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62001J0079
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 17 octobre 2002. - Payroll Data Services (Italy) Srl, ADP Europe SA et ADP GSI SA. - Demande de décision préjudicielle: Corte d'appello di Milano - Italie. - Liberté d'établissement - Libre prestation des services - Activité d'élaboration et d'édition des fiches de paie. - Affaire C-79/01.
Recueil de jurisprudence 2002 page I-08923
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
Libre circulation des personnes Liberté d'établissement Centres de traitement informatisé de données assurant l'élaboration et l'édition de fiches de paie Réglementation nationale imposant aux entreprises de moins de 250 employés de recourir aux centres constitués et composés exclusivement de personnes inscrites à l'ordre de certaines professions Inadmissibilité Justification Absence
rt. 43 CE)
Sommaire
$$L'article 43 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la législation d'un État membre imposant aux entreprises de moins de 250 employés qui veulent confier l'élaboration et l'édition de leurs fiches de paie à des centres externes de traitement informatisé de données de ne recourir qu'à ceux constitués et composés exclusivement de personnes inscrites à l'ordre de certaines professions dans cet État membre lorsque, en vertu de cette législation, les entreprises de plus de 250 employés
peuvent confier de telles activités à des centres externes de traitement informatisé de données à la seule condition que ceux-ci se fassent assister par une ou plusieurs desdites personnes.
En effet, même si une telle réglementation n'est pas directement discriminatoire, elle constitue pour l'opérateur économique établi dans un autre État membre un obstacle à l'exercice de ses activités d'élaboration et d'édition de fiches de paie par l'intermédiaire d'un établissement dans l'État membre concerné, qui constitue une restriction au sens de l'article 43 CE.
Si, lorsqu'elles s'appliquent à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre d'accueil, de telles mesures peuvent être justifiées lorsqu'elles répondent à des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que la protection des travailleurs, c'est pour autant qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.
À cet égard, dès lors que les centres externes de traitement informatisé de données qui ne sont pas uniquement constitués et composés de personnes inscrites à l'ordre de certaines professions peuvent offrir des services d'élaboration et d'édition des fiches de paie à des entreprises de plus de 250 employés, lesquels n'apparaissent pas devoir jouir à cet égard d'une protection moindre que ceux travaillant pour des entreprises à l'effectif plus réduit, et que les tâches en cause ne sauraient être
moins complexes lorsque le nombre de salariés concernés augmente, une telle législation va, en tout état de cause, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de protection des droits des travailleurs.
( voir points 27-28, 36-37, 39 et disp. )
Parties
Dans l'affaire C-79/01,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la Corte d'appello di Milano (Italie) et tendant à obtenir, dans la procédure gracieuse (giurisdizione volontaria) engagée devant cette juridiction par
Payroll Data Services (Italy) Srl,
ADP Europe SA
et
ADP GSI SA,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 43 CE et 49 CE,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de MM. M. Wathelet, président de chambre, C. W. A. Timmermans (rapporteur), D. A. O. Edward, P. Jann et S. von Bahr, juges,
avocat général: M. J. Mischo,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
pour Payroll Data Services (Italy) Srl, ADP Europe SA et ADP GSI SA, par Mes L. G. Radicati di Brozolo, M. Merola et D. P. Domenicucci, avvocati,
pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de Mme F. Quadri, avvocato dello Stato,
pour la Commission des Communautés européennes, par M. V. Di Bucci et Mme M. Patakia, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Payroll Data Services (Italy) Srl, d'ADP Europe SA et d'ADP GSI SA, représentées par Me L. G. Radicati di Brozolo, du gouvernement italien, représenté par M. M. Massella Ducci Teri, avvocato dello Stato, et de la Commission, représentée par M. V. Di Bucci, à l'audience du 14 mars 2002,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 7 mai 2002,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par ordonnance du 29 janvier 2001, parvenue à la Cour le 15 février suivant, la Corte d'appello di Milano a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 43 CE et 49 CE.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un recours à l'encontre d'un refus d'homologation d'une modification des statuts de la société Payroll Data Services (Italy) Srl (ci-après «Payroll») opposé à cette dernière par le Tribunale di Milano.
Le cadre juridique national
3 L'article 1er, paragraphe 1, de la legge n° 12, du 11 janvier 1979, intitulée «Norme per l'ordinamento della professione di consulente del lavoro» (loi relative à l'organisation de la profession de conseiller du travail et de l'emploi, GURI n° 20, du 20 janvier 1979, p. 363, ci-après la «loi n° 12/1979»), dispose:
«Lorsqu'elles ne sont pas assumées par l'employeur, que ce soit directement ou par l'intermédiaire de ses employés, toutes les obligations en matière de travail, de prévoyance et de sécurité sociale des travailleurs salariés doivent être assumées exclusivement par des professionnels inscrits à l'ordre des conseillers du travail et de l'emploi [...] ou à l'ordre des avocats et procureurs avoués, des experts-comptables, des comptables et des conseillers commerciaux, lesquels sont tenus, dans ce cas,
d'en donner notification aux inspecteurs du travail des provinces sur le territoire desquelles ils entendent exécuter les obligations susmentionnées.»
4 L'article 1er, paragraphe 4, de la loi n° 12/1979 prévoit une exception à cette règle:
«Les entreprises répertoriées comme artisanales [...] ainsi que les petites entreprises, y compris celles qui revêtent le statut de coopérative, peuvent confier l'exécution des obligations visées au paragraphe 1 à des services [...] institués par les associations professionnelles concernées. Ces services peuvent être organisés avec l'aide des conseillers du travail et de l'emploi, même si ces derniers sont employés par les associations précitées.»
5 L'article 58, seizième alinéa, de la legge n° 144, du 17 mai 1999, intitulée «Misure in materia di investimenti, delega al Governo per il riordino degli incentivi all'occupazione e della normativa che disciplina l'INAIL, nonché disposizioni per il riordino degli enti previdenziali» (loi relative à des mesures en matière d'investissements, à l'habilitation législative en vue de la réorganisation des aides à l'emploi et de la réglementation régissant l'INAIL, ainsi qu'à la réorganisation des
organismes de sécurité sociale, supplément ordinaire à la GURI n° 118, du 22 mai 1999, republiée à la GURI n° 136, du 12 juin 1999, p. 5, ci-après la «loi n° 144/1999»), a ajouté les dispositions suivantes à la fin de l'article 1er de la loi n° 12/1979:
«Pour l'accomplissement des opérations de calcul et d'édition relatives aux obligations énoncées au paragraphe 1, ainsi que pour l'exécution des activités afférentes aux équipements et activités connexes, les entreprises visées au paragraphe 4 peuvent recourir aux services de centres de traitement informatisé de données, pour autant que ceux-ci soient constitués et composés exclusivement de professionnels inscrits aux ordres précités dans la présente loi [...]. Les entreprises de plus de 250
employés qui ne font pas exécuter les opérations susmentionnées par leurs services internes peuvent les confier à des centres (externes ou expressément constitués à ces fins et externalisés) de traitement informatisé de données lesquels doivent, en tout état de cause, être assistés par une ou plusieurs des personnes visées au paragraphe 1.
[...]»
La procédure au principal et la question préjudicielle
6 Payroll est une société de droit italien qui a été constituée le 29 juillet 1999 à l'initiative de deux sociétés françaises, ADP Europe SA et ADP GSI SA, qui détiennent ensemble son capital social. Ces entreprises offrent des services informatiques de calcul des salaires ainsi que d'élaboration et d'édition des fiches de paie.
7 Par décision du 29 décembre 1999, l'assemblée générale extraordinaire de Payroll a modifié comme suit l'objet social figurant à l'article 4 de ses statuts:
«La société a pour objet les opérations de calcul et d'édition de documents en exécution des obligations découlant du contrat de travail et de la sécurité sociale des travailleurs salariés, pour le compte des entreprises comptant moins de 250 employés.»
8 Par ordonnance du 16 octobre 2000, le Tribunale di Milano a refusé d'homologuer cette décision de l'assemblée générale extraordinaire de Payroll. Il a motivé son ordonnance en indiquant que la modification statutaire relative à l'objet social de Payroll pourrait enfreindre l'article 1er de la loi n° 12/1979, tel que modifié par l'article 58, seizième alinéa, de la loi n° 144/1999 (ci-après la «disposition litigieuse»).
9 Payroll, ADP Europe SA et ADP GSI SA (ci-après, ensemble, «Payroll e.a.») ont demandé à la Corte d'appello di Milano d'infirmer cette ordonnance du Tribunale di Milano au motif que la disposition litigieuse ne pourrait être appliquée en raison de son incompatibilité avec les principes de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services découlant des articles 43 CE et 49 CE. Selon Payroll e.a., la disposition litigieuse aurait pour unique fonction de préserver de la concurrence les
personnes inscrites à un ordre professionnel, sans que cela soit dicté par une raison d'intérêt général.
10 À cet égard, la Corte d'appello di Milano précise que le problème qui lui est soumis se limite à l'examen de la contrariété constatée entre, d'une part, les prestations décrites dans la modification statutaire de Payroll, destinées aux «entreprises comptant moins de 250 employés», et, d'autre part, la disposition litigieuse qui exclut que ces prestations puissent être confiées à des centres externes de traitement informatisé de données (ci-après les «CTD»), lorsque l'effectif de l'entreprise
destinataire est inférieur à 250 employés. Elle insiste sur cette limitation, car Payroll e.a. auraient critiqué de façon très générale les règles régissant l'activité des conseillers du travail et de l'emploi, ce qui ne lui semble pas pertinent dans le cadre de la procédure d'homologation pendante devant elle.
11 Dès lors, la Corte d'appello di Milano considère qu'elle doit rechercher si la modification des statuts de Payroll est effectivement interdite par la disposition litigieuse et, dans l'affirmative, si elle doit refuser d'appliquer cette disposition en raison d'une incompatibilité avec les principes découlant des articles 43 CE et 49 CE. Concernant le premier point, elle constate que la disposition litigieuse semble dépourvue d'équivoque dans la partie qui exclut les CTD de la fourniture de
prestations aux entreprises artisanales, aux petites entreprises et aux entreprises de moins de 250 employés. Quant au second point, la Corte d'appello di Milano n'exclut pas que la disposition litigieuse soit contraire au droit communautaire. En effet, bien que la Cour ait considéré qu'une restriction non discriminatoire à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services peut être justifiée sous certaines conditions, la Corte d'appello di Milano se demande si ces conditions sont
remplies en l'espèce au principal.
12 Estimant donc que l'issue de la procédure pendante devant elle dépend de l'interprétation de règles communautaires, la Corte d'appello di Milano a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante:
«Les articles 43 [CE] et 49 [CE] font-ils obstacle à l'application par la juridiction nationale de l'article 1er de la loi n° 12, du 11 janvier 1979, [...], tel que modifié par l'article 58, seizième alinéa, de la loi n° 144, du 17 mai 1999, dans sa partie qui fait interdiction absolue aux prestataires de services externes proposant des services d'élaboration et d'édition de fiches de paie de fournir leurs services aux entreprises comptant moins de 250 employés?»
Sur la question préjudicielle
Observations soumises à la Cour
13 Concernant la liberté d'établissement garantie par l'article 43 CE, Payroll e.a. et la Commission font valoir que, selon une jurisprudence constante, les mesures prises par un État membre qui sont applicables indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux d'autres États membres ne peuvent faire obstacle à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité CE que si elles sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, si elles sont propres à garantir la réalisation
de l'objectif qu'elles poursuivent et si elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.
14 À cet égard, Payroll e.a. font valoir que la disposition litigieuse protège les intérêts des conseillers du travail et de l'emploi et que ces intérêts ne sauraient être qualifiés d'intérêt général de nature non économique au sens visé par la Cour. En outre, Payroll e.a. prétendent que la disposition litigieuse ne protège pas les intérêts des travailleurs eu égard à la segmentation du marché qu'elle établit.
15 La Commission soutient pour sa part que la disposition litigieuse ne semble pas propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit, car la restriction qu'elle instaure ne s'applique pas aux prestations effectuées par des CTD en faveur d'entreprises de plus de 250 employés.
16 Quant à la libre prestation des services garantie par l'article 49 CE, Payroll e.a. et la Commission soutiennent que la disposition litigieuse en limite également l'exercice, pour les mêmes motifs et de manière aussi injustifiée que s'agissant de la liberté d'établissement.
17 Au contraire, le gouvernement italien soutient que les principes de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services ne sont pas violés par la disposition litigieuse dans la mesure où les CTD d'autres États membres que la République italienne peuvent également fournir leurs services aux petites et moyennes entreprises italiennes, à la seule condition d'être assistés par un conseiller du travail et de l'emploi ou une personne assimilée. De telles limites s'appliqueraient de
manière non discriminatoire tant aux CTD italiens qu'à ceux d'autres États membres.
18 En outre, le gouvernement italien a fait valoir dans ses observations écrites que, même si, en l'espèce au principal, la disposition litigieuse comportait une restriction à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services, cette restriction serait justifiée par la nécessité de personnaliser les prestations des professions libérales et d'assurer un rapport direct entre le professionnel et le client. L'accomplissement des obligations de l'employeur visées par la disposition
litigieuse ne serait pas une simple tâche d'exécution des instructions reçues de celui-ci, mais engagerait directement la responsabilité du professionnel habilité à cette fin.
19 Toutefois, à l'audience, le gouvernement italien a précisé que la disposition litigieuse a pour objectif principal la protection des droits des travailleurs, qui serait reconnue dans la jurisprudence de la Cour comme une raison impérieuse d'intérêt général. Il ne ferait pas de doute, à cet égard, que la protection des droits des travailleurs suppose d'assurer l'accomplissement des obligations relatives aux fiches de paie des salariés et aux régimes sociaux. En outre, ce gouvernement a fait valoir
que la disposition litigieuse est conforme au principe de proportionnalité en ce qu'elle permet de faire appel aux services de CTD qui sont seulement tenus d'avoir recours aux conseillers du travail et de l'emploi.
Réponse de la Cour
20 À titre liminaire, il y a lieu de déterminer le contenu de la réglementation nationale visée par la question préjudicielle. En effet, d'une part, le gouvernement italien a affirmé que les CTD pouvaient offrir leurs services aux entreprises employant moins de 250 personnes de la même façon qu'à celles employant plus de 250 personnes, à la seule condition d'être assistés de conseillers du travail et de l'emploi ou de personnes assimilées. D'autre part, selon l'ordonnance de renvoi, une telle
possibilité n'existerait pour la première catégorie d'entreprises qu'à l'égard des CTD exclusivement constitués et composés de conseillers du travail et de l'emploi ou de personnes assimilées.
21 À cet égard, il suffit de constater que la disposition litigieuse, qui est citée par l'ordonnance de renvoi, n'admet le recours à des CTD par des entreprises employant moins de 250 personnes que «pour autant que ceux-ci soient constitués et composés exclusivement de professionnels inscrits aux ordres précités». La question préjudicielle ayant été posée par référence à cette disposition, c'est sur cette base que la Cour doit formuler sa réponse.
22 Dès lors, il convient de considérer que, par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à la législation d'un État membre imposant aux entreprises de moins de 250 employés qui veulent confier l'élaboration et l'édition de leurs fiches de paie à des CTD de ne recourir qu'à ceux constitués et composés exclusivement de personnes inscrites à l'ordre de certaines professions dans
cet État membre.
23 La question posée concernant tant l'article 43 CE que l'article 49 CE, il convient de commencer son examen sous l'angle de l'article 43 CE.
24 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit d'établissement, prévu aux articles 43 CE à 48 CE, est reconnu tant aux personnes physiques ressortissantes d'un État membre qu'aux personnes morales au sens de l'article 48 CE. Il comporte, sous réserve des exceptions et conditions prévues, l'accès sur le territoire de tout autre État membre à toutes sortes d'activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, la création d'agences, de succursales ou
de filiales (voir, notamment, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec. p. I-4165, point 23, et du 11 mai 1999, Pfeiffer, C-255/97, Rec. p. I-2835, point 18).
25 Il ressort du dossier que Payroll est une société à responsabilité limitée de droit italien, fondée le 29 juillet 1999 par les deux entreprises françaises ADP Europe SA et ADP GSI SA qui détiennent ensemble son capital social. En tant que filiale de ces deux entreprises, Payroll fait partie d'un groupe de sociétés, établies dans différents États membres, qui offrent des services informatiques d'élaboration et d'édition des fiches de paie. La situation juridique d'une société telle que Payroll
relève donc du droit communautaire en vertu des dispositions de l'article 43 CE (voir, en ce sens, arrêt du 1er février 2001, Mac Quen e.a., C-108/96, Rec. p. I-837, point 16).
26 Il convient de rappeler également que l'article 43 CE impose la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et que doivent être considérées comme de telles restrictions toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de cette liberté (voir, notamment, arrêt du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C-439/99, Rec. p. I-305, point 22).
27 En l'occurrence, même si l'interdiction pour des CTD qui ne sont pas constitués et composés uniquement de conseillers du travail et de l'emploi ou de personnes assimilées d'offrir des prestations d'élaboration et d'édition de fiches de paie à des entreprises de moins de 250 employés n'est pas directement discriminatoire, elle constitue pour l'opérateur économique établi dans un État membre autre que la République italienne un obstacle à l'exercice de ses activités par l'intermédiaire d'un
établissement dans ce dernier État membre, qui constitue une restriction au sens de l'article 43 CE.
28 Cependant, il résulte d'une jurisprudence constante que, lorsque de telles mesures s'appliquent à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre d'accueil, elles peuvent être justifiées lorsqu'elles répondent à des raisons impérieuses d'intérêt général, pour autant qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (voir arrêts du 31 mars 1993, Kraus,
C-19/92, Rec. p. I-1663, point 32; Gebhard, précité, point 37; du 9 mars 1999, Centros, C-212/97, Rec. p. I-1459, point 34; Pfeiffer, précité, point 19; du 4 juillet 2000, Haim, C-424/97, Rec. p. I-5123, point 57; Mac Quen e.a., précité, point 26, et Commission/Italie, précité, point 23).
29 Si, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions communautaires et nationales, il appartient en principe à la juridiction nationale de vérifier que ces conditions sont réunies dans l'affaire pendante devant elle, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son interprétation (voir, notamment, arrêt Haim, précité, point 58).
30 À cet égard, il peut être relevé que, lors de l'audience, le gouvernement italien a invoqué la protection des droits des travailleurs pour justifier la restriction à la liberté d'établissement résultant de la disposition litigieuse.
31 Certes, la protection des travailleurs figure parmi les raisons impérieuses d'intérêt général déjà reconnues par la Cour pour justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité (voir arrêts du 17 décembre 1981, Webb, 279/80, Rec. p. 3305, point 19; du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral, 62/81 et 63/81, Rec. p. 223, point 14; du 27 mars 1990, Rush Portuguesa, C-113/89, Rec. p. I-1417, point 18; du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453,
point 36; du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA, C-165/98, Rec. p. I-2189, point 27; du 25 octobre 2001, Finalarte e.a., C-49/98, C-50/98, C-52/98 à C-54/98 et C-68/98 à C-71/98, Rec. p. I-7831, point 33, et du 24 janvier 2002, Portugaia Construções, C-164/99, Rec. p. I-787, point 20).
32 Cependant, il convient encore d'examiner si la disposition litigieuse est propre à garantir la réalisation de l'objectif de protection des travailleurs.
33 Payroll e.a. et le gouvernement italien sont en désaccord sur la nature des activités des CTD qui offrent des services d'élaboration et d'édition de fiches de paie. Ce gouvernement soutient que la prestation de tels services n'implique pas simplement l'exécution des instructions reçues de l'employeur, mais nécessite au préalable un travail intellectuel consistant à déterminer, sur le fondement de la législation pertinente, le salaire net de chaque travailleur. Payroll e.a., en revanche, font
valoir que leurs activités sont seulement de nature informatique et administrative.
34 À ce propos, il convient de relever qu'il incombe au juge national d'établir la nature des activités des CTD. Or, si ce dernier arrivait à la conclusion que les services d'élaboration et d'édition des fiches de paie qu'offre Payroll impliquent essentiellement des tâches d'exécution et n'exigent pas de qualités professionnelles spécifiques, la disposition litigieuse ne paraîtrait pas apte à protéger les droits des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 1991, Säger, C-76/90, Rec. p.
I-4221, point 18).
35 En effet, dans la mesure où les activités de Payroll seraient essentiellement de nature administrative, la responsabilité finale pour les données figurant sur les fiches de paie, y compris les déductions à opérer sur les salaires au titre des différents régimes de prévoyance sociale et de sécurité sociale, incomberait aux employeurs. Aussi n'apparaît-il pas nécessaire que de telles activités soient seulement exercées par des CTD constitués et composés exclusivement de conseillers du travail et de
l'emploi ou de personnes assimilées.
36 En tout état de cause, quelle que soit l'appréciation à porter sur la nature des activités des CTD, il y a lieu de rappeler que la disposition litigieuse ne peut pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de protection des droits des travailleurs.
37 À cet égard, il convient de relever que, en vertu de la législation italienne, les CTD qui ne sont pas uniquement constitués et composés de conseillers du travail et de l'emploi ou de personnes assimilées peuvent offrir des services d'élaboration et d'édition des fiches de paie à des entreprises de plus de 250 employés, lesquels n'apparaissent pas devoir jouir à cet égard d'une protection moindre que ceux travaillant pour des entreprises à l'effectif plus réduit. Dès lors que les tâches en cause
ne sauraient être moins complexes lorsque le nombre de salariés concernés augmente, la disposition litigieuse va, en tout état de cause, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif de protection.
38 Pour autant que la question préjudicielle concerne l'article 49 CE, il n'y a pas lieu d'y répondre. En effet, la procédure au principal étant relative à l'homologation d'un projet de modification des statuts d'une société qui bénéficie du régime du traité relative au droit d'établissement, comme il a été relevé au point 25 du présent arrêt, l'article 49 CE relatif à la libre prestation des services n'est pas pertinent dans le cadre de cette procédure.
39 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question préjudicielle que l'article 43 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la législation d'un État membre imposant aux entreprises de moins de 250 employés qui veulent confier l'élaboration et l'édition de leurs fiches de paie à des CTD de ne recourir qu'à ceux constitués et composés exclusivement de personnes inscrites à l'ordre de certaines professions dans cet État membre lorsque, en vertu de cette législation, les
entreprises de plus de 250 employés peuvent confier de telles activités à des CTD à la seule condition que ceux-ci se fassent assister par une ou plusieurs desdites personnes.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
40 Les frais exposés par le gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par la Corte d'appello di Milano, par ordonnance du 29 janvier 2001, dit pour droit:
L'article 43 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la législation d'un État membre imposant aux entreprises de moins de 250 employés qui veulent confier l'élaboration et l'édition de leurs fiches de paie à des centres externes de traitement informatisé de données de ne recourir qu'à ceux constitués et composés exclusivement de personnes inscrites à l'ordre de certaines professions dans cet État membre lorsque, en vertu de cette législation, les entreprises de plus de 250
employés peuvent confier de telles activités à des centres externes de traitement informatisé de données à la seule condition que ceux-ci se fassent assister par une ou plusieurs desdites personnes.