ARRÊT DU TRIBUNAL (juge unique)
28 avril 2004 (*)
« Fonctionnaires – Concours général – Épreuve orale – Non-inscription sur la liste de réserve – Recours en annulation »
Dans l'affaire T-277/02,
Athanacia-Nancy Pascall, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes J.-N. Louis, É. Marchal et A. Coolen, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par M. F. Anton et M^me D. Zahariou, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du jury du concours Conseil/A/393 pour la constitution d'une liste de réserve d'administrateurs de langue grecque d'attribuer à la requérante un nombre de points inférieur au minimum requis pour son épreuve orale et de ne pas l'inscrire sur la liste de réserve,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (juge unique),
juge : M. J. Pirrung,
greffier : M. I. Natsinas, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 18 novembre 2003,
rend le présent
Arrêt
Faits à l’origine du litige
1 Le 6 avril 2000, le Conseil a publié l’avis de concours général Conseil/A/393, portant sur la constitution d’une liste de réserve d’administrateurs de langue grecque. La requérante, fonctionnaire de grade B 1 de la Commission, s’est portée candidate à ce concours. Ayant réussi les épreuves de présélection et les épreuves écrites, elle a été admise aux épreuves orales.
2 Le point VI B de l’avis de concours, régissant les épreuves orales, est rédigé comme suit :
« a) Entretien en grec visant à évaluer les connaissances professionnelles et générales du candidat et sa capacité d’adaptation à un milieu international, les raisons pour lesquelles il/elle a présenté sa candidature et sa bonne volonté à travailler comme membre d’une équipe.
Ce test est noté de 0 à 40 points
Une note en dessous de 20 points aboutit à l’exclusion du candidat.
b) Entretien visant à évaluer les connaissances linguistiques du candidat en français et en anglais ainsi que dans toutes les autres langues communautaires que le candidat a déclaré connaître dans son acte de candidature.
Ce test est noté de 0 à 40 points
Une note en dessous de 20 points aboutit à l’exclusion du candidat.
c) Entretien collectif en grec visant à permettre au jury d’évaluer la capacité d’adaptation, l’aptitude à négocier, le sens des responsabilités, l’esprit de décision ainsi que le comportement des candidats dans le cadre d’une équipe.
Ce test est noté de 0 à 20 points
Une note en dessous de 10 points aboutit à l’exclusion du candidat.
Les candidats doivent obtenir au moins 60 % de points dans la totalité des épreuves orales et obtenir le minimum de points requis pour chaque épreuve individuelle. »
3 Par lettre du 30 mai 2002, rédigée en grec, du service du recrutement du Conseil, la requérante a été informée que le jury n’avait pu inscrire son nom sur la liste des lauréats, étant donné que la notation de 10/20 qui lui avait été attribuée pour le test spécifique c) de l’épreuve orale était inférieure au minimum requis de 10/20.
4 Par lettre du 6 juin 2002, le conseil de la requérante a demandé la communication des points obtenus par sa cliente pour chacun des trois entretiens constituant l’épreuve orale ainsi que les points attribués pour les différents critères d’appréciation que le jury était tenu de prendre en considération.
5 Dans sa réponse à cette demande en date du 11 juin 2002, le président du jury a expliqué que, en raison d’une erreur matérielle, les informations fournies dans la lettre du 30 mai 2002 du service du recrutement quant à la motivation de la décision du jury de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste de réserve étaient incomplètes. Il a indiqué à la requérante qu’elle avait bien obtenu pour les épreuves orales a), b) et c) les notes minimales requises pour chaque épreuve, à
savoir, respectivement, 20/40, 26/40 et 10/20, mais que le total des points attribués n’avait pas atteint 60 % pour l’ensemble des trois épreuves. En outre, il a précisé que les critères d’appréciation des trois épreuves orales étaient confidentiels dans la mesure où ils étaient indissociables des éléments d’appréciation comparatifs des qualifications des candidats.
Procédure et conclusions des parties
6 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 septembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.
7 À la suite du dépôt du mémoire en défense, le Tribunal a invité le Conseil, à titre de mesure d’organisation de la procédure, à lui communiquer les notes attribuées à la requérante pour chacune des langues ayant fait l’objet de la deuxième épreuve orale et à indiquer la méthode suivie pour déterminer, sur la base de ces notes, la note globale attribuée à la requérante pour cette épreuve. Le Conseil a déféré à cette demande dans le délai imparti.
8 Il résulte des réponses du Conseil que les notes suivantes ont été attribuées à la requérante dans les six langues dans lesquelles elle a été interrogée : français, 21 points sur 40 ; anglais, 31 points sur 40 ; allemand, 8 points sur 40 ; italien, espagnol et suédois, 0 point sur 40. Le Conseil précise que le jury a estimé que le niveau de la requérante dans ces trois dernières langues était inférieur au niveau requis pour se prévaloir utilement de la connaissance d’une langue dans un acte
de candidature. Le Conseil expose que le jury a suivi, pour tous les candidats, la même méthode pour calculer la note globale. Selon cette méthode, le jury a neutralisé les notes attribuées à la requérante dans les langues autres que l’anglais et le français parce que celles-ci étaient inférieures à la moyenne de ces deux langues, afin d’éviter que la requérante ne soit pénalisée par la prise en considération de ces notes. La moyenne des notes pour l’anglais et le français correspond au résultat
final de 26 points sur 40 attribués à la requérante pour cette épreuve.
9 Conformément aux dispositions de l’article 14, paragraphe 2, et de l’article 51, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la deuxième chambre a attribué l’affaire à M. J. Pirrung, siégeant en qualité de juge unique.
10 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 18 novembre 2003.
11 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision du jury du concours Conseil/A/393 de lui attribuer un nombre de points inférieur au minimum requis pour son épreuve orale et de ne pas l’inscrire sur la liste de réserve (ci-après la « décision attaquée ») ;
– condamner le Conseil aux dépens.
12 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner chacune des parties à supporter ses propres dépens.
En droit
13 La requérante soulève deux moyens. Le premier est tiré d’une violation de l’obligation de motivation et le second d’une violation de l’avis de concours et du principe d’égalité de traitement.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation
Arguments des parties
14 La requérante estime que l’obligation de motiver la décision attaquée a été violée parce que le jury a refusé de donner une suite favorable à la demande du 6 juin 2002 visant à obtenir, d’une part, la communication des points qu’elle avait obtenus pour chacun des trois entretiens et, d’autre part, celle des points attribués, pour chaque entretien, aux critères d’appréciation que le jury était tenu de prendre en considération. Elle estime que la communication de la note globale qui lui a été
attribuée pour chacune des trois épreuves ne permet ni à elle-même ni au Tribunal de vérifier le bien-fondé de la décision attaquée.
15 Dans la réplique, la requérante ajoute que la production des notes intermédiaires de l’épreuve linguistique par le Conseil, en réponse à la demande du Tribunal, renforce la constatation qu’elle n’a pas disposé, en temps utile, des éléments lui permettant d’apprécier le bien-fondé de la décision attaquée.
16 Le Conseil fait valoir que, dans le cas d’un concours à participation nombreuse, la communication aux intéressés des notes qu’ils ont obtenues aux différentes épreuves constitue une motivation suffisante des décisions prises par le jury. Il estime que la question juridique essentielle posée par le présent recours est celle de savoir si le jury devait communiquer à la requérante des notes intermédiaires concernant les différents éléments pris en considération dans l’évaluation des épreuves
orales a) et c) et concernant les différentes langues dans le cadre de l’épreuve b).
17 En ce qui concerne les épreuves a) et c), le Conseil est d’avis que le moyen de la requérante n’est pas fondé. Il relève que l’avis de concours ne demande pas au jury de noter distinctement chacune des connaissances, capacités et aptitudes évaluées lors de ces épreuves qui ont été notées globalement comme dans tout concours de ce type.
18 En ce qui concerne les notes intermédiaires de l’épreuve de langues [épreuve b)], le Conseil est d’avis que le moyen tiré d’une insuffisance de motivation est désormais sans objet.
Appréciation du Tribunal
19 L’obligation de motivation d’une décision faisant grief a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est fondée ou non et, d’autre part, d’en rendre possible le contrôle juridictionnel (arrêts de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec. p. 2861, point 22, et du 4 juillet 1996, Parlement/Innamorati, C‑254/95 P, Rec. p. I-3423, point 23).
20 S’agissant des décisions prises par un jury de concours, cette obligation de motivation doit être conciliée avec le respect du secret qui entoure les travaux du jury en vertu de l’article 6 de l’annexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes. Ce secret a été institué en vue de garantir l’indépendance des jurys de concours et l’objectivité de leurs travaux, en les mettant à l’abri de toutes ingérences et pressions extérieures, qu’elles proviennent de l’administration
communautaire elle-même, des candidats intéressés ou de tiers (arrêt Parlement/Innamorati, point 19 supra, point 24). Le respect de ce secret s’oppose, dès lors, tant à la divulgation des attitudes prises par les membres individuels des jurys qu’à la révélation de tous éléments ayant trait à des appréciations de caractère personnel ou comparatif concernant les candidats (arrêt de la Cour du 28 février 1980, Bonu/Conseil, 89/79, Rec. p. 553, point 5, et arrêt du Tribunal du 23 janvier 2003,
Angioli/Commission, T‑53/00, RecFP p. II‑73, point 68).
21 Il ressort également de la jurisprudence que, au stade de l’examen des aptitudes des candidats, les travaux du jury sont avant tout de nature comparative et, de ce fait, couverts par le secret inhérent à ces travaux (arrêt Parlement/Innamorati, point 19 supra, point 28). Dès lors, la communication des notes obtenues aux différentes épreuves constitue une motivation suffisante des décisions du jury (arrêt Parlement/Innamorati, point 19 supra, point 31).
22 Une telle motivation ne lèse pas les droits des candidats évincés et permet au Tribunal d’effectuer un contrôle juridictionnel approprié pour ce type de litige (arrêt Parlement/Innamorati, point 19 supra, point 32, et arrêt du Tribunal du 2 mai 2001, Giulietti e.a./Commission, T‑167/99 et T‑174/99, RecFP p. I‑A‑93 et II‑441, point 81). En effet, il est de jurisprudence constante que le jury d’un concours dispose d’un large pouvoir d’appréciation et que ses appréciations ne sauraient être
soumises au contrôle du juge communautaire qu’en cas de violation évidente des règles qui président aux travaux du jury (arrêt Angioli/Commission, point 20 supra, point 70, et la jurisprudence citée).
23 En l’espèce, il convient de relever tout d’abord que la lettre du 11 juin 2002 précisait, en réponse à une demande de la requérante, les points que celle-ci avait obtenus pour chacune des trois épreuves orales.
24 L’avis de concours prévoyant l’attribution d’une seule note au titre de chacune des trois épreuves, la communication des points que la requérante avait obtenus pour chacune des épreuves constitue, en principe, une motivation suffisante.
25 Il y a lieu d’ajouter que les épreuves a) et c) visaient à évaluer les connaissances générales et professionnelles et les qualités personnelles des candidats. Elles portaient, comme le Conseil l’a relevé à juste titre, sur des qualifications interdépendantes. Il n’y a pas lieu, pour un jury, de noter de manière distincte les différentes connaissances, capacités et aptitudes évaluées lors de telles épreuves. Partant, le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation n’est pas fondé
pour ce qui est de ces épreuves.
26 S’agissant de l’épreuve b), visant à évaluer les connaissances linguistiques des candidats, il convient de rappeler que l’avis de concours ne prévoyait pas l’attribution de notes distinctes pour les différentes langues dans lesquelles les candidats possédaient des connaissances. Dans ces conditions, il est légitime pour un jury d’attribuer, à la suite d’un examen comparatif, une note globale aux candidats pour l’ensemble de leurs connaissances linguistiques, et la communication de cette note
constitue une motivation suffisante de la décision du jury.
27 En l’espèce, le Conseil a toutefois indiqué, dans son mémoire en défense, que le jury avait procédé à une notation intermédiaire des connaissances des candidats pour chacune des langues indiquées dans leur acte de candidature.
28 Dans ces circonstances, l’obligation de motivation implique la communication, sur demande d’un candidat, des notes intermédiaires qui lui ont été attribuées au titre des différentes langues ayant fait l’objet de l’épreuve et de la méthode suivie par le jury pour déterminer la note finale. En effet, la communication de ces éléments n’implique ni la divulgation des attitudes prises par les membres individuels du jury ni la révélation d’éléments ayant trait à des appréciations de caractère
personnel ou comparatif concernant les candidats. Elle n’est donc pas incompatible avec le respect du secret des travaux du jury.
29 Si cette motivation n’est pas fournie sur demande d’un candidat écarté, il appartient au Tribunal de demander des précisions par le biais de mesures d’organisation de la procédure. En effet, cette situation se distingue, du fait de l’insuffisance de la motivation fournie, de celle dans laquelle un candidat écarté demande, sans avancer des indices concrets permettant de supposer que le jury n’a pas respecté les règles qui présidaient à ses travaux, que le juge communautaire procède à des
mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction afin d’obtenir des renseignements détaillés concernant le déroulement de ces travaux, dans laquelle il n’y a pas lieu, en principe, d’ordonner de telles mesures (arrêt du Tribunal du 7 février 2001, Bonaiti Brighina/Commission, T‑118/99, RecFP p. I‑A‑25 et II‑97, point 51).
30 En réponse aux questions du Tribunal, le Conseil a produit les notes intermédiaires attribuées à la requérante pour chacune des langues ayant fait l’objet de l’épreuve et il a décrit la méthode suivie par le jury pour établir la note globale pour cette épreuve. La requérante a eu la possibilité, par son mémoire en réplique et à l’audience, de développer ses arguments à cet égard.
31 S’agissant des conséquences de cette communication, il résulte de la jurisprudence qu’une absence totale de motivation ne peut être couverte par des explications fournies après l’introduction d’un recours, puisque, à ce stade, de telles explications ne remplissent plus leur fonction. En revanche, en cas d’insuffisance de motivation, des précisions complémentaires peuvent être apportées en cours d’instance et rendre sans objet un moyen tiré du défaut de motivation, de sorte qu’il ne justifie
plus l’annulation de la décision en cause (arrêt du Tribunal du 6 novembre 1997, Berlingieri Vinzek/Commission, T‑71/96, RecFP p. I‑A-339 et II‑921, point 79). Le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation est donc devenu sans objet en ce qui concerne l’épreuve orale b).
32 Il s’ensuit que le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, doit être rejeté.
Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’avis de concours et du principe d’égalité de traitement
Arguments des parties
33 Le présent moyen est articulé en trois branches. Dans le cadre de la première branche, la requérante critique la manière dont ses connaissances professionnelles et générales ont été évaluées. Dans le cadre de la deuxième branche, elle conteste l’appréciation portée par le jury sur ses connaissances linguistiques et, dans le cadre de la troisième branche, présentée à l’audience, elle soutient que l’organisation de l’épreuve de langues était irrégulière.
34 Dans le cadre de la première branche, la requérante fait valoir que le jury a méconnu l’avis de concours selon lequel l’épreuve a) visait à évaluer les connaissances professionnelles et générales des candidats, leur capacité d’adaptation à un milieu international, leur motivation et leurs aptitudes à travailler en équipe, alors que l’épreuve b) visait à évaluer leurs connaissances linguistiques.
35 Elle soutient qu’elle n’a pas été interrogée sur ses connaissances professionnelles et générales en langue grecque. En revanche, des questions y relatives lui auraient été posées en espagnol, en italien et en français, dans le cadre de l’épreuve b). Elle en déduit que le jury a apprécié, au moins partiellement, ses connaissances et qualifications professionnelles et générales sur la base des réponses qu’elle a fournies dans ses quatrième, cinquième, sixième et septième langues, ce qui
constitue, selon elle, une violation de l’avis de concours. Elle estime que le jury a également méconnu le principe d’égalité de traitement à son détriment du fait que ses connaissances et qualifications professionnelles et générales ont été appréciées sur la base de réponses données dans des langues qu’elle maîtrise moins bien que l’anglais et le français, respectivement ses deuxième et troisième langues usuelles, alors que d’autres candidats ont été interrogés dans leurs deuxième et troisième
langues.
36 À l’audience, la requérante a précisé que deux questions seulement lui avaient été posées en grec. Selon elle, ces questions, relatives à une prise de position d’un ancien président de la Commission sur la Convention européenne, étaient de « culture générale européenne » et n’avaient rien à voir avec ses connaissances professionnelles, alors qu’une seule question concernant son expérience professionnelle antérieure lui avait été posée en espagnol. Elle ajoute qu’il appartient à l’institution
défenderesse de démontrer que les épreuves orales se sont déroulées conformément à l’avis de concours.
37 Dans le cadre de la deuxième branche du moyen, la requérante formule deux griefs relatifs à l’évaluation de l’épreuve de langues.
38 D’une part, la requérante estime que la méthode retenue par le jury pour déterminer la note globale attribuée à chaque candidat pour cette épreuve est contraire à l’avis de concours et au principe d’égalité de traitement parce qu’elle a pour conséquence de pénaliser les candidats qui possèdent des connaissances de langues supplémentaires par rapport à celles requises par l’avis de concours, au lieu d’accorder à ces candidats une bonification pour leurs connaissances supplémentaires.
39 D’autre part, la requérante conteste l’appréciation portée par le jury sur ses propres connaissances linguistiques. Tout d’abord, elle fait valoir que l’affirmation selon laquelle le niveau de ses connaissances linguistiques en espagnol, en suédois et en italien était inférieur au niveau requis pour se prévaloir utilement de la connaissance d’une langue dans un acte de candidature est contraire à l’avis de concours qui ne prévoyait pas de minimum à cet égard. Ensuite, la requérante produit
de nombreux documents attestant de différentes formations qu’elle a suivies et d’examens qu’elle a réussis dans les différentes langues qu’elle avait indiquées dans son acte de candidature, ainsi que des rapports de notation et un rapport de fin de stage concernant les périodes comprises entre 1985 et 1995. La requérante considère que les notes qui lui ont été attribuées au titre de ses connaissances linguistiques par le jury sont incompréhensibles, compte tenu de l’ensemble de ses diplômes et de
ses rapports de notation. Elle estime donc que ces notes sont entachées d’une erreur manifeste.
40 Dans le cadre de la troisième branche du moyen, présentée à l’audience, la requérante fait valoir que l’organisation de l’épreuve de langues n’a pas respecté le principe d’égalité de traitement. En premier lieu, le jury aurait consacré le même temps à la vérification des connaissances linguistiques de chaque candidat, indépendamment du nombre de langues faisant l’objet de l’épreuve. En second lieu, la requérante aurait été confrontée à treize examinateurs, alors que des candidats ayant des
connaissances linguistiques moins étendues auraient été interrogés par un nombre moins élevé de personnes. La requérante ajoute qu’elle se serait bornée à indiquer une seule langue supplémentaire dans son acte de candidature, à savoir l’italien, si elle avait été informée auparavant de la manière dont se déroulerait l’épreuve de langues.
41 Le Conseil répond à la première branche du moyen en contestant l’affirmation de la requérante selon laquelle celle-ci n’aurait pas été interrogée sur ses connaissances professionnelles et générales en langue grecque et relève que la requérante n’apporte aucun commencement de preuve au soutien de cette affirmation. Il fait valoir qu’il n’était pas contraire à l’avis de concours que le jury posât à la requérante des questions de fond pour évaluer ses connaissances linguistiques et affirme que
les réponses de la requérante, comme celles des autres candidats, ont été évaluées au regard de leur qualité linguistique et non au regard de leur substance.
42 S’agissant de la deuxième branche du moyen, le Conseil contredit la thèse de la requérante selon laquelle le mode de calcul de la note globale de l’épreuve linguistique a pénalisé des candidats maîtrisant des langues supplémentaires par rapport aux langues minimales requises par l’avis de concours (le français et l’anglais). Il expose que le jury a pris en considération l’ensemble des langues et qu’il a donné un avantage aux candidats possédant des connaissances dans d’autres langues que le
français et l’anglais lorsque les notes attribuées pour ces langues pouvaient augmenter la moyenne des notes attribuées pour la connaissance du français et de l’anglais. En revanche, les candidats possédant des connaissances linguistiques autres que le français et l’anglais n’auraient pas été pénalisés lorsque ces notes pouvaient diminuer la moyenne des notes en français et en anglais, ce qui était le cas de la requérante. À l’audience, le Conseil a ajouté que cette méthode permettait d’attribuer
une bonification aux candidats disposant, à coté de la connaissance de l’anglais et du français, d’autres connaissances linguistiques, même dans l’hypothèse où ces connaissances étaient moins bonnes que celle des langues obligatoires. En effet, les exigences du jury auraient été moins élevées, pour ces langues supplémentaires, que pour l’anglais et le français.
43 Pour ce qui est des notes attribuées à la requérante au titre de ses connaissances linguistiques, le Conseil fait valoir que les attestations et diplômes produits par la requérante pour démontrer ses connaissances linguistiques ne sont pas pertinents aux fins du présent litige, dès lors que la requérante ne fournit aucun indice permettant de conclure à une violation des règles qui présidaient aux travaux du jury.
44 S’agissant de la troisième branche du moyen, le Conseil affirme qu’il n’y a pas eu de discrimination lors du déroulement des épreuves.
Appréciation du Tribunal
45 Pour ce qui est de la première branche du moyen, force est de constater que la requérante n’a avancé, pendant la procédure écrite, aucun élément concret sur lequel puisse s’appuyer son affirmation selon laquelle elle n’a pas été interrogée, dans sa langue maternelle, sur ses connaissances professionnelles et générales. Or, indépendamment du point de savoir qui supporte, dans un cas donné, la charge de la preuve des faits pertinents pour évaluer la légalité d’une décision administrative, il
appartient à tout requérant de présenter, dans sa requête, les faits essentiels sur lesquels il entend appuyer ses prétentions et dont il a connaissance. En l’espèce, la requérante n’a fourni, dans sa requête, aucune indication relative aux questions qui lui ont été posées dans le cadre de l’épreuve a) et aux raisons pour lesquelles elle estimait que ces questions n’étaient pas conformes à l’avis de concours. Par conséquent, ce reproche n’a pas été suffisamment étayé pour permettre au Conseil de se
défendre et au Tribunal de l’examiner. Partant, ce grief est irrecevable.
46 S’agissant des allégations concrètes concernant les questions de l’épreuve a), faites par la requérante à l’audience, force est de constater que celles-ci ne se fondent pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Étant donné que le grief concernant les questions posées à la requérante en grec n’avait pas été formulé, de manière recevable, dans la requête, il s’agit d’un moyen nouveau dont la production est interdite à ce stade de la procédure,
conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.
47 Par ailleurs, il y a lieu de relever que les questions qui, selon les déclarations de la requérante, lui ont été posées en grec paraissent tout à fait pertinentes pour évaluer les connaissances professionnelles d’un candidat à un concours organisé en vue du recrutement de fonctionnaires communautaires de la catégorie A. En revanche, en soutenant que seule la question relative à son expérience professionnelle antérieure, qui lui a été posée en espagnol, était pertinente pour évaluer ses
connaissances professionnelles, la requérante méconnaît que l’épreuve a) visait à évaluer l’ensemble des connaissances professionnelles et générales des candidats et ne portait pas spécifiquement sur leur expérience professionnelle antérieure.
48 Pour ce qui est, enfin, du fait, reconnu par le Conseil, que des questions de fond ont été posées dans le cadre de l’épreuve linguistique, la requérante n’a pas contredit l’affirmation de l’institution défenderesse selon laquelle les réponses à ces questions ont été évaluées en fonction de leur qualité linguistique et non en fonction de leur contenu. Ce grief doit donc être écarté.
49 Par conséquent, la première branche du moyen, relative à l’évaluation des connaissances professionnelles et générales de la requérante, doit être écartée.
50 Quant à la deuxième branche du moyen, relative à l’évaluation des connaissances linguistiques de la requérante, il convient de rappeler, à titre liminaire, les termes de l’avis de concours selon lesquels le jury était appelé, dans le cadre de l’épreuve b), à « évaluer les connaissances linguistiques du candidat en français et en anglais ainsi que dans toutes les autres langues communautaires que le candidat [avait] déclaré connaître dans son acte de candidature ».
51 S’agissant, d’une part, du grief dirigé contre la méthode suivie par le jury pour déterminer la note globale de l’épreuve linguistique, il convient de relever que selon cette méthode, telle qu’elle a été décrite par le Conseil dans sa réponse aux questions du Tribunal, le jury n’a pris en considération, en faveur du candidat, des connaissances de langues supplémentaires par rapport aux langues requises par l’avis de concours (l’anglais et le français) que lorsque la note attribuée pour de
telles connaissances était meilleure que la moyenne des notes attribuées à ce candidat pour l’anglais et le français.
52 À cet égard, il n’apparaît pas conforme au libellé de l’avis de concours reproduit au point 50 ci-dessus que le jury se soit privé complètement de la possibilité d’attribuer à un candidat des points additionnels, au titre de ses connaissances linguistiques supplémentaires, lorsque ces connaissances étaient d’un niveau inférieur à celui de ses connaissances en anglais et en français. Certes, le Conseil a expliqué, à l’audience, que les exigences du jury au regard des langues supplémentaires
étaient moins élevées que pour l’anglais et le français. Cette explication n’est cependant pas suffisamment précise pour écarter le doute, résultant de la description de la méthode fournie par le Conseil dans sa réponse à la question du Tribunal, que la méthode retenue par le jury ait garanti suffisamment que les connaissances linguistiques supplémentaires des candidats étaient prises en considération conformément à l’avis de concours.
53 Force est toutefois de constater que, en l’espèce, l’application de cette méthode n’est pas susceptible d’avoir influencé le contenu de la décision attaquée. En effet, pour être inscrit sur la liste de réserve, un candidat devait obtenir au moins 60 % des points dans la totalité des épreuves orales, c’est-à-dire 60 points sur 100, alors que la requérante a obtenu, pour l’ensemble des épreuves orales, 56 points sur 100, dont 26 points à l’épreuve de langues. Pour que l’exclusion de la
requérante de la liste de réserve puisse être considérée comme irrégulière, il serait donc nécessaire que l’application d’une autre méthode de calcul pour la note globale de l’épreuve de langues ait pu aboutir à ce que 30 points au moins soient attribués à la requérante pour cette épreuve.
54 Or, le jury a considéré que les connaissances linguistiques de la requérante dans trois langues parmi les quatre langues supplémentaires dans lesquelles elle a passé l’épreuve n’étaient pas suffisantes pour lui attribuer des points, tandis que 8 points sur 40 lui ont été attribués pour ses connaissances en allemand. Cette note était très insuffisante, quelle que soit la méthode retenue, pour que le jury attribue un nombre suffisant de points additionnels à la requérante, au titre de ses
connaissances en allemand, afin d’atteindre à cette épreuve le seuil de 30 points nécessaire pour son inscription sur la liste de réserve.
55 Il s’ensuit que le grief concernant la méthode de calcul de la note globale pour l’épreuve linguistique est inopérant.
56 S’agissant, d’autre part, des notes qui ont été attribuées à la requérante pour ses connaissances des langues autres que l’anglais et le français, le fait que l’avis de concours ne prévoyait pas, explicitement, de niveau minimal en dessous duquel les connaissances linguistiques ne seraient pas prises en considération ne suffit pas pour considérer que le jury a violé cet avis en attribuant à la requérante la note 0 pour certaines langues. En effet, il est légitime, dans le cadre d’un concours
pour le recrutement de fonctionnaires de la catégorie A, de ne prendre en considération que les connaissances linguistiques d’un niveau susceptible d’être utile, pour un fonctionnaire de cette catégorie, dans l’exercice de ses fonctions.
57 Pour ce qui est de l’appréciation des connaissances linguistiques de la requérante en tant que telles, il convient de rappeler que les appréciations auxquelles se livre un jury de concours lorsqu’il évalue les connaissances et les aptitudes des candidats sont de nature comparative. Ces appréciations constituent l’expression d’un jugement de valeur quant à la prestation du candidat lors de l’épreuve. Elles s’insèrent dans le large pouvoir d’appréciation dont dispose le jury et ne sauraient
être soumises au contrôle du juge communautaire qu’en cas de violation des règles qui président aux travaux du jury (arrêt Angioli/Commission, point 20 supra, point 91).
58 Or, en l’espèce, il n’y a aucun indice permettant de conclure à une violation des règles qui présidaient aux travaux du jury en ce qui concerne l’appréciation concrète des connaissances linguistiques de la requérante.
59 À cet égard, il importe de rappeler que ni un rapport de notation ni un certificat de langue ne constituent des preuves irréfutables d’un niveau déterminé de connaissance d’une langue (arrêt du Tribunal du 21 mai 1996, Kaps/Cour de justice, T‑153/95, RecFP p. I‑A‑233 et II‑663, point 54). De plus, ainsi qu’il a été souligné à juste titre par le Conseil, l’appréciation des connaissances linguistiques des candidats lors d’un concours est de nature comparative, de sorte que des documents tels
que ceux produits par la requérante ne sauraient être considérés comme pertinents pour démontrer que le niveau des connaissances de la requérante n’a pas été correctement évalué par rapport à celui des autres candidats.
60 Par conséquent, la deuxième branche du second moyen doit être écartée.
61 Pour ce qui est de la troisième branche du moyen, concernant l’organisation de l’épreuve orale, il convient de relever qu’elle n’a été présentée qu’à l’audience, alors que les circonstances à l’origine de ce grief étaient connues de la requérante dès avant l’introduction de son recours. Partant, il s’agit d’un moyen nouveau dont la production est interdite à ce stade de la procédure, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. Cette branche du moyen est donc
irrecevable.
62 Par conséquent, le second moyen doit être écarté.
63 Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
64 La requérante est d’avis qu’il y a lieu de condamner le Conseil à supporter l’intégralité des dépens, même en cas de rejet du recours, au motif que la décision attaquée n’était pas suffisamment motivée.
65 Le Conseil est d’avis qu’il serait inéquitable de tenir compte de l’erreur matérielle contenue dans la lettre du 30 mai 2002 du service du recrutement pour décider de lui faire supporter la totalité des dépens. Le Conseil reconnaît que cette erreur matérielle était grossière, mais il affirme qu’elle a été corrigée par le président du jury dès qu’il en a eu connaissance, c’est-à-dire le 11 juin 2002. Le Conseil estime que la requérante n’a donc pas été poussée à introduire son recours en
raison d’un doute qui aurait été entretenu par lui.
66 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En outre, aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du même règlement, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou
plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels. En l’espèce, il y a lieu de tenir compte du fait que le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation n’est devenu sans objet, pour ce qui est de l’épreuve b), qu’à la suite des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal. Bien que la requérante ait succombé en ses conclusions, il y a donc lieu de décider que le Conseil supportera, outre ses propres dépens, un quart des dépens de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (juge unique)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Le Conseil supportera ses propres dépens ainsi qu’un quart des dépens de la requérante.
3) La requérante supportera les trois quarts de ses propres dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 avril 2004.
Le greffier Le juge
H. Jung J. Pirrung
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* Langue de procédure : le français.