Avis juridique important
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61995J0392
Arrêt de la Cour du 10 juin 1997. - Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne. - Ressortissants des pays tiers - Visa - Procédure législative - Consultation du Parlement européen. - Affaire C-392/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-03213
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1 Actes des institutions - Procédure d'élaboration - Consultation régulière du Parlement - Formalité substantielle - Reconsultation en cas de modification substantielle apportée à la proposition initiale - Notoriété des souhaits du Parlement - Défaut de pertinence
2 Rapprochement des législations - Législations uniformes - Obligation de visa pour les ressortissants des pays tiers - Règlement n_ 2317/95 - Différences substantielles par rapport à la proposition initiale de la Commission - Absence de reconsultation du Parlement - Violation des formes substantielles - Illégalité
(Traité CEE, art. 100 C; règlement du Conseil n_ 2317/95)
3 Recours en annulation - Arrêt d'annulation - Effets - Limitation par la Cour - Règlement - Devoir du Conseil de remédier dans un délai raisonnable à l'irrégularité substantielle à l'origine de l'annulation
(Traité CE, art. 173 et 174, al. 2)
Sommaire
4 La consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l'acte concerné. La participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l'équilibre institutionnel voulu par le traité. Cette compétence constitue l'expression d'un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples
participent à l'exercice du pouvoir par l'intermédiaire d'une assemblée représentative.
L'exigence de consulter le Parlement européen au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique l'exigence d'une nouvelle consultation à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s'écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l'exception des cas où les amendements correspondent, pour l'essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même.
Il n'est pas possible à l'institution qui adopte le texte final de se soustraire à cette exigence au motif qu'elle connaîtrait parfaitement les souhaits du Parlement sur les points essentiels en cause, car cela aboutirait à compromettre gravement la participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, qui est essentielle au maintien de l'équilibre institutionnel voulu par le traité, et reviendrait à méconnaître l'influence que peut avoir sur l'adoption de l'acte en cause la
consultation régulière du Parlement.
5 Il résulte du rapprochement de la proposition de la Commission à l'origine du règlement n_ 2317/95 et du contenu de celui-ci, tel qu'adopté par le Conseil, que, s'agissant de la détermination des pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres et de l'établissement d'une liste commune à cet effet, la proposition de la Commission ne prévoyait, après le 30 juin 1996, que l'existence d'une telle liste désignant
limitativement les pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa, tandis que le règlement permet aux États membres de maintenir, pour une période indéterminée, leur liste des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune dont les ressortissants sont soumis à ladite obligation.
Une telle modification est de nature substantielle. Affectant le système du projet dans son ensemble, elle supposait, s'agissant d'une procédure législative régie par l'article 100 C du traité, une nouvelle consultation du Parlement. Le fait qu'il n'y ait pas été procédé constitue une violation des formes substantielles, qui doit entraîner l'annulation du règlement n_ 2317/95.
6 La nécessité d'éviter que l'annulation, pour violation de l'obligation de procéder à une consultation régulière du Parlement, du règlement n_ 2317/95, déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres, ne crée une discontinuité dans l'harmonisation des dispositions nationales en matière de visas ainsi que d'importants motifs de sécurité juridique justifient que la Cour exerce le pouvoir que lui
confère expressément l'article 174, deuxième alinéa, du traité en cas d'annulation d'un règlement et décide le maintien provisoire des effets du règlement annulé jusqu'à l'adoption par le Conseil d'un nouveau règlement, celui-ci ayant toutefois le devoir de remédier, dans un délai raisonnable, à l'irrégularité commise.
Parties
Dans l'affaire C-392/95,
Parlement européen, représenté par MM. Johann Schoo, chef de division au service juridique, et José-Luis Rufas Quintana, administrateur principal au même service, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès du secrétariat général, Kirchberg,
partie requérante,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Jean-Paul Jacqué, directeur au service juridique, et Michael Bishop, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Bruno Eynard, directeur de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,
partie défenderesse,
soutenu par
République française, représentée par Mmes Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Anne de Bourgoing, chargé de mission au sein de la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 9, boulevard du Prince Henri,
partie intervenante,
ayant pour objet l'annulation du règlement (CE) n_ 2317/95 du Conseil, du 25 septembre 1995, déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres (JO L 234, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, G. F. Mancini et J. L. Murray, présidents de chambre, P. J. G. Kapteyn (rapporteur), C. Gulmann, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann, M. Wathelet et R. Schintgen, juges,
avocat général: M. N. Fennelly,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 4 février 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 mars 1997,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 décembre 1995, le Parlement européen a, en vertu de l'article 173 du traité CE, demandé l'annulation du règlement (CE) n_ 2317/95 du Conseil, du 25 septembre 1995, déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres (JO L 234, p. 1, ci-après le «règlement»).
2 Le règlement est fondé sur l'article 100 C du traité CE et trouve son origine dans une proposition de règlement déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres, que la Commission a présentée au Conseil le 10 décembre 1993 (JO 1994, C 11, p. 15).
3 Le texte de cette proposition est libellé comme suit:
«Le Conseil de l'Union européenne,
vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 100 C,
vu la proposition de la Commission,
vu l'avis du Parlement européen,
considérant que, en vertu de l'article 100 C du traité, le Conseil doit déterminer les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres; que sa place dans le traité démontre que cet article fait partie intégrante des dispositions relatives au marché intérieur;
considérant que, selon l'article 3 B du traité, l'action de la Communauté ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du traité; que la reconnaissance mutuelle par les États membres des visas délivrés par chacun de ces États, laquelle reconnaissance est nécessaire pour donner un effet utile à l'article 100 C, constitue une mesure d'accompagnement indispensable à la réalisation de l'objectif énoncé à l'article 7 A en ce qui concerne la libre circulation des personnes;
considérant qu'il y a lieu de classer les pays tiers selon leur situation politique et économique et selon leurs relations avec la Communauté et ses États membres, en tenant compte du degré d'harmonisation réalisé au niveau des États membres;
considérant que l'article 100 C a pour but d'harmoniser les réglementations et les pratiques des États membres en la matière; que des divergences entre les réglementations et les pratiques des États membres doivent être autorisées pendant une période limitée et à titre transitoire, étant entendu qu'elles ne peuvent pas donner lieu à des contrôles contraires à l'article 7 A du traité; qu'il convient de prévoir l'expiration de ce régime transitoire au 30 juin 1996 et de prévoir l'obligation pour le
Conseil de décider avant cette date s'il impose une exigence de visa aux ressortissants de chaque pays tiers ou s'il les exempte de cette exigence;
considérant que, afin d'assurer la transparence et l'information du citoyen, les mesures prises par les États membres en vertu de ce régime transitoire et exceptionnel doivent être notifiées aux autres États membres et à la Commission; que pour les mêmes raisons cette information doit également être publiée au Journal officiel des Communautés européennes;
considérant que les informations dont il est question à l'article 1er, paragraphe 3, du présent règlement doivent être publiées avant que l'article 1er, paragraphes 1 et 2, ainsi que l'article 2 ne deviennent applicables; que, dès lors, il faut reporter l'application de ces dispositions jusqu'à un mois après l'entrée en vigueur du règlement,
a arrêté le présent règlement
Article premier
1. Les ressortissants des pays tiers figurant en annexe du présent règlement doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres.
2. D'ici au 30 juin 1996, les États membres décident s'ils exigent un visa des ressortissants des pays tiers ne figurant pas en annexe. Avant cette date, le Conseil décide selon la procédure prévue à l'article 100 C, soit d'ajouter chacun de ces pays à cette liste, soit d'exempter ses ressortissants d'une exigence de visa.
3. Les États membres s'informent mutuellement et ils informent la Commission, dans les dix jours ouvrables suivant l'entrée en vigueur du présent règlement, des mesures qu'ils prennent en vertu du paragraphe 2. Toute mesure nouvelle prise sur la base du paragraphe 2 est notifiée de la même manière dans les cinq jours ouvrables. La Commission publie cette information dans la série `C' du Journal officiel des Communautés européennes.
Article 2
Un État membre ne pourra exiger un visa d'une personne qui cherche à franchir ses frontières extérieures et qui possède un visa délivré par un autre État membre, dans la mesure où ce visa est valable dans l'ensemble de la Communauté.
Article 3...
Article 4...»
4 Par lettre du 11 janvier 1994, le Conseil a consulté le Parlement européen sur la proposition de la Commission. Dans sa résolution législative portant avis du Parlement du 21 avril 1994 (JO C 128, p. 350), le Parlement a proposé quatorze amendements et a demandé à être de nouveau consulté au cas où le Conseil entendrait apporter des modifications substantielles à la proposition de la Commission.
5 Dans son amendement 3, le Parlement a insisté pour que la détermination des pays tiers figurant sur la liste négative soit fondée sur des critères clairement compris, objectifs et publiquement établis et pour que les États membres ne puissent pas imposer des exigences de visa à des pays qui ont été exclus de la liste pour des raisons objectives. Dans ses amendements 5 et 15, il a inclus une définition des différentes catégories de visas visés dans le règlement proposé. Dans son amendement 7, le
Parlement a raccourci la période impartie aux États membres pour décider s'ils exigent ou non un visa des ressortissants des pays tiers ne figurant pas sur la liste annexée et a insisté pour être consulté sur chaque mise à jour. Dans son amendement 8, il a renforcé l'interdiction faite à un État membre d'exiger un visa d'une personne qui est détentrice d'un visa uniforme ou qui détient une autorisation délivrée par un autre État membre et qui demande à effectuer un court séjour sur son territoire.
Enfin, dans les amendements 9 et 10, il a suggéré de préciser les conditions pour la délivrance des visas et de prévoir des recours en cas de refus d'octroyer un visa.
6 Le 25 septembre 1995, le Conseil a adopté le règlement qui est rédigé dans les termes suivants:
«Le Conseil de l'Union européenne
vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 100 C,
vu la proposition de la Commission...
vu l'avis du Parlement européen...
considérant que, en vertu de l'article 100 C du traité, le Conseil détermine les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres;
considérant que l'établissement de la liste commune figurant à l'annexe du présent règlement représente un pas important vers l'harmonisation des politiques en matière de visas; que l'article 7 A, deuxième alinéa, du traité stipule notamment que le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes est assurée selon les dispositions du traité; que les autres éléments en vue de l'harmonisation des politiques en matière de visas, notamment
les conditions de délivrance, sont déterminés dans le cadre du titre VI du traité sur l'Union européenne;
considérant que, lors de l'établissement de ladite liste commune, il convient de tenir compte en priorité des risques liés à la sécurité et à l'immigration illégale; que, en outre, les relations internationales entre les États membres et les pays tiers jouent également un rôle;
Il conviendra de fixer, dans le cadre du titre VI du traité sur l'Union européenne, les principes selon lesquels un État membre ne peut exiger de visa d'une personne qui souhaite franchir ses frontières extérieures, lorsque cette personne est en possession d'un visa délivré par un autre État membre, qui est conforme aux conditions harmonisées applicables à la délivrance des visas et qui est valable dans toute la Communauté, ou lorsque cette personne est en possession d'un titre approprié délivré par
un État membre;
...
considérant que l'addition de nouvelles entités à cette liste doit tenir compte de ses implications diplomatiques et des orientations prises en la matière par l'Union européenne; que, en tout état de cause, l'inscription d'un pays tiers sur la liste commune ne préjuge en rien son statut international;
considérant que la détermination des pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres doit être réalisée progressivement; que les États membres s'attachent en permanence à harmoniser leurs politiques de visa à l'égard des pays tiers ne figurant pas sur ladite liste commune; que la réalisation de la libre circulation des personnes prévue à l'article 7 A du traité ne doit pas être affectée par les présentes
dispositions; que, au terme d'une période de cinq ans, la Commission devrait élaborer un rapport sur l'état de l'harmonisation;
considérant que, afin d'assurer la transparence du système et l'information des personnes concernées, les États membres doivent communiquer aux autres États membres et à la Commission les mesures qu'ils ont prises dans le cadre du présent règlement; que, pour les mêmes raisons, ces informations doivent également être publiées au Journal officiel des Communautés européennes;
considérant que les informations visées à l'article 2, paragraphe 4, et à l'article 4, paragraphe 2, doivent être publiées avant l'entrée en vigueur des autres dispositions du présent règlement; que, par conséquent, l'article 2, paragraphe 4, et l'article 4, paragraphe 2, doivent entrer en application avant les autres dispositions du présent règlement,
a arrêté le présent règlement:
Article premier
1. Les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste commune à l'annexe doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres.
2. Les ressortissants de pays issus de pays figurant sur la liste commune sont soumis aux dispositions du paragraphe 1 jusqu'à ce que le Conseil en décide autrement selon la procédure prévue à l'article 100 C du traité.
Article 2
1. Les États membres déterminent si les ressortissants des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune sont soumis à l'obligation de visa.
2. Les États membres déterminent si les apatrides et les réfugiés statutaires sont soumis à l'obligation de visa.
3. Les États membres déterminent si les personnes qui présentent un passeport ou un document de voyage émis par une entité ou une autorité territoriale qui n'est pas reconnue comme État par tous les États membres sont soumises à l'obligation de visa, si cette entité ou cette autorité territoriale ne figure pas sur la liste commune.
4. Dans un délai de dix jours ouvrables suivant l'entrée en vigueur du présent paragraphe, les États membres communiquent aux autres États membres et à la Commission les mesures qu'ils ont prises en vertu des paragraphes 1, 2 et 3. Les mesures prises ultérieurement en vertu du paragraphe 1 sont elles aussi communiquées dans un délai de cinq jours ouvrables.
Les mesures notifiées conformément au présent paragraphe et leur mise à jour sont publiées par la Commission à titre d'information au Journal officiel des Communautés européennes.
Article 3
Cinq ans après l'entrée en vigueur du présent règlement, la Commission élabore un rapport sur l'état de l'harmonisation de la politique des États membres en matière de visa à l'égard des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune et, le cas échéant, présente au Conseil des propositions concernant les autres mesures nécessaires pour réaliser l'objectif d'harmonisation prévu à l'article 100 C.
Article 4...
Article 5...
Article 6
Le présent règlement ne fait pas obstacle à une harmonisation plus poussée, dont la portée irait au-delà de la liste commune, entre les États membres en ce qui concerne la détermination des pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures.
Article 7
Le présent règlement entre en vigueur six mois après sa publication au Journal officiel des Communautés européennes, à l'exception de son article 2, paragraphe 4, et de son article 4, paragraphe 2, qui entrent en vigueur le jour suivant celui de sa publication.»
Sur l'annulation du règlement
7 A l'appui de son recours, le Parlement européen invoque une atteinte à son droit de participer au processus législatif communautaire, résultant de l'omission du Conseil de le consulter une seconde fois avant d'adopter le règlement en question. Cette reconsultation serait nécessaire, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 100 C du traité, dès lors que, comme en l'espèce, le texte adopté par le Conseil comporte des modifications substantielles par rapport à la proposition de la Commission.
8 A cet égard, le Parlement soutient d'abord que, alors que l'article 1er, paragraphe 2, de la proposition de la Commission prévoyait l'établissement, avant le 30 juin 1996, d'une liste définitive des pays dont les ressortissants devraient être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures de la Communauté, l'article 2 du règlement permet aux États membres de décider si les ressortissants des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune sont soumis ou non à l'obligation de
visa. Le Parlement ajoute que le nouveau système adopté conduit à établir une liste explicite, faisant l'objet de l'annexe du règlement, et des listes implicites, dans la mesure où chaque État membre pourra établir sa propre liste. Le règlement s'écarterait ainsi de l'objectif d'harmonisation en matière de visas qui fait l'objet de l'article 100 C du traité.
9 Ensuite, le Parlement observe que la liste des pays figurant à l'annexe de la proposition a été considérablement restreinte dans le règlement puisque le Conseil a réduit de 126 à 98 le nombre des pays tiers y figurant.
10 Enfin, le Parlement fait valoir que l'article 2 de la proposition de la Commission qui prévoyait la reconnaissance mutuelle des visas délivrés par les États membres a été supprimé. Il souligne en outre que, selon les deuxième et quatrième considérants du règlement, ces éléments de l'harmonisation des politiques en matière de visas relèvent du titre VI du traité sur l'Union européenne.
11 En revanche, le Conseil, soutenu par le gouvernement français, estime, en premier lieu, que l'article 2, paragraphe 1, du règlement ne fait que préciser la portée de la proposition de la Commission, selon laquelle, dans l'attente d'une décision du Conseil quant aux pays tiers ne figurant pas en annexe, chaque État membre reste libre de décider s'il impose une obligation de visa ou non aux ressortissants de ces pays. Le Conseil ajoute que la seule différence qui existe à cet égard entre la
proposition et le règlement réside dans le fait que ce dernier prévoit une période transitoire plus longue au cours de laquelle les États membres demeureront compétents pour réglementer des exigences de visa relatives aux ressortissants des pays tiers qui ne figurent pas dans la liste commune.
12 En deuxième lieu, le Conseil observe que la liste commune des pays tiers n'a été modifiée que de façon ponctuelle; en effet, seuls trois pays y auraient été ajoutés et les retraits auraient porté sur d'anciennes colonies de certains États membres dont les flux migratoires seraient faibles.
13 Enfin, le Conseil souligne que la reconnaissance mutuelle des visas n'était pas prévue par la proposition de la Commission. L'article 2 de cette proposition se serait en effet borné à préciser que la reconnaissance mutuelle d'un visa ne pouvait jouer que dans la mesure où ce dernier était valable dans l'ensemble de la Communauté, sans toutefois déterminer les conditions dans lesquelles un visa devrait être valable dans toute la Communauté. Cette disposition n'ayant qu'un effet déclaratoire, il
aurait été nécessaire, dans un souci de clarté juridique, de la supprimer.
14 Il y a lieu de rappeler que la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l'acte concerné. La participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l'équilibre institutionnel voulu par le traité. Cette compétence constitue l'expression d'un principe démocratique fondamental,
selon lequel les peuples participent à l'exercice du pouvoir par l'intermédiaire d'une assemblée représentative (voir, notamment, arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C-21/94, Rec. p. I-1827, point 17)
15 Selon une jurisprudence constante, l'exigence de consulter le Parlement européen au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique l'exigence d'une nouvelle consultation à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s'écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l'exception des cas où les amendements correspondent, pour l'essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même (voir, notamment,
arrêts du 1er juin 1994, Parlement/Conseil, C-388/92, Rec. p. I-2067, point 10, et du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, point 38).
16 Il y a lieu dès lors d'examiner si les modifications dont fait état le Parlement concernent ou non la substance même du texte considéré dans son ensemble.
17 Il convient de rappeler à cet égard que la proposition de la Commission, sur laquelle le Parlement a donné son avis, prévoyait, en son article 1er, paragraphe 1, que les ressortissants des pays tiers mentionnés sur une liste figurant en annexe devraient être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres. Selon le paragraphe 2 de cette disposition, les États membres pouvaient décider, jusqu'au 30 juin 1996, d'exiger un visa des ressortissants des pays tiers ne
figurant pas sur la liste visée au paragraphe 1. Avant cette date, le Conseil devait décider soit d'ajouter chacun de ces pays à cette liste, soit d'exempter ses ressortissants d'une exigence de visa.
18 En revanche, le règlement, en son article 2, paragraphe 1, dispose que les États membres décident si les ressortissants des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune sont soumis ou non à l'obligation de visa.
19 Il résulte du rapprochement de la proposition de la Commission et du règlement que, selon ce dernier, la détermination par les États membres des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune dont les ressortissants sont tenus d'obtenir un visa n'est plus soumise à la limite temporelle qui figure à l'article 1er, paragraphe 2, de la proposition.
20 Ainsi que M. l'avocat général l'a observé au point 28 de ses conclusions, tandis que la proposition de la Commission ne prévoyait, après le 30 juin 1996, que l'existence d'une liste commune désignant limitativement les pays tiers dont les ressortissants devraient être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres, le règlement permet aux États membres de maintenir, pour une période indéterminée, leur liste des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune
dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa. Ces modifications affectent le coeur même du dispositif mis en place et doivent donc être qualifiées de substantielles.
21 Le Conseil considère néanmoins que, même dans l'hypothèse où le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s'écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a été consulté, il est dispensé de reconsulter cette institution, dès lors que, comme en l'espèce, il connaît parfaitement ses souhaits sur les points essentiels en cause.
22 A cet égard, il convient de rappeler que, comme la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, précité, au point 26, la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue l'un des moyens lui permettant de participer effectivement au processus législatif de la Communauté; or, admettre la thèse du Conseil aboutirait à compromettre gravement cette participation essentielle au maintien de l'équilibre institutionnel voulu par le traité et
reviendrait à méconnaître l'influence que peut avoir sur l'adoption de l'acte en cause la consultation régulière du Parlement.
23 Étant donné que la modification examinée ci-dessus, qui affecte le système du projet dans son ensemble, suffit pour exiger une nouvelle consultation du Parlement, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres arguments invoqués par le Parlement.
24 Il y a donc lieu de conclure que le fait que le Parlement n'a pas été consulté une seconde fois dans la procédure législative prévue à l'article 100 C du traité constitue une violation des formes substantielles qui doit entraîner l'annulation du règlement.
Sur le maintien des effets du règlement
25 Dans sa défense, le Conseil a demandé à la Cour, en cas d'annulation du règlement, de maintenir les effets de celui-ci jusqu'à ce que le Conseil arrête une nouvelle réglementation. A cet égard, le Parlement n'a pas présenté d'observations.
26 Il convient de faire droit à cette demande. Comme M. l'avocat général l'a relevé au point 40 de ses conclusions, la nécessité d'éviter une discontinuité dans l'harmonisation des dispositions nationales en matière de visas et d'importants motifs de sécurité juridique justifient que la Cour exerce le pouvoir, que lui confère expressément l'article 174, deuxième alinéa, du traité CE en cas d'annulation d'un règlement, de maintenir provisoirement les effets du règlement annulé jusqu'à ce que le
Conseil ait adopté un nouveau règlement.
27 A cet égard, il y a lieu toutefois de rappeler que le Conseil a le devoir de remédier, dans un délai raisonnable, à l'irrégularité commise (arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, précité, point 33).
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
28 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu dans ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses moyens, il convient de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, de ce même article, la République française, qui est intervenue au litige, supportera ses propres dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR,
déclare et arrête:
1) Le règlement (CE) n_ 2317/95 du Conseil, du 25 septembre 1995, déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres, est annulé.
2) Les effets du règlement annulé sont maintenus jusqu'à ce que le Conseil de l'Union européenne ait adopté une nouvelle réglementation en la matière.
3) Le Conseil est condamné aux dépens.
4) La République française supportera ses propres dépens.