qu' il opposait à la décision de réaffectation.
37 Dans ces conditions, le Tribunal a estimé à juste titre que le requérant avait été mis en mesure d' apprécier la légalité de la décision litigieuse et l' opportunité de la soumettre à un contrôle juridictionnel.
38 Le premier moyen doit dès lors être rejeté.
Sur le deuxième moyen
39 Le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit et de motivation en admettant que la Commission invoque, pour justifier la décision de réaffectation dans l' intérêt du service, la seule existence de plaintes dirigées contre lui, indépendamment de leur bien-fondé. Aucune règle de droit ne saurait justifier une telle solution qui, au surplus, violerait les principes de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice.
40 Il convient de rappeler que la jurisprudence de la Cour a reconnu aux institutions de la Communauté un large pouvoir d' appréciation dans l' organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et dans l' affectation en vue de celles-ci du personnel qui se trouve à leur disposition, à condition que cette affectation se fasse dans le respect de la correspondance entre l' emploi et le grade (voir arrêts Lux/Cour des comptes, précité, point 17, et du 23 mars 1988,
Hecq/Commission, 19/87, Rec. p. 1681, point 6).
41 La Cour a jugé à plusieurs reprises que, lorsqu' elles causent des tensions préjudiciables au bon fonctionnement du service, des difficultés relationnelles internes peuvent justifier la mutation d' un fonctionnaire, dans l' intérêt du service. Une telle mesure peut même être prise indépendamment de la question de la responsabilité des incidents en cause (voir arrêt du 12 juillet 1979, List/Commission, 124/78, Rec. p. 2499, point 13).
42 Cette jurisprudence s' impose à plus forte raison dans le domaine des relations extérieures d' un service, tout particulièrement lorsque celui-ci est investi de missions diplomatiques. Le propre des fonctions diplomatiques est, en effet, de prévenir toute tension et d' apaiser celles qui pourraient néanmoins survenir. Elles requièrent impérativement la confiance des interlocuteurs. Dès que celle-ci est ébranlée, pour quelque raison que ce soit, le fonctionnaire impliqué n' est plus en mesure de
les assurer. Afin que les reproches qui lui sont faits ne s' étendent pas à l' ensemble du service concerné, il est de bonne administration que l' institution prenne à son égard, dans les meilleurs délais, une mesure d' éloignement.
43 C' est donc à juste titre que, compte tenu des circonstances qu' il a constatées, le Tribunal a jugé que la Commission avait pu se fonder sur la simple existence de plusieurs plaintes mettant en cause le comportement du requérant, indépendamment de leur bien-fondé, pour ordonner, dans l' intérêt du service, la réaffectation anticipée du requérant au siège de l' institution à Bruxelles.
44 Le deuxième moyen doit dès lors être rejeté.
Sur le troisième moyen
45 Dans une première branche, le requérant soutient que, en estimant que la mesure de réaffectation a été adoptée dans le seul intérêt du bon fonctionnement du service, le Tribunal a violé le principe selon lequel une décision de réaffectation, qui implique le déménagement du fonctionnaire contre son gré, doit être adoptée en tenant compte de l' intérêt personnel du fonctionnaire.
46 Dans la seconde branche, le requérant fait valoir que le Tribunal a méconnu l' article 24 du statut, en considérant que le devoir d' assistance de l' administration vis-à-vis des fonctionnaires prévu par cette disposition n' existe que lorsqu' elle décide d' ouvrir une procédure disciplinaire à l' encontre du fonctionnaire concerné.
Sur la première branche
47 Il convient de relever, d' une part, que le Tribunal a dûment rappelé au point 83 de l' arrêt attaqué qu' une décision de réaffectation d' un fonctionnaire qui entraîne son déménagement dans un autre lieu d' affectation, contre sa volonté, doit être adoptée avec la diligence nécessaire et un soin particulier, notamment en prenant en considération l' intérêt personnel du fonctionnaire concerné.
48 D' autre part, l' affirmation du Tribunal au point 85 de l' arrêt attaqué, selon laquelle la mesure de réaffectation litigieuse avait été adoptée dans le seul intérêt du bon fonctionnement de la délégation de la Commission à Dacca, doit être comprise à la lumière de son contexte. Des points 85 et 86, il ressort que, par cette formule, le Tribunal a simplement constaté que la décision de réaffectation avait été effectivement adoptée dans l' intérêt du service et qu' elle ne constituait pas une
mesure disciplinaire déguisée. Il n' a pas considéré au surplus que la Commission avait ignoré l' intérêt du requérant.
49 Reposant sur une interprétation erronée de l' arrêt attaqué , la première branche du troisième moyen doit dès lors être rejetée.
Sur la seconde branche
50 Le requérant reproche au Tribunal d' avoir méconnu, au point 89, l' article 24 du statut, en considérant que le devoir d' assistance de l' administration vis-à-vis des fonctionnaires prévu par cette disposition n' existe que lorsqu' elle décide d' ouvrir une procédure disciplinaire à l' encontre du fonctionnaire concerné.
51 A cet égard, il y a lieu de relever que le devoir d' assistance de l' institution au titre de l' article 24 du statut n' est nullement subordonné à l' ouverture d' une procédure disciplinaire à l' encontre du fonctionnaire concerné. Ainsi, la décision de la Commission de ne pas ouvrir de procédure disciplinaire à l' encontre du fonctionnaire concerné n' a pas empêché la Cour, dans l' arrêt Guillot/Commission, précité, de constater qu' elle avait violé l' article 24 du statut, en ne prenant pas
toutes les mesures nécessaires pour examiner le bien-fondé des accusations du supérieur hiérarchique.
52 Il s' ensuit que l' interprétation de l' article 24 du statut retenue par le Tribunal doit être considérée comme erronée. Toutefois, elle n' est pas de nature à entraîner l' annulation de l' arrêt attaqué dès lors que le dispositif de celui-ci apparaît fondé pour d' autres motifs de droit (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 1992, Lestelle/Commission, C-30/91 P, Rec. p. I-3755, point 28).
53 Il suffit à cet égard de constater que le moyen tiré d' une prétendue violation de l' article 24 du statut était en l' occurrence inopérant. Dès lors qu' une mutation ou une réaffectation peut être décidée en considération de la simple existence de plaintes, lorsque l' intérêt du service l' exige, il ne saurait être fait grief à l' institution d' avoir adopté une telle mesure sans avoir ouvert au préalable une enquête afin de vérifier le bien-fondé desdites plaintes. Dans un tel contexte, l'
éventuelle inexécution du devoir d' assistance n' est susceptible que d' entraîner l' annulation de la seule décision portant refus de l' assistance demandée (voir arrêt Guillot/Commission, précité, point 14) et, le cas échéant, de constituer une faute de service pouvant engager la responsabilité de la Communauté.
54 Il y a dès lors lieu de rejeter la seconde branche du troisième moyen.
Sur les quatrième, cinquième et sixième moyens
55 Par ses quatrième et cinquième moyens, le requérant reproche en substance au Tribunal d' avoir violé l' article 26 du statut en admettant que la décision de réaffectation a pu valablement être fondée sur des pièces qui ne figuraient pas à son dossier et qui ne lui avaient pas été communiquées, au motif qu' elle n' affectait ni sa situation administrative ni sa carrière.
56 Par son sixième moyen, le requérant fait plus particulièrement grief au Tribunal d' avoir commis une erreur de droit et de motivation en admettant, sur le fondement d' un rapport du 21 mai 1992 du chef de la délégation, non communiqué à l' intéressé et versé exclusivement au dossier du Tribunal dans le cadre de la procédure juridictionnelle, que la décision litigieuse pouvait être justifiée par l' intérêt du service, eu égard à une situation tendue au sein de la délégation de la Commission à
Dacca.
57 Il convient d' abord de rappeler que l' article 26 du statut a pour but d' éviter que des décisions prises par l' AIPN et affectant la situation administrative et la carrière du fonctionnaire concerné ne soient fondées sur des faits concernant son comportement, non versés à son dossier personnel et non communiqués à l' intéressé (voir arrêts du 28 juin 1972, Brasseur/Parlement, 88/71, Rec. p. 499, point 11; du 12 février 1987, Bonino/Commission, 233/85, Rec. p. 739, point 11, et du 7 octobre
1987, Strack/Commission, 140/86, Rec. p. 3939, point 7).
58 Or, une décision de réaffectation affecte nécessairement la situation administrative du fonctionnaire intéressé puisqu' elle en modifie le lieu et les conditions d' exercice des fonctions ainsi que leur nature. Elle peut également avoir une incidence sur la carrière de ce fonctionnaire dans la mesure où elle est susceptible d' exercer une influence sur ses perspectives d' avenir professionnel, certaines fonctions pouvant, à classement égal, conduire mieux que d' autres à une promotion, en raison
de la nature des responsabilités exercées.
59 En jugeant, d' une part, que l' article 26 du statut a pour but d' assurer le respect des droits de la défense du fonctionnaire, en évitant que des décisions prises par l' AIPN, qui affectent sa situation administrative et sa carrière, soient fondées sur des faits relatifs à son comportement, non mentionnés dans son dossier personnel et, d' autre part, que la décision de réaffectation litigieuse n' affectait précisément ni la situation administrative ni la carrière du requérant, le Tribunal a
donc méconnu l' article 26 du statut.
60 En admettant, par voie de conséquence, que des documents non communiqués au requérant et relatifs à son comportement dans le service pouvaient lui être opposés, le Tribunal a plus particulièrement méconnu l' article 26, deuxième alinéa, du statut.
61 Il ressort, en effet, des points 73, 79 et 85 de l' arrêt attaqué que plusieurs documents annexés au mémoire en défense de la Commission n' avaient pas été communiqués au préalable au requérant et que le Tribunal a néanmoins admis que l' institution avait pu en tenir compte pour adopter la décision de réaffectation (voir les points 12 et 24 ci-dessus).
62 Les quatrième, cinquième et sixième moyens sont donc fondés. L' arrêt attaqué doit être annulé dans la mesure où le Tribunal a jugé que l' article 26 du statut n' était pas applicable et qu' aucune violation de l' article 26, deuxième alinéa, du statut ne pouvait être constatée.
63 Selon l' article 54, premier alinéa, du statut CE de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d' être jugé, soit renvoyer l' affaire devant le Tribunal pour qu' il statue. L' affaire étant en état d' être jugée, il y a lieu de statuer définitivement sur les quatrième, cinquième et sixième moyens du recours rejetés à tort par le Tribunal.
Sur le recours en annulation
64 Le requérant fait grief à la Commission d' avoir pris la décision litigieuse sur la base de quatre plaintes mentionnées dans la lettre que lui a adressée le directeur de la DG I, M. Fossati, le 8 mai 1992, alors que ces plaintes, qui contenaient des appréciations sur son comportement dans le service, n' ont été ni portées à sa connaissance ni versées à son dossier.
65 Il fait également valoir qu' une série de documents, annexés par la Commission à son mémoire en défense, ne lui ont jamais été communiqués auparavant. Il s' agit:
i) d' une plainte de l' organisation humanitaire Médecins sans frontières, du 22 avril 1992, relative à un incident qui aurait eu lieu lors d' une réunion tenue le 2 avril 1992 avec certains membres de la délégation à Dacca, dont le requérant;
ii) d' un rapport très circonstancié, établi le 21 mai 1992 par le chef de la délégation de la Commission à Dacca à l' intention du directeur général chargé des relations Nord-Sud à la DG I, qui décrit une situation de tension au sein de la délégation, imputée au requérant;
iii) d' une réclamation du ministère du Jute du gouvernement du Bangladesh au chef de la délégation de la Commission à Dacca, du 18 juin 1992;
iv) d' une note du 13 juillet 1992 de M. Prat à M. de Koster, directeur du personnel et de l' administration, demandant l' ouverture de la procédure de rappel du requérant à Bruxelles;
v) d' une note confidentielle du 16 juillet 1992 de M. Bailly à M. Prat sur la nécessité de réaffecter le requérant à Bruxelles en raison de son comportement tant à l' intérieur qu' à l' extérieur de la délégation;
vi) d' un compte-rendu en date du 14 septembre 1992 de la réunion du 9 septembre 1992 entre M. Prat et le requérant, relatif à sa réaffectation à Bruxelles;
vii) de diverses notes des 14, 15, 18, 19 et 28 octobre 1992 concernant l' agressivité dont le requérant aurait fait preuve, le 14 octobre 1992, vis-à-vis d' un membre de la délégation, M. Hossain;
viii) d' une note du 22 octobre 1992 de M. Bailly à MM. Prat et de Koster sur les mesures qui seraient à envisager au cas où le séjour du requérant serait prolongé après le 31 octobre 1992;
ix) d' une note du 8 novembre 1992 du chef de la délégation à Dacca à MM. de Koster et Prat sur un incident en date du 8 octobre 1992, à l' occasion duquel le requérant aurait fait preuve d' agressivité à l' égard du chef de la délégation.
66 Il convient d' abord de relever que, ainsi qu' il a été jugé aux points 57 à 59 du présent arrêt, l' article 26 du statut était applicable en l' espèce, dès lors que la décision litigieuse affectait la situation administrative et la carrière du requérant.
67 Il y a lieu ensuite de rappeler que la violation de cette disposition n' entraîne l' annulation d' un acte que s' il est établi que les pièces en cause ont pu avoir une incidence décisive sur la décision litigieuse (voir arrêts du 3 février 1971, Rittweger/Commission, 21/70, Rec. p. 7, point 35; du 27 janvier 1983, List/Commission, 263/81, Rec. p. 103, point 27, et Bonino/Commission, précité, point 13).
68 A cet égard, le seul fait que des pièces n' aient pas été versées au dossier individuel n' est pas de nature à justifier l' annulation d' une décision qui fait grief si elles ont été effectivement portées à la connaissance de l' intéressé. En effet, il ressort de l' article 26, deuxième alinéa, du statut que l' inopposabilité à l' égard d' un fonctionnaire de pièces concernant sa compétence, son rendement ou son comportement frappe seulement les pièces qui ne lui ont pas été préalablement
communiquées. Elle ne vise pas les pièces qui, quoique portées à sa connaissance, n' ont pas encore été versées à son dossier personnel. Dans l' hypothèse où l' institution n' insérerait pas de telles pièces dans le dossier personnel du fonctionnaire, il serait toujours loisible à ce dernier d' introduire une demande en ce sens au titre de l' article 90, paragraphe 1, du statut et, en cas de rejet, une réclamation administrative. Mais, en aucun cas, l' institution ne saurait être empêchée de prendre
une décision dans l' intérêt du service sur la base de pièces préalablement communiquées à l' intéressé au seul motif qu' elles n' ont pas été versées à son dossier individuel.
69 Compte tenu de ce qui précède, il convient d' examiner, d' abord, quelles pièces ont été communiquées au requérant et lui sont, par conséquent, opposables et, ensuite, si elles suffisent à justifier la décision litigieuse.
70 S' agissant des quatre plaintes évoquées par le requérant, il échet de constater qu' elles étaient orales, qu' elles ont fait l' objet d' un résumé dans la note du 8 mai 1992, laquelle a été adressée au requérant. Celui-ci a également reconnu que la réclamation du ministère du Jute du gouvernement du Bangladesh en date du 18 juin 1992 lui avait également été communiquée le 30 juin 1992 par le chef de la délégation à Dacca. Quant aux notes énumérées ci-dessus vii) à ix), il suffit de constater
que, postérieures à la décision de l' AIPN du 9 octobre 1992, elles ne doivent pas être prises en considération.
71 En revanche, le rapport interne du 21 mai 1992 du chef de la délégation de la Commission à Dacca, la réclamation écrite du 22 avril 1992 de l' association Médecins sans frontières, la note du 13 juillet 1992 par laquelle M. Prat a demandé la réaffectation du requérant et celle du 14 septembre 1992 rendant compte de la réunion du 9 septembre 1992 n' ont été transmis au requérant qu' après l' introduction du recours juridictionnel.
72 Il y a toutefois lieu de constater que le faisceau d' éléments contenus dans la note du 8 mai 1992 et dans la plainte du 18 juin 1992 justifie à suffisance la mesure de réaffectation dans l' intérêt du service. Il ressort, en effet, de ces pièces que le requérant éprouvait de sérieuses difficultés de communication dans le cadre des relations externes de la délégation. Le niveau de tension était tel que, en conclusion de la lettre du 18 juin 1992, le ministère du Jute annonçait au chef de la
délégation de la Commission que M. Ojha ne serait plus invité à aucune réunion et suggérait qu' une autre personne soit nommée en ses lieu et place.
73 Dans ces conditions, il n' est pas établi que les pièces non communiquées ont pu avoir une incidence décisive sur l' adoption de la décision litigieuse.
74 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en annulation du requérant.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
75 L' article 122, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour prévoit que, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Il résulte de l' article 69, paragraphe 2, du même règlement que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l' article 122, deuxième alinéa, du règlement de procédure, la Cour peut, dans les pourvois formés par les fonctionnaires ou autres agents d'
une institution, décider de répartir les dépens entre les parties, dans la mesure où l' équité l' exige.
76 En l' espèce, la Commission a demandé la condamnation de M. Ojha aux dépens.
77 Si celui-ci n' a effectivement pas obtenu gain de cause, il a toutefois soutenu à juste titre que l' article 26 du statut était applicable à la procédure le concernant.
78 En application de l' article 122, deuxième alinéa, du règlement de procédure de la Cour, il y a dès lors lieu de décider que le requérant supportera deux tiers des dépens, un tiers restant à charge de la Commission.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre)
déclare et arrête:
1) L' arrêt du Tribunal de première instance du 6 juillet 1995, Ojha/Commission (T-36/93), est annulé en ce qu' il a jugé que l' article 26 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes n' était pas applicable et qu' aucune violation de l' article 26, deuxième alinéa, du statut ne pouvait être retenue.
2) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.
3) Le recours, en tant qu' il est fondé sur une violation de l' article 26 du statut, est rejeté.
4) Les dépens seront supportés pour deux tiers par le requérant et pour un tiers par la Commission.