Avis juridique important
|
61996J0298
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 16 juillet 1998. - Oelmühle Hamburg AG et Jb. Schmidt Söhne GmbH & Co. KG contre Bundesanstalt für Landwirtschaft und Ernährung. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Frankfurt am Main - Allemagne. - Aides communautaires indûment versées - Répétition - Application du droit national - Conditions et limites. - Affaire C-298/96.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-04767
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
Ressources propres des Communautés européennes - Aides communautaires indûment versées - Répétition - Réglementation nationale permettant la prise en compte de la disparition de l'enrichissement - Admissibilité - Conditions
Sommaire
Le droit communautaire ne s'oppose pas, en principe, à ce qu'une réglementation nationale permette d'exclure la répétition d'aides communautaires indûment versées, en prenant en considération des critères tels que la disparition de l'enrichissement, lorsque, s'agissant d'une aide à la transformation des graines oléagineuses,
- le bénéficiaire a déjà, au moment où l'aide a été octroyée, transféré l'avantage patrimonial qui en résulte à ses fournisseurs en leur payant le prix indicatif prévu par le droit communautaire, et
- qu'un éventuel droit de recours à l'encontre de ses fournisseurs serait dénué de toute utilité.
Cela présuppose toutefois:
- que soit établie la bonne foi du bénéficiaire et
- que les conditions prévues soient les mêmes que pour la récupération de prestations financières purement nationales.
En ce qui concerne, plus particulièrement, la condition tenant à la bonne foi du bénéficiaire, dans la mesure où un opérateur économique rédige et dépose une déclaration en vue d'obtenir des aides, le seul fait de l'avoir établie ne saurait lui ôter la faculté d'invoquer sa bonne foi lorsque la déclaration se fonde exclusivement sur des informations fournies par des tiers. Toutefois, il incombe à la juridiction nationale d'examiner si, dans les circonstances de chaque espèce, certains indices ne
doivent pas inciter l'opérateur économique à vérifier l'exactitude de ces informations.
Parties
Dans l'affaire C-298/96,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main (Allemagne) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre
Oelmühle Hamburg AG,
Jb. Schmidt Söhne GmbH & Co. KG
et
Bundesanstalt für Landwirtschaft und Ernährung,
une décision à titre préjudiciel relative aux principes de droit communautaire applicables dans le cadre d'actions intentées par les autorités nationales en vue de la répétition d'une aide communautaire indûment versée,
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. C. Gulmann, président de chambre, M. Wathelet, D. A. O. Edward, P. Jann (rapporteur) et L. Sevón, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Oelmühle Hamburg AG et Jb. Schmidt Söhne GmbH & Co. KG, par Me Jürgen Gündisch, avocat à Hambourg,
- pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au même ministère, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Klaus-Dieter Borchardt, membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Oelmühle Hamburg AG et Jb. Schmidt Söhne GmbH & Co. KG, représentées par Me Jürgen Gündisch, du gouvernement allemand, représenté par M. Claus-Dieter Quassowski, Regierungsdirektor au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. Klaus-Dieter Borchardt, à l'audience du 9 octobre 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 4 décembre 1997,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par ordonnance du 27 août 1996, parvenue à la Cour le 11 septembre suivant, le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main a, en application de l'article 177 du traité CE, saisi la Cour d'une question préjudicielle relative aux principes de droit communautaire applicables dans le cadre d'actions intentées par les autorités nationales en vue de la répétition d'une aide communautaire indûment versée.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre de deux litiges opposant, d'une part, les huileries Oelmühle Hamburg AG (ci-après «Oelmühle») et, d'autre part, Jb. Schmidt Söhne GmbH & Co. KG (ci-après «Schmidt») à la Bundesanstalt für Landwirtschaft und Ernährung (ci-après la «BLE») au sujet de la répétition partielle d'aides octroyées pour la transformation de colza.
3 L'octroi d'une aide à la transformation des graines oléagineuses recueillies et transformées dans la Communauté est prévu par l'article 27, paragraphe 1, du règlement n_ 136/66/CEE du Conseil, du 22 septembre 1966, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO 1966, 172, p. 3025). Cette disposition prévoit:
«Lorsque le prix indicatif valable pour une espèce de graine est supérieur au prix du marché mondial déterminé pour cette espèce, conformément aux dispositions de l'article 29, il est octroyé une aide pour les graines de ladite espèce récoltées et transformées dans la Communauté; sous réserve des exceptions ... cette aide est égale à la différence entre ces prix.»
4 Les principes d'octroi de cette aide figuraient à l'époque des faits de l'affaire au principal dans le règlement (CEE) n_ 1594/83 du Conseil, du 14 juin 1983, relatif à l'aide pour les graines oléagineuses (JO L 163, p. 44), ainsi que dans le règlement (CEE) n_ 2681/83 de la Commission, du 21 septembre 1983, portant modalités d'application du régime de l'aide pour les graines oléagineuses (JO L 266, p. 1).
5 Afin de contrôler que les aides ne soient accordées que pour les graines pouvant en faire l'objet, l'article 4 du règlement n_ 1594/83, tel que modifié par le règlement (CEE) n_ 935/86 du Conseil, du 25 mars 1986 (JO L 87, p. 5), a institué un certificat d'aide communautaire en deux parties, dont l'une était destinée à fournir la preuve que les graines récoltées dans la Communauté avaient été identifiées dans une huilerie ou dans une entreprise de fabrication d'aliments pour animaux (partie
dénommée «I.D.») et dont l'autre était destinée à attester, le cas échéant, que le montant de l'aide avait été fixé à l'avance (partie dénommée «A.P.»).
6 En vertu de l'article 3 du règlement n_ 1594/83, tel que modifié par le règlement n_ 935/86, le processus d'«identification» des graines est confié à l'organisme compétent de l'État membre auprès duquel l'aide est sollicitée.
7 La naissance du droit à l'aide et son versement sont réglementés par l'article 10 de ce même règlement, modifié, qui prévoit:
«1. Le droit à l'aide est acquis:
a) en ce qui concerne les graines de colza, de navette et de tournesol transformées en vue de la production d'huile, au moment de leur transformation;
b) en ce qui concerne les graines de colza et de navette incorporées dans les aliments pour animaux, au moment de leur incorporation.
2. L'aide est versée au détenteur de la partie `identification' du certificat visé à l'article 4 dans l'État membre où les graines sont mises sous contrôle:
- en ce qui concerne les graines visées au paragraphe 1, point a), lorsque la preuve de la transformation a été apportée,
- en ce qui concerne les graines visées au paragraphe 1, point b), lorsque la preuve de l'incorporation a été apportée.
...»
8 L'aide en question correspond à la différence entre le prix indicatif en vigueur pour une espèce de graine et le prix du marché mondial. Conformément à l'article 33, paragraphe 1, du règlement n_ 2681/83, elle est fixée par la Commission «aussi souvent que la situation du marché le rend nécessaire et de façon à assurer sa mise en oeuvre au moins une fois par semaine».
9 Ainsi, la Commission fixe d'abord l'aide «brute» en écus. Ensuite, ce montant est converti dans les monnaies nationales et augmenté ou diminué d'un montant correcteur (aide «définitive»), et enfin, moyennant les cours de change au comptant et à terme de l'écu dans les monnaies nationales, le montant est converti dans la monnaie de l'État membre dans lequel la graine a été transformée, si celui-ci n'est pas l'État où elle a été produite. L'aide varie ainsi d'un État à l'autre, en fonction de la
situation monétaire des États membres.
10 Dans la première affaire, il résulte du dossier qu'Oelmühle a acheté en 1988, par l'entremise d'une société de courtage sise à Hambourg, plusieurs lots de colza auprès d'un fournisseur français.
11 La facture des marchandises livrées par le fournisseur français, une lettre de garantie, le certificat d'assurance, l'exemplaire de contrôle du document de transit et les rapports d'expertise établis par un laboratoire de Hambourg indiquaient que les lots litigieux de colza étaient d'origine irlandaise. La BLE a donc délivré à Oelmühle des certificats d'identification (ci-après les «certificats I.D.») pour du colza d'origine irlandaise et, par trois décisions du 20 mai 1989, lui a octroyé, sur la
base du taux applicable au colza d'origine irlandaise, des aides pour la transformation d'une quantité totale de 1 167 858 kg de colza.
12 Par la suite, l'administration des douanes irlandaise a constaté qu'une quantité de 389 400 kg de colza n'était en réalité pas originaire de la république d'Irlande, mais d'Irlande du Nord, et donc du Royaume-Uni. En conséquence, la BLE a annulé les certificats I.D. qu'elle avait délivrés ainsi que les trois décisions par lesquelles elle avait octroyé les aides, et a exigé le remboursement de celles-ci.
13 La réclamation qu'elle avait introduite à l'encontre de cette décision ayant été rejetée par décision du 17 février 1994, Oelmühle a, le 17 mars 1994, formé un recours devant le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main. En premier lieu, elle conteste que le colza soit originaire d'Irlande du Nord. En second lieu, elle fait valoir qu'une partie de l'enrichissement dont elle a bénéficié a disparu, au motif qu'elle a, en réalité, transféré l'avantage patrimonial qu'elle avait reçu à ses fournisseurs en
acquittant le prix indicatif qui est supérieur au prix normal du marché, et qu'il est extrêmement douteux qu'elle puisse exercer un recours à leur encontre.
14 Dans la seconde affaire, il apparaît que Schmidt a acquis, de 1984 à 1986, une certaine quantité de colza, dont une partie lui a été fournie directement par un précédent acquéreur.
15 Sur la base des informations fournies par Schmidt, selon lesquelles le colza avait été récolté en Allemagne, la BLE a délivré des certificats I.D. pour du colza d'origine allemande et, par sept décisions prises entre novembre 1984 et janvier 1987, a octroyé les aides prévues à cet égard.
16 A la suite d'une enquête dont a fait l'objet le précédent acquéreur, l'administration douanière a constaté qu'une partie du colza subventionné avait été importée de France. La BLE a alors annulé les certificats I.D. délivrés à Schmidt, ainsi que les décisions d'octroi des aides, et exigé le remboursement des montants octroyés à tort.
17 La réclamation qu'elle avait introduite à l'encontre de la décision de la BLE ayant été rejetée le 3 juin 1991, Schmidt a, par acte du 25 juin 1991, également introduit un recours devant le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main. En premier lieu, elle conteste que le colza soit d'origine française. En second lieu, elle fait valoir qu'une partie de l'enrichissement dont elle a bénéficié a disparu, au motif qu'elle a, en réalité, transféré l'avantage patrimonial qu'elle avait reçu à ses fournisseurs,
en acquittant le prix indicatif, et que les recours qu'elle peut exercer à l'encontre de ceux-ci sont pratiquement sans utilité, soit que les délais sont prescrits, soit que les fournisseurs sont insolvables.
18 Le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main a joint les deux affaires. La BLE conclut au rejet des deux recours en soutenant que le bénéficiaire d'une subvention, alors même qu'il a déjà transféré le bénéfice de celle-ci à ses fournisseurs par le biais du prix qu'il a acquitté, ne saurait invoquer la disparition de l'enrichissement lorsque le retrait de cette subvention trouve son origine dans la réalisation d'un risque qu'il doit assumer.
19 Le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main relève que, en droit allemand, si les décisions octroyant illégalement des avantages doivent en principe être retirées, la répétition d'aides octroyées illégalement peut être écartée si leurs bénéficiaires sont en mesure d'invoquer la disparition de l'enrichissement [article 10, paragraphe 1, du Gesetz zur Durchführung der gemeinsamen Marktorganisationen (loi portant mise en oeuvre des organisations communes de marché), tel que promulgué le 27 août 1986,
qui renvoie à l'article 48, paragraphes 2 4, et à l'article 49 a, paragraphes 1, première phrase, et 2, du Verwaltungsverfahrensgesetz (loi sur la procédure administrative non contentieuse), ainsi que l'article 818, paragraphe 3, du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil allemand)]. La disparition de l'enrichissement sans cause ne peut cependant pas être invoquée lorsque le débiteur de l'obligation de répétition connaissait les circonstances qui ont motivé l'illégalité de l'acte ou que sa
méconnaissance desdites circonstances est le fruit d'une négligence grave (article 49 a, paragraphe 2, deuxième phrase, du Verwaltungsverfahrensgesetz).
20 Le Verwaltungsgericht tend à considérer que, en vertu desdites dispositions, il convient d'admettre que, en l'espèce, il y a eu disparition de l'enrichissement et donc d'annuler les décisions de répétition prises par la BLE. Il éprouve néanmoins certains doutes quant à la compatibilité du moyen tiré de la disparition de l'enrichissement, dans les conditions de l'espèce, avec la jurisprudence de la Cour, telle qu'elle résulte notamment de l'arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a.
(205/82 à 215/82, Rec. p. 2633). Selon cette jurisprudence, la répétition qu'imposerait le droit communautaire ne devrait pas être rendue pratiquement impossible et l'intérêt communautaire devrait être pleinement pris en considération.
21 C'est dans ces conditions que le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main a sursis à statuer et soumis à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Le droit national allemand est-il compatible avec le droit communautaire lorsqu'il écarte la répétition d'aides indûment versées pour la transformation de colza dans les cas où le bénéficiaire de ces aides, pour autant qu'il n'ait pas eu connaissance des circonstances ayant provoqué l'illégalité de la décision d'octroi et que cette ignorance ne soit pas le fruit d'une négligence grave (article 48, paragraphe 2, septième phrase, du Verwaltungsverfahrensgesetz dans son ancienne version, qui
correspond aujourd'hui à l'article 49 a, paragraphe 2, deuxième phrase, du Verwaltungsverfahrensgesetz), est en droit d'invoquer la disparition de l'enrichissement sur le fondement des dispositions combinées de l'article 48, paragraphe 2, sixième phrase, du Verwaltungsverfahrensgesetz (article 49 a, paragraphe 2, du Verwaltungsverfahrensgesetz, tel que modifié) et de l'article 818, paragraphe 3, du BGB, sachant qu'il convient en règle générale d'admettre cette disparition de l'enrichissement lorsque
le bénéficiaire a déjà, au moment où l'aide est octroyée, transféré l'avantage patrimonial résultant de cette aide en payant le prix indicatif prévu par le droit communautaire et qu'il ne dispose d'aucun droit de recours à l'encontre des fournisseurs du colza transformé ou que ce droit est dénué de toute valeur?»
22 Par cette question, la juridiction nationale demande en substance si le droit communautaire s'oppose à ce qu'une réglementation nationale permette d'exclure la répétition d'aides communautaires indûment versées, en prenant en considération, à condition que soit établie la bonne foi du bénéficiaire, des critères tels que la disparition de l'enrichissement dans un cas où le bénéficiaire a déjà, au moment où l'aide a été octroyée, transféré l'avantage patrimonial qui en résulte en payant le prix
indicatif prévu par le droit communautaire et où un éventuel droit de recours à l'encontre de ses fournisseurs serait dénué de toute utilité.
23 A titre liminaire, il convient de rappeler qu'il appartient aux États membres, en vertu de l'article 5 du traité CE, d'assurer sur leur territoire respectif l'exécution des réglementations communautaires, notamment dans le cadre de la politique agricole commune. De même, il résulte de l'article 8, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 94, p. 13), que les États membres doivent prendre les mesures
nécessaires pour récupérer les sommes perdues à la suite d'irrégularités ou de négligences. Tout exercice d'un pouvoir d'appréciation sur l'opportunité d'exiger ou non la restitution de fonds communautaires indûment ou irrégulièrement octroyés serait incompatible avec cette obligation (arrêt Deutsche Milchkontor e.a., précité, points 17, 18 et 22).
24 Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour que les litiges relatifs à la récupération de montants indûment versés en vertu du droit communautaire doivent, en l'absence de dispositions communautaires, être tranchés par les juridictions nationales, en application de leur droit national, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire, en ce sens que les modalités prévues par le droit national ne peuvent aboutir à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la mise en
oeuvre de la réglementation communautaire et que l'application de la législation nationale doit se faire d'une façon non discriminatoire par rapport aux procédures visant à trancher des litiges nationaux du même type (voir, notamment, arrêts Deutsche Milchkontor e.a., précité, point 19, et du 12 mai 1998, Steff-Houlberg Export e.a., C-366/95, non encore publié au Recueil, point 15, ainsi que, relatifs au droit procédural national, arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C-312/93, Rec. p. I-4599,
point 12, et Van Schijndel et Van Veen, C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I-4705, point 17). Si le droit national soumet le retrait d'un acte administratif irrégulier à l'appréciation des différents intérêts en cause, à savoir, d'une part, l'intérêt général au retrait de l'acte et, d'autre part, la protection de la confiance de son destinataire, l'intérêt de la Communauté doit être pleinement pris en considération (arrêt Deutsche Milchkontor e.a., précité, point 32).
25 Dans l'arrêt Deutsche Milchkontor e.a., précité, compte tenu de ces éléments, la Cour a dit pour droit que le droit communautaire ne s'oppose pas à la prise en considération par la législation nationale concernée, pour l'exclusion d'une répétition d'aides communautaires indûment versées, de critères tels que la disparition de l'enrichissement sans cause.
26 Selon les demanderesses au principal, le moyen qu'elles tirent de la disparition de l'enrichissement dans les circonstances de l'espèce satisfait aux conditions posées par la Cour. En effet, l'intérêt communautaire ne pourrait être que très faiblement affecté, puisque l'objectif de la mesure de politique agricole commune, à savoir l'octroi d'aides à des producteurs de graines oléagineuses récoltées et transformées dans la Communauté, a été, en substance, réalisé lorsque les huileries ont
transféré l'aide aux producteurs ou aux fournisseurs par le biais du prix de vente. Un remboursement serait d'autant plus injustifié que les huileries répartissent les aides entre les différents producteurs de graines oléagineuses pour le compte de la Communauté. On ne saurait donc leur faire supporter des risques qui relèvent, en réalité, de la sphère de cette dernière.
27 Le gouvernement allemand souscrit à cette analyse, en faisant valoir que la présente affaire concerne la même disposition nationale que celle qui était en cause dans le litige qui a donné lieu à l'arrêt Deutsche Milchkontor e.a., précité. Tout comme dans cette affaire, l'application de cette disposition à la répétition de l'aide dans les circonstances de l'espèce n'affecterait ni la portée ni l'effectivité du droit communautaire.
28 En revanche, la Commission estime que la question préjudicielle appelle une réponse négative. Elle considère notamment que retenir le moyen tiré de la disparition de l'enrichissement sans cause lorsque le bénéficiaire de l'aide a cru à l'exactitude des indications d'origine contreviendrait aux conditions auxquelles est soumis l'octroi des aides à la transformation pour les graines oléagineuses et remettrait ainsi en question l'efficacité de ce régime d'aides dans son ensemble. Par ailleurs, selon
la Commission, le bénéficiaire de l'aide doit, afin d'obtenir celle-ci, fournir certaines indications ayant trait, notamment, à l'origine de la récolte des graines et dont il assume seul la responsabilité. Elle en conclut que le bénéficiaire de l'aide est soumis à une obligation objective de garantie qui exclut qu'il puisse invoquer, ultérieurement, la disparition de l'enrichissement sans cause.
29 A cet égard, il convient de relever, tout d'abord, que ce n'est qu'à la condition qu'elles aient été de bonne foi quant à la conformité de la marchandise avec la déclaration qu'elles ont déposée en vue de recevoir les aides en cause que les huileries sont en mesure d'en contester la répétition. Afin de savoir si cette condition est remplie, il y a lieu de se demander, d'une part, si les huileries ayant elles-mêmes rédigé, en vue d'obtenir des aides, la déclaration comportant l'origine de la
marchandise peuvent, en dépit de ce fait, exciper de leur bonne foi et, d'autre part, si, pour être de bonne foi, elles auraient été tenues de procéder à des inspections relatives à l'origine de la marchandise.
30 Il convient de rappeler que, en l'espèce, aucune disposition communautaire ne régit le recouvrement des aides au cas où celles-ci ont été versées sur la base de documents s'étant ensuite avérés non conformes à la réalité. Il y a lieu d'observer à cet égard qu'en particulier les règlements n_ 136/66, n_ 1594/83 et n_ 2681/83 ne font pas référence au recouvrement. Dans de telles circonstances, dans la mesure où un opérateur économique rédige et dépose une déclaration en vue d'obtenir des aides, le
seul fait de l'avoir établie ne saurait lui ôter la faculté d'invoquer sa bonne foi lorsque la déclaration se fonde exclusivement sur des informations fournies par des tiers. Toutefois, il incombe à la juridiction nationale d'examiner si, dans les circonstances de l'espèce, certains indices ne devaient pas inciter l'opérateur économique à vérifier l'exactitude de ces informations.
31 Dans la mesure où la juridiction nationale conclut à la bonne foi des huileries, le droit communautaire ne s'oppose pas à la prise en compte du moyen tiré de la disparition de l'enrichissement en cause. En effet, dès lors que ce principe fait également partie de l'ordre juridique communautaire, on ne saurait considérer comme contraire à ce même ordre juridique qu'une législation nationale en fasse application dans un domaine comme celui de la répétition d'aides communautaires indûment versées.
32 Quant à la circonstance que le bénéficiaire d'une aide a déjà, au moment où celle-ci est octroyée, transféré l'avantage patrimonial en résultant en payant le prix indicatif au producteur, il y a lieu de relever, comme M. l'avocat général l'a fait observer au point 44 des conclusions, qu'il s'agit d'une particularité du régime communautaire instauré en matière d'aides à la transformation des graines oléagineuses, dont les éventuels dysfonctionnements ne sauraient être répercutés sur les
entreprises de transformation.
33 La Commission fait valoir que, dans un cas tel que celui de l'espèce au principal, les droits de recours dont disposent les bénéficiaires de l'aide à l'encontre des producteurs ou de leurs fournisseurs sont, en règle générale, dénués d'utilité, de sorte que la répétition des aides serait pratiquement impossible au sens de la jurisprudence Deutsche Milchkontor e.a., précitée.
34 A cet égard, il convient de constater que l'une des conditions requises pour invoquer la disparition de l'enrichissement est qu'il soit établi par la juridiction nationale, dans le cas concret, que l'opérateur économique ne dispose d'aucune possibilité de recours à l'encontre de ses fournisseurs.
35 En effet, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que la règle générale applicable en droit national est la répétition des aides indûment versées et que le moyen tiré de la disparition de l'enrichissement n'est admis qu'à titre exceptionnel, lorsqu'il apparaît que l' indemnisation par des tiers n'est pas possible. Dans ces conditions, la seule présomption que les producteurs se trouvent dans une situation financière généralement déplorable, comme semble le soutenir la
Commission, ne suffit pas à établir l'impossibilité pratique de la répétition dans le sens de la jurisprudence Deutsche Milchkontor e.a., précitée.
36 Enfin, la Commission se réfère à l'arrêt du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C-24/95, Rec. p. I-1591, point 50), relatif à une aide étatique illégalement attribuée, dans lequel la Cour a jugé que l'objection à la restitution tirée de la disparition de l'enrichissement rendrait pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire.
37 A cet égard, il suffit de constater que cette appréciation, portée dans le cadre de l'article 93 du traité CE, ne saurait être transposée à la répétition d'aides communautaires indûment versées. En effet, ainsi qu'il ressort des points 47 à 51 des conclusions de M. l'avocat général, les deux situations ne sont pas comparables; en particulier, l'avantage concurrentiel conféré aux entreprises nationales, qui caractérise les aides étatiques, fait défaut dans le cadre des aides communautaires dans le
domaine de la politique agricole commune.
38 Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que le droit communautaire ne s'oppose pas, en principe, à ce qu'une réglementation nationale permette d'exclure la répétition d'aides communautaires indûment versées, en prenant en considération des critères tels que la disparition de l'enrichissement, lorsque:
- le bénéficiaire a déjà, au moment où l'aide a été octroyée, transféré l'avantage patrimonial qui en résulte en payant le prix indicatif prévu par le droit communautaire, et
- qu'un éventuel droit de recours à l'encontre de ses fournisseurs serait dénué de toute utilité.
Cela présuppose toutefois:
- que soit d'abord établie la bonne foi du bénéficiaire et
- que les conditions prévues soient les mêmes que pour la récupération de prestations financières purement nationales.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
39 Les frais exposés par le gouvernement allemand et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main, par ordonnance du 27 août 1996, dit pour droit:
Le droit communautaire ne s'oppose pas, en principe, à ce qu'une réglementation nationale permette d'exclure la répétition d'aides communautaires indûment versées, en prenant en considération des critères tels que la disparition de l'enrichissement, lorsque:
- le bénéficiaire a déjà, au moment où l'aide a été octroyée, transféré l'avantage patrimonial qui en résulte en payant le prix indicatif prévu par le droit communautaire, et
- qu'un éventuel droit de recours à l'encontre de ses fournisseurs serait dénué de toute utilité.
Cela présuppose toutefois:
- que soit établie la bonne foi du bénéficiaire et
- que les conditions prévues soient les mêmes que pour la récupération de prestations financières purement nationales.