ARRÊT DU TRIBUNAL (juge unique)
8 juillet 2004 (*)
« Fonctionnaires – Recours en indemnité – Refus de promotion – Harcèlement moral – Devoir d'assistance »
Dans l'affaire T-136/03,
Robert Charles Schochaert, ancien fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par M^e J. A. Martin, avocat,
partie requérante,
contre
Conseil de l'Union européenne, représenté par M^me M. Sims et M. F. Anton, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande en indemnité visant à obtenir la réparation du préjudice matériel et moral prétendument subi du fait du refus répété du Conseil de promouvoir le requérant au grade B 1 et d'un prétendu harcèlement moral,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (juge unique),
juge : M^me P. Lindh,
greffier : M. I. Natsinas, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 31 mars 2004,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le requérant, M. Robert Schochaert est entré en fonctions, en tant que fonctionnaire, auprès du Conseil le 1^er janvier 1958 au grade C 4, échelon 4.
2 Après avoir été promu lors de plusieurs exercices de promotion depuis 1962, le requérant n’a pas été promu depuis le 1^er janvier 1989, date à laquelle il été promu au grade B 2.
3 Par décision du 17 février 2000, le Conseil a rejeté la réclamation introduite par le requérant, le 19 janvier 2000, contre la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») de ne pas le promouvoir lors de l’exercice de promotion 1999.
4 Le 16 mai 2000, le requérant a introduit un recours contre la décision portant rejet de cette réclamation. Le Tribunal a annulé, dans son arrêt du 12 juillet 2001, Schochaert/Conseil (T‑131/00, RecFP p. I‑A‑141 et II‑743, ci-après l’« arrêt du 12 juillet 2001 »), la décision du Conseil de ne pas promouvoir le requérant au grade B 1 au titre de l’exercice de promotion 1999, au motif, en substance, que la seule justification explicitement avancée dans ladite décision afin de ne pas le
promouvoir lors de l’exercice 1999 était que sa fonction « ne comport[ait] pas l’exercice de responsabilités justifiant une promotion [au grade B 1] par rapport aux autres candidats à la promotion » (arrêt du 12 juillet 2001, points 39 et suivants).
5 Le 23 novembre 2001, la commission consultative de promotion du Conseil a été convoquée afin de procéder de nouveau à un examen comparatif des mérites du requérant et des autres fonctionnaires ayant vocation à la promotion lors des exercices de promotion 1999 et 2001.
6 Par décision du 29 novembre 2001, l’AIPN a promu le requérant au grade B 1, échelon 4, au titre de l’exercice de promotion 2001 à compter du 1^er mars 2001, et, à compter d’août 2001, il a obtenu le grade B 1 échelon 5.
7 Par décision du 8 janvier 2002, l’AIPN a, par le biais du secrétaire général adjoint du Conseil, refusé de promouvoir le requérant au titre de l’exercice de promotion 1999. Le secrétaire général adjoint a, notamment, informé le requérant qu’il avait de nouveau convoqué la commission consultative de promotion pour la catégorie B au titre de cet exercice, que cette commission avait procédé à un examen comparatif des mérites et des rapports des fonctionnaires promus au grade B 1 lors de
l’exercice 1999 ainsi que de ceux du requérant et qu’un avis partagé avait été émis.
8 Dans cette lettre, le secrétaire général adjoint a fait valoir, notamment, ce qui suit :
« Dans ces conditions, j’ai réexaminé vos mérites et ceux des autres fonctionnaires qui ont été promus lors de l’exercice 1999 et estime ceux-ci supérieurs aux vôtres. En effet, votre rapport de notation était inférieur tant en ce qui concerne l’appréciation analytique qu’en ce qui concerne l’appréciation générale par rapport à ces fonctionnaires. Je confirme donc la décision de l’AIPN de ne pas vous promouvoir au grade B 1 avec effet à partir de 1999. »
9 Par lettre du 27 février 2002, le requérant a demandé au Conseil de lui verser des dommages et intérêts. À l’appui de sa demande, il a fait valoir ce qui suit :
« Depuis près de 20 ans, je suis bloqué dans le grade B 2, je dois subir un harcèlement moral très désagréable et en plus un ostracisme permanent et continuel de la part de plusieurs personnes […] [D]evant cette attitude négative, lors de ma nomination en B 1[, échelon 4,] cela M^e met dans une perte financière grave, concernant ma pension qui prendra effet le 30 septembre 2002. »
10 Le requérant a évalué son dommage à 225 702,94 euros, dont 164 013,55 au titre d’un préjudice matériel et 61 689,39 au titre d’un préjudice moral, assortis d’intérêts de retard de 7 %.
11 Par lettre du 26 juin 2002, l’AIPN a rejeté ce qu’elle a qualifié de « réclamation implicite » du requérant, introduite par la lettre du 27 février 2002, conformément à l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »), contre la décision portant rejet de la demande de promotion au titre de l’exercice de promotion 1999. En outre, l’AIPN a rejeté ce qu’elle a qualifié de demande de dommages et intérêts conformément à l’article 90,
paragraphe 1, du statut.
12 Le 25 septembre 2002, le requérant a introduit une réclamation contre la décision de l’AIPN du 26 juin 2002 portant rejet de sa demande de dommages et intérêts.
13 Depuis le 30 septembre 2002, le requérant est à la retraite.
14 Par lettre du 23 janvier 2003, l’AIPN a rejeté la réclamation introduite le 25 septembre 2002.
15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 avril 2003, le requérant a introduit le présent recours.
Procédure et conclusions des parties
16 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, au titre des mesures d’organisation de la procédure, a demandé au Conseil de verser au dossier une copie de certains documents. Le Conseil a déféré à cette demande dans les délais impartis.
17 Conformément aux dispositions de l’article 14, paragraphe 2, et de l’article 51, paragraphe 2, du règlement de procédure, la cinquième chambre a attribué l’affaire à M^me Lindh, siégeant en qualité de juge unique.
18 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 31 mars.
19 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer le recours recevable et fondé ;
– condamner le Conseil à lui verser la somme de 225 702,94 euros à titre d’indemnisation ;
– condamner le Conseil aux dépens.
20 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner le requérant à ses propres dépens ainsi qu’à une partie des dépens du Conseil en application de l’article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal.
En droit
21 Le requérant prétend être victime, d’une part, d’un blocage de carrière et, d’autre part, d’un harcèlement moral, lesquels lui auraient causé un préjudice matériel et moral qu’il estime équivaloir à la somme de 225 702,94 euros. À l’appui de son recours, il invoque, en substance, les éléments prétendument illégaux suivants :
– premièrement, un refus répété de promotion au titre des exercices antérieurs à celui de 1999 ;
– deuxièmement, un refus de promotion au titre de l’exercice 1999 ;
– troisièmement, un harcèlement moral ;
– quatrièmement, un manquement du Conseil à son obligation de protéger ses fonctionnaires contre un tel harcèlement moral.
Sur le refus répété de promotion au titre des exercices antérieurs à celui de 1999
22 Le Conseil soutient que les décisions de refus répété de promotion au titre des exercices antérieurs à celui de 1999 sont devenues définitives à défaut d’avoir été contestées dans les délais impartis et ne sont donc pas susceptibles d’être invoquées par le requérant à l’appui d’une demande en indemnité. Le Conseil réfute, à cet égard, l’argument du requérant selon lequel des éléments de la présente affaire permettraient de déroger à la jurisprudence constante selon laquelle la réparation
d’un préjudice est conditionnée à l’introduction d’un recours en annulation des actes faisant grief.
23 Le requérant rétorque que le motif erroné invoqué par le Conseil dans sa décision du 17 février 2000 afin de justifier le rejet de la demande de promotion au titre de l’exercice 1999 a également dû motiver les décisions de refus de promotion au titre des exercices antérieurs. Il affirme que, dans ces circonstances, il ne saurait lui être opposé la règle selon laquelle la réparation d’un préjudice doit être nécessairement précédée d’une demande tendant à l’annulation de l’acte faisant grief.
24 À cet égard, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, les articles 90 et 91 du statut ne faisant aucune distinction entre le recours en annulation et le recours en indemnité en ce qui concerne la procédure tant administrative que contentieuse, il est loisible à l’intéressé, en raison de l’autonomie des différentes voies de droit, de choisir soit l’une, soit l’autre, soit les deux conjointement, à condition de saisir le Tribunal dans le délai de trois mois après le rejet
de sa réclamation (arrêt de la Cour du 22 octobre 1975, Meyer-Burckhardt/Commission, 9/75, Rec. p. 1171, points 10 et 11 ; arrêts du Tribunal du 24 janvier 1991, Latham/Commission, T-27/90, Rec. p. II‑35, point 36, et du 28 mai 1997, Burban/Parlement, T‑59/96, RecFP p. I-A-109 et II-331, point 25).
25 Une exception a toutefois été posée à l’autonomie de ces voies de recours dans l’hypothèse dans laquelle l’action en indemnité comporte un lien étroit avec l’action en annulation (arrêt de la Cour du 12 décembre 1967, Collignon/Commission, 4/67, Rec. p. 469, 480 ; arrêts Latham/Commission, précité, point 37, et Burban/Parlement, précité, point 26). En effet, si une partie peut agir par le moyen d’une action en responsabilité sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l’annulation de
l’acte illégal qui lui cause préjudice, elle ne saurait tourner par ce biais l’irrecevabilité d’une demande visant la même illégalité et tendant aux mêmes fins pécuniaires (arrêt de la Cour du 15 décembre 1966, Schreckenberg/Commission CEEA, 59/65, Rec. p. 785, 797, et arrêt Burban/Parlement, précité, point 26).
26 Il s’ensuit que n’est pas autonome le recours en indemnité qui a pour seul objet la réparation d’un préjudice matériel, tel que la perte des revenus supplémentaires que l’intéressé aurait perçus s’il avait été promu, préjudice qui n’aurait pas été subi si, par ailleurs, un recours en annulation, introduit dans les délais impartis, avait prospéré. Ainsi, l’intéressé qui a omis d’attaquer les actes lui faisant grief en introduisant, dans les délais impartis, un recours en annulation ne
saurait, pour tenter de pallier cette omission, se ménager de nouveaux délais pour agir par le biais d’une demande en indemnité (voir, en ce sens, arrêt Schreckenberg/Commission CEEA, précité, point 797 ; arrêts du Tribunal du 27 juin 1991, Valverde Mordt/Cour de justice, T‑156/89, Rec. p. II‑407, point 144 ; du 13 juillet 1993, Moat/Commission, T‑20/92, Rec. p. II‑799, point 46 ; Burban/Parlement, précité, points 26 et 27, et du 19 septembre 2000, Stodtmeister/Conseil, T‑101/98 et T‑200/98,
RecFP p. I‑A‑177 et II‑807, point 38).
27 En l’espèce, il ressort de l’argumentation du requérant que, par le biais de ces conclusions en réparation d’un préjudice, celui-ci conteste en réalité la légalité de la procédure de promotion lors des exercices antérieurs à celui de 1999. Or, il y a lieu de constater que le requérant n’a pas attaqué les décisions implicites de refus de promotion au titre des exercices antérieurs à l’exercice de 1999 en application des articles 90 et 91 du statut.
28 Il s’ensuit que le recours, pour autant qu’il vise une demande d’indemnité en raison d’un refus répété de promotion au titre des exercices antérieurs à celui de 1999, doit être rejeté comme étant irrecevable.
Sur le refus de promotion au titre de l’exercice 1999
29 Le requérant rappelle que la décision du 17 février 2000 portant refus de promotion au titre de l’exercice 1999 a été déclarée illégale et annulée par le Tribunal dans l’arrêt du 12 juillet 2001.Or, le requérant affirme que l’annulation de la décision du 17 février 2000 ne saurait constituer, en elle-même, une réparation adéquate du préjudice subi en raison de la faute commise de manière répétée par le Conseil.
30 Il conteste, en outre, le bien-fondé de la décision du 8 janvier 2002 portant nouveau refus de le promouvoir lors de l’exercice 1999. En effet, le Conseil n’aurait pas identifié la base statutaire qui lui aurait permis de seulement substituer une nouvelle motivation à celle sanctionnée par l’arrêt du 12 juillet 2001. Au surplus, il serait peu crédible de prétendre que, après avoir effectué initialement de manière incorrecte l’examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant vocation à
la promotion au titre de l’exercice 1999, un examen comparatif conforme à l’article 45 du statut aurait, deux ans plus tard, abouti au même résultat.
31 Le Conseil rétorque que le requérant n’a pas subi de préjudice qui n’ait pas déjà été entièrement réparé avant l’introduction de la réclamation et de la requête dans la présente affaire. En effet, pour exécuter l’arrêt du 12 juillet 2001, la commission consultative de promotion du Conseil aurait été convoquée le 23 novembre 2001 afin de procéder à un nouvel examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion au titre de l’exercice 1999. Ainsi, l’AIPN aurait examiné
à nouveau les mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion, ce qui ressortirait de la décision de l’AIPN du 8 janvier 2002 et de la décision portant rejet de la réclamation du 23 janvier 2002. Le Conseil aurait, ce faisant, entièrement repris la procédure et ne se serait pas limité à changer sa motivation de rejet. Rien ne permettrait en conséquence de soutenir que cette procédure serait « peu crédible ».
32 À cet égard, le Tribunal considère que, dans la mesure où le recours doit être interprété en ce sens qu’il vise la réparation d’un préjudice matériel subi en raison de la décision du 17 février 2000, force est de constater que, en l’espèce, le Tribunal ayant annulé cette décision dans l’arrêt du 12 juillet 2001 et la commission consultative de promotion ayant procédé, le 23 novembre 2001, à un nouvel examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion au titre de
l’exercice 1999, le requérant n’a pas subi un préjudice matériel qui n’ait pas déjà été intégralement réparé.
33 En outre, en affirmant que ce réexamen comparatif sur la base duquel l’AIPN a fondé sa décision du 8 janvier 2002 est « peu crédible » du simple fait qu’il ait abouti au même résultat que l’examen précédent, le requérant n’a pas soulevé d’arguments ou éléments de preuves susceptibles d’étayer son allégation selon laquelle ce réexamen et, partant, ladite décision auraient été entachés d’illégalité.
34 De surcroît, si le recours doit être interprété en ce sens qu’il vise la réparation d’un préjudice moral en raison de la décision du 17 février 2000, il est de jurisprudence constante que l’annulation d’un acte de l’administration attaqué par un fonctionnaire constitue, en elle-même, une réparation adéquate et, en principe, c’est-à-dire en l’absence dans ledit acte de toute appréciation explicitement négative des capacités du requérant susceptible de le blesser, suffisante de tout préjudice
moral que celui-ci peut avoir subi en raison de l’acte annulé (arrêts du Tribunal du 26 janvier 1995, Pierrat/Cour de justice, T‑60/94, RecFP p. I-A-23 et II-77, point 62 , et du 21 janvier 2004, Tony Robinson/Parlement, T-328/01, non encore publié au Recueil, point 79). Or, le requérant n’a pas invoqué de telles circonstances en l’espèce.
35 Il s’ensuit que le recours, pour autant qu’il vise une demande d’indemnité en raison d’un refus de promotion au titre de l’exercice 1999, doit être rejeté comme non fondé.
Sur le prétendu harcèlement moral
Arguments des parties
36 Le requérant prétend avoir été victime d’un harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchiques directs. En effet, ces derniers auraient systématiquement évité de lui adresser la parole, l’auraient ignoré et l’auraient confiné dans des lieux de travail exigus comparés à ceux dont disposaient ses collègues.
37 Le requérant accuse de harcèlement moral les personnes suivantes :
– M. A., chef de service, qui aurait affecté le requérant aux services des télécommunications sous prétexte d’une restructuration, alors que le service où se trouvait le requérant aurait connu un accroissement de personnel ;
– M^me B., adjoint au directeur de l’administration, qui occupait, au sein de la commission consultative de promotion du Conseil, une position clé qui lui aurait permis, dans le cadre de plusieurs exercices de promotion, d’écarter d’office le dossier du requérant.
38 Le requérant affirme que, du fait de sa nature, il n’existe aucune preuve écrite de ce harcèlement moral. D’ailleurs, aucun collègue du requérant n’aurait été disposé à en témoigner volontairement sous peine de compromettre ses propres chances à la promotion ou sa tranquillité dans le service.
39 S’agissant de l’allégation du Conseil selon laquelle il n’y aurait pas de relation causale entre le prétendu harcèlement moral, d’une part, et le défaut de promotion, d’autre part, le requérant fait valoir qu’il n’est pas raisonnable de penser qu’un fonctionnaire harcelé moralement par ses supérieurs hiérarchiques direct soit traité de la même manière que ses collègues dans le cadre des décisions de promotion. À cet égard, un premier indice en ce sens résulterait du caractère erroné de la
motivation avancée afin de rejeter la demande de promotion du requérant au titre de l’exercice 1999, motivation adoptée seulement vis-à-vis du requérant. Ce dernier ajoute que, indépendamment de la promotion au titre de l’exercice 1999, il aurait subi, depuis de nombreuses années, un préjudice moral résultant du traitement dont il a fait l’objet.
40 Le Conseil réfute les allégations du requérant.
Appréciation du Tribunal
41 Il suffit de constater, comme l’a fait le Conseil à juste titre, que les allégations du requérant relatives au prétendu harcèlement qu’il aurait subi sont purement abstraites et ne sont pas étayées par le moindre élément de preuve. Ainsi, indépendamment de la perception subjective qu’il a pu avoir des faits qu’il allègue, le requérant n’a pas avancé un ensemble d’éléments permettant d’établir qu’il a subi un comportement qui a visé, objectivement, à le discréditer ou à dégrader délibérément
ses conditions de travail (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, RecFP p. I‑A‑49 et II‑185, point 286).
42 Il s’ensuit que le recours, pour autant qu’il vise une demande d’indemnité en raison d’un prétendu harcèlement moral, doit être rejeté comme non fondé.
Sur l’obligation incombant au Conseil de protéger le requérant contre un harcèlement moral
Arguments des parties
43 Le requérant fait valoir qu’il n’a jamais bénéficié de la protection que le Conseil doit assurer à ses fonctionnaires contre un harcèlement moral. À cet égard, l’affirmation du Conseil, selon laquelle le requérant ne se serait jamais plaint ni manifesté auprès de « personnes de confiance », fonctionnaires désignés pour recevoir les plaintes au sein du Conseil, ne serait pas fondée, puisque ces personnes ne seraient entrées en fonctions qu’après le 19 octobre 2001, c’est-à-dire plus d’un an
et demi après l’adoption de la décision du 17 février 2000 portant rejet de sa réclamation.
44 Le Conseil violerait l’esprit du statut en indiquant, dans sa décision du 23 janvier 2003 portant rejet de la réclamation, n’avoir pas été informé du prétendu harcèlement moral et n’avoir pu, de ce fait, assurer une protection au requérant en temps utile. En effet, affirmer qu’il n’était pas au courant de ce qui se pratiquait dans ses propres services ne serait pas crédible, dès lors que ces pratiques récurrentes étaient notoires. En tout état de cause, le Conseil ne serait pas intervenu
alors qu’il en aurait été dûment alerté par l’introduction de la procédure précontentieuse concernant l’exercice de promotion 1999.
45 Le requérant réfute également l’allégation du Conseil selon laquelle aucune accusation relative au prétendu harcèlement moral n’aurait été mentionnée au cours de la procédure devant le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2001. Il affirme, à cet égard, que l’allégation du Conseil selon laquelle les termes de la requête dans cette affaire n’ont pas été suffisamment précis pour déclencher une enquête administrative du fait qu’aucune personne spécifique n’était visée
dans cette requête ne serait pas davantage fondée. En effet, les détails fournis par le requérant dans sa requête auraient été de nature à donner lieu, à tout le moins, à une enquête discrète et, par la suite, à une enquête formelle si des indices sérieux de harcèlement moral avaient été découverts.
46 Le Conseil admet qu’il incombe aux institutions communautaires, en tant que principe général, de protéger ses agents contre un harcèlement moral. Or, il affirme que, en l’espèce, le requérant ne s’est jamais manifesté auprès des « personnes de confiance », fonctionnaires désignés pour recevoir les plaintes au sein du Conseil, conformément à la communication au personnel n° 113/01, du 19 octobre 2001, alors qu’il aurait disposé d’un an pour se plaindre ou se manifester auprès de celles-ci.
47 Par ailleurs, étant donné que la requête dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2001 a été enregistrée au greffe du Tribunal le 16 mai 2000, le Conseil n’aurait pu avoir connaissance d’un éventuel harcèlement moral avant cette date. En tout état de cause, les termes de la requête n’auraient pas eu une précision suffisante pour déclencher une enquête administrative pour harcèlement moral, puisque aucune personne n’aurait été nommément visée. Le Conseil en veut pour preuve que
l’éventualité d’un harcèlement moral n’aurait pas même été évoquée dans cette affaire.
Appréciation du Tribunal
48 Il incombe aux institutions communautaires de protéger ses agents contre le harcèlement ou un traitement dégradant quel qu’il soit de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Une telle obligation ressort de l’article 24 du statut en vertu duquel « [l]es Communautés assistent le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet,
en raison de sa qualité et [de] ses fonctions ».
49 À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que, en vertu de l’obligation d’assistance, l’administration doit, en présence d’un incident incompatible avec l’ordre et la sérénité du service, intervenir avec toute l’énergie nécessaire et répondre avec la rapidité et la sollicitude requises par les circonstances de l’espèce en vue d’établir les faits et d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées. À cette fin, il suffit que le fonctionnaire qui réclame la
protection de son institution apporte un commencement de preuve de la réalité des attaques dont il affirme être l’objet. En présence de tels éléments, il appartient à l’institution en cause de prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à une enquête, afin d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci (arrêt de la Cour du 26 janvier 1989, Koutchoumoff/Commission, 224/87, Rec. p. 99, points 15 et 16 ; arrêts du Tribunal du 21 avril 1993,
Tallarico/Parlement, T‑5/92, Rec. p. II‑477, point 31, et du 5 décembre 2000, Campogrande/Commission, T‑136/98, RecFP p. I‑A‑267 et II‑1225, point 42).
50 Or, en l’espèce, le requérant n’a pas démontré avoir informé l’administration de l’existence d’un harcèlement moral ni l’avoir invitée à l’en protéger. De plus, il n’a pas démontré avoir invité l’administration, en fournissant un commencement de preuve, à ouvrir une enquête afin d’établir l’existence d’un tel comportement conformément à l’article 24 du statut. À cet égard, le fait que, à l’époque des faits, la fonction de « personne de confiance », conformément à la communication au
personnel n° 113/01, du 19 octobre 2001, n’avait pas encore été créée n’est pas pertinent. En effet, rien n’empêchait le requérant de se plaindre auprès de ses supérieurs.
51 En outre, les accusations relatives à un prétendu harcèlement moral, présentées dans le cadre du recours ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2001, sont beaucoup trop imprécises pour pouvoir être qualifiées de demande de protection ou d’ouverture d’une enquête conformément à l’article 24 du statut. En effet, les accusations présentées par le requérant dans cette dernière affaire sont identiques à celles invoquées dans la présente affaire, sous la seule réserve qu’elles n’identifiaient
pas les auteurs du prétendu harcèlement.
52 Il s’ensuit que le recours, pour autant qu’il vise une demande d’indemnité en raison d’un prétendu manquement à l’obligation incombant au Conseil de protéger le requérant contre un harcèlement moral, doit être rejeté comme non fondé.
53 Dès lors, il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme partiellement irrecevable et comme non fondé pour le surplus.
Sur les dépens
54 Le Conseil fait valoir que le requérant n’a pas démontré qu’il a été incité par le comportement du Conseil à introduire un recours. En étant promu, le requérant aurait obtenu satisfaction sur le fond. De plus, la décision portant rejet de sa réclamation l’aurait correctement informé et mis en mesure d’apprécier l’inutilité de porter la présente affaire devant le Tribunal.
55 Par ailleurs, le Conseil relève que l’accusation portée par le requérant envers des fonctionnaires du Conseil nommément désignés est d’une nature vexatoire envers l’AIPN. La nature vexatoire d’une accusation sans preuve mérite, selon le Conseil, d’être prise en considération aux fins des dépens.
56 Le requérant rétorque que sa condamnation au paiement d’une partie des dépens du Conseil ne saurait être justifiée par le fait qu’il a nommément mis en cause ses supérieurs hiérarchiques.
57 À cet égard, le Tribunal rappelle que, aux termes de l’article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il a été conclu en ce sens. En vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Toutefois, en vertu de l’article 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du même règlement, le Tribunal peut condamner une
partie à rembourser à l’autre partie les frais qu’elle lui a fait exposer et qui sont jugés frustratoires ou vexatoires ou à la suite d’un recours qui est lui-même à considérer comme frustratoire ou vexatoire.
58 Dans les circonstances de l’espèce, bien que les arguments soulevés dans le présent recours soient en partie irrecevables et pour le surplus non fondés, le Tribunal n’estime pas que ce recours doive être considéré comme vexatoire. Par ailleurs, compte tenu des faits à l’origine du litige, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments invoqués par le requérant, il ne saurait être retenu que ce recours a conduit le Conseil à exposer des frais frustratoires ou vexatoires. En
conséquence, il convient de décider, en application de l’article 88 du règlement de procédure, que chacune des parties supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (juge unique)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Chaque partie supportera ses propres dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2004.
Le greffier Le juge
H. Jung P. Lindh
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* Langue de procédure : le français.