Avis juridique important
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61996J0206
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 11 juin 1998. - Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg. - Manquement d'Etat - Non-transposition de la directive 76/464/CEE. - Affaire C-206/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-03401
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1 Recours en manquement - Procédure précontentieuse - Objet - Détermination de l'objet du litige par l'avis motivé
(Traité CE, art. 169)
2 Environnement - Pollution aquatique - Directive 76/464 - Obligation d'établir des programmes en vue de réduire la pollution causée par certaines substances dangereuses - Portée
(Directive du Conseil 76/464, art. 7, § 1)
Sommaire
1 Dans le cadre du recours en manquement, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l'État membre concerné l'occasion, d'une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d'autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission.
L'objet d'un recours intenté en application de l'article 169 du traité est, par conséquent, circonscrit par la procédure précontentieuse prévue par cette disposition. Dès lors, la requête ne peut être fondée sur des griefs autres que ceux indiqués dans l'avis motivé.
2 Le terme «pollution» des eaux, dont les programmes visés à l'article 7, § 1, de la directive 76/464 ont pour objet la réduction, comprend, selon la définition de l'article 1er, paragraphe 2, sous e), de cette directive, «le rejet de substances ou d'énergie effectué par l'homme dans le milieu aquatique, directement ou indirectement, et ayant des conséquences de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources vivantes et au système écologique aquatique, à porter atteinte aux
agréments ou à gêner d'autres utilisations légitimes des eaux». L'obligation d'arrêter des programmes au sens de l'article 7, paragraphe 1, s'étend donc aux eaux qui sont affectées par de tels rejets.
Parties
Dans l'affaire C-206/96,
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Richard Wainwright, conseiller juridique principal, et Jean-Francis Pasquier, fonctionnaire national détaché auprès du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,
partie requérante,
contre
Grand-duché de Luxembourg, représenté par M. Nicolas Schmit, directeur des relations économiques internationales et de la coopération au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en n'adoptant pas les programmes de réduction de la pollution comprenant des objectifs de qualité pour les eaux ou en ne communiquant pas à la Commission, sous une forme résumée, lesdits programmes ainsi que les résultats de leur application, en violation de l'article 7 de la directive 76/464/CEE du Conseil, du 4 mai 1976, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté (JO L 129, p. 23),
le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE,
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. H. Ragnemalm, président de chambre, R. Schintgen, G. F. Mancini, J. L. Murray et G. Hirsch (rapporteur), juges,
avocat général: M. G. Tesauro,
greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 15 mai 1997, au cours de laquelle la Commission a été représentée par MM. Richard Wainwright et Jean-Francis Pasquier et le grand-duché de Luxembourg par Me Patrick Kinsch, avocat au barreau de Luxembourg,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 juin 1997,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 juin 1996, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en n'adoptant pas les programmes de réduction de la pollution comprenant des objectifs de qualité pour les eaux ou en ne lui communiquant pas, sous une forme résumée, lesdits programmes ainsi que les résultats de leur application, en violation de l'article 7 de la directive 76/464/CEE du Conseil, du 4 mai
1976, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté (JO L 129, p. 23, ci-après la «directive»), le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu dudit traité.
2 La directive vise à l'élimination de la pollution du milieu aquatique par certaines substances particulièrement dangereuses, énumérées dans une liste I de l'annexe de cette directive, et à la réduction de la pollution du milieu aquatique par certaines autres substances dangereuses, énumérées dans une liste II de l'annexe. Afin d'atteindre cet objectif, les États membres doivent, en vertu de l'article 2 de la directive, prendre les mesures appropriées.
3 La liste I comprend des substances choisies principalement sur la base de leur toxicité, de leur persistance et de leur bioaccumulation. En vertu des articles 3 et 6 de la directive, les États membres doivent soumettre tout rejet de ces substances dans le milieu aquatique à une autorisation préalable des autorités compétentes et fixer des normes d'émission qui ne doivent pas dépasser des valeurs limites, ces dernières étant arrêtées par le Conseil en fonction des effets des substances sur le
milieu aquatique.
4 La liste II comprend d'abord, selon son premier tiret, les substances relevant de la liste I pour lesquelles le Conseil n'a pas encore fixé de valeurs limites. Font ainsi actuellement partie de la liste II 99 substances qui figurent sur la liste I.
5 La liste II comprend ensuite, selon son second tiret, les substances dont l'effet nuisible sur le milieu aquatique peut être limité à une certaine zone et qui dépend des caractéristiques des eaux de réception et de leur localisation. Lors d'une réunion d'experts nationaux, qui s'est déroulée les 31 janvier et 1er février 1989, une liste de telles substances considérées comme prioritaires a été mise au point.
6 Afin de réduire la pollution des eaux par les substances relevant de la liste II, l'article 7 de la directive fait obligation aux États membres d'arrêter des programmes pour l'exécution desquels ils soumettent, notamment, tout rejet contenant l'une des substances visées par la liste II à une autorisation préalable et établissent des objectifs de qualité pour les eaux. En vertu de l'article 7, paragraphe 6, de la directive, les programmes et les résultats de leur application doivent être
communiqués à la Commission sous une forme résumée.
7 La directive ne comporte aucun délai de transposition. Néanmoins, son article 12, paragraphe 2, prévoit que la Commission transmet au Conseil, si possible dans un délai de 27 mois après la notification de la directive, les premières propositions faites sur la base de l'examen comparé des programmes établis par les États membres. Considérant que les États membres ne seraient pas en mesure de lui fournir des éléments pertinents dans ce délai, la Commission leur a proposé, par lettre du 3 novembre
1976, de retenir la date du 15 septembre 1981 pour l'établissement des programmes et celle du 15 septembre 1986 pour leur mise en oeuvre.
8 A la suite de la réunion d'experts des 31 janvier et 1er février 1989, la Commission a, par une note du 26 septembre 1989, invité le gouvernement luxembourgeois à lui fournir des informations sur l'adoption des programmes pour les substances, visées au second tiret de la liste II, qui ont été considérées comme prioritaires. Ce gouvernement n'a pas répondu à cette demande.
9 Par lettre du 4 avril 1990, la Commission a invité le gouvernement luxembourgeois à lui communiquer, d'abord, une liste à jour indiquant lesquelles des 99 substances relevant de la liste I et qui doivent être traitées, selon le premier tiret de la liste II, comme des substances de cette dernière liste étaient déversées dans le milieu aquatique au Luxembourg, ensuite, les objectifs de qualité applicables au moment où les autorisations du déversement de rejets susceptibles de contenir l'une de ces
substances ont été accordées et, enfin, les raisons pour lesquelles de tels objectifs n'avaient pas été fixés, ainsi qu'un calendrier indiquant la date à laquelle ces objectifs seraient établis. Cette lettre est également restée sans réponse.
10 Par lettre du 26 février 1991, la Commission a mis en demeure le gouvernement luxembourgeois de lui présenter ses observations dans un délai de deux mois. Ce dernier n'y a pas répondu.
11 Le 25 mai 1993, la Commission a adressé au gouvernement luxembourgeois un avis motivé par lequel elle considérait que, en n'adoptant pas de programmes de réduction de la pollution comprenant des objectifs de qualité pour les 99 substances dangereuses énumérées en annexe, ou en ne lui communiquant pas, sous forme résumée, ces programmes ainsi que les résultats de leur application, en violation de l'article 7 de la directive, et en négligeant de lui fournir les informations demandées à ce sujet, en
violation de l'article 5 du traité CE, le grand-duché de Luxembourg avait manqué à ses obligations en vertu dudit traité. La requérante a demandé à l'État défendeur de prendre les mesures requises pour se conformer à l'avis motivé dans un délai de deux mois. Cet avis motivé est également resté sans réponse.
Sur la recevabilité du recours
12 Conformément à l'article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour peut à tout moment examiner d'office les fins de non-recevoir d'ordre public.
13 Selon une jurisprudence constante (voir arrêt du 20 mars 1997, Commission/Allemagne, C-96/95, Rec. p. I-1653, point 22), la procédure précontentieuse a pour but de donner à l'État membre concerné l'occasion, d'une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d'autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission. L'objet d'un recours intenté en application de l'article 169 du traité est par conséquent
circonscrit par la procédure précontentieuse prévue par cette disposition. Dès lors, la requête ne peut être fondée sur des griefs autres que ceux indiqués dans l'avis motivé (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 23).
14 En l'espèce, il y a lieu de rappeler que, dans l'avis motivé, la Commission a reproché au grand-duché de Luxembourg de ne pas avoir adopté ou communiqué les programmes de réduction de la pollution «pour les 99 substances dangereuses énumérées en annexe», à savoir celles relevant de la liste I qui, faute d'une détermination de leurs valeurs limites, sont provisoirement comprises dans la liste II (conformément au premier tiret de cette dernière liste). En revanche, dans sa requête, la Commission
demande à la Cour de constater, de manière plus générale, que, en n'adoptant pas ou en ne communiquant pas les programmes de réduction de la pollution, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 7 de la directive.
15 Le manquement ainsi reproché doit donc être compris comme visant toutes les substances mentionnées aux premier et second tirets de la liste II, et non pas seulement les 99 substances relevant du premier tiret, qui font l'objet de l'avis motivé. Dans ces conditions, la partie du recours qui tend à faire constater le manquement du grand-duché de Luxembourg aux obligations énoncées à l'article 7 de la directive en ce qui concerne les substances qui, bien qu'énoncées dans la liste II, ne figurent pas
parmi les 99 substances prioritaires doit être déclarée irrecevable.
Sur le fond
16 La Commission soutient que, puisqu'il est constant que le résultat à atteindre pour les substances de la liste II est l'élaboration et l'application des programmes ainsi que l'analyse et la communication de leurs résultats à la Commission, le grand-duché de Luxembourg, en n'ayant jamais procédé à l'établissement et à la mise en oeuvre des programmes, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.
17 Elle relève que, s'agissant en particulier des substances visées au premier tiret de la liste II, les articles 2 et 7 de la directive ne s'appliquent pas uniquement aux rejets provenant des secteurs industriel et commercial. Par ailleurs, ce ne serait pas l'inexistence de tels secteurs traitant les substances en cause, mais l'absence de pollution du milieu aquatique qui pourrait justifier l'absence d'un programme. Même dans une telle hypothèse, l'État membre devrait informer la Commission de
l'absence de pollution pour justifier du fait qu'il n'établira pas de programmes.
18 Le gouvernement luxembourgeois fait valoir qu'il n'a pas établi les programmes visés à l'article 7, paragraphe 1, de la directive, car il n'y en avait aucune nécessité. Il affirme qu'il n'existe pas au Luxembourg de secteurs industriel ou commercial produisant des rejets qui traitent l'une des 99 substances en cause. Il n'y aurait donc pas, en provenance de ces secteurs, de rejets d'eaux usées susceptibles de contenir de telles substances.
19 Toutefois, si une demande d'exploitation d'un établissement entendant traiter l'une des substances en question était présentée, les normes pertinentes seraient élaborées pour l'autorisation du déversement requise, notamment, au titre de la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l'eau ainsi que de la loi du 9 mai 1990 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes, normes qui seraient établies en se basant sur la meilleure technique disponible.
20 Il convient de rappeler, en premier lieu, que les programmes visés à l'article 7, paragraphe 1, de la directive ont pour objet la réduction de la pollution des eaux. Le terme «pollution» comprend, selon la définition de l'article 1er, paragraphe 2, sous e), de cette directive, «le rejet de substances ou d'énergie effectué par l'homme dans le milieu aquatique, directement ou indirectement, et ayant des conséquences de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources vivantes et
au système écologique aquatique, à porter atteinte aux agréments ou à gêner d'autres utilisations légitimes des eaux». L'obligation d'arrêter des programmes au sens de l'article 7, paragraphe 1, s'étend donc aux eaux qui sont affectées par de tels rejets. Le gouvernement luxembourgeois et la Commission sont d'accord sur ce point.
21 S'agissant, en second lieu, du degré de pollution des eaux au Luxembourg, il y a lieu de constater que la Commission a, à plusieurs reprises, invité le gouvernement luxembourgeois à lui communiquer, d'abord, une liste à jour indiquant lesquelles des 99 substances relevant de la liste I et qui doivent être traitées, selon le premier tiret de la liste II, comme des substances de cette dernière liste étaient déversées dans le milieu aquatique au Luxembourg, ensuite, les objectifs de qualité
applicables au moment où les autorisations du déversement de rejets susceptibles de contenir l'une de ces substances ont été accordées et, enfin, les raisons pour lesquelles de tels objectifs n'avaient pas été fixés, ainsi qu'un calendrier indiquant la date à laquelle ces objectifs seraient établis. Ces demandes sont restées sans réponses.
22 Lors de l'audience, le représentant du gouvernement luxembourgeois n'a pas contredit l'affirmation de la Commission selon laquelle des industries telles que celles actives au Luxembourg entraînent des rejets dans l'eau de substances visées dans la directive. Il a même reconnu que certaines de ces substances sont déversées dans le milieu aquatique au Luxembourg, sans toutefois les préciser. Il a également admis que la réglementation luxembourgeoise ne contient pas d'objectifs de qualité visés à
l'article 7, paragraphe 3, de la directive.
23 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en n'adoptant pas les programmes de réduction de la pollution en ce qui concerne 99 substances relevant de la liste I de l'annexe de la directive et qui doivent être traitées, selon le premier tiret de la liste II, comme des substances de cette dernière liste, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
24 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Le grand-duché de Luxembourg ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(sixième chambre)
déclare et arrête:
1) En n'adoptant pas les programmes de réduction de la pollution en ce qui concerne 99 substances relevant de la liste I de l'annexe de la directive 76/464/CEE du Conseil, du 4 mai 1976, concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté, et qui doivent être traitées, selon le premier tiret de la liste II, comme des substances de cette dernière liste, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu
ladite directive.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le grand-duché de Luxembourg est condamné aux dépens.