ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
16 juillet 1998 ( *1 )
«Fonctionnaires — Article 88 du statut — Suspension — Retenue de rémunération — Droit à pension — Dommages et intérêts»
Dans l'affaire T-219/96,
Y, ancien fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Bruxelles, représenté, au cours de la procédure écrite, par Me Gérard Collin et, lors de la procédure orale, par M" Claude Andries et Jacques Lombart avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg, auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,
partie requérante,
contre
Parlement européen, représenté par M. Hans Krück, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me Hugo Vandenberghe, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile au secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet, d'une part, le remboursement des retenues opérées sur le traitement du requérant entre le 1er novembre 1993 et le 19 janvier 1996 et, d'autre part, la condamnation du Parlement européen au paiement d'une indemnité de 3 millions de BFR à titre provisionnel en réparation du préjudice résultant de la violation de ses droits à pension,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),
composé de MM. J. Azizi, président, R. Garcia-Valdecasas et M. Jaeger, juges,
greffier: M. H. Jung,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 15 janvier 1998,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique et faits à l'origine du litige
Sur le remboursement des retenues opérées, au titre de l'article 88 du statut, sur la rémunération du requérant
1 L'article 88 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») dispose:
«En cas de faute grave alléguée à l'encontre d'un fonctionnaire par l'autorité investie du pouvoir de nomination, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, celle-ci peut immédiatement suspendre l'auteur de cette faute.
La décision prononçant la suspension du fonctionnaire doit préciser si l'intéressé conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de sa rémunération ou déterminer la quotité de la retenue qu'il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié de son traitement de base.
La situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet.
Lorsqu'aucune décision n'est intervenue au bout de quatre mois, l'intéressé reçoit à nouveau l'intégralité de sa rémunération.
Lorsque l'intéressé n'a subi aucune sanction ou n'a été l'objet que d'un avertissement par écrit, d'un blâme ou d'une suspension temporaire à l'avancement ou si, à l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent, il n'a pu être statué sur son cas, il a droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération.
Toutefois, lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales, pour les mêmes faits, sa situation n'est définitivement réglée qu'après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive.»
2 Le requérant est fonctionnaire du Parlement européen depuis 1987.
3 Le 27 juillet 1993, le requérant a été placé en détention préventive à la suite d'une plainte pour viol et attentat à la pudeur sur une mineure.
4 Le 6 octobre 1993, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») a décidé, conformément à l'article 88 du statut, d'une part, de suspendre, avec effet immédiat, le requérant de ses fonctions et, d'autre part, de retenir la moitié de son traitement de base à partir du 1er jour du mois suivant, soit à partir du 1er novembre 1993.
5 Le 6 juin 1994, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné le requérant à une interdiction d'exercer certains droits civils et/ou civiques pendant cinq ans et à une peine d'emprisonnement de deux ans avec sursis pour ce qui dépasse la détention préventive. Le 7 octobre 1994, la cour d'appel de Bruxelles a rejeté comme étant tardif, et donc irrecevable, l'appel interjeté par le requérant contre le jugement du 6 juin 1994.
6 Le 5 janvier 1995, l'AIPN a décidé de procéder à l'audition du requérant en vue de l'ouverture d'une procédure disciplinaire, conformément à l'article 87 du statut. Le 11 janvier 1995, le secrétaire général du Parlement a fait part au requérant des griefs qui lui étaient reprochés. L'audition préliminaire en vue de l'ouverture d'une procédure disciplinaire a eu lieu le 17 janvier 1995. Saisi le 17 février 1995, le conseil de discipline du Parlement a rendu son avis le 28 juillet 1995, aux termes
duquel il proposait d'infliger au requérant la sanction de révocation sans suppression du droit à la pension d'ancienneté. Le requérant a été entendu le 31 octobre 1995, et l'AIPN a adopté, le 19 janvier 1996, une décision infligeant au requérant la sanction disciplinaire de révocation avec maintien des droits à la pension d'ancienneté.
7 Par lettre recommandée du 5 mars 1996, le conseil du requérant a introduit une demande, au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut, de remboursement des retenues indûment opérées sur sa rémunération entre le 1er novembre 1993 et le 19 janvier 1996.
8 Par lettre recommandée du 7 août 1996, le conseil du requérant a introduit une réclamation, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre le rejet implicite de cette demande.
9 Par lettre du 5 novembre 1996, le secrétaire général du Parlement a rejeté cette réclamation.
Sur les droits à pension
10 Par lettre du 3 août 1994, le requérant s'est adressé au Parlement en vue de faire transférer ses droits à pension acquis en Allemagne vers le système communautaire et ceci conformément à l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut. Pallente du 14 septembre 1994, le Parlement a répondu que, conformément à l'accord intervenu avec l'Allemagne, ses droits à pension allemands pourraient être transférés prochainement, à la suite d'un accord intervenu avec l'Allemagne.
11 Par lettre du 31 mars 1995, le requérant a introduit auprès du Parlement une demande formelle de transfert, vers les Communautés, de ses droits à pension acquis en Allemagne. Selon le défendeur, cette procédure de transfert entamée par le service «pensions» a d'abord suivi son cours normal, a été traitée par l'organisme allemand compétent, mais n'a finalement pas abouti.
12 Après la révocation du requérant, le Parlement lui a transmis, par lettre du 1er avril 1996, le décompte de ses droits en matière de pension. Selon le requérant, ce décompte ne prévoyait que le seul remboursement de ses cotisations personnelles en matière de pension et se soldait par un montant à lui rembourser de 629638 BFR.
13 Le 22 avril 1996, le requérant a adressé une lettre au Parlement dans laquelle il mentionnait qu'il était en congé de maladie lorsqu'il a été révoqué, qu'une procédure de reconnaissance de ses droits à pension était en cours en Allemagne, qu'il bénéficiait encore de jours de congé et qu'il avait encore droit à la moitié de ses rémunérations pour 1994, 1995 et janvier 1996, et demandait en conséquence au Parlement une réponse claire.
14 Le 4 juin 1996, le requérant a adressé au Parlement une lettre recommandée de protestation, qu'il a qualifié de réclamation durant la procédure écrite devant le Tribunal, dans laquelle il demandait la rectification du décompte de ses droits en matière de pension en ce que, notamment, la contribution des Communautés au financement du régime de pensions n'était pas incluse dans le décompte qui lui avait été communiqué le 1er avril 1996.
15 Par lettre du 23 octobre 1996, l'Office des pensions allemand a transmis au requérant le décompte de ses droits à pension allemands.
16 Par lettre du 6 mars 1997, le Parlement a informé l'Office des pensions allemand que le requérant avait opté pour le versement du montant des sommes retenues suile traitement de base, ce choix entraînant la perte de tous les droits à pension dont il disposait dans le système communautaire.
Procédure et conclusions des parties
17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 1996, le requérant a introduit le présent recours.
18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalable.
19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 15 janvier 1998.
20 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— condamner le Parlement au remboursement des rémunérations retenues entre le 1er novembre 1993 et le 19 janvier 1996, majorées des intérêts moratoires depuis leur exigibilité;
— condamner le Parlement au paiement d'une indemnité de 3 millions de BFR à titre provisionnel, sous toutes réserves de majorations en cours d'instance;
— condamner le Parlement aux dépens.
21 Le Parlement conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
— déclarer le recours non fondé;
— statuer sur les dépens conformément au règlement de procédure.
Sur la demande de remboursement des retenues opérées, au titre de l'article 88 du statut, sur la rémunération du requérant
Sur le moyen unique tiré de la violation de l'article 88 du statut
Arguments des parties
22 Le requérant soutient que, en vertu des troisième et cinquième alinéas de l'article 88 du statut, sa situation aurait dû être définitivement réglée dans un délai de quatre mois, à compter du jour où la décision pénale rendue par la juridiction saisie était devenue définitive. Le jugement de condamnation ayant été prononcé le 6 juin 1994 et étant devenu définitif le 21 juin 1994, sa situation aurait donc dû être réglée le 21 octobre 1994 au plus tard. La décision disciplinaire de révocation
n'ayant été adoptée que le 19 janvier 1996, le requérant soutient que le délai imparti par les troisième et cinquième alinéas de l'article 88 du statut n'a pas été respecté et que, en application du texte clair du quatrième alinéa du même article, il a droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération entre le 1er novembre 1993 et le 19 janvier 1996.
23 Le requérant précise que la seule restriction apportée par le cinquième alinéa de l'article 88 aux troisième et quatrième alinéas du même article consiste dans la computation du délai de quatre mois, qui prend cours le jour de la suspension, est interrompu pendant la procédure pénale et reprend le jour où la décision pénale est devenue définitive.
24 Enfin, le requérant fait valoir que la sanction disciplinaire qui lui a été infligée, à savoir la révocation, ne saurait être utilisée pour couvrir a posteriori l'irrégularité de la procédure de suspension, dans le cadre de laquelle les dispositions claires de l'article 88 du statut ont été violées.
25 Le défendeur soutient que le cinquième alinéa de l'article 88 du statut formule une exception générale lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales pour les mêmes faits, la situation de ce dernier n'étant, en application du principe selon lequel «le criminel tient le civil en l'état», définitivement réglée qu'après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive.
26 Selon le défendeur, en cas d'application du cinquième alinéa de l'article 88 du statut, le délai de quatre mois prescrit par le troisième alinéa n'entre pas en ligne de compte. En effet, dès lors que le législateur accepte un délai plus long que quatre mois en cas de poursuites pénales, il devrait nécessairement accepter également les suites découlant de la non-application du délai. Le défendeur relève encore que le cinquième alinéa de l'article 88 du statut ne prescrit pas que le délai de quatre
mois est suspendu pendant la procédure pénale et en conclut qu'il n'est pas d'application. Le législateur aurait fixé deux délais dans lesquels l'AIPN doit statuer, à savoir, un délai de quatre mois dans le cas normal d'une procédure disciplinaire exclusive et un délai plus long au cas où des poursuites pénales ont été entamées. Le défendeur fait valoir que le législateur a précisément été amené à ajouter le cinquième alinéa de l'article 88 du statut, car, dans le cas de poursuites pénales,
aucune décision ne pourrait être prise. Il s'ensuivrait que le quatrième alinéa de l'article 88 du statut ne peut être d'application lorsque l'intéressé fait l'objet de poursuites pénales pour les mêmes faits que ceux visés par la procédure disciplinaire.
27 Le défendeur soutient également que le délai de quatre mois prévu au troisième alinéa de l'article 88 du statut n'entre pas en ligne de compte quand une décision pénale définitive est intervenue. Il fait valoir, à cet égard, que, lorsque la condamnation pénale pourrait donner lieu à une sanction disciplinaire autre que l'avertissement et le blâme, la procédure disciplinaire prévue à l'annexe IX du statut doit être respectée, conformément à l'article 87 dudit statut. Or, souligne le défendeur,
l'annexe IX ne prévoit pas que la procédure disciplinaire doit prendre fin dans un délai de quatre mois et il a été jugé que les délais prévus à l'annexe IX ne sont pas péremptoires (arrêt du Tribunal du 26 novembre 1991, Williams/Cour des comptes, T-146/89, Rec. p. II-1293, point 49). L'organisation concrète de la procédure disciplinaire impliquerait d'ailleurs que ce délai de quatre mois ne peut être respecté dans les affaires délicates. Le défendeur est d'avis que, dans le cas d'un
fonctionnaire révoqué, le fait que la décision ait été prise après mûre réflexion, en l'entourant de toutes les garanties possibles, avec le versement de la moitié de la rémunération, n'est pas de nature à porter préjudice à l'intéressé. Il serait contraire au principe de proportionnalité que l'institution, qui prend soin de suivre la procédure disciplinaire avec précaution et prudence et en respectant toutes les garanties prévues par l'annexe IX du statut, soit condamnée sur le plan pécuniaire
pour avoir indûment retenu les rémunérations pendant la suspension.
28 Enfin, le défendeur soutient qu'il ressort de l'article 88 du statut, pris dans son ensemble, que la révocation après une condamnation pénale définitive exclut le remboursement des retenues opérées sur la rémunération pendant la suspension.
Appréciation du Tribunal
29 Il convient de préciser, à titre liminaire, que ni la décision de suspendre le fonctionnaire à l'encontre duquel une faute grave est alléguée, ni la décision d'opérer une retenue sur sa rémunération, imposée conjointement, ne constituent des sanctions disciplinaires, mais seulement des mesures temporaires prises dans l'attente de la clôture de la procédure disciplinaire et, le cas échéant, de l'adoption d'une sanction disciplinaire.
30 Il convient d'examiner, ensuite, la nature du délai de quatre mois visé aux alinéas trois et quatre de l'article 88 du statut, dans le cas d'une procédure disciplinaire simple, c'est-à-dire en l'absence de poursuites pénales pour les mêmes faits que ceux justifiant la procédure disciplinaire, puis, d'évaluer l'incidence que peuvent avoir de telles poursuites pénales sur ledit délai de quatre mois et de déterminer les conséquences découlant du dépassement de celui-ci.
31 Selon une jurisprudence constante, le troisième alinéa de l'article 88 du statut vise à empêcher qu'un fonctionnaire qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire puisse être privé de sa rémunération pendant plus de quatre mois, sans qu'il soit statué sur son cas (arrêt du Tribunal du 26 janvier 1995, D/Commission, T-549/93, RecFP p. II-43, point 33).
32 Le Tribunal relève que le délai de quatre mois, prévu par le troisième alinéa de l'article 88 du statut, vise à la fois la décision disciplinaire proprement dite, la décision de suspension et la décision de retenue sur la rémunération concomitante. Toutefois, alors que l'article 88, troisième alinéa, se borne à prévoir que la situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet, sans indiquer
ce qu'il advient, à l'échéance de ce délai, en ce qui concerne la décision disciplinaire ou la mesure de suspension, les troisième et quatrième alinéas de l'article 88 attachent, en revanche, explicitement deux conséquences pécuniaires au dépassement de ce délai de quatre mois en ce qui concerne la décision de retenue sur la rémunération. Il y a lieu de souligner qu'il s'agit de deux conséquences distinctes et cumulatives.
33 Il résulte ainsi clairement du texte des troisième et quatrième alinéas de l'article 88 du statut que ces deux conséquences, versement de l'intégralité de la rémunération et remboursement des retenues opérées pendant quatre mois, sous réserve éventuellement de l'hypothèse où le fonctionnaire concerné fait l'objet de poursuites pénales, résultent d'office du dépassement du délai de quatre mois. Il y a donc lieu de conclure que, à la différence des délais prévus à l'article 7 de l'annexe IX du
statut, pour l'adoption de la décision disciplinaire, lesquels ne sont pas de rigueur (voir notamment arrêt D/Commission, cité au point 31 ci-dessus, point 25), le délai de quatre mois prévu à l'article 88 du statut doit être considéré comme étant peremptoire, en ce sens que le fonctionnaire suspendu doit d'office recevoir à nouveau l'intégralité de sa rémunération (troisième alinéa) et a droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération (quatrième alinéa) s'il n'a pas été statué
sur son cas dans les quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Le caractère peremptoire du délai de quatre mois, au sens de l'article 88 du statut, répond au souci d'assurer une sécurité au fonctionnaire concerné, qui ne peut être privé trop longtemps d'une partie de sa rémunération.
34 Il convient maintenant d'examiner l'incidence des poursuites pénales.
35 Le défendeur interprète le cinquième alinéa de l'article 88 en ce sens que, en cas de poursuites pénales, les troisième et quatrième alinéas de l'article 88 du statut ne sont pas d'application et que l'AIPN n'est tenue par aucun délai, ou, tout au plus, que par un délai raisonnable pour statuer définitivement sur la situation du fonctionnaire suspendu avec ou sans retenue partielle de rémunération. Ainsi, selon le défendeur, même plus de quatre mois après la décision pénale définitive, une partie
de la rémunération du fonctionnaire peut être retenue jusqu'à l'adoption de la sanction disciplinaire, et le fonctionnaire n'a pas droit au remboursement des rémunérations retenues s'il n'a pas été statué sur son cas dans les quatre mois de la décision pénale définitive.
36 Cette interprétation ne saurait être retenue.
37 En premier lieu, le cinquième alinéa, constituant une exception au régime des troisième et quatrième alinéas de l'article 88 du statut, doit être interprété de manière restrictive. Or, rien dans le texte de l'article 88 n'indique que, en cas de poursuites pénales, le délai de quatre mois ne soit pas d'application. En effet, le cinquième alinéa se borne à prévoir que la situation du fonctionnaire n'est définitivement réglée qu'après que la décision pénale est devenue définitive, c'est-à-dire que
l'AIPN ne peut adopter la décision disciplinaire proprement dite avant que la décision pénale ne soit devenue définitive.
38 En deuxième lieu, il y a lieu de considérer qu'une interprétation selon laquelle, en cas de poursuites pénales, les autorités disciplinaires ne seraient, même après l'achèvement de la procédure pénale, tenues par aucun délai pour statuer définitivement sur le cas du fonctionnaire suspendu, avec ou sans retenue partielle de rémunération, irait à rencontre de la ratio legis de l'article 88, troisième et quatrième alinéas, du statut, qui vise à empêcher qu'un fonctionnaire qui fait l'objet d'une
procédure disciplinaire ne soit privé d'une partie de sa rémunération pendant plus de quatre mois sans qu'il soit statué sur son cas (arrêt D/Commission, cité au point 31 ci-dessus).
39 En troisième lieu, rien ne justifie que, en cas de poursuites pénales à l'encontre de l'intéressé, l'AIPN soit déliée de toute contrainte de délai pour statuer sur le cas du fonctionnaire, après que la décision pénale a été rendue. En effet, à partir du moment où la décision pénale est devenue définitive, les faits ont déjà été établis contradictoirement par la juridiction pénale et dans le respect des droits de la défense. Il s'ensuit que, dans cette hypothèse, l'examen du cas du fonctionnaire
par l'autorité disciplinaire s'en trouve facilité.
40 En quatrième lieu, il convient de rappeler que le quatrième alinéa de l'article 88 du statut prévoit que le fonctionnaire a droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération non seulement lorsqu'il n'a pas été statué sur son cas dans le délai de quatre mois, mais également lorsqu'il ne lui est infligé aucune sanction ou seulement une sanction mineure. Dès lors, si l'on admettait que, en cas de poursuites pénales, les troisième et quatrième alinéas ne sont pas d'application, le
fonctionnaire auquel, à la suite de son acquittement par la juridiction pénale ou pour tout autre motif, n'est finalement pas imposée de sanction disciplinaire, ne pourrait, néanmoins, pas obtenir le remboursement des retenues opérées, par hypothèse à tort, sur sa rémunération.
41 En cinquième lieu, il convient de constater que le caractère peremptoire du délai de quatre mois n'est mis en échec par l'existence de poursuites pénales que jusqu'à leur clôture par une décision pénale ayant force de chose jugée. En effet, dès la fin de la procédure pénale, la situation du fonctionnaire vis-à-vis de l'institution devient comparable à celle du fonctionnaire suspendu qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales pour les faits ayant motivé la décision de suspension. Passé un délai
de quatre mois suivant la décision pénale, il n'y a dès lors plus de base légale pour opérer une retenue partielle sur la rémunération. Le fonctionnaire est donc normalement en droit de percevoir l'intégralité de sa rémunération et une retenue peut seulement être opérée sur une partie de celle-ci sur la base et dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 88 du statut. Or, ces dispositions ne prévoient de possibilité de retenir une partie de la rémunération que pour une durée de
quatre mois.
42 Il résulte de ce qui précède que l'interprétation proposée par le Parlement ne peut être suivie et que l'article 88 du statut doit être interprété, compte tenu de son libellé, de son contexte et de sa ratio legis, en ce sens qu'il impose à l'institution de statuer dans les quatre mois suivant la décision pénale définitive et que, à défaut d'une décision intervenue dans ce délai, le fonctionnaire a le droit de percevoir à nouveau l'intégralité de sa rémunération (troisième alinéa) et de se voir
rembourser les retenues opérées sur sa rémunération (quatrième alinéa).
43 En tout état de cause, même en suivant la thèse du défendeur selon laquelle, en cas de poursuites pénales, l'institution ne serait pas tenue de statuer dans le délai de quatre mois mais tout au plus dans un délai raisonnable, force est de constater que, en l'espèce, le délai de près d'un an et demi pris par le Parlement pour statuer après que la décision pénale est devenue définitive, est manifestement excessif. Ce délai est d'autant plus excessif que les autorités disciplinaires n'ont procédé à
aucune enquête ou expertise complémentaire après la décision pénale du 7 octobre 1994, et que la décision disciplinaire du 19 janvier 1996 se fonde quasi uniquement sur les faits constatés dans la décision pénale de condamnation.
44 Enfin, l'argument subsidiaire du Parlement, selon lequel il ne saurait être question, de remboursement des retenues opérées sur la rémunération lorsque le fonctionnaire est finalement révoqué, doit également être rejeté. Force est, en effet, de constater que cette interprétation se heurte au texte de l'article 88 du statut, qui ne contient aucun élément de nature à justifier cette solution. Au contraire, le quatrième alinéa dudit article prévoit explicitement que le remboursement des retenues sur
la rémunération doit avoir lieu dans deux circonstances distinctes, à savoir, d'une part, lorsqu'il n'y a pas de sanction ou seulement une sanction mineure et, d'autre part, lorsqu'il n'a pas été statué sur le sort du fonctionnaire dans le délai de quatre mois et, dans cette hypothèse, indépendamment de la sanction disciplinaire infligée.
45 Il résulte de ce qui précède, que le moyen tiré de la violation de l'article 88 du statut est partiellement fondé, et qu'il y a lieu de condamner le Parlement au remboursement des retenues opérées sur la rémunération du requérant entre le 1er novembre 1993 et le 19 janvier 1996. Cette somme doit être majorée des intérêts moratoires depuis le 5 mars 1996, date de la demande.
Sur la demande en indemnité
46 Dans sa requête, le requérant réclame une indemnité de 3 millions de BFR en compensation du préjudice qu'il aurait subi du fait que le Parlement se serait abstenu, en dépit de sa demande au titre de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut, de faire transférer ses droits à pension acquis en Allemagne au régime de pensions des Communautés. Dans sa réplique, le requérant soutient, par ailleurs, que le Parlement lui a refusé à tort le versement de l'allocation de départ prévue à
l'article 12, sous c), de l'annexe VIII du statut.
Sur la recevabilité
Arguments des parties
47 Le défendeur conteste la recevabilité de la partie du recours relative à la violation des droits à pension du requérant.
48 D'une part, ni la lettre du requérant du 4 juin 1996 (voir point 14 ci-dessus), laquelle pourrait éventuellement être interprétée comme étant une réclamation, ni la lettre du 22 avril 1996 (voir point 13 ci-dessus), ne se référeraient au moyen pris de la violation de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VIII du statut et ne contiendraient le moindre élément dont l'institution aurait pu déduire que le requérant entendait invoquer la question du transfert de ses droits à pension acquis en
Allemagne. Le moyen serait donc irrecevable dès lors qu'il n'a pas été invoqué dans la réclamation.
49 D'autre part, le défendeur soutient que la requête ne contient aucune indication relative au versement de l'allocation de départ prévue à l'article 12, sous c), de l'annexe VIII du statut. Le recours sur ce point serait donc également irrecevable.
50 Le requérant fait valoir que la lettre de contestation qu'il a adressée au défendeur le 4 juin 1996 doit être interprétée comme une réclamation globale portant à la fois sur l'absence de prise en compte du transfert de ses droits à pension allemands et sur la communication d'un décompte ne mentionnant que le seul remboursement de ses cotisations personnelles. Ces protestations figuraient déjà dans sa lettre du 22 avril 1996. Le caractère imprécis de sa réclamation résulterait des manquements du
Parlement au devoir de bonne administration et à son obligation d'assistance, et du fait que ce n'est que par le mémoire en défense du Parlement qu'il a pris connaissance de l'absence de tout transfert de ses droits à pension allemands.
Appréciation du Tribunal
51 Le Tribunal rappelle, en premier lieu, que, en vertu de l'article 19, premier alinéa, du statut (CE) de la Cour (applicable au Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, du même statut) et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Il résulte de la jurisprudence que, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, un
recours n'est recevable que si les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnance du Tribunal du 6 février 1997, de Jorio/Conseil, T-64/96, Rec p. II-127, point 31).
52 Il convient de rappeler, à cet égard, que la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions concernant l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice allégué (arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, Ojha/Commission, T-36/93, RecFP p. II-497, point 130). Or, la requête ne contient aucune précision ni quant à la réalité et à la détermination du dommage, ni quant au
lien de causalité entre l'omission du transfert des droits à pension allemands au régime de pensions des Communautés et le préjudice allégué.
53 D'autre part, s'agissant de l'allocation de départ prévue à l'article 12, sous c), de l'annexe VIII du statut, outre que l'on ne peut déterminer si les prétentions du requérant ressortissent au recours en annulation ou à l'action en indemnité, il suffit de constater qu'aucun grief n'est formulé à cet égard, même de manière succincte, dans la requête.
54 Il s'ensuit que la partie du recours concernant les droits à pension est irrecevable.
55 Le Tribunal constate, en deuxième lieu, que le recours est également irrecevable pour défaut de procédure précontentieuse régulière.
56 D'une part, dans le système des voies de recours instauré par les articles 90 et 91 du statut et 179 du traité, un recours en indemnité qui tend à la réparation d'un préjudice causé non par un acte faisant grief dont l'annulation est demandée, mais par diverses fautes et omissions prétendument commises par l'administration, doit, sous peine d'irrecevabilité, être précédé d'une procédure administrative en deux étapes. Celle-ci doit impérativement débuter par la présentation d'une demande, au sens
de l'article 90, paragraphe 1, du statut, invitant l'AIPN à réparer le préjudice allégué et se poursuivre, le cas échéant, par l'introduction d'une réclamation, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, dirigée contre la décision de rejet de la demande (arrêt du Tribunal du 28 juin 1996, Y/Cour de justice, T-500/93, RecFP p. II-977, points 64 à 68).
57 Or, en l'espèce, une telle procédure précontentieuse en deux étapes fait défaut. Le requérant a directement introduit une réclamation, à supposer que la lettre du 4 juin 1996 puisse être qualifiée de réclamation, sans la faire précéder d'une demande préalable régulière au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut.
58 D'autre part, le recours ne respecte pas la règle de la concordance entre la réclamation administrative préalable et le recours, laquelle exige, sous peine d'irrecevabilité, que les conclusions présentées devant le Tribunal aient le même objet que celles exposées dans la réclamation administrative préalable et ne contiennent que des chefs de contestations reposant sur la même cause que ceux invoqués dans la réclamation.
59 En effet, dans sa réclamation du 4 juin 1996, le requérant se bornait à demander le remboursement de la contribution des Communautés au financement du régime des pensions, tandis que dans la requête il fonde ses conclusions sur le seul défaut de transfert de ses droits à pension allemands vers le régime de pensions des Communautés.
60 Il résulte de ces deux motifs que le recours, en ce qui concerne les droits à pension, est manifestement irrecevable.
61 A titre surabondant, le Tribunal souligne que le recours, en ce qui concerne les droits à pension, est, en tout état de cause, manifestement non fondé.
62 D'une part, l'absence de transfert des droits à pension allemands du requérant au régime de pensions des Communautés, à supposer qu'elle résulte d'un comportement fautif du Parlement, n'a, en tout état de cause, pu lui causer un préjudice. En effet, en l'absence de transfert, le requérant a conservé l'entièreté de ses droits à pension dans le système allemand, tandis que, si le transfert avait eu lieu, il aurait perdu tous ses droits à pension dans le système allemand et, selon l'article 12, sous
d), de l'annexe VIII du statut, seul le tiers transféré lui aurait été restitué.
63 D'autre part, s'agissant de l'allocation de départ, l'article 12, sous c), de l'annexe VIII du statut prévoit explicitement qu'elle n'est pas due en cas de révocation.
Sur les dépens
64 Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent, en tout état de cause, à la charge de celles-ci.
65 Le défendeur ayant partiellement succombé en ses conclusions et le requérant ayant conclu à la condamnation du défendeur aux dépens, le Tribunal estime qu'il y a lieu de condamner le défendeur à supporter ses propres dépens et la moitié des dépens du requérant.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) Le Parlement remboursera au requérant les retenues opérées sur ses rémunérations entre le 1er novembre 1993 et le 19 janvier 1996. Cette somme est à majorer d'un intérêt moratoire de 8 % à compter du 5 mars 1996.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Parlement supportera ses propres dépens et la moitié des dépens du requérant. Le requérant supportera la moitié de ses propres dépens.
Azizi
Garcia-Valdecasas
Jaeger
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 juillet 1998.
Le greffier
H. Jung
Le président
J. Azizi
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( *1 ) Langue de procédure: le français.