Avis juridique important
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61996C0400
Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 19 février 1998. - Procédure pénale contre Jean Harpegnies. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal correctionnel de Charleroi - Belgique. - Produits phytopharmaceutiques - Réglementation nationale exigeant un agrément par les autorités compétentes - Article 30 du traité CE. - Affaire C-400/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-05121
Conclusions de l'avocat général
A - Introduction
1 La présente demande de décision préjudicielle porte sur la compatibilité avec les dispositions du droit communautaire relatives à la libre circulation des marchandises d'une disposition exigeant l'autorisation des produits phytopharmaceutiques.
2 Le litige principal concerne une procédure pénale engagée en Belgique contre un agriculteur dans la ferme duquel ont été trouvés des produits phytopharmaceutiques non autorisés en Belgique. Ces produits phytopharmaceutiques provenaient de France, où ils avaient été autorisés et régulièrement mis sur le marché.
3 La juridiction de renvoi s'interroge sur le point de savoir si le législateur national peut maintenir l'exigence d'une autorisation propre (et donc supplémentaire) de ces produits, et sanctionner pénalement le non-respect de cette formalité. Elle a saisi la Cour de la question suivante:
«L'intervention de la Belgique, en ce qu'elle exige encore une agréation par ses instances des produits phytopharmaceutiques commercialisés dans un autre État membre, constitue-t-elle une atteinte aux règles relatives à la libre circulation des marchandises dans la Communauté telle que définie par l'article 30 du traité CEE?»
4 Le Royaume-Uni et la Commission ont présenté des observations dans l'affaire. Nous reviendrons sur la teneur de ces observations dans le cadre de notre analyse.
B - Analyse
5 Il convient tout d'abord d'observer que la question préjudicielle, telle qu'elle est formulée, vise l'examen de la compatibilité du droit national avec le droit communautaire. Il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur cette question dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel. Selon une jurisprudence constante, la Cour a coutume, en pareil cas, de fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire et permettant à cette juridiction
de juger de la compatibilité de ces normes avec la règle communautaire évoquée (1).
6 Il convient ensuite de relever que la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est soumise à des dispositions différentes selon qu'il s'agit de produits phytopharmaceutiques à usage agricole («pesticides») ou de produits phytopharmaceutiques à usage non agricole («biocides»).
Alors qu'il existe pour les pesticides une réglementation communautaire spécifique, figurant dans la directive 91/414/CEE (2), la réglementation relative aux biocides n'a pas encore été adoptée (3), de sorte que les dispositions générales du traité sont applicables.
7 Les parties admettent également l'existence à cet égard de conditions différentes, sur lesquelles elles fondent leur argumentation.
8 Le gouvernement du Royaume-Uni part de l'idée qu'il s'agit de produits phytopharmaceutiques relevant du domaine d'application de la directive 91/414 relative aux pesticides. Il en conclut qu'il reste possible d'exiger une autorisation.
9 La Commission suppose, en revanche, qu'il s'agit de biocides, c'est-à-dire de produits phytopharmaceutiques à usage non agricole, car l'ordonnance de renvoi se réfère à l'arrêté royal du 5 juin 1975, qui a déjà joué un rôle dans l'affaire Brandsma (4), laquelle portait sans aucun doute sur les conditions de la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques à usage non agricole. Alors que sa position de départ à l'égard des faits et les conséquences juridiques qui en découlent sont
différentes, la Commission parvient, elle aussi, à la conclusion que le maintien de l'autorisation préalable est compatible avec le droit communautaire.
10 Les faits qui sont à la base de la procédure, tels qu'ils ressortent de la demande de décision préjudicielle et du dossier de l'affaire déposé devant la Cour, laissent à penser que les produits phytopharmaceutiques incriminés sont très vraisemblablement des pesticides à usage agricole. Cette question de fait ne pouvant cependant pas être élucidée avec une certitude absolue, nous examinerons les deux branches de l'alternative existant en l'état du droit. Puisqu'il semble probable que les produits
phytopharmaceutiques trouvés dans la propriété agricole sont à usage agricole, nous examinerons tout d'abord cette hypothèse.
11 La directive 91/414 est fondée sur l'article 43 du traité CE. En raison «des risques et dangers pour l'homme, les animaux et l'environnement» (5) présentés par les produits phytopharmaceutiques, la directive pose le principe selon lequel ils «ne [sont] pas mis sur le marché ou utilisés sans avoir été officiellement autorisés» (6). Cette condition figure à l'article 3, paragraphe 1, de la directive. Les conditions de fond sont énoncées à l'article 4 de la directive. Dans l'intérêt de la libre
circulation des produits phytopharmaceutiques, la réglementation a pour objectif, sous certaines conditions, de reconnaître les autorisations octroyées par un État membre ainsi que les tests effectués en vue de ces autorisations (7). Les conditions requises pour cette reconnaissance mutuelle sont formulées à l'article 10 de la directive. Celui-ci dispose:
«A la requête du demandeur, ... tout État membre auquel est présentée une demande d'autorisation d'un produit phytopharmaceutique déjà autorisé dans un autre État membre doit:
- ...
- dans la mesure où les principes uniformes ont été adoptés conformément à l'article 23, lorsque le produit contient uniquement des substances actives inscrites à l'annexe I, autoriser également la mise sur le marché dudit produit sur son territoire, dans la mesure où les conditions agricoles, phytosanitaires et environnementales, y compris climatiques, intéressant l'utilisation du produit sont comparables dans les régions concernées.»
12 Le Conseil a mené une tentative pour adopter les «principes uniformes» au sens de cette disposition, en arrêtant la directive 94/43/CE (8), mais celle-ci a été annulée par l'arrêt de la Cour du 18 juin 1996, Parlement/Conseil (9).
13 Il faut donc retenir, d'une part, que le principe de l'autorisation préalable est établi d'un point de vue purement formel et que, d'autre part, les conditions de la reconnaissance mutuelle d'une autorisation accordée dans un autre État membre ne sont pas encore fixées. L'article 8 de la directive 91/414 prévoit, certes, des dispositions transitoires et dérogatoires, mais celles-ci ne permettent pas non plus de renoncer au principe de l'autorisation. Donc, aussi bien formellement que sur le fond,
les États membres sont habilités à aménager les conditions d'autorisation.
14 La Commission a relevé que, dans le cas de produits phytopharmaceutiques à usage agricole, ce n'est pas l'arrêté royal du 5 juin 1975 qui s'appliquerait, mais l'arrêté royal du 28 février 1994. Il appartient à la juridiction de renvoi de décider quel est en définitive le droit national applicable.
15 Dans un souci d'exhaustivité, il convient d'indiquer que, dans le cas d'une demande d'autorisation visant un produit phytopharmaceutique déjà autorisé dans un autre État membre, l'article 10, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 91/414 prévoit certaines simplifications, sous la forme d'une reconnaissance des tests et analyses déjà effectués.
16 C'est seulement dans l'hypothèse où, contre toute attente, le litige principal ne concernerait pas des produits phytopharmaceutiques à usage agricole que nous évoquerons la situation juridique qui se présenterait alors.
17 On peut à cet égard se référer à la jurisprudence dans les affaires Biologische Producten (10) et Brandsma (11). Dans l'affaire Biologische Producten, il s'agissait de se prononcer sur l'interdiction de vendre, de stocker ou d'utiliser des produits désinfectants qui n'avaient pas été autorisés en vertu de la loi néerlandaise de 1962 relative aux pesticides. Les produits désinfectants dont l'importation avait donné lieu au litige aux Pays-Bas avaient été régulièrement mis sur le marché en France.
18 Dans l'affaire Brandsma, il s'agissait de la commercialisation dans un magasin belge de vente au détail d'un produit biocide pour lequel aucune demande d'autorisation n'avait été présentée au ministère belge de la Santé, mais qui portait un numéro d'autorisation des Pays-Bas.
19 Ces deux affaires sont donc analogues à celle qui nous est soumise en l'espèce. Les conclusions auxquelles la Cour était alors parvenue peuvent donc également s'appliquer dans le contexte de la présente affaire:
«Selon une jurisprudence constante, une réglementation telle que celle applicable en l'espèce constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité, dès lors qu'elle est susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres» (12).
20 La règle générale posée par l'article 30 du traité CE est restreinte par l'article 36, aux termes duquel les dispositions des articles 30 à 34 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation justifiées notamment par des raisons «de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux» (13). «Dès lors que les produits biocides sont utilisés pour lutter contre les organismes nuisibles pour la santé humaine ou animale et ceux
susceptibles d'endommager les produits naturels ou manufacturés, ils contiennent nécessairement des substances dangereuses» (14). Dans le cas d'espèce, de même, «il n'est pas contesté que la réglementation nationale en cause a pour objet de protéger la santé publique et qu'elle relève dès lors de l'exception prévue par l'article 36» (15).
21 «Les États membres restent libres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes et de l'exigence d'une autorisation préalable à la mise sur le marché de tels produits» (16). Toutefois, ainsi que cela ressort des deux arrêts précités, les États membres sont tenus «de contribuer à un allégement des contrôles dans le commerce intracommunautaire et de prendre en considération les analyses techniques ou chimiques ou les essais de laboratoire
déjà effectués dans un autre État membre» (17).
22 A terme, il semble souhaitable qu'un produit qui a déjà été autorisé soit considéré comme tel dans toute la Communauté. Mais, en l'état actuel du droit, il faut admettre, en conclusion, que le droit communautaire permet à un État membre de subordonner la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à une autorisation. Les analyses déjà effectuées dans le cadre de procédures d'autorisation d'autres États membres doivent être prises en considération à cet effet. La question, posée par la
juridiction de renvoi, de savoir si une autre autorisation nationale porte atteinte au droit communautaire appelle donc, en définitive, une réponse négative.
C - Conclusion
23 Nous suggérons d'apporter à la question préjudicielle la réponse suivante:
«Les dispositions du droit d'un État membre exigeant une autorisation propre pour des produits phytopharmaceutiques qui ont été autorisés et mis sur le marché dans un autre État membre sont en principe compatibles avec le droit communautaire.»
(1) - Arrêt du 17 décembre 1981, Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Producten (272/80, Rec. p. 3277, point 9), ci-après l'arrêt «Biologische Producten».
(2) - Directive du Conseil du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO L 230, p. 1).
(3) - Un projet de directive a récemment été adopté par le comité de conciliation.
(4) - Arrêt du 27 juin 1996 (C-293/94, Rec. p. I-3159).
(5) - Quatrième considérant de la directive.
(6) - Huitième considérant de la directive.
(7) - Seizième considérant de la directive.
(8) - Directive du Conseil du 27 juillet 1994, établissant l'annexe VI de la directive 91/414 (JO L 227, p. 31).
(9) - C-303/94, Rec. p. I-2943.
(10) - Arrêt précité (note 1).
(11) - Arrêt précité (note 4).
(12) - Arrêt Brandsma, précité (note 4), point 5. Dans le même sens, voir également l'arrêt du 7 novembre 1989, Nijman (125/88, Rec. p. 3533, point 12).
(13) - Voir, dans le même sens, l'arrêt Biologische Producten, précité (note 1), point 11.
(14) - Arrêt Brandsma, précité (note 4), point 11; voir également l'arrêt Nijman, précité (note 12), point 13.
(15) - Arrêt Biologische Producten, précité (note 1), point 13.
(16) - Arrêt Brandsma, précité (note 4), point 11; voir également l'arrêt Nijman, précité (note 12), point 14.
(17) - Arrêt Brandsma, précité (note 4), point 12; voir également l'arrêt Biologische Producten, précité (note 1), point 14.