Avis juridique important
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61999A0051
Arrêt du Tribunal de première instance (deuxième chambre) du 15 juin 2000. - Sophia Fantechi contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Indemnité de dépaysement - Services effectués pour une organisation internationale établie hors du lieu d'affectation - Article 4, paragraphe 1, sous a), de l'annexe VII du statut. - Affaire T-51/99.
Recueil de jurisprudence - fonction publique 2000 page IA-00111
page II-00485
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Parties
Dans l'affaire T-51/99,
Sophia Fantechi, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Tervuren (Belgique), représentée par Me É. Boigelot, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me L. Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, conseiller juridique, assisté de Me D. Waelbroek, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision de la Commission du 7 juillet 1998 refusant à la requérante le bénéfice de l'indemnité de dépaysement prévue à l'article 4 de l'annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et, d'autre part, une demande de paiement de cette indemnité augmentée des intérêts moratoires,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
(deuxième chambre),
composé de MM. J. Pirrung, président, A. Potocki et A. W. H. Meij, juges,
greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 16 février 2000,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
Cadre réglementaire
1 En vertu de l'article 20, deuxième alinéa, du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes, les articles 66, 67, 69, 70 et 70 bis du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») concernant les traitements de base, les allocations familiales, l'indemnité de dépaysement, l'allocation de décès et l'indemnité d'enseignement sont applicables par analogie.
2 En vertu de l'article 69 du statut, l'indemnité de dépaysement est égale à 16 % du total du traitement de base et de l'allocation de foyer ainsi que de l'allocation pour enfant à charge auxquelles le fonctionnaire a droit.
3 L'article 4, paragraphe 1, sous a), de l'annexe VII du statut (ci-après la «disposition litigieuse») dispose que l'indemnité de dépaysement est accordée au fonctionnaire:
«- qui n'a pas et n'a jamais eu la nationalité de l'État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et
- qui n'a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l'application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération;
[...]»
Faits à l'origine du litige et procédure
4 La requérante, de nationalité italienne, est née à Varèse (Italie). Son père ayant été nommé fonctionnaire de la Commission à Bruxelles, elle a poursuivi ses études en Belgique, de 1976 à 1992, à l'exception d'une année scolaire passée à Florence, et s'est inscrite en doctorat, en 1993, à l'université libre de Bruxelles.
5 Du 3 août au 31 décembre 1992, la requérante a travaillé au joint European Torus (ci-après le «JET») en Grande-Bretagne, tout en étant rémunérée par la société Champion Employment Ltd.
6 La requérante a ensuite travaillé, du 1er janvier 1993 au 31 mai 1993, pour la société italienne Object Way Spa à Ispra, en Italie, puis, du 1er juin 1993 au 30 septembre 1993, comme stagiaire auprès du Centre commun de recherche (CCR) à Ispra. Du 1er octobre 1993 au 30 septembre 1997, elle a effectué des travaux de recherche pour son doctorat auprès du CCR, le dernier mois de cette période ayant été toutefois effectué pour le compte de la société Object Way.
7 Du 1er septembre 1997 au 15 février 1998, elle a travaillé auprès du joint Research Centre of the European Communities (ci-après le «JRC») en tant qu'expert détaché par la société Object Way.
8 Du 16 février 1998 au 15 avril 1998, la requérante a été employée par le CCR en tant qu'agent auxiliaire. Au cours de cette période, elle n'a pas perçu d'indemnités de dépaysement.
9 Le 1er mai 1998, la requérante est entrée au service de la Commission en tant qu'agent temporaire de grade A 6.
10 Il s'ensuit que la requérante n'a pas eu sa résidence habituelle en Belgique pendant les cinq ans et demi précédant son entrée en fonctions à la Commission.
11 Lors du recrutement de la requérante, la Commission a décidé, à titre provisoire, de ne pas octroyer à celle-ci l'indemnité de dépaysement prévue par la disposition litigieuse.
12 Par note du 11 mai 1998, la requérante a sollicité un réexamen de sa situation, afin que lui soit octroyée ladite indemnité.
13 Par décision du 7 juillet 1998, la Commission a rejeté la demande de la requérante au motif que cette dernière ne remplissait pas les conditions de la disposition litigieuse.
14 Dans cette décision, il a été précisé:
«En tenant compte de vos activités [...] votre résidence habituelle se trouvait incontestablement à Ispra ce qui conduit, en application des dispositions [pertinentes], à la fixation de votre lieu de recrutement à Ispra.
Quant à l'application de [la disposition litigieuse], [...] l'indemnité de dépaysement est effectivement accordée au fonctionnaire (ou à l'agent) qui n'a pas la nationalité du pays de son affectation et qui n'a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire dudit pays. Pour l'application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un
autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération.
Dans votre situation, cette période de référence de cinq ans se situe entre le 31 octobre 1992 et le 1er novembre 1997.
Bien que vous vous trouviez pendant cette période en Angleterre et en Italie, elle ne peut être prise en considération comme une absence de la Belgique, où vous aviez vécu auparavant de 1973 à 1992, étant donné que vous y avez presque exclusivement travaillé pour des organisation internationales. [...] Seules vos recherches auprès du JRC du 1er septembre 1997 au 15 février 1998 font exception dans la mesure où cette activité était effectuée via `Object Way' SPA. Par conséquent, [...] toute la
période pendant laquelle vous avez travaillé pour le JET et le [CCR] à Ispra est à neutraliser, à savoir au total quatre ans et dix mois. Il s'avère alors que la période de référence `corrigée' commence le 30 juin 1988. À cette date, vous résidiez depuis quinze années en Belgique où vous avez d'ailleurs bénéficié d'une carte d'identité spéciale jusqu'au 29 janvier 1993.
[...]»
15 Le 20 juillet 1998, la requérante a introduit une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre cette décision.
16 N'ayant pas obtenu de réponse de la Commission à l'expiration du délai statutaire, la requérante a introduit, par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 février 1999, le présent recours.
17 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a été demandé aux parties de répondre par écrit à certaines questions. Il a été satisfait à cette demande dans les délais impartis.
18 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 16 février 2000.
Conclusions des parties
19 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision de la Commission du 7 juillet 1998;
- condamner la Commission au paiement de l'indemnité de dépaysement, à partir du 1er mai 1998, sous déduction de ce qui lui a été alloué à titre d'indemnité d'expatriation, augmentée des intérêts moratoires au taux de 8 % l'an;
- condamner la Commission aux dépens.
20 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme non fondé;
- statuer comme de droit sur les dépens.
En droit
21 La requérante invoque, en substance, trois moyens tirés, respectivement, de la violation de la disposition litigieuse, de la violation de certains principes généraux de droit, notamment du principe d'égalité de traitement, et d'une violation de l'obligation de motivation.
Arguments des parties
22 La requérante rappelle, tout d'abord, que, selon la jurisprudence du Tribunal, le législateur communautaire a retenu une période de référence pour appréhender les situations habituelles des fonctionnaires qui sont obligés de s'intégrer ou de se réintégrer dans le milieu du lieu de leur affectation, à l'occasion de leur prise de fonctions (arrêt du Tribunal du 8 avril 1992, Costacurta Gelabert/Commission, T-18/91, Rec. p. II-1655, points 41 et 42). Ce même arrêt retiendrait d'ailleurs comme
critère primordial, en ce qui concerne l'octroi de l'indemnité de dépaysement, la résidence habituelle du fonctionnaire, antérieurement à son entrée en fonctions.
23 La requérante fait valoir, par ailleurs, que l'intention du législateur a été d'accorder largement le bénéfice de l'indemnité de dépaysement dans les situations telles que la présente (arrêt du Tribunal du 30 mars 1993, Vardakas/ Commission, T-4/92, Rec. p. II-357, point 37). N'ayant, d'une part, jamais eu la nationalité belge ni, d'autre part, habité ou exercé une fonction en Belgique, à un moment quelconque pendant la période de référence précédant son affectation dans cet État, elle estime
avoir droit au bénéfice de l'indemnité de dépaysement.
24 La Commission soutient, tout d'abord, que la période que la requérante a passée en Angleterre auprès du JET et en Italie auprès du CCR n'est pas à prendre en considération pour l'application de la disposition litigieuse, étant donné qu'elle y a presque exclusivement travaillé pour des organisation internationales. Même si, pendant la période en cause, la requérante n'a pas, pendant quelques mois, travaillé au service d'une telle organisation, cela ne suffirait pas pour établir une perte de lien
avec son pays d'affectation. Il lui incombait dès lors de vérifier si, préalablement à cette période, la requérante avait, de façon habituelle pendant une période de cinq années, exercé des activités professionnelles hors de la Belgique. Il ressortirait, en effet, de l'arrêt de la Cour du 31 mai 1988, Vicente Nuñez/Commission (211/87, Rec. p. 2791, point 12), que, lorsqu'un fonctionnaire a déjà eu des liens durables avec le pays dans lequel une organisation internationale l'a affecté, de sorte qu'il
n'a plus à s'intégrer dans un nouveau milieu, la période pendant laquelle il a travaillé pour d'autres organisations internationales doit être neutralisée.
25 La Commission rappelle ensuite que l'exception relative aux «services effectués pour une organisation internationale» se justifie par le fait que l'affectation d'une personne à une organisation internationale à l'étranger n'entraîne pas son intégration dans ce pays (arrêt de la Cour du 15 janvier 1981, Vutera/Commission, 1322/79, Rec. p. 127, et arrêt du Tribunal du 22 mars 1995, Lo Giudice/Parlement, T-43/93, RecFP. p. I-A-57 et II-189, point 36). Cette règle serait logique au regard du fait que
l'indemnité de dépaysement doit uniquement être octroyée aux fonctionnaires qui n'ont pas établi de lien durable avec leur pays d'affectation (arrêt du Tribunal du 28 septembre 1993, Fernández/Commission, T-90/92, Rec. p. II-971, point 32).
26 Selon la Commission, la jurisprudence relative à l'exception litigieuse concernant les organisations internationales viserait, certes, l'hypothèse où une personne a travaillé pour une organisation internationale dans son pays d'affectation. Cette hypothèse n'épuiserait toutefois pas les situations visées par cette disposition. En effet, le raisonnement qui est à la base de cette jurisprudence devrait s'appliquer également à la requérante qui a, pendant seize ans, habité de façon habituelle en
Belgique et qui, ensuite, a exercé, presque exclusivement, des activités pour des organisations internationales à l'étranger. La requérante ne pourrait, en effet, dans une telle situation, prétendre avoir perdu ses liens durables avec la Belgique.
Appréciation du Tribunal
27 Le Tribunal considère que la question principale posée par la présente affaire est de savoir si la disposition litigieuse permet, ou non, de ne pas prendre en considération, pour le calcul de la période de référence déterminant l'attribution d'une indemnité de dépaysement, les périodes d'activités professionnelles effectuées au service d'organisations internationales, lorsque celles-ci sont établies sur le territoire européen d'États membres autres que celui du lieu d'affectation.
28 Il convient de relever à cet égard que la seconde phrase du second tiret de la disposition litigieuse, en vertu de laquelle «[p]our l'application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération», ne peut être dissociée de la phrase précédente, ainsi qu'il ressort explicitement des termes «pour l'application de cette disposition». Or, cette phrase précédente vise le «territoire
européen dudit État» et se réfère ainsi à l'État du lieu d'affectation dont il est question au premier tiret de la disposition litigieuse. Par conséquent, la seconde phrase du second tiret de cette même disposition ne saurait se comprendre que comme renvoyant à l'État du lieu d'affectation.
29 Il s'ensuit que la seconde phrase du second tiret de la disposition litigieuse vise à assurer que, pour l'application de la première phrase du même tiret, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale sur le territoire européen de l'État du lieu d'affectation ne soient pas prises en considération.
30 Il résulte de ce qui précède que la disposition litigieuse ne saurait être entendue comme excluant l'attribution d'une indemnité de dépaysement au fonctionnaire ayant effectué, pendant la période de référence, des services pour une organisation internationale sur le territoire d'un État membre autre que celui du lieu de son affectation.
31 Le Tribunal relève que dans l'arrêt Vicente Nuñez/Commission, précité (point 11), invoqué par la Commission, la Cour a considéré que la disposition litigieuse «a pour but de ne pas pénaliser, par la perte de l'indemnité de dépaysement, les personnes qui se sont établies dans le pays d'affectation en vue d'y effectuer des activités au service d'un autre État ou d'une organisation internationale sans avoir un lien durable avec ce pays». Le fait que la requérante fasse partie, selon les termes de la
Commission, de la seconde génération de fonctionnaires de la Communauté, c'est-à-dire des personnes n'ayant pas la nationalité du pays d'affectation, mais dont l'un des parents se trouve déjà au service d'une institution communautaire établie dans le lieu d'affectation, ne saurait amener à modifier la portée de ladite disposition. En effet, dans son arrêt du 2 mai 1985, De Angelis/Commission (246/83, Rec. p. 1253, point 14), la Cour a précisé que l'exception relative au service effectué pour un
autre État ou une organisation internationale ne saurait «être étendue à une personne autre que celle qui est précisément concernée par la disposition en question». Dès lors, en vue de pouvoir s'appliquer dans le sens préconisé par la Commission, la disposition litigieuse devrait faire l'objet d'une modification législative.
32 En ce qui concerne l'argumentation de la Commission selon laquelle l'affectation de la requérante à une organisation internationale en Italie n'aurait pas entraîné son intégration dans ce pays, il suffit de rappeler que le Tribunal a déjà eu l'occasion de préciser à cet égard que «l'analyse, d'une part, du libellé de l'article 4, paragraphe 1, sous a), de l'annexe VII et, d'autre part, de la jurisprudence de la Cour permet de conclure que ladite disposition doit être interprétée en ce sens
qu'elle ouvre droit à l'allocation de dépaysement au fonctionnaire qui a habité en permanence à l'extérieur de l'État sur le territoire duquel est situé son lieu d'affectation, pendant la période de référence, même si ce fonctionnaire a habité dans cet État antérieurement à cette période et sans qu'il y ait lieu de rechercher, dans des cas clairs et nets, si l'intéressé, en se réintégrant dans le milieu de son lieu d'affectation, est soumis exactement aux mêmes charges et désavantages qu'un
fonctionnaire n'ayant jamais habité sur le territoire dudit État» (arrêt Costacurta Gelabert/Commission, précité, point 44).
33 Indépendamment de la réponse à la question de savoir si les périodes neutralisées par la Commission doivent être considérées comme couvrant des services effectués pour une organisation internationale, il y a lieu de conclure, à la lumière de ce qui précède, que la décision de la Commission du 7 juillet 1998 refusant d'octroyer à la requérante une indemnité de dépaysement en raison de services effectués pour une organisation internationale établie sur le territoire européen d'un État membre autre
que celui du lieu de son affectation viole la disposition litigieuse.
34 Dans ces circonstances, le premier moyen devant être accueilli, il n'y a plus lieu de statuer sur le deuxième et le troisième moyen, soulevés par la partie requérante.
35 En ce qui concerne la demande de la requérante visant à la condamnation de la Commission au paiement de l'indemnité de dépaysement, augmenté des intérêts moratoires, le Tribunal estime qu'il y a lieu, en l'espèce, pour la Commission de faire application de l'article 176 du traité CE (devenu article 233 CE), et de prendre, en conséquence, les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt.
36 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer cette demande.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
37 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé sur l'essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.
Dispositif
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL
(deuxième chambre)
déclare et arrête:
1) La décision de la Commission du 7 juillet 1998 est annulée.
2) Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de paiement de l'indemnité de dépaysement.
3) La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante.