Avis juridique important
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61999C0043
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 15 février 2001. - Ghislain Leclere et Alina Deaconescu contre Caisse nationale des prestations familiales. - Demande de décision préjudicielle: Conseil supérieur des assurances sociales - Luxembourg. - Règlements (CEE) nº 1408/71 et 1612/68 - Allocations luxembourgeoises de maternité, de naissance et d'éducation - Condition de résidence - Droits d'un titulaire de pension ne résidant pas dans l'Etat membre compétent au titre de la pension -
Allocations familiales et prestations familiales - Notions de 'travailleur' et d''avantage social'. - Affaire C-43/99.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-04265
Conclusions de l'avocat général
1. Dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle introduite par le Conseil supérieur des assurances sociales (Luxembourg), il est demandé à la Cour de répondre à plusieurs questions concernant la validité et l'interprétation du règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et
l'interprétation du règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté . Ces questions se posent dans le contexte du refus par l'institution défenderesse, la Caisse nationale des prestations familiales (Luxembourg), de verser certaines allocations à la famille d'un ressortissant belge résidant en Belgique, employé autrefois au Luxembourg en tant que travailleur frontalier et actuellement bénéficiaire d'une pension
d'invalidité servie par la sécurité sociale du Luxembourg, principalement au motif que la condition de résidence fixée par la législation luxembourgeoise régissant le droit aux allocations n'était pas satisfaite.
La législation nationale
Les allocations prénatale, de naissance et postnatale
2. Ces allocations sont régies par la loi du 20 juin 1977 ayant pour objet: i) d'instituer le contrôle médical systématique des femmes enceintes et des enfants en bas âge, et ii) de modifier la législation existante en matière d'allocations de naissance. La condition de résidence d'un an pour l'octroi des allocations prénatale et de naissance ayant été déclarée discriminatoire et donc illicite par la Cour dans l'arrêt Commission/Luxembourg , cette loi a été modifiée par la loi du 31 juillet 1995.
Toutefois, étant donné que cet arrêt produit ses effets depuis le 10 mars 1993, date à laquelle il a été rendu et qu'il apparaît que l'institution défenderesse a cessé d'appliquer cette condition à partir de cette date, la loi applicable à l'époque des faits (à partir du début de l'année 1995) doit être considérée comme n'incluant pas cette condition. Le résumé qui suit est, par conséquent, fondé sur la loi dans sa rédaction modifiée.
3. La loi divise l'allocation de naissance en trois tranches: l'allocation prénatale, l'allocation de naissance proprement dite et l'allocation postnatale.
4. Chaque allocation n'est versée qu'à condition que certains examens médicaux aient été effectués. Ces examens sont précisés aux points 46 à 48 ci-après.
5. L'allocation prénatale n'est versée qu'à condition que la future mère ait son domicile légal au Luxembourg au moment du dernier examen médical.
6. L'allocation de naissance est versée après la naissance de l'enfant à condition que la mère ait son domicile légal au Luxembourg au moment de la naissance et que l'enfant naisse sur le territoire luxembourgeois (ou à l'étranger pendant une absence temporaire de la mère).
7. L'allocation postnatale n'est versée que lorsque l'enfant atteint l'âge de 2 ans et uniquement si l'enfant a été élevé au Luxembourg.
8. Les allocations prénatale, de naissance et postnatale consistent chacune en une prime unique. L'allocation prénatale est versée à la future mère; les allocations de naissance et postnatale sont versées à la mère si, comme en l'occurrence, les parents vivent ensemble.
L'allocation de maternité
9. L'allocation de maternité a été instaurée par la loi du 30 avril 1980. Cette loi a également été modifiée par la loi du 31 juillet 1995 à la suite de l'arrêt Commission/Luxembourg, précité, qui a déclaré que la condition imposée initialement à la mère d'avoir eu son domicile légal au Luxembourg pendant toute l'année précédant la date d'ouverture de son droit à l'allocation était discriminatoire et donc illicite. Pour les raisons indiquées ci-dessus, nous supposons que la loi dans sa rédaction
modifiée est la version applicable.
10. La loi exige que la mère ait eu son domicile légal au Luxembourg au moment de l'ouverture du droit à l'allocation, ce moment étant la huitième semaine précédant la date présumée de l'accouchement. L'allocation est versée à la mère pendant une période maximale de 16 semaines à partir de la huitième semaine précédant la date présumée de l'accouchement.
L'allocation d'éducation
11. Créée par la loi du 1er août 1988, l'allocation d'éducation est versée à toute personne qui est domiciliée au Luxembourg, y réside effectivement et élève dans son foyer un ou plusieurs enfants pour lesquels sont versées au requérant ou à son conjoint des allocations familiales. Elle est due à partir du premier jour du mois qui suit soit l'expiration du congé de maternité, soit la fin du droit à l'allocation de maternité de la mère et cesse le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel
l'enfant atteint l'âge de 2 ans. Elle est du même montant quel que soit le nombre des enfants élevés dans un même foyer.
La législation communautaire
12. L'article 1er du règlement nº 1408/71 dispose:
«u) i) le terme prestations familiales désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d'une législation prévue à l'article 4 paragraphe 1 point h), à l'exclusion des allocations spéciales de naissance mentionnées à l'annexe II;
ii) le terme allocations familiales désigne les prestations périodiques en espèces accordées exclusivement en fonction du nombre et, le cas échéant, de l'âge des membres de la famille».
13. L'annexe II comporte en sa section II, «Allocations spéciales de naissance ou d'adoption exclues du champ d'application du règlement en vertu de l'article 1er point u) i)», le point «I. Luxembourg»:
«a) Les allocations prénatales.
b) Les allocations de naissance.»
14. Les dispositions pertinentes de l'article 4, paragraphe 1, énoncent:
«1. Le présent règlement s'applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent:
a) les prestations de maladie et de maternité;
[...]
h) les prestations familiales.»
15. L'article 4, paragraphe 2 bis, a été inséré par le règlement (CEE) nº 1247/92 . Il dispose:
«Le présent règlement s'applique aux prestations spéciales à caractère non contributif relevant d'une législation ou d'un régime autres que ceux qui sont visés au paragraphe 1 ou qui sont exclus au titre du paragraphe 4, lorsque ces prestations sont destinées:
a) soit à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches visées au paragraphe 1 points a) à h);
b) soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés.»
16. Les dispositions pertinentes de l'article 4, paragraphe 4, énoncent:
«Le présent règlement ne s'applique ni à l'assistance sociale et médicale ...»
17. L'article 10 bis du règlement nº 1408/71 dispose:
«Prestations spéciales à caractère non contributif
1. Nonobstant les dispositions de l'article 10 et du titre III, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable bénéficient des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l'article 4 paragraphe 2 bis exclusivement sur le territoire de l'État membre dans lequel elles résident et au titre de la législation de cet État, pour autant que ces prestations soient mentionnées à l'annexe II bis. Les prestations sont servies par l'institution du lieu de résidence et à sa
charge.
2. L'institution d'un État membre dont la législation subordonne le droit à des prestations visées au paragraphe 1 à l'accomplissement de périodes d'emploi, d'activité professionnelle non salariée ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d'emploi, d'activité professionnelle non salariée ou de résidence accomplies sur le territoire de tout autre État membre, comme s'il s'agissait de périodes accomplies sur le territoire du premier État membre.»
18. L'annexe II bis indique au point «I. Luxembourg»:
«c) L'allocation de maternité (loi du 30 avril 1980)» .
19. L'article 73 dispose:
«Le travailleur salarié ou non salarié soumis à la législation d'un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d'un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s'ils résidaient sur le territoire de celui-ci, sous réserve des dispositions de l'annexe VI.»
20. L'annexe VI ne comporte pas de réserve pertinente en ce qui concerne le Luxembourg.
21. Le libellé de l'article 77, qui concerne les prestations pour enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes, est le suivant:
«1. Le terme prestations, au sens du présent article, désigne les allocations familiales prévues pour les titulaires d'une pension ou d'une rente de vieillesse, d'invalidité, d'accident du travail ou de maladie professionnelle, ainsi que les majorations ou les suppléments de ces pensions ou rentes prévues pour les enfants de ces titulaires, à l'exception des suppléments accordés en vertu de l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles.
2. Les prestations sont accordées selon les règles suivantes, quel que soit l'État membre sur le territoire duquel résident le titulaire de pensions ou de rentes ou les enfants:
a) au titulaire d'une pension ou d'une rente due au titre de la législation d'un seul État membre, conformément à la législation de l'État membre compétent pour la pension ou la rente».
22. L'article 1er du règlement nº 1612/68 garantit aux ressortissants de tout État membre le droit d'accéder à un emploi rémunéré et d'exercer un tel emploi dans tout autre État membre, indépendamment de leur lieu de résidence.
23. L'article 7 dispose que:
«1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.»
Les faits et la procédure au principal
24. Les demandeurs sont des ressortissants belges (Alina Deaconescu, originairement de nationalité roumaine, ayant acquis la nationalité belge en septembre 1998) domiciliés en Belgique qui sont mariés depuis le 1er avril 1994. M. Leclere a travaillé au Luxembourg en tant que travailleur frontalier. Pendant la période pendant laquelle il y a travaillé, il a été soumis à la cotisation obligatoire au régime de sécurité sociale luxembourgeois. Suite à un accident du travail, il touche depuis le 18 mai
1981 une pension d'invalidité servie par la sécurité sociale du Grand-Duché. Ni lui ni son épouse n'ont jamais vécu au Luxembourg. Leur enfant est né au Luxembourg le 13 mars 1995 et a la nationalité belge. Il demeure avec ses parents en Belgique.
25. En tant que bénéficiaire d'une pension d'invalidité, M. Leclere continue à cotiser à l'assurance maladie obligatoire au Luxembourg et est en principe soumis à l'impôt sur le revenu dans ce pays (bien qu'il soit apparu que son revenu est tel qu'aucun impôt n'est en fait dû). Il n'a jamais exercé d'activité salariée en Belgique et était toujours soumis, en tant que travailleur employé au Luxembourg, à la sécurité sociale luxembourgeoise. Il ne pourra jamais toucher une pension de vieillesse ou une
pension d'invalidité en Belgique.
26. À la suite de la naissance de leur enfant, les demandeurs n'ont touché en Belgique ni allocation de naissance ni allocation de maternité ou d'éducation. Il semble que M. Leclere ait épuisé en Belgique tous les recours prévus en la matière et que la législation belge ne lui confère pas de droits étant donné qu'il n'était pas assujetti à la sécurité sociale belge et que la convention concernant la sécurité sociale des travailleurs frontaliers, conclue entre le royaume de Belgique et le grand-duché
de Luxembourg le 16 novembre 1959, ne s'appliquait qu'aux travailleurs salariés et assimilés et non aux non-salariés bénéficiaires d'une pension d'invalidité. Si son enfant était né trois mois plus tard, M. Leclere aurait bénéficié de la nouvelle convention du 24 mars 1994, qui est entrée en vigueur le 1er juin 1995 et qui s'applique aux anciens frontaliers bénéficiaires d'une pension.
27. Les demandes des époux Leclere visant à l'octroi des allocations liées à la naissance d'un enfant (allocations prénatale, de naissance, postnatale, de maternité et d'éducation) ont été rejetées par la Caisse nationale des prestations familiales (Luxembourg) , motif pris de ce que la condition de domicile prévue par la législation luxembourgeoise applicable n'était pas remplie et que, de plus, l'allocation postnatale ne relevait pas du champ d'application de l'article 77 du règlement nº 1408/71.
28. Le recours introduit par les demandeurs devant le Conseil arbitral des assurances sociales a été rejeté et les demandeurs se sont pourvus en appel devant le Conseil supérieur des assurances sociales, qui a sursis à statuer et a déféré les questions suivantes à la Cour de justice:
«1) Les articles 1er, sous u), i), et 10 bis et les annexes II et II bis du règlement (CEE) nº 1408/71, consacrant le principe de l'inexportabilité des allocations de naissance et de maternité, sont-ils conformes aux articles 48 et 51 du traité CE?
2) Le règlement nº 1408/71 est-il à comprendre en ce sens que pour enfants à charge, il accorde aux travailleurs bénéficiaires d'une pension d'invalidité, résidant dans un pays autre que le pays prestataire de la pension d'invalidité, uniquement les allocations familiales, à l'exclusion d'une allocation d'éducation qui n'est pas fonction du nombre des enfants?
3) L'article 73 du règlement nº 1408/71 est-il à comprendre en ce sens qu'un bénéficiaire d'une pension d'invalidité, qui continue à cotiser dans le pays qui sert la pension d'invalidité à l'assurance maladie obligatoire, peut nonobstant sa pension être considéré par rapport à ce pays comme travailleur salarié susceptible de bénéficier des prestations familiales, dont l'allocation d'éducation, et éventuellement les allocations de naissance en cas de clause d'inexportabilité jugée incompatible avec
le traité?
4) La notion de travailleur au sens du règlement (CEE) nº 1612/68 englobe-t-elle le bénéficiaire d'une pension d'invalidité, résidant dans un pays autre que le pays servant la pension?
5) L'article 7 du règlement nº 1612/68 doit-il être compris en ce sens que le bénéficiaire d'une pension d'invalidité, respectivement son conjoint, peut bénéficier sur base de cet article 7 des avantages sociaux dont il est exclu par le règlement nº 1408/71, et ce nonobstant le principe de non-exportabilité y stipulé, dans le cas où ce principe serait jugé conforme au traité CE par votre Cour?»
29. Des observations écrites ont été déposées par les demandeurs, la défenderesse, les gouvernements autrichien, luxembourgeois, portugais, espagnol et du Royaume-Uni, le Conseil et la Commission. L'institution défenderesse, les gouvernements autrichien, espagnol et du Royaume-Uni, le Conseil et la Commission étaient représentés à l'audience, au cours de laquelle M. Leclere a très brillamment présenté son argumentation orale en personne. Les observations du Conseil étaient limitées à la première
question.
L'arrêt Commission/Luxembourg
30. Les observations présentées devant la Cour renvoient fréquemment à l'arrêt rendu par celle-ci dans l'affaire Commission/Luxembourg , dans laquelle la Commission avait introduit un recours en manquement visant la condition de résidence d'un an à laquelle était initialement subordonnée la perception de l'allocation prénatale, de l'allocation de naissance et de l'allocation de maternité.
31. Dans cette affaire, dans laquelle les parties avaient admis que toutes les trois allocations étaient des avantages sociaux au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68, la Cour a jugé que la condition de résidence était discriminatoire parce qu'elle était plus facilement remplie par un ressortissant luxembourgeois que par un ressortissant d'un autre État membre; elle était, dès lors, contraire tant à l'article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68 qu'à l'article 52 du traité
CE (devenu, après modification, article 43 CE). En ce qui concerne l'allocation de maternité, la Cour a ajouté que la condition de résidence était également incompatible avec l'article 18, paragraphe 1, du règlement nº 1408/71, qui impose de tenir compte des périodes de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre.
32. À notre avis, l'arrêt Commission/Luxembourg, précité, est d'une portée limitée en ce qui concerne la présente affaire, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, les allocations prénatale et de naissance ont été examinées du seul point de vue de leur compatibilité avec le règlement nº 1612/68; leur situation au regard du règlement nº 1408/71 n'a pas été examinée. En deuxième lieu, l'allocation postnatale n'était pas en cause. En troisième lieu, au moment où le délai imparti pour se conformer
à l'avis motivé a expiré, le règlement nº 1408/71 n'avait pas été modifié par le règlement nº 1247/92; la validité de l'accord 10 bis et de l'annexe II bis ou de l'inclusion de l'allocation de maternité dans l'annexe II bis n'était donc pas en cause. En quatrième lieu, il semble que la procédure précontentieuse ait explicitement visé, tout au moins dans sa phase initiale, l'effet de la condition de résidence sur les travailleurs salariés et non salariés; la Cour a, par conséquent, analysé le recours
sous cet angle. Enfin, comme le relève le gouvernement autrichien, la question de savoir si les allocations devaient être versées à des non-résidents n'a pas été soulevée: il a surtout été demandé à la Cour d'examiner le régime des personnes s'installant au Luxembourg au cours de l'année précédant la naissance d'un enfant.
La première question déférée
33. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si les articles 1er, sous u), i), et 10 bis et les annexes II et II bis du règlement nº 1408/71, décrits comme consacrant le principe de l'inexportabilité des allocations de naissance et de maternité, sont conformes aux articles 48 et 51 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 42 CE).
34. L'article 1er, sous u), i), et l'annexe II ont pour effet d'exclure les allocations prénatale et de naissance existant au Luxembourg de la définition des «prestations familiales» qui résulte de ce règlement. L'article 10 bis et l'annexe II bis ont pour effet de rendre non exportable, en vertu du règlement, l'allocation luxembourgeoise de maternité.
35. À titre de remarque préliminaire et comme l'ont relevé le gouvernement portugais et la Commission, il est inexact de décrire les dispositions en cause comme consacrant le «principe de l'inexportabilité des allocations de naissance et de maternité»; en réalité, ces dispositions a) dans le cas de l'article 1er, sous u), i), et de l'annexe II, excluent totalement les allocations de naissance spéciales spécifiées du champ d'application du règlement nº 1408/71 et b) dans le cas de l'article 10 bis et
de l'annexe II bis, autorisent les États membres à réserver le droit aux prestations spéciales à caractère non contributif expressément mentionnées à l'annexe II bis aux personnes résidant dans cet État, même si une disposition du règlement imposerait en principe l'exportation de cette prestation.
36. Les demandeurs et le gouvernement portugais soutiennent que les dispositions en question ne sont pas compatibles avec le traité, tandis que l'institution défenderesse, les gouvernements autrichien, luxembourgeois, espagnol et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission, soutiennent qu'elles sont compatibles avec le traité.
37. Il est utile de traiter séparément les deux problèmes soulevés par la question.
La validité de l'article 1er, sous u), i), et de l'annexe II excluant les allocations de naissance spéciales du champ d'application du règlement nº 1408/71
38. L'allocation prénatale et l'allocation de naissance proprement dite sont mentionnées à l'annexe II du règlement et ne relèvent dès lors pas, en vertu de l'article 1er, sous u), i), du champ d'application du terme «prestations familiales» tel qu'il est défini dans cet article.
39. La Commission avance qu'il n'aurait pas été nécessaire d'exclure expressément les allocations du champ d'application du règlement si elles ne relevaient pas de celui-ci sinon. Cet argument ne nous convainc pas: un État membre peut vouloir éviter tout doute en excluant expressément une allocation. Nous examinerons par conséquent en premier lieu le point de savoir si les allocations prénatale et de naissance relèveraient du champ d'application du règlement en tant que prestations familiales si
elles n'en étaient pas expressément exclues.
Les allocations relèvent-elles de la définition des «prestations familiales»?
40. Il y a lieu de noter à titre liminaire que le fait que les allocations soient non contributives ne saurait les empêcher de relever du champ d'application matériel du règlement .
41. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la distinction entre prestations exclues du champ d'application du règlement nº 1408/71 et prestations qui en relèvent repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment ses finalités et ses conditions d'octroi et qu'une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels,
aux bénéficiaires sur la base d'une situation légalement définie et où elle se rapporte à l'un des risques énumérés expressément à l'article 4, paragraphe 1 .
42. Les allocations prénatale et de naissance satisfont à la condition du droit automatique sur la base de critères objectifs. Le Conseil doute toutefois qu'elles satisfassent à la seconde condition, à savoir qu'elles se rapportent à un risque mentionné à l'article 4, paragraphe 1. Cette disposition vise notamment les «prestations familiales» telles que définies à l'article 1er, sous u), i). Selon le Conseil, l'exclusion des deux allocations du champ d'application matériel du règlement est justifiée
parce qu'elles ne sont pas «destinées à compenser les charges de famille», comme l'exige l'article 1er, sous u), i), des «prestations familiales» relevant du règlement, mais poursuivent un objectif spécial de santé publique dès lors qu'elles imposent des examens médicaux.
43. La Cour a déclaré que l'article 1er, sous u), i) et ii), fait apparaître que «les prestations ou allocations familiales sont destinées à aider socialement les travailleurs ayant charge de famille en faisant participer la collectivité à ces charges» .
44. L'institution défenderesse affirme que la fonction essentielle de la loi de 1977 régissant les allocations de naissance résulte des travaux préparatoires et en particulier de l'exposé des motifs publié avec le projet de loi déposé le 29 août 1976 à la Chambre des députés. La loi visait à améliorer le suivi médical des femmes enceintes et des enfants en bas âge, notamment dans le but de réduire le taux de mortalité infantile qui était de 1,8 % au cours de la période 1970-1974. Ce but a été
atteint: en 1997, le taux de mortalité était tombé à 0,4 %.
45. Les dispositions de la loi, dont le texte a été fourni à la Cour, corroborent le point de vue selon lequel son principal objet était d'améliorer la santé des femmes enceintes et des enfants en bas âge. Le chapitre 4 de la loi, intitulé «Allocation de naissance» (manifestement au sens plural), énonce la condition de résidence déjà mentionnée et certaines dispositions pratiques relatives notamment aux modalités du paiement. Les chapitres 1 à 3 énoncent les autres conditions régissant
respectivement le droit à l'allocation prénatale, le droit à l'allocation de naissance proprement dite et le droit à l'allocation postnatale.
46. Le chapitre 1 de la loi, intitulé «Protection des femmes enceintes», impose aux femmes enceintes de se soumettre à cinq examens médicaux, à la fois obstétricaux et généraux, et à un examen dentaire. Si l'un des médecins examinateurs considère que l'état de santé ou la situation de la femme enceinte nécessite une protection particulière, le médecin-inspecteur de la circonscription peut charger une assistante sociale de visiter la femme à domicile, de la conseiller sur les mesures à prendre et de
faire un rapport au médecin examinateur et au médecin-inspecteur.
47. Le chapitre 2 de la loi, intitulé «Examen postnatal de la mère», impose à la mère de se soumettre à un examen postnatal permettant de vérifier si son état de santé a été modifié par la grossesse.
48. Bien que l'allocation postnatale ne soit pas en cause en l'espèce, elle a été instaurée par la même loi et les conditions de son octroi peuvent être utiles pour déterminer l'objet de cette loi pour ce qui est des autres allocations. Le chapitre 3 de la loi, intitulé «Protection des enfants en bas âge», impose de soumettre l'enfant à deux examens périnatals et à quatre examens subséquents jusqu'à l'âge de 2 ans.
49. Le contenu de la loi indique, par conséquent, que son but principal était d'améliorer la santé des femmes enceintes et des enfants en bas âge. Toutefois, cela ne signifie pas qu'elle ne pouvait pas viser également à compenser les charges de famille. Comme nous l'avons indiqué dans nos conclusions dans l'affaire Hoever et Zachow , il coule de source qu'un versement effectué à un parent non salarié se consacrant à l'éducation d'un enfant représentera en pratique une contribution aux charges de
famille. Bien que cette déclaration ait été faite dans le contexte d'une allocation d'éducation octroyée uniquement à un parent n'exerçant pas d'activité professionnelle à temps complet, le postulat énoncé pourrait également s'appliquer aux versements effectués à l'occasion de la naissance d'un enfant, moment où même une femme qui travaille devra nécessairement interrompre son activité, aussi brièvement que ce soit, avec souvent des conséquences financières défavorables. Il est manifeste que les
prestations familiales au sens de l'article 1er, sous u), i), peuvent avoir plus d'une fonction . Nous ne partageons par conséquent pas l'avis du Conseil selon lequel les allocations ne peuvent pas être des prestations familiales dès lors qu'elles ont un objectif de santé publique.
50. Le fait qu'une prestation donnée soit destinée «à compenser les charges de famille» ne signifie toutefois pas nécessairement en soi qu'il s'agit d'une prestation familiale au sens du règlement. De nombreuses prestations de sécurité sociale sont destinées, de par leur nature, à compenser les charges de famille; il n'est pas exact de les qualifier toutes de «prestations familiales» pour cette seule raison. La définition figurant à l'article 1er, sous u), i), poursuit: «dans le cadre d'une
législation prévue à l'article 4, paragraphe 1, point h)». L'article 4 définit les branches de sécurité sociale auxquelles le règlement s'applique; l'article 4, paragraphe 1, point h), vise les «prestations familiales». Ce procédé n'est pas aussi circulaire qu'il y paraît: la précision figurant à l'article 1er, sous u), i), montre simplement qu'il ne suffit pas qu'une prestation soit destinée à compenser les charges de famille pour qu'elle soit une prestation familiale. Nous ne connaissons aucune
décision de la Cour en matière de traitement ou de qualification de prestations familiales qui ne porte pas sur un paiement échelonné effectué sous la forme de versements réguliers au motif que la famille comporte des enfants à charge. De fait, l'avocat général Darmon a déclaré dans l'affaire Kromhout que la Cour avait admis, dans sa décision antérieure Robards , «que l'élément déterminant en matière d'allocations familiales [au sens large, y compris les prestations familiales] est bien l'existence
de l'enfant du chef de qui sont nés les droits [...]».
51. L'allocation prénatale en cause en l'espèce consiste en un versement unique à la future mère qui y a droit avant la naissance de l'enfant. L'allocation de naissance consiste en un paiement unique auquel la mère a droit après qu'elle a passé son examen postnatal. À notre avis, ces deux allocations relèvent davantage des prestations de maternité que des prestations familiales. Dans l'arrêt Jordens-Vosters , la Cour a jugé que «la notion de prestations de maladie et de maternité, figurant à
l'article 4, paragraphe 1, a), du règlement nº 1408/71, doit être déterminée, pour l'application de ce règlement, en fonction non pas du type de législation nationale où figurent les dispositions internes prévoyant ces prestations, mais sur la base des règles communautaires qui définissent les éléments constitutifs desdites prestations. [...] [L]e règlement nº 1408/71 englobe parmi les prestations de maladie et de maternité visées à la lettre a) de l'article susdit, toutes prestations fournies en
cas de maladie et de maternité [...]» .
52. Aucun argument n'ayant été présenté sur ce point, nous ne considérons pas que nous devrions émettre un avis définitif sur cette question. Toutefois, s'il était exact que l'allocation prénatale et l'allocation de naissance doivent être qualifiées de prestations de maternité aux fins de l'application du règlement, il ne serait à l'évidence pas nécessaire de les exclure de la définition des «prestations familiales» figurant à l'article 1er, sous u), i); leur mention à l'annexe II du règlement
serait, par conséquent, dénuée de pertinence. Les allocations seraient alors, selon nous, exportables en vertu de l'article 19 du règlement, qui est applicable au bénéficiaire d'une pension d'invalidité comme cela a été établi dans les arrêts Pierik et Twomey .
53. Toutefois, si la Cour conclut que les allocations en question relèvent de la notion de «prestations familiales» au sens de l'article 1er, sous u), i), il se pose toujours la question de savoir si leur exclusion expresse du champ d'application matériel du règlement à l'article 1er, sous u), i), et à l'annexe II est licite.
Si les allocations sont des prestations familiales, leur exclusion du champ d'application matériel du règlement est-elle licite?
54. Nous ne considérons pas que l'exclusion expresse des allocations du champ d'application matériel du règlement, opérée à l'annexe II, est illicite sous cet angle.
55. Comme l'avocat général Warner l'a observé avec élégance dès 1975, le canevas constitué par les décisions dans lesquelles la Cour a jugé qu'une disposition du règlement nº 1408/71 ou du règlement antérieur, le règlement nº 3 , est incompatible avec l'article 51 et, partant, illégale comporte en filigrane le principe selon lequel «l'article 51 habilite et oblige le Conseil à conférer des droits aux travailleurs migrants mais ne lui permet pas, tant que subsistent des régimes nationaux différents,
de priver ces travailleurs des droits dont ils jouissent en vertu des normes nationales» .
56. Le règlement ne doit donc pas, tout au moins tant que subsistent des régimes nationaux différents, priver les travailleurs des droits dont ils jouissent en vertu des normes nationales. Le règlement ne doit pas non plus accroître les différences entre ces régimes .
57. Exclure les allocations prénatale et de naissance du champ d'application matériel du règlement n'a toutefois pas pour effet d'ajouter à ces différences ou d'éteindre le droit à ces allocations en vertu de la législation nationale: son seul effet est que le droit aux allocations demeure entièrement régi par les normes nationales.
58. En conséquence, à notre avis, s'il convient de considérer les allocations prénatale et de naissance comme des prestations familiales, l'article 1er, sous u), i), et l'annexe II du règlement n° 1408/71 ne sont pas incompatibles avec l'article 51 du traité dans la mesure où ils excluent ces allocations du champ d'application matériel du règlement.
La validité de l'article 10 bis et de l'annexe II bis revenant sur la levée des clauses de résidence pour des prestations spécifiées
59. Le second membre de la première question de la juridiction nationale concerne l'allocation de maternité. Les allocations de maternité relèvent en règle générale du champ d'application matériel du règlement, étant donné qu'elles sont visées à l'article 4, paragraphe 1, sous a). En vertu de l'article 19 du règlement, elles sont versées aux travailleurs assurés qui résident dans un État membre autre que l'État compétent. L'importance de ce principe est illustrée par le fait que le préambule du
règlement énonce que, «en matière de prestations de maladie et de maternité, il importe d'assurer une protection réglant la situation des personnes qui résident ou séjournent dans un État membre autre que l'État compétent» . Nous rappellerons que l'allocation de maternité en cause dans la procédure au principal est mentionnée à l'annexe II bis du règlement; en vertu de l'article 10 bis, elle semble donc ne pas être exportable. La juridiction nationale a demandé si ces dispositions étaient
compatibles avec l'article 51 du traité.
60. L'institution défenderesse, les gouvernements autrichien, luxembourgeois, espagnol et du Royaume-Uni, le Conseil et la Commission rappellent que la Cour a déjà confirmé la compatibilité de l'article 10 bis et de l'annexe II bis avec le traité dans les arrêts Snares et Partridge .
61. Dans l'affaire Snares, précitée, la Cour avait été saisie de la question de savoir si le règlement nº 1247/92 , qui a inséré l'article 10 bis et l'annexe II bis dans le règlement nº 1408/71, était valide au regard de l'article 51 en ce qu'il écartait, s'agissant des allocations énumérées, l'application du principe de la levée des clauses de résidence, consacré à l'article 10 du règlement nº 1408/71. La Cour a jugé que le régime de coordination mis en place par le règlement nº 1247/92, en ce
qu'il s'appliquait à l'allocation en question (l'allocation de subsistance pour handicapés prévue par la législation du Royaume-Uni), ne contrevenait pas à l'article 51.
62. Cette conclusion a été confirmée dans l'arrêt Partridge.
63. Il a donc été clairement établi que l'article 10 bis et l'annexe II bis n'étaient pas en eux-mêmes incompatibles avec l'article 51 du traité.
64. Qui plus est, la Cour a affirmé dans les arrêts Snares et Partridge , précités, et répété dans l'arrêt Swaddling que la circonstance que le législateur communautaire mentionne une réglementation à l'annexe II bis doit être admise comme établissant que les prestations accordées sur la base de cette réglementation constituent des prestations spéciales à caractère non contributif relevant du champ d'application de l'article 10 bis.
65. Il résulte de cette formulation que l'inclusion d'une prestation dans l'annexe II bis détermine son statut de prestation spéciale à caractère non contributif aux fins de l'application du règlement. Pourtant, nous ne sommes pas convaincu que ces arrêts ont pour conséquence qu'un État membre puisse, tout simplement en faisant figurer une prestation dans la liste de l'annexe II bis, nécessairement échapper à l'obligation d'exporter cette prestation qui découlerait dans le cas contraire du
règlement. À notre avis, seules les «prestations spéciales à caractère non contributif» peuvent validement figurer à l'annexe II bis.
66. L'avocat général Alber parvient à la même conclusion sur ce point dans ses conclusions dans l'affaire Jauch . Il note que la qualification de prestations spéciales non contributives des différentes prestations concernées n'était pas en cause dans les arrêts Snares, Partridge et Swaddling, précités. De plus, la Cour a fait suivre ses déclarations dans les arrêts Snares et Partridge de l'affirmation moins catégorique selon laquelle «Il ressort en outre du libellé de l'article 10 bis que cette
disposition implique que les prestations qu'elle vise relèvent par ailleurs de l'article 4, paragraphe 2 bis, du règlement nº 1408/71» . L'avocat général relève également qu'il est indiqué dans le préambule du règlement nº 1247/92, qui a inséré les articles 4, paragraphe 2 bis, et 10 bis ainsi que l'annexe II bis dans le règlement nº 1408/71, qu'«Il est nécessaire [...] de garantir que le système de coordination existant, prévu dans le règlement (CEE) nº 1408/71, continuera de s'appliquer aux
prestations qui soit n'entrent pas dans la catégorie particulière de prestations auxquelles il est fait référence, soit ne sont pas incluses expressément dans une annexe de ce règlement» . Cette formulation souligne que la mention à l'annexe II bis ne constitue que l'une des conditions d'application de l'article 10 bis. Enfin, l'avocat général Alber affirme que l'on ne voit pas pourquoi une annexe au règlement nº 1408/71 adoptée par le législateur communautaire doit avoir un caractère plus définitif
que d'autres dispositions communautaires puisque l'on peut à tout moment examiner une telle disposition au regard de sa compatibilité avec des normes juridiques de rang supérieur.
67. L'avocat général Alber en conclut qu'il doit être possible de vérifier la validité de l'inclusion d'une prestation dans l'annexe II bis du règlement. Nous souscrivons à cette conclusion.
68. L'article 4, paragraphe 2 bis , énonce que le règlement s'applique aux prestations spéciales à caractère non contributif relevant d'une législation ou d'un régime autre que ceux qui sont visés au paragraphe 1 (ou qui sont exclus au titre du paragraphe 4). Les prestations spéciales à caractère non contributif sont définies comme des prestations destinées «a) soit à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches visées au paragraphe 1 points
a) à h); b) soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés.» L'article 4, paragraphe 1, sous a), inclut les prestations de maternité.
69. Le règlement nº 1247/92, qui a inséré l'article 4, paragraphe 2 bis, l'article 10 bis et l'annexe II bis dans le règlement nº 1408/71, visait à tenir compte de la jurisprudence de la Cour selon laquelle certaines prestations prévues par les législations nationales peuvent relever simultanément de la sécurité sociale (couverte par le règlement en vertu de l'article 4, paragraphe 1) et de l'assistance sociale (non couverte par le règlement en vertu de l'article 4, paragraphe 4), en raison de leur
champ d'application personnel, de leurs objectifs et de leurs modalités d'application . Une telle prestation est alors «mixte» ou «hybride». La jurisprudence est résumée comme suit dans le préambule au règlement nº 1247/92:
«la Cour de justice a déclaré que, par certaines de leurs caractéristiques, les législations en vertu desquelles de telles prestations sont octroyées s'apparentent à l'assistance sociale dans la mesure où le besoin constitue un critère essentiel d'application et où les conditions d'octroi font abstraction de toute exigence relative au cumul de périodes d'activité professionnelle ou de cotisation, tandis que, par d'autres caractéristiques, elles se rapprochent de la sécurité sociale dans la mesure où
il y a absence du pouvoir discrétionnaire dans la façon dont ces prestations, telles qu'elles sont prévues, sont accordées et où elles confèrent aux bénéficiaires une position légalement définie» .
70. Au nombre des prestations que la Cour avait jugé mixtes ou hybrides en ce sens avant l'adoption du règlement nº 1247/92 figuraient: le revenu garanti aux personnes âgées en Belgique et en France , le «family credit» au Royaume-Uni , la prestation accordée par la législation néerlandaise à certains chômeurs et des allocations pour handicapés prévues par les législations belge , française et du Royaume-Uni .
71. Le préambule du règlement nº 1247/92 énonce que «ces prestations devraient être octroyées, en ce qui concerne les personnes entrant dans le champ d'application du règlement (CEE) nº 1408/71, uniquement en conformité avec la législation du pays sur le territoire duquel la personne concernée ou les membres de sa famille résident [...] en l'absence de toute discrimination sur le fondement de la nationalité» . Ces prestations sont appelées prestations spéciales à caractère non contributif à
l'article 4, paragraphe 2 bis.
72. Au nombre des prestations que la Cour a reconnu être des prestations spéciales à caractère non contributif au sens de l'article 4, paragraphe 2 bis, figurent l'allocation de subsistance pour handicapés , l'allocation d'aide et le complément de ressources prévus par la législation du Royaume-Uni et, en passant, le complément à la pension de vieillesse minimale, prévu par la loi italienne .
73. Toutes ces prestations satisfont à la condition dégagée dans la jurisprudence selon laquelle le besoin doit constituer un critère essentiel.
74. La très grande majorité des «prestations spéciales en espèces à caractère non contributif» énumérées à l'annexe II bis du règlement reflète également cette condition. Dans la version du règlement applicable au moment où le fils de M. Leclere est né , l'annexe II bis énumère 55 prestations de ce type. Sur ce total et pour autant que cela peut être déduit de la description de la prestation figurant à l'annexe II bis, 37 prennent la forme d'allocations ou de compléments de ressources pour des
personnes souffrant d'un handicap, d'une invalidité ou d'une incapacité de travail et/ou pour les personnes âgées. Les autres prestations sont soit des allocations pour enfants aux mères non actives dont les maris sont appelés sous les drapeaux ou prisonniers, des pensions de veuve et d'orphelin, l'allocation pour parents vivant seuls et la prime d'allaitement (7 au total), soit des prestations aux noms divers visant apparemment à compléter les revenus (10 au total). L'allocation qui reste, parmi
les prestations énumérées à l'annexe II bis, est l'allocation luxembourgeoise de maternité en cause dans le litige au principal.
75. À notre avis, une allocation de maternité accordée de droit à toutes les femmes enceintes, quelle que soit leur situation pécuniaire, ne peut être qualifiée de prestation spéciale à caractère non contributif au sens de l'article 10 bis et de l'annexe II bis du règlement. En premier lieu, le besoin n'est pas un «critère essentiel» de son application, comme l'exige pour de telles prestations la jurisprudence de la Cour qui a mené au règlement nº 1247/92. De plus, rien n'indique que la prestation
vise «à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire» l'éventualité de la maternité, comme l'exige la définition des «prestations spéciales à caractère non contributif» à l'article 4, paragraphe 2 bis, du règlement nº 1408/71 . Enfin, rien n'indique qu'il s'agit d'une prestation «spéciale»: elle semble au contraire avoir le caractère d'une prestation de maternité classique. La définition des «prestations spéciales à caractère non contributif» au paragraphe 2 bis de l'article 4 excluant
expressément les prestations prévues par les législations visées au paragraphe 1 et, partant, par les législations qui concernent les prestations de maternité, nous ne voyons pas comment l'allocation de maternité peut relever de cette définition.
76. Nous concluons, par conséquent, que l'allocation de maternité n'est pas validement incluse dans l'annexe II bis du règlement. L'article 10 bis est donc inapplicable à l'allocation et la condition de résidence est sans effet en vertu de l'article 19.
La deuxième question déférée
77. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si les travailleurs bénéficiaires d'une pension d'invalidité versée par un État membre autre que leur État de résidence ont uniquement droit, en vertu du règlement nº 1408/71, aux allocations familiales pour enfant à charge, à l'exclusion d'une allocation d'éducation qui n'est pas fonction du nombre des enfants.
78. Cette question concerne l'interprétation de l'article 77 du règlement et, en particulier, le point de savoir si l'allocation d'éducation luxembourgeoise fait partie des prestations exportables en vertu de cet article.
79. L'article 77 permet l'exportation des prestations accordées aux personnes bénéficiaires d'une pension d'invalidité. Toutefois, le terme «prestations» au sens de cet article désigne les «allocations familiales». Les «allocations familiales» sont définies, à l'article 1er, sous u), ii), comme les «prestations périodiques en espèces accordées exclusivement en fonction du nombre et, le cas échéant, de l'âge des membres de la famille».
80. Les demandeurs et le gouvernement espagnol soutiennent que l'allocation d'éducation relève des prestations exportables en vertu de l'article 77, tandis que la défenderesse, les gouvernements autrichien, luxembourgeois et portugais et la Commission soutiennent que tel n'est pas le cas. Le Royaume-Uni n'a pas présenté d'observations sur la deuxième question.
81. L'institution défenderesse, les gouvernements autrichien et portugais et la Commission soutiennent tous - à juste titre à notre avis - que la réponse à cette question découle de l'arrêt de la Cour dans l'affaire Lenoir . Dans cette affaire, la Cour avait été saisie de la question de savoir si l'article 77 réserve aux ressortissants d'un État membre résidant dans un autre État membre le seul bénéfice du paiement par les organismes sociaux de son pays d'origine des allocations familiales à
l'exclusion des autres prestations familiales. La Cour a confirmé que le terme «prestations» au sens de l'article 77 désignait les allocations familiales telles qu'elles étaient définies à l'article 1er, sous u), ii), du règlement.
82. L'allocation d'éducation étant du même montant quel que soit le nombre des enfants élevés dans un même foyer, elle ne saurait relever de cette définition et, partant, du champ d'application de l'article 77.
83. Nous ajoutons également (bien qu'il n'ait pas été demandé à la Cour de statuer sur ce point) que l'allocation postnatale, qui n'est pas mentionnée à l'annexe II et n'est donc pas exclue du champ d'application du règlement, ne saurait être exportable en vertu de l'article 77, étant donné que, s'agissant d'un versement unique, elle n'est pas une «prestation périodique en espèces» au sens de la définition des «allocations familiales» à l'article 1er, sous u), ii).
La troisième question déférée
84. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si, en vertu de l'article 73 du règlement nº 1408/71, le bénéficiaire d'une pension d'invalidité qui continue à cotiser à l'assurance maladie obligatoire dans l'État membre qui sert la pension d'invalidité peut être considéré dans cet État comme un travailleur salarié susceptible de bénéficier des prestations familiales, dont l'allocation d'éducation et éventuellement les allocations de naissance en cas de clause d'inexportabilité jugée
incompatible avec le traité.
85. L'article 73 confère au travailleur salarié soumis à la législation d'un État membre un droit aux prestations familiales prévues par cette législation pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre. L'expression «travailleur salarié» est définie à l'article 1er, sous a), du règlement en termes très généraux, comme visant toute personne qui est assurée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d'un régime de sécurité sociale.
86. Les demandeurs et les gouvernements portugais et espagnol considèrent que le bénéficiaire d'une pension est un travailleur salarié au sens de l'article 73, tandis que l'institution défenderesse, les gouvernements autrichien et luxembourgeois et la Commission considèrent qu'il n'en est pas un. Le Royaume-Uni n'a pas présenté d'observations sur la troisième question.
87. Bien qu'il semble découler d'une lecture combinée de l'article 73 et de l'article 1er, sous a), que le bénéficiaire d'une pension d'invalidité qui continue à cotiser à l'assurance maladie obligatoire dans le pays qui sert la pension d'invalidité relève de la définition du «travailleur salarié», nous partageons l'avis de l'institution défenderesse et de la Commission selon lequel cette lecture ne résiste pas à un examen de l'article 73 dans le contexte du règlement dans son ensemble.
88. L'article 73 figure au chapitre 7, «Prestations familiales». Le chapitre suivant, intitulé «Prestations pour enfants à charge de titulaires de pensions ou de rentes et pour orphelins», dans lequel figure l'article 77, doit dans ce contexte être considéré comme évinçant l'article 73 lorsque la situation en cause est précisément celle qui est visée par l'article 77, à savoir la portée du droit aux prestations familiales du bénéficiaire d'une pension d'invalidité résidant dans un État membre autre
que celui qui sert la pension .
89. De plus, la Cour a reconnu que l'article 73 cessait d'être applicable, en faveur de l'article 77, lorsque l'intéressé perd la qualité de travailleur et devient le bénéficiaire d'une pension d'invalidité et qu'un travailleur indépendant ne relevait pas de la notion de «travailleur salarié» au sens de l'article 73, même si ce travailleur relevait au sens strict de la définition figurant à l'article 1er, sous a), au moment des faits en vertu d'une assurance obligatoire .
90. Nous concluons, par conséquent, que le bénéficiaire d'une pension d'invalidité qui continue à cotiser à l'assurance maladie obligatoire dans l'État membre qui sert la pension d'invalidité ne doit pas être considéré comme un salarié au sens de l'article 73 du règlement; il n'a donc pas le droit de toucher des prestations familiales dans son État de résidence en vertu de cette disposition.
91. Les réponses aux deuxième et troisième questions de la juridiction nationale que nous proposons nous semblent découler inéluctablement de l'économie et du libellé des articles 73 et 77 et de l'arrêt Lenoir rendu par la Cour . Nous sommes toutefois conscient du fait que le résultat est tout à fait regrettable en l'espèce: M. Leclere, qui a été un ressortissant communautaire modèle exerçant son droit à la libre circulation, se voit refuser des prestations familiales auxquelles il aurait eu droit
s'il avait été un travailleur salarié et non le bénéficiaire d'une prestation d'invalidité au moment où son fils est né. La Commission a avancé à l'audience que l'article 77 devait être considéré comme inapplicable pour cette raison. Cette solution serait toutefois contraire au libellé exprès de la disposition telle qu'elle a été interprétée par la Cour. La solution réside peut-être dans une modification future du règlement, même si cela ne sera à l'évidence d'aucune utilité pour M. Leclere.
La quatrième question déférée
92. Par sa quatrième question, la juridiction nationale demande si la notion de «travailleur» au sens du règlement nº 1612/68 englobe le bénéficiaire d'une pension d'invalidité résidant dans un État membre autre que l'État servant la pension.
93. Les demandeurs, les gouvernements portugais et espagnol et la Commission considèrent qu'il y a lieu de répondre par l'affirmative à cette question, tandis que les gouvernements autrichien, luxembourgeois et du Royaume-Uni considèrent qu'il y a lieu d'y répondre par la négative.
94. Il est de jurisprudence constante que la notion de travailleur au sens de l'article 48 du traité et du règlement nº 1612/68 a une signification communautaire spécifique: la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération. Une fois que la relation de travail a pris fin, l'intéressé perd en principe la qualité de travailleur, étant entendu cependant que cette qualité
peut produire certains effets après la cessation de la relation de travail .
95. Le gouvernement portugais et la Commission invoquent les arrêts Meints et Commission/France à l'appui de leur argument selon lequel M. Leclere reste un travailleur au sens du règlement nº 1612/68. Nous avons toutefois été convaincu par l'analyse détaillée de la jurisprudence présentée par le représentant du gouvernement du Royaume-Uni à l'audience à l'appui du point de vue contraire.
96. Le Royaume-Uni a cité la définition répétée par la Cour des «avantages sociaux» au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement nº 1612/68, définition qui vise «tous avantages, qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national [...]» . Les «avantages sociaux» sont donc classés en deux catégories principales: en premier lieu, ceux que
l'État d'accueil accorde à ses travailleurs et, en second lieu, ceux que l'État d'accueil accorde à ses résidents. Les prestations en cause en l'espèce relèvent manifestement de la seconde de ces catégories.
97. Les affaires Meints et Commission/France, précitées, sont toutes deux des affaires dans lesquelles la prestation en question était accordée aux travailleurs de l'État membre concerné. Ainsi, dans l'arrêt Meints, la Cour a confirmé le droit à une prestation (un paiement compensatoire versé aux travailleurs agricoles licenciés) «dont l'octroi dépend de l'existence préalable d'un rapport de travail qui a récemment pris fin [...] En effet, le droit à la prestation est intrinsèquement lié à la
qualité objective de travailleurs des bénéficiaires» . Dans l'affaire Commission/France, qui concernait le bénéfice de l'attribution de points de retraite complémentaire à d'anciens travailleurs placés en cessation d'activité anticipée, la Cour a jugé qu'il ne saurait être opposé à l'application du règlement nº 1612/68 «le fait que le système de l'attribution des points gratuits bénéficie à des personnes dont le contrat de travail a pris fin. En effet, certains droits liés à la qualité de
travailleurs [...] sont garantis aux travailleurs même s'ils ne se trouvent plus engagés dans un rapport de travail» .
98. Ces deux affaires cadrent, par conséquent, avec le principe selon lequel une prestation peut être réclamée au titre des avantages sociaux en vertu du règlement nº 1612/68 par d'anciens travailleurs, résidant ou non dans l'État octroyant la prestation, si la prestation est octroyée aux anciens travailleurs en raison de leur qualité objective de travailleurs. Aucune des deux affaires n'établit le principe selon lequel d'anciens travailleurs qui ne résident pas dans cet État peuvent, en vertu de ce
règlement, réclamer au titre des avantages sociaux une prestation d'un type octroyé par l'État à ses seuls résidents. Cette situation reste régie par la proposition générale en vertu de laquelle d'anciens travailleurs ne sont pas des «travailleurs» au sens du règlement nº 1612/68 aux fins de l'attribution de tels avantages sociaux.
99. Nous concluons, par conséquent, que le règlement nº 1612/68 ne confère pas au bénéficiaire d'une pension d'invalidité qui réside dans un État autre que celui de son ancien emploi le droit à une prestation versée par ce dernier État à ses résidents mais non accordée aux anciens travailleurs en raison de leur qualité objective de travailleurs.
La cinquième question déférée
100. Par sa cinquième question, la juridiction nationale demande en substance si, en vertu de l'article 7 du règlement nº 1612/68, le bénéficiaire d'une pension d'invalidité ou son conjoint peut bénéficier des avantages sociaux dont il est exclu par le règlement nº 1408/71.
101. Étant donné que, à notre avis, comme nous l'avons exposé dans le cadre de la quatrième question, le bénéficiaire d'une pension d'invalidité n'est pas un «travailleur» au sens du règlement nº 1612/68, cette question ne se pose pas.
Conclusion
102. Nous considérons, par conséquent, que les questions déférées par le Conseil supérieur des assurances sociales appellent les réponses suivantes:
«1) L'article 1er, sous u), i), et l'annexe II du règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, ne sont pas incompatibles avec les articles 48 et 51 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 CE et 42 CE) dans la mesure où ils excluent l'allocation prénatale et l'allocation de naissance
du champ d'application matériel du règlement. Toutefois, s'il convient de qualifier ces allocations de prestations de maternité, leur mention à l'annexe II est dénuée de pertinence et elles sont exportables en vertu de l'article 19 du règlement.
2) L'article 10 bis et l'annexe II bis du règlement nº 1408/71 ne sont pas incompatibles avec les articles 48 et 51 du traité CE en ce qu'ils s'opposent à l'exportation de prestations spéciales à caractère non contributif au sens de la définition de l'article 4, paragraphe 2 bis. Ces dispositions ne sauraient toutefois s'appliquer à une allocation telle que l'allocation de maternité en cause, celle-ci ne relevant pas de la notion de prestation spéciale à caractère non contributif.
3) Une allocation telle que l'allocation d'éducation en cause n'est pas une prestation au sens de l'article 77 du règlement nº 1408/71; en conséquence, elle n'est pas due aux travailleurs bénéficiant d'une pension d'invalidité servie par un État membre autre que leur État de résidence.
4) Le bénéficiaire d'une pension d'invalidité qui continue à cotiser à l'assurance maladie obligatoire dans l'État membre qui sert la pension d'invalidité n'est pas un travailleur salarié ou non salarié au sens de l'article 73 du règlement nº 1408/71.
5) Le règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, ne confère pas au bénéficiaire d'une pension d'invalidité qui réside dans un État autre que celui de son ancien emploi le droit à une prestation versée par ce dernier État à ses résidents mais non accordée aux anciens travailleurs en raison de leur qualité objective de travailleurs.»