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61999J0056
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 11 mai 2000. - Gascogne Limousin viandes SA contre Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage et de l'aviculture (Ofival). - Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Paris - France. - Viande bovine - Prime à la mise précoce des veaux sur le marché - Octroi en fonction du poids carcasse moyen des veaux abattus dans chaque Etat membre au cours de l'année 1995 - Validité au regard de l'article 40, paragraphe 3, du traité CE
(devenu, après modification, article 34, paragraphe 2, CE). - Affaire C-56/99.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-03079
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1 Questions préjudicielles - Recevabilité - Nécessité de fournir à la Cour suffisamment de précisions sur le contexte factuel et réglementaire
(Traité CE, art. 177 (devenu art. 234 CE))
2 Agriculture - Organisation commune des marchés - Viande bovine - Mécanismes d'intervention - Prime à la mise précoce des veaux sur le marché - Prime octroyée en fonction du poids carcasse moyen des veaux abattus dans chaque État membre au cours de l'année 1995 - Principe de non-discrimination - Violation - Absence
(Traité CE, art 40, § 3 (devenu, après modification, art. 34, § 2, CE); règlements du Conseil n_ 805/68 art. 4i, § 2, et n_ 2222/96; règlements de la Commission n_ 3886/92, art. 50, § 1, et n_ 2311/96)
Sommaire
1 La nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées.
Tel est le cas si le jugement de renvoi contient des indications suffisamment précises et complètes pour permettre à la Cour de donner une réponse utile à la question posée et si les informations contenues dans ledit jugement ont effectivement permis aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées de prendre utilement position sur cette question.
(voir points 25, 28-29)
2 Le fait que l'adoption d'une mesure donnée dans le cadre d'une organisation commune de marché puisse avoir des répercussions différentes pour certains producteurs, en fonction de la nature spécifique de leur production ou des conditions locales, ne saurait être considéré comme une discrimination interdite par l'article 40, paragraphe 3, du traité (devenu, après modification, article 34, paragraphe 2, CE) si cette mesure est fondée sur des critères objectifs, adaptés aux besoins du fonctionnement
global de l'organisation commune de marché.
À cet égard, la différenciation du droit à la prime à la mise précoce des veaux sur le marché en fonction du poids carcasse moyen des veaux abattus dans chacun des États membres au cours de l'année 1995 et l'application uniforme d'une réduction de 15 % sur les poids moyens ainsi déterminés ne comportent pas une discrimination entre producteurs de la Communauté interdite par la disposition précitée.
(voir points 44, 48)
Parties
Dans l'affaire C-56/99,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le tribunal administratif de Paris (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Gascogne Limousin viandes SA
et
Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage et de l'aviculture (Ofival),
une décision à titre préjudiciel sur la validité, au regard de l'article 40, paragraphe 3, du traité CE (devenu, après modification, article 34, paragraphe 2, CE), de l'article 4i, paragraphe 2, du règlement (CEE) n_ 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24), tel que modifié par le règlement (CE) n_ 2222/96 du Conseil, du 18 novembre 1996 (JO L 296, p. 50), et de l'article 50, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_
3886/92 de la Commission, du 23 décembre 1992, établissant les modalités d'application relatives aux régimes de primes prévus par le règlement n_ 805/68, et abrogeant les règlements (CEE) n_ 1244/82 et (CEE) n_ 714/89 (JO L 391, p. 20), tel que modifié par le règlement (CE) n_ 2311/96 de la Commission, du 2 décembre 1996 (JO L 313, p. 9),
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida, président de chambre, R. Schintgen (rapporteur), C. Gulmann, J.-P. Puissochet et Mme F. Macken, juges,
avocat général: M. G. Cosmas,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Gascogne Limousin viandes SA, par Me P. Denesle, avocat au barreau de Rouen,
- pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et C. Vasak, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,
- pour le Conseil de l'Union européenne, par MM. J. Carbery et J. Monteiro, conseillers juridiques, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. P. Oliver, conseiller juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Gascogne Limousin viandes SA, représentée par Me P. Denesle, du gouvernement français, représenté par M. S. Pailler, chargé de mission à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du Conseil, représenté par M. J. Carbery, et de la Commission, représentée par M. P. Oliver, à l'audience du 11 novembre 1999,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 16 décembre 1999,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par jugement du 9 décembre 1998, parvenu à la Cour le 19 février 1999, le tribunal administratif de Paris a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle sur la validité, au regard de l'article 40, paragraphe 3, du traité CE (devenu, après modification, article 34, paragraphe 2, CE), de l'article 4i, paragraphe 2, du règlement (CEE) n_ 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine
(JO L 148, p. 24), tel que modifié par le règlement (CE) n_ 2222/96 du Conseil, du 18 novembre 1996 (JO L 296, p. 50), et de l'article 50, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 3886/92 de la Commission, du 23 décembre 1992, établissant les modalités d'application relatives aux régimes de primes prévus par le règlement n_ 805/68, et abrogeant les règlements (CEE) n_ 1244/82 et (CEE) n_ 714/89 (JO L 391, p. 20), tel que modifié par le règlement (CE) n_ 2311/96 de la Commission, du 2 décembre 1996 (JO L
313, p. 9).
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Gascogne Limousin viandes SA (ci-après «Gascogne») à l'Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage et de l'aviculture (ci-après l'«Ofival ») au sujet du rejet par celui-ci de demandes introduites par Gascogne en vue de bénéficier de la prime à la mise précoce des veaux sur le marché, instituée par le règlement n_ 2222/96.
La réglementation communautaire
3 Afin de contribuer à rééquilibrer le marché de la viande bovine, gravement perturbé principalement en raison des préoccupations des consommateurs au sujet de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ci-après l'«ESB»), le Conseil a adopté le règlement n_ 2222/96. Ce règlement comporte un certain nombre de mesures destinées à mieux orienter la production en fonction du niveau de la consommation (voir, à cet égard, le premier considérant du règlement n_ 2222/96).
4 Considérant plus particulièrement que l'assainissement du marché de la viande bovine requérait la réduction du nombre d'animaux finis offerts sur le marché en encourageant mieux le retrait et/ou la commercialisation de jeunes animaux légers (voir, en ce sens, le huitième considérant du règlement n_ 2222/96), le Conseil a ainsi, d'une part, apporté certaines modifications au régime de la prime à la transformation des jeunes veaux mâles originaires de la Communauté qui sont retirés de la production
avant de dépasser l'âge de 10 jours ou, sous certaines conditions, celui de 20 jours, régime visé à l'article 4i, paragraphe 1, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2222/96, et, d'autre part, introduit, au paragraphe 2 de cette même disposition, une prime à la mise précoce des veaux sur le marché.
5 Cette dernière disposition prévoit:
«Les États membres peuvent, jusqu'au 30 novembre 1998, octroyer une prime à la mise précoce sur le marché des veaux. Cette prime est octroyée lors de l'abattage, dans un État membre, de chaque veau:
- dont le poids carcasse est égal ou inférieur au poids carcasse moyen des veaux abattus dans l'État membre concerné, diminué de 15 %. Le poids carcasse moyen par État membre est celui qui ressort des données statistiques Eurostat établies pour l'année 1995 ou de toute autre information statistique pour cette année, officiellement publiée et acceptée par la Commission,
- qui a été détenu, immédiatement avant son abattage, dans l'État membre d'abattage pendant une période à déterminer.»
6 Aux termes de l'article 4i, paragraphe 3, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2222/96:
«Pendant la période du 1er décembre 1996 au 30 novembre 1998, chaque État membre applique au moins l'un des deux régimes visés aux paragraphes 1 et 2.»
7 L'article 4i prévoit par ailleurs, en ses paragraphes 5 et 6:
«5. Selon la procédure prévue à l'article 27, la Commission:
- arrête les modalités d'application du présent article,
- détermine les poids carcasses maximaux des veaux visés au paragraphe 2, applicables dans chaque État membre,
- fixe le montant de la prime à la transformation à un niveau ou, le cas échéant, à des niveaux différenciés et appropriés pour permettre le retrait d'un nombre suffisant de veaux en fonction des besoins du marché,
- fixe le montant de la prime à la mise précoce sur le marché à un niveau approprié pour permettre l'abattage d'un nombre suffisant de veaux en fonction des besoins du marché,
- peut autoriser, à la demande d'un État membre, une application régionale différenciée, à l'intérieur de celui-ci, de la prime à la mise précoce sur le marché, à condition que les animaux aient été détenus immédiatement avant leur abattage dans la région d'abattage pendant une période à déterminer,
- peut suspendre l'octroi de l'une et/ou de l'autre des primes visées au présent article.
6. La Commission vérifiera si, six mois après leur entrée en vigueur, les régimes prévus au présent article ont donné des résultats satisfaisants.
Dans le cas contraire, la Commission soumettra au Conseil une proposition appropriée, sur laquelle celui-ci statuera à la majorité qualifiée, notamment en tenant compte de la répartition des efforts d'adaptation entre les États membres et d'éventuelles distorsions commerciales.»
8 L'adoption des dispositions qui précèdent est motivée comme suit aux neuvième, dixième et onzième considérants du règlement n_ 2222/96:
«considérant que l'introduction d'une prime à la mise précoce sur le marché des veaux peut également contribuer à rééquilibrer le marché; que, afin de bien cibler cette prime sur les conditions de production dans les États membres, il convient de définir l'éligibilité des veaux dans les États membres en fonction du poids carcasse moyen des veaux abattus dans chaque État membre, constaté statistiquement; que ce poids moyen peut varier à l'intérieur d'un État membre; qu'il convient donc de prévoir que
la Commission pourra autoriser l'application régionalisée de la prime; que, pour éviter des détournements de trafic, une période de rétention est nécessaire; que la fixation du montant de la prime devrait incomber à la Commission pour les mêmes raisons que dans le cas de la prime à la transformation [c'est-à-dire afin d'assurer que, selon le cas, le ou les montants de prime puissent être adaptés aux besoins du régime];
considérant que les productions et les attentes des consommateurs varient considérablement entre les États membres; qu'il y a donc lieu de laisser à ces derniers le choix entre l'application de la prime à la transformation et de la prime à la mise précoce sur le marché, tout en les obligeant à mettre en oeuvre au moins l'une des deux pendant la période du 1er décembre 1996 au 30 novembre 1998;
considérant qu'après six mois il y a lieu de vérifier l'efficacité du régime de la prime à la mise précoce sur le marché des veaux et de la prime de transformation, ainsi que de la bonne application qui en a été faite, au vu notamment de l'effet obtenu en comparaison de l'objectif d'une réduction d'environ 1 000 000 de veaux entrant dans la production de viande rouge, de la répartition des efforts d'adaptation entre les États membres et d'éventuelles distorsions commerciales.»
9 Conformément à la faculté qui lui avait été offerte à l'article 4i, paragraphe 3, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2222/96, la République française a opté pour l'octroi des deux primes.
10 Sur le fondement, notamment, de l'article 4i, paragraphe 5, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2222/96, la Commission a adopté le règlement n_ 2311/96, dans lequel elle a défini les conditions d'octroi de la prime à la mise précoce des veaux sur le marché, en remplaçant notamment l'article 50 du règlement n_ 3886/92 par le texte suivant:
«1. Un État membre ne peut octroyer la prime de mise sur le marché précoce des veaux de boucherie (ci-après dénommée `prime') que pour des animaux abattus sur son territoire et dont le poids de la carcasse est égal ou inférieur au poids indiqué à l'annexe IV.
...»
11 L'annexe IV du règlement n_ 3886/92, modifié, qui détermine le poids maximal des carcasses des veaux de boucherie dans les États membres, conformément à l'article 50, paragraphe 1, se présente comme suit:
(en kilogrammes)
État membre où l'animal est abattu
Poids maximal de la carcasse
Belgique
Danemark
Allemagne
Grèce
Espagne
France
Irlande
Italie
Luxembourg
Pays-Bas
Autriche
Portugal
Finlande
Suède
Royaume-Uni
136
110
103
127
124
108
-
117
120
138
82
110
84
88
32
12 En vertu de l'article 50, paragraphe 3, du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96,
«La prime à payer est fixée à:
- 65 écus par animal abattu en décembre 1996 et en janvier 1997,
- 60 écus par animal abattu après janvier 1997.»
13 Il ressort du septième considérant du règlement n_ 2311/96 que la Commission a entendu fixer le montant de la prime à un niveau qui, notamment, tenait compte à la fois de la perte de revenu liée à la vente d'une carcasse plus légère et de l'économie liée à la période de production raccourcie, mais que, en vue de tenir compte de certaines perturbations prévisibles sur le marché de la viande de veau au début du régime, il lui a semblé approprié, comme mesure transitoire, d'octroyer des primes plus
élevées.
14 Par la suite, l'article 50 du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96, a été modifié à maintes reprises.
15 C'est ainsi que le règlement (CE) n_ 18/97 de la Commission, du 8 janvier 1997 (JO L 5, p. 17), a remplacé le poids maximal de carcasse de «103 kilogrammes» prévu pour la République fédérale d'Allemagne à l'annexe IV du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96, par le poids de «112 kilogrammes». Il résulte du troisième considérant du règlement n_ 18/97 que, ainsi que l'y autorisait l'article 4i, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le
règlement n_ 2222/96, la République fédérale d'Allemagne avait présenté des statistiques autres que celles publiées par Eurostat comme référence pour déterminer le poids maximal de la carcasse des veaux éligibles et que ces statistiques, après vérification, ont été acceptées par la Commission.
16 En outre, le règlement (CE) n_ 200/97 de la Commission, du 31 janvier 1997, modifiant le règlement n_ 3886/92 (JO L 31, p. 62), a ajouté à l'article 50, paragraphe 3, du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96, un second alinéa ainsi libellé:
«Toutefois, les deux montants de la prime visés au premier alinéa sont majorés:
a) pour les animaux abattus entre le 20 janvier et le 30 juin 1997, de 10 écus par carcasse d'un poids égal ou inférieur à 110 kilogrammes et de 5 écus par carcasse d'un poids supérieur à 110 kilogrammes mais inférieur ou égal à 120 kilogrammes;
b) pour les animaux abattus entre le 1er juillet et le 31 décembre 1997, de 5 écus par carcasse d'un poids égal ou inférieur à 110 kilogrammes et de 2,5 écus par carcasse d'un poids supérieur à 110 kilogrammes mais inférieur ou égal à 120 kilogrammes.»
17 Il ressort du premier considérant du règlement n_ 200/97 que, par ces majorations, la Commission entendait tenir compte du fait que, en raison des poids maximaux fixés à l'annexe IV du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96, une partie substantielle de la production communautaire de veaux devait être vendue désormais à un poids inférieur à 120 kg et que, en raison de cette présentation inhabituelle du produit sur le marché, il était à prévoir que des difficultés
temporaires surgiraient en entraînant un coût relativement plus élevé pour l'écoulement de carcasses si légères.
18 En vertu de l'article 50 bis, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96:
«Toute demande de prime est à introduire auprès de l'autorité compétente de l'État membre concerné au plus tard dans les trois semaines suivant le jour de l'abattage.»
Le règlement n_ 18/97 a ajouté une phrase à l'article 50 bis, paragraphe 1, premier alinéa, qui précise:
«Toutefois, les demandes concernant des animaux abattus avant le 25 décembre 1996 peuvent être introduites jusqu'au 15 janvier 1997 inclus.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
19 Gascogne est une société de droit français active dans la production de viande de veau de boucherie.
20 Par requête enregistrée le 26 juin 1997, Gascogne a sollicité du tribunal administratif de Paris l'annulation de décisions de l'Ofival lui refusant le bénéfice de la prime de mise précoce des veaux sur le marché, instituée par le règlement n_ 2222/96. Il résulte du dossier au principal et des observations écrites du gouvernement français que ces décisions de refus datent des 14 mai, 11 et 20 juin 1997 et qu'elles sont fondées sur la considération que le poids des veaux pour lesquels une prime a
été demandée était supérieur à 108 kg.
21 À l'appui de son recours, Gascogne a notamment fait valoir que le régime de ladite prime méconnaissait le principe de non-discrimination énoncé à l'article 40, paragraphe 3, du traité, dès lors qu'il aurait pour effet de favoriser la commercialisation sur le marché communautaire des veaux abattus dans les États membres pouvant se prévaloir d'une référence nationale élevée en matière de poids carcasse moyen.
22 Considérant que la solution du litige dont il était saisi était, dans ces conditions, «subordonnée au point de savoir si les stipulations précitées de l'article 40 du traité du 25 mars 1957 font obstacle à l'adoption de mesures d'aide bénéficiant à des productions différenciées selon des critères établis au plan national alors que ces productions sont susceptibles d'être commercialisées dans l'ensemble des États membres de la Communauté», le tribunal administratif de Paris a décidé de surseoir à
statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée sur la question préjudicielle ainsi définie.
Sur la recevabilité
23 La Commission met en doute la recevabilité de la question posée, au motif que le jugement de renvoi ne précise ni les dates ni les motifs du rejet des demandes de prime introduites par Gascogne et ne contient pas davantage d'indications relatives aux dates d'abattage des veaux et d'introduction des demandes, qui revêtiraient pourtant une importance considérable à cause de l'évolution de la réglementation applicable.
24 La Commission souligne également que, en vertu d'une jurisprudence constante (voir ordonnance du 21 décembre 1995, Max Mara, C-307/95, Rec. p. I-5083, point 7), les informations fournies et les questions posées dans les décisions de renvoi ne doivent pas seulement permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 20 du statut CE
de la Cour de justice. Seule la décision de renvoi étant notifiée aux parties concernées en vertu de cette disposition, la Commission se demande si le fait que les dates d'introduction des demandes de Gascogne et les motifs de rejet de ces dernières par l'Ofival peuvent être déduits du dossier transmis par la juridiction nationale suffit pour rendre la question posée recevable.
25 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320/90 à C-322/90, Rec. p. I-393, point 6,
et du 21 septembre 1999, Albany, C-67/96, non encore publié au Recueil, point 39).
26 Force est de constater que, dans la présente affaire, le jugement de renvoi non seulement rappelle les termes de l'article 40, paragraphe 3, du traité, mais renvoie expressément, d'une part, au règlement n_ 2222/96, en ce que celui-ci «a autorisé les États membres à octroyer, jusqu'au 30 novembre 1998, une prime à la mise précoce sur le marché des veaux dont le poids carcasse est égal ou inférieur au poids carcasse moyen des veaux abattus dans l'État membre concerné, diminué de 15 %, ledit poids
carcasse moyen par État membre étant celui qui ressort des données statistiques Eurostat établies pour l'année 1995 ou de toute autre information statistique pour ladite année, officiellement publiée et acceptée par la Commission», et, d'autre part, aux règlements nos 2311/96, 18/97 et 200/97, qui ont défini les modalités d'application du régime de ladite prime.
27 Le jugement de renvoi précise également que la demande d'annulation des décisions de l'Ofival refusant à Gascogne le bénéfice de cette prime est fondée sur l'incompatibilité dudit régime avec le principe de non-discrimination énoncé à l'article 40, paragraphe 3, du traité, dès lors que ce régime «a pour effet de favoriser la commercialisation sur le marché communautaire des veaux abattus dans les pays membres pouvant se prévaloir d'une référence nationale élevée en matière de poids carcasse
moyen».
28 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le jugement de renvoi contient des indications suffisamment précises et complètes pour permettre à la Cour de donner une réponse utile sur la question de la validité, au regard de l'article 40, paragraphe 3, du traité, du principe de la détermination du droit à la prime à la mise précoce des veaux sur le marché par rapport au poids carcasse moyen des veaux abattus dans chaque État membre au cours de l'année 1995, diminué de 15 %, ainsi qu'il
découle des articles 4i, paragraphe 2, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2292/96, et 50, paragraphe 1, du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96.
29 Il ressort en outre des observations présentées, conformément à l'article 20 du statut CE de la Cour de justice, par Gascogne, le gouvernement français, le Conseil et la Commission que les informations contenues dans le jugement de renvoi leur ont effectivement permis de prendre utilement position sur cette question.
30 Le fait que ni les dates d'introduction des demandes de Gascogne et celles de leur rejet par l'Ofival ni celles de l'abattage des veaux ne sont précisées dans le jugement de renvoi n'a pu les empêcher de le faire et n'empêche pas non plus la Cour de répondre de façon utile à la question posée.
31 D'une part, en effet, en renvoyant expressément, dans les visas et les motifs du jugement de renvoi, aux règlements nos 2311/96, 18/97 et 200/97, la juridiction nationale a clairement indiqué que, selon ses propres constatations, ces règlements sont applicables ratione temporis aux différentes demandes de Gascogne et à leur rejet par l'Ofival. Les informations fournies dans le jugement de renvoi ont par ailleurs été complétées par des éléments résultant du dossier transmis par la juridiction
nationale et des observations écrites déposées devant la Cour, qui ont ensuite été repris dans le rapport d'audience, lequel a été porté à la connaissance des gouvernements des États membres et des autres parties intéressées en vue de l'audience au cours de laquelle ils ont pu, le cas échéant, compléter leurs observations (voir, en ce sens, arrêt Albany, précité, point 43).
32 D'autre part, les montants de la prime qui, conformément à l'article 50, paragraphe 3, du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96 et les règlements subséquents de la Commission, sont fonction de la date d'abattage des animaux ne sont pas contestés en tant que tels, de sorte que la circonstance que les dates d'abattage pertinentes dans le litige au principal ne résultent ni du jugement de renvoi ni du dossier ou des observations des parties ne saurait suffire pour
déclarer la question posée irrecevable.
33 Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée. Sur la question préjudicielle
34 Gascogne et le gouvernement français prétendent que le régime de la prime à la mise précoce des veaux sur le marché méconnaît les exigences de l'article 40, paragraphe 3, du traité, en sorte qu'il est invalide, dans la mesure où il comporte une discrimination et crée des distorsions de concurrence au détriment des producteurs français, par rapport notamment à leurs concurrents néerlandais.
35 À cet égard, Gascogne et le gouvernement français font valoir que l'application uniforme d'une réduction de 15 % sur le poids carcasse moyen des veaux abattus dans chacun des États membres et la différenciation des droits à la prime selon le poids moyen des carcasses par État membre ont pour conséquence que les producteurs français, pour être éligibles à la prime, doivent produire des carcasses d'un poids maximal de 108 kg, qui ne correspondrait pas à une commercialisation normale sur le marché
français, habitué à des carcasses d'un poids moyen situé entre 120 et 130 kg. Les producteurs français encourraient ainsi des frais supplémentaires et une décote du prix de leur production, alors que les producteurs néerlandais, qui se seraient vu accorder un poids de référence pour l'obtention de la prime de 138 kg, bénéficieraient de la prime tout en commercialisant, notamment en France, des carcasses correspondant aux attentes du marché.
36 Selon Gascogne, ces discriminations et distorsions se trouveraient encore accentuées par le fait que ces poids de référence ont été calculés sur la base de données statistiques recueillies par Eurostat auprès de chacun des États membres pour l'année 1995, alors qu'il serait constant et reconnu que les carcasses de veaux ne sont pas uniformes dans la Communauté, chaque État membre offrant à la consommation des carcasses différentes en fonction des usages et des habitudes alimentaires ou
commerciales, et qu'il n'existerait aucune définition commune du veau de boucherie et de ses caractéristiques ni des statistiques communautaires uniformes fiables.
37 Conformément à une jurisprudence constante, l'interdiction de discrimination énoncée à l'article 40, paragraphe 3, du traité n'est qu'une expression spécifique du principe général d'égalité en droit communautaire, qui veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement soit objectivement justifié (arrêt du 29 février 1996, France et Irlande/Commission, C-296/93 et
C-307/93, Rec. p. I-795, point 49).
38 S'agissant du contrôle judiciaire des conditions de mise en oeuvre de cette interdiction, les institutions communautaires disposent toutefois d'un large pouvoir d'appréciation en matière de politique agricole commune, compte tenu des responsabilités qui leur sont conférées par le traité (arrêts du 21 février 1990, Wuidart e.a., C-267/88 à C-285/88, Rec. p. I-435, point 14, et du 29 octobre 1998, Zaninotto, C-375/96, Rec. p. I-6629, point 46).
39 Par ailleurs, il résulte des premier, huitième, neuvième, dixième et onzième considérants du règlement n_ 2222/96 que l'introduction de la prime à la mise précoce des veaux sur le marché vise à contribuer à l'assainissement et au rééquilibrage du marché de la viande bovine, gravement perturbé en raison des préoccupations des consommateurs au sujet de l'ESB. Tendant ainsi à assurer la stabilité du marché, ladite prime poursuit l'un des objectifs de la politique agricole commune visés à l'article
39, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 33, paragraphe 1, CE).
40 Or, dans le cadre de la poursuite d'un tel objectif, tous les producteurs communautaires doivent, quel que soit l'État membre dans lequel ils sont établis, assumer, de façon solidaire et égalitaire, les conséquences des décisions que les institutions communautaires sont appelées à prendre dans le cadre de leurs compétences pour réagir au risque d'un déséquilibre qui peut apparaître sur le marché entre la production et les possibilités d'écoulement (arrêts précités France et Irlande/Commission,
point 50, et Zaninotto, point 47).
41 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater, d'une part, qu'il résulte du neuvième considérant du règlement n_ 2222/96 que c'est précisément afin de cibler la prime à la mise précoce des veaux sur le marché sur les conditions de production dans les États membres que le Conseil a opté pour une différenciation des droits à la prime en fonction du poids carcasse moyen des veaux abattus dans chaque État membre, tel qu'il ressort des données statistiques disponibles.
42 En appliquant sur les poids moyens ainsi constatés une réduction uniforme de 15 %, les institutions communautaires ont imposé aux producteurs de l'ensemble des États membres de participer de manière égale à l'effort de solidarité requis afin d'atteindre l'objectif d'assainissement du marché de la viande bovine par la réduction du nombre de veaux entrant dans la production de viande rouge.
43 Il importe de relever, d'autre part, ainsi que l'ont fait le Conseil et la Commission, que le choix d'un poids carcasse moyen uniforme pour tous les producteurs communautaires n'aurait pas permis d'atteindre l'objectif poursuivi par l'institution de la prime, dans la mesure où les producteurs établis dans des États membres connaissant traditionnellement des poids carcasse importants n'auraient guère été disposés à faire les efforts nécessaires de réduction du poids carcasse de leurs veaux afin de
percevoir la prime et que les producteurs établis dans des États membres connaissant un poids carcasse plus bas auraient pu bénéficier de la prime sans devoir faire un quelconque effort de réduction.
44 En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour que le fait que l'adoption d'une mesure donnée dans le cadre d'une organisation commune de marché puisse avoir des répercussions différentes pour certains producteurs, en fonction de la nature spécifique de leur production ou des conditions locales, ne saurait être considéré comme une discrimination interdite par l'article 40, paragraphe 3, du traité, si cette mesure est fondée sur des critères objectifs, adaptés aux besoins du fonctionnement
global de l'organisation commune de marché (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 1985, Bozzetti, 179/84, Rec. p. 2301, point 34).
45 Dans ce contexte, il convient également de souligner que l'article 4i, paragraphe 5, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2222/96, non seulement charge la Commission de fixer le montant de la prime à la mise précoce sur le marché à un niveau approprié pour permettre l'abattage d'un nombre suffisant de veaux en fonction des besoins du marché, mais l'habilite expressément à autoriser, à la demande d'un État membre, une application régionale différenciée, à l'intérieur de
celui-ci, de ladite prime.
46 En outre, il résulte du dixième considérant du règlement n_ 2222/96 que c'est afin de tenir compte du fait que les productions et les attentes des consommateurs variaient considérablement entre les États membres que le législateur communautaire a laissé à ces derniers le choix entre l'application de la prime à la transformation et celle de la prime à la mise précoce sur le marché et les a autorisés à appliquer conjointement les deux pendant la période du 1er décembre 1996 au 30 novembre 1998.
47 Enfin, s'agissant de l'argument invoqué par Gascogne, selon lequel les prétendues discriminations et distorsions de concurrence se seraient vues aggravées par le fait que les poids de référence ont été calculés sur la base de données statistiques recueillies par Eurostat pour l'année 1995, sans tenir compte des spécificités propres aux marchés des différents États membres et de l'absence de statistiques communautaires uniformes fiables, il y a lieu de souligner que, en son article 4i, paragraphe
2, premier tiret, le règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2222/96, permet à chaque État membre de demander l'utilisation de statistiques autres que celles publiées par Eurostat pour déterminer le poids de référence qui lui est attribué. Il résulte du dossier que la République française n'a toutefois pas fait usage de cette faculté.
48 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la différenciation du droit à la prime à la mise précoce des veaux sur le marché en fonction du poids carcasse moyen des veaux abattus dans chacun des États membres au cours de l'année 1995 et l'application uniforme d'une réduction de 15 % sur les poids moyens ainsi déterminés ne comportent pas de discrimination entre producteurs de la Communauté interdite par l'article 40, paragraphe 3, du traité.
49 Dès lors, il y a lieu de répondre que l'examen de la question posée n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 4i, paragraphe 2, du règlement n_ 805/68, tel que modifié par le règlement n_ 2222/96, et de l'article 50, paragraphe 1, du règlement n_ 3886/92, tel que modifié par le règlement n_ 2311/96.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
50 Les frais exposés par le gouvernement français, ainsi que par le Conseil et la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(sixième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le tribunal administratif de Paris, par jugement du 9 décembre 1998, dit pour droit:
L'examen de la question posée n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 4i, paragraphe 2, du règlement (CEE) n_ 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, tel que modifié par le règlement (CE) n_ 2222/96 du Conseil, du 18 novembre 1996, et de l'article 50, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 3886/92 de la Commission, du 23 décembre 1992, établissant les modalités d'application relatives aux régimes de
primes prévus par le règlement n_ 805/68, et abrogeant les
règlements (CEE) n_ 1244/82 et (CEE) n_ 714/89, tel que modifié par le règlement (CE) n_ 2311/96 de la Commission, du 2 décembre 1996.