Affaire C-293/03
Gregorio My
contre
Office national des pensions (ONP)
(demande de décision préjudicielle, formée par le Tribunal du travail de Bruxelles)
«Fonctionnaires – Transfert des droits à pension – Article 11 de l'annexe VIII du statut des fonctionnaires – Pension de retraite anticipée – Prise en compte des périodes d'activités au sein des Communautés européennes – Article 10 CE»
Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano, présentées le 9 septembre 2004
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 16 décembre 2004
Sommaire de l'arrêt
1.
Libre circulation des personnes – Travailleurs – Notion – Ressortissant d'un État membre employé par une organisation internationale – Inclusion – Limite – Travailleur ressortissant d'un État membre ayant accompli l'ensemble de sa carrière professionnelle sur le territoire de cet État membre
(Art. 39 CE)
2.
États membres – Obligations – Obligation de coopération loyale avec les institutions communautaires – Absence de prise en compte des périodes d'activité au sein des Communautés européennes pour l'octroi d'une pension de retraite anticipée au titre d'un régime national – Inadmissibilité
(Art. 10 CE; statut des fonctionnaires, annexe VIII, art. 11, § 2)
1.
Un fonctionnaire des Communautés européennes travaillant dans un État membre autre que son État d’origine a la qualité de travailleur migrant. En effet, il ne perd pas la qualité de travailleur, au sens de l’article 39, paragraphe 1, CE, du fait qu’il occupe un emploi auprès d’une organisation internationale, même si les conditions de son entrée et de son séjour dans le pays d’emploi sont spécialement régies par une convention internationale.
Les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs, et particulièrement l’article 39 CE, ne peuvent toutefois être appliquées à des situations purement internes à un État membre. Ne relève dès lors pas de ces dispositions un travailleur ayant accompli l’ensemble de sa carrière professionnelle sur le territoire de l’État membre dont il est ressortissant, dans un premier temps en qualité de salarié et dans un second temps et jusqu’à l’âge de la retraite en tant que
fonctionnaire des Communautés européennes.
(cf. points 37, 39-40, 43)
2.
L’article 10 CE, en liaison avec le statut des fonctionnaires des Communautés européennes, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas de tenir compte des années de travail qu’un ressortissant communautaire a accomplies au service d’une institution communautaire aux fins de l’ouverture d’un droit à une pension de retraite anticipée au titre du régime national.
Une telle réglementation nationale est en effet susceptible d’entraver et, partant, de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union européenne, dans la mesure où, en acceptant un emploi auprès d’une telle institution, un travailleur ayant précédemment été affilié à un régime de pension national risque de perdre la possibilité de bénéficier, au titre de ce régime, d’une prestation de vieillesse à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas accepté
cet emploi.
De telles conséquences ne sauraient être admises au regard du devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux États membres à l’égard de la Communauté et qui trouve son expression dans l’obligation, prévue à l’article 10 CE, de faciliter à celle-ci l’accomplissement de sa mission.
(cf. points 47-49 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
16 décembre 2004(1)
«Fonctionnaires – Transfert des droits à pension – Article 11 de l'annexe VIII du statut des fonctionnaires – Pension de retraite anticipée – Prise en compte des périodes d'activité au sein des Communautés européennes – Article 10 CE »
Dans l'affaire C-293/03,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Tribunal du travail de Bruxelles (Belgique), par décision du 20 mai 2003, parvenue à la Cour le 4 juillet 2003, dans la procédure
Gregorio My
contreOffice national des pensions (ONP),
LA COUR (deuxième chambre),,
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. C. Gulmann, R. Schintgen (rapporteur), G. Arestis et J. Klučka, juges,
avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M^me M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 17 juin 2004,considérant les observations présentées:
–
pour M. My, par M^e C. Rosenfeld, avocat,
–
pour l'Office national des pensions, par MM. G. Perl et J.-P. Lheureux, en qualité d'agents,
–
pour le gouvernement hellénique, par M^mes A. Samoni-Rantou et M. Tassopoulou, en qualité d'agents,
–
pour le gouvernement néerlandais, par M^me H. G. Sevenster, en qualité d'agent,
–
pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Martin, en qualité d'agent,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 septembre 2004,
rend le présent
Arrêt
1
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 CE, 3 CE, 17 CE, 18 CE, 39 CE, 40 CE, 42 CE et 283 CE, ainsi que sur celle de l’article 7 du règlement (CEE) n° 1612/68, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).
2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. My à l’Office national des pensions (ci-après l’ «ONP») à propos du refus de ce dernier de prendre en considération la carrière professionnelle de l’intéressé accomplie au service d’une institution des Communautés européennes aux fins de l’ouverture d’un droit à une pension de retraite anticipée au titre du régime belge.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3
Aux termes de l’article 11, paragraphes 1 et 2, de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») dans sa rédaction applicable à la date des faits au principal:
«1. Le fonctionnaire qui cesse ses fonctions pour:
–
entrer au service d’une administration, d’une organisation nationale ou internationale ayant conclu un accord avec les Communautés,
–
exercer une activité salariée ou non salariée au titre de laquelle il acquiert des droits à pension dans un régime dont les organismes gestionnaires ont conclu un accord avec les Communautés,
a le droit de faire transférer l’équivalent actuariel de ses droits à pension d’ancienneté, qu’il a acquis aux Communautés, à la caisse de pension de cette administration, de cette organisation, ou à la caisse auprès de laquelle le fonctionnaire acquiert des droits à pension d’ancienneté au titre de son activité salariée ou non salariée.
2. Le fonctionnaire qui entre au service des Communautés après avoir:
–
cessé ses activités auprès d’une administration, d’une organisation nationale ou internationale
ou
–
exercé une activité salariée ou non salariée,
a la faculté, au moment de sa titularisation, de faire verser aux Communautés, soit l’équivalent actuariel, soit le forfait de rachat des droits à pension d’ancienneté qu’il a acquis au titre des activités visées ci-dessus.
En pareil cas, l’institution où le fonctionnaire est en service détermine, compte tenu du grade de titularisation, le nombre des annuités qu’elle prend en compte d’après son propre régime au titre de la période de service antérieur sur la base du montant de l’équivalent actuariel ou du forfait de rachat.»
La réglementation nationale
4
Aux termes de l’article 3 de la loi du 21 mai 1991 établissant certaines relations entre des régimes belges de pension et ceux d’institutions de droit international public (Moniteur belge du 20 juin 1991, ci-après la «loi de 1991»):
«Tout fonctionnaire peut, avec l’accord de l’institution, demander que soit versé à l’institution le montant de pension de retraite afférent aux services et périodes antérieures à son entrée au service de l’institution.»
5
En vertu de l’article 9 de ladite loi, la personne concernée peut cependant retirer sa demande de transfert des droits à pension au titre du régime belge. Ce retrait est définitif et irrévocable.
6
L’article 2, paragraphe 1, point 5, de la loi de 1991, définit le terme «fonctionnaire» comme visant «tout membre du personnel relevant du régime des pensions de l’institution et pour qui le transfert des droits à pension n’est pas réglé par un règlement ou un accord particulier». Quant au terme «institution», il est défini à l’article 2, paragraphe 1, point 1, comme recouvrant «les institutions communautaires, les organes assimilés à celles-ci pour l’application du Statut des fonctionnaires
et autres agents de l’Union européenne ainsi que les organismes à vocation communautaire dont le régime de pension confère au fonctionnaire titularisé la faculté de demander le transfert, vers la caisse de pension de l’institution, des droits à pension qu’il s’est constitués avant son entrée au service de l’institution».
7
La loi du 10 février 2003 réglant le transfert des droits à pension entre des régimes belges de pensions et ceux d’institutions de droit international public (Moniteur belge du 27 mars 2003, ci-après la «loi de 2003») prévoit dorénavant, à son article 14, la possibilité pour un fonctionnaire qui cesse ses fonctions au sein des Communautés européennes, pour exercer une activité professionnelle en Belgique, de demander le transfert vers le régime belge soit de l’équivalent actuariel des droits
à pension constitués au titre du régime communautaire, soit le forfait de rachat correspondant aux cotisations versées au titre dudit régime.
8
En vertu de son article 29, la loi de 2003 prend effet au 1^er janvier 2002 et s’applique aux demandes de transfert introduites à partir de cette date.
9
Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions (Moniteur belge du 17 janvier 1997, ci-après l’«arrêté royal») dispose:
«La possibilité d’obtenir une pension de retraite anticipée conformément au paragraphe 1^er est soumise dans le chef de l’intéressé à la condition qu’il prouve une carrière d’au moins 35 années civiles susceptibles d’ouvrir des droits à la pension en vertu du présent arrêté, en vertu de la loi du 20 juillet 1990, en vertu de l’arrêté royal nº 50, en vertu d’un régime belge pour ouvriers, employés, mineurs, marins ou indépendants, en vertu d’un régime belge applicable au personnel des
services publics ou de la Société nationale des Chemins de fer belges ou en vertu de tout autre régime légal belge.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
10
M. My, de nationalité italienne, né le 20 février 1941, a cotisé 19 années au régime belge de sécurité sociale des travailleurs salariés, avant de travailler, à partir du 1^er juin 1974, au service du Conseil des Communautés européennes en qualité de fonctionnaire et ce jusqu’au 31 mai 2001.
11
En mars 1992, l’intéressé a sollicité de l’ONP, en application de la loi de 1991, le transfert des droits à pension du régime belge vers celui des Communautés européennes. En octobre 1992, cet office lui a notifié ses droits à pension transférables.
12
Toutefois, en octobre 2000, le Conseil a informé ledit office que M. My avait décidé de renoncer au transfert de ses droits à pension acquis sous la législation belge, ainsi que le permettait l’article 9 de la loi de 1991. Par lettre du 17 octobre 2000 adressée à M. My, l’ONP a pris acte de cette renonciation.
13
Le 20 octobre 2000, M. My a demandé à bénéficier d’une pension de retraite anticipée au titre de l’article 4, paragraphe 2, de l’arrêté royal.
14
Par décision du 2 mai 2001, l’ONP a rejeté cette demande au motif que l’intéressé ne totalisait pas 35 années civiles, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de l’arrêté royal, pour l’ouverture du droit à une pension de retraite anticipée. Cet office a refusé, à cet égard, de prendre en compte les 27 années accomplies par M. My en qualité de fonctionnaire des Communautés européennes, le régime prévu par le statut n’étant pas visé par la réglementation belge.
15
Ayant des doutes quant à la compatibilité, d’une part, de la loi de 1991 et du statut, en ce qu’ils ne garantissent pas le droit au transfert des droits à pension du régime communautaire vers le régime national, ainsi que, d’autre part, de l’article 4, paragraphe 2, de l’arrêté royal, en ce qu’il ne permet pas la prise en compte des périodes d’activité accomplies au sein d’une institution communautaire, avec les principes de la libre circulation des travailleurs et de non-discrimination,
ainsi qu’avec les droits garantis par le traité CE aux citoyens de l’Union, le Tribunal du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Des dispositions nationales, telles la [loi de 1991 et l’arrêté royal], en son article 4, paragraphe 2, ou le statut […] en son annexe VIII, article 11, ne contreviennent-ils pas aux articles 2, 3, 17, 18, 39, 40, 42 et 283 nouveaux du traité instituant l’Union européenne et à l’article 7 du règlement (CEE) nº 1612/68 […]:
a)
en ce que ces dispositions nationales et ce statut ne permettent pas à un citoyen de l’Union européenne, tel le demandeur, dont la carrière professionnelle s’est exercée successivement dans une entreprise ou dans un service public national, et dans la fonction publique de l’Union européenne, ou vice-versa, de comparer les avantages de pension qu’il obtiendrait dans chaque régime, national ou européen, par transfert des droits acquis dans les autres régimes, et, de demander, sur
la base de cette comparaison, le transfert de ces droits, soit du régime national au régime européen, soit à l’inverse, du régime européen au régime national,
b)
en ce que ces dispositions, en prévoyant que l’intéressé doit renoncer expressément au transfert du régime belge au régime européen ou en induisant une pratique administrative en ce sens, sans que la comparaison précitée ait été faite, induisent ou peuvent induire le travailleur intéressé en erreur, et
c)
en ce que ces dispositions nationales ne permettent pas, pour l’octroi d’une pension nationale anticipée, de tenir compte des années d’activité professionnelle exercées en tant que fonctionnaire de l’Union européenne?»
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
16
En premier lieu, le gouvernement néerlandais estime que la demande de décision préjudicielle est irrecevable en raison du manque d’informations contenues dans la décision de renvoi tant sur les circonstances de fait que sur le cadre juridique du litige au principal.
17
À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées afin de permettre à la Cour d’apporter des réponses utiles et de donner aux
gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice (voir, notamment, arrêt du 11 avril 2000, Deliège, C‑51/96 et C‑191/97, Rec. p. I-2549, points 30 et 31).
18
En l’occurrence, il ressort des observations présentées par les parties au principal, le gouvernement hellénique, le gouvernement néerlandais lui-même et la Commission des Communautés européennes, que les informations contenues dans la décision de renvoi ont permis à ceux-ci de prendre utilement position sur la question soumise à la Cour. En outre, les informations contenues dans le jugement de renvoi ont été complétées par les éléments du dossier transmis par la juridiction nationale et par
les observations écrites déposées devant la Cour. L’ensemble de ces éléments, repris dans le rapport d’audience, a été porté à la connaissance des gouvernements des États membres et des autres parties intéressées en vue de l’audience au cours de laquelle ces derniers ont pu, le cas échéant, compléter leurs observations.
19
L’objection soulevée par le gouvernement néerlandais doit donc être écartée.
20
En deuxième lieu, l’ONP estime que la demande de décision préjudicielle est irrecevable au motif qu’elle serait devenue sans objet depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2003, dans la mesure où, selon lui, ladite loi prévoit la possibilité pour les fonctionnaires des Communautés européennes de demander le transfert des droits à pension acquis au titre du régime communautaire vers le régime belge, ce qui permet la prise en considération des périodes d’activité en qualité de fonctionnaire
d’une institution communautaire aux fins de l’ouverture d’un droit à une pension nationale de retraite anticipée.
21
À cet égard, quand bien même la loi de 2003 permettrait, ainsi que l’a soutenu l’ONP à l’audience, la prise en considération des périodes ayant donné lieu à cotisation au régime communautaire alors même que l’intéressé n’a pas demandé, comme dans l’affaire au principal, le transfert de ses droits à pension du régime communautaire vers le régime belge, il résulte du dossier que M. My a introduit sa demande de pension de retraite anticipée le 20 octobre 2000, soit plus d’un an avant l’entrée
en vigueur de la loi de 2003. Or, en vertu de son article 29, ladite loi a pris effet le 1^er janvier 2002 et ne s’applique qu’aux demandes de transfert introduites à partir de cette date.
22
En conséquence, l’objection soulevée par l’ONP doit également être écartée.
23
En dernier lieu, la Commission estime que les deux premières parties de la question, ayant trait au transfert de droits à pension à proprement parler, sont sans rapport avec le litige au principal, lequel porterait exclusivement sur la prise en considération des 27 années accomplies par l’intéressé au service du Conseil aux fins de l’ouverture d’un droit à pension de retraite anticipée sous la législation belge. Seul ce dernier volet nécessiterait dès lors une réponse de la Cour.
24
À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la
pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions préjudicielles posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, Rec. p. I‑4921, point 59, et du 19 février 2002, Arduino, C‑35/99, Rec. p. I‑1529, point 24).
25
Toutefois, la Cour a également indiqué que, dans des hypothèses exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 21). Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire
sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts précités Bosman, point 61, et Arduino, point 25).
26
Or, ainsi qu’il a déjà été constaté, M. My n’a jamais demandé, dans l’affaire au principal, le transfert des droits à pension acquis au titre du régime communautaire vers le régime de pension belge, mais uniquement le bénéfice d’une pension nationale de retraite anticipée. M. My a, à cet égard, contesté le refus de l’ONP de prendre en considération les 27 années de travail accomplies en qualité de fonctionnaire du Conseil pour le calcul des 35 années civiles de carrière prévues à l’article
4, paragraphe 2, de l’arrêté royal, dont dépend l’ouverture du droit à ladite pension.
27
Il s’ensuit que le litige au principal ne porte que sur la question de savoir si le droit communautaire impose aux autorités belges l’obligation de prendre en considération tant les périodes d’activité de M. My accomplies sous le régime de pension belge que celles accomplies sous le régime communautaire.
28
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre aux deux premières parties de la question posée.
Sur la prise en compte des périodes d’activité au sein des Communautés européennes
Sur les articles 2 CE, 3 CE, 40 CE et 283 CE
29
Comme la Cour l’a déjà indiqué (arrêts du 29 septembre 1987, Giménez Zaera, 126/86, Rec. p. 3697, point 11, et du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest e.a., C-78/90 à C-83/90, Rec. p. I-1847, points 17 et 18), les articles 2 CE et 3 CE énoncent des objectifs généraux explicités par d’autres dispositions du traité. Ils ne sauraient recevoir une application autonome par rapport aux dispositions plus spécifiques du traité mentionnées dans la question préjudicielle.
30
De même, les articles 40 CE et 283 CE se bornent à servir de base juridique pour l’adoption, par le Conseil, respectivement des mesures nécessaires à la réalisation de la libre circulation des travailleurs, garantie par l’article 39 CE, et du statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que du régime applicable aux autres agents de ces Communautés.
31
Par conséquent, les articles 2 CE, 3 CE, 40 CE et 283 CE sont dépourvus de pertinence dans le cadre de la présente affaire.
Sur les articles 17 CE et 18 CE
32
L’article 17 CE, tout en instituant la citoyenneté de l’Union, se borne à prévoir que les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le traité. Il ne saurait donc, à cet égard, recevoir une application autonome par rapport aux dispositions spécifiques du traité qui régissent les droits et devoirs des citoyens de l’Union.
33
Quant à l’article 18 CE, qui énonce, de manière générale, le droit pour tout citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, il trouve une expression spécifique dans l’article 39 CE en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs. Or, dans la mesure où la juridiction de renvoi interroge également la Cour sur l’interprétation à donner de cette dernière disposition, il convient d’abord de se prononcer sur ce point (voir, en ce sens, arrêt
du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal, C-100/01, Rec. p. I‑10981, point 26).
Sur l’article 42 CE
34
L’article 42 CE confère au Conseil la mission d’instaurer un régime permettant aux travailleurs de surmonter les obstacles pouvant résulter pour eux des règles nationales édictées dans le domaine de la sécurité sociale. De cette obligation, le Conseil s’est en principe acquitté en adoptant le règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille
qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) nº 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1).
35
Or, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 3 octobre 2000, Ferlini (C‑411/98, Rec. p. I-8081, point 41), les fonctionnaires des Communautés européennes ne sauraient être qualifiés de travailleurs au sens du règlement nº 1408/71 dès lors qu’ils ne sont pas soumis à une législation nationale en matière de sécurité sociale, comme l’exige l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, définissant le champ d’application personnel de ce dernier.
36
En conséquence, la situation de M. My ne relève pas de l’article 42 CE, ni du règlement n° 1408/71.
Sur les articles 39 CE et 7 du règlement nº 1612/68
37
Il est de jurisprudence constante que le fonctionnaire des Communautés européennes a la qualité de travailleur migrant. En effet, un ressortissant communautaire travaillant dans un État membre autre que l’État d’origine ne perd pas la qualité de travailleur, au sens de l’article 39, paragraphe 1, CE, du fait qu’il occupe un emploi auprès d’une organisation internationale, même si les conditions de son entrée et de son séjour dans le pays d’emploi sont spécialement régies par une convention
internationale (arrêts du 15 mars 1989, Echternach et Moritz, 389/87 et 390/87, Rec. p. 723, point 11; du 27 mai 1993, Schmid, C-310/91, Rec. p. I-3011, point 20, et Ferlini, précité, point 42).
38
Il en résulte qu’un travailleur ressortissant d’un État membre, tel M. My, ne saurait se voir refuser le bénéfice des droits et avantages sociaux que lui procurent l’article 39 CE et le règlement nº 1612/68 (voir arrêts du 13 juillet 1983, Forcheri, 152/82, Rec. p. 2323, point 9; Echternach et Moritz, précité, point 12; Schmid, précité, point 22, et Ferlini, précité, point 43).
39
Toutefois, il ressort du dossier que M. My, arrivé en Belgique à l’âge de neuf ans, a accompli l’ensemble de sa carrière professionnelle sur le territoire belge, dans un premier temps, en qualité de salarié de différentes sociétés belges, dans un second temps et jusqu’à l’âge de la retraite, en tant que fonctionnaire au secrétariat général du Conseil.
40
Or, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs, et particulièrement l’article 39 CE, ne peuvent être appliqués à des situations purement internes à un État membre (arrêt du 5 juin 1997, Uecker et Jacquet, C‑64/96 et C-65/96, Rec. p. I-3171, point 16 et jurisprudence citée).
41
Pour néanmoins établir l’existence d’un lien avec l’une des situations envisagées à l’article 39 CE, la Commission a fait valoir que la période d’activité dans un service public international, tel celui de l’Union européenne, devait être assimilée à une période accomplie dans le service public d’un autre État membre.
42
Une telle fiction juridique, ainsi qu’il ressort des points 85 à 89 des conclusions de M. l’avocat général, ne saurait trouver appui sur les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs.
43
En conséquence, la situation de M. My ne relève pas non plus des articles 39 CE et 7 du règlement nº 1612/68.
Sur l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut et l’article 10 CE
44
Le système de transfert des droits à pension, tel que prévu à l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, en permettant une coordination entre les régimes nationaux et le régime communautaire de pension, vise à faciliter le passage des emplois nationaux, publics ou privés, à l’administration communautaire et à garantir ainsi aux Communautés les meilleures possibilités de choix d’un personnel qualifié déjà doté d’une expérience professionnelle appropriée (arrêt du 20 octobre 1981,
Commission/Belgique, 137/80, Rec. p. 2393, points 11 et 12)
45
En particulier, la Cour a jugé que, en refusant de prendre les mesures nécessaires au transfert de l’équivalent actuariel ou du forfait de rachat des droits à pension acquis dans le régime de pension national au régime de pension communautaire, prévu à l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, un État membre pourrait rendre plus difficile le recrutement, par la Communauté, de fonctionnaires nationaux ayant une certaine ancienneté, étant donné qu’un tel passage du service
national au service communautaire aurait pour effet de les priver des droits à pension auxquels ils auraient droit s’ils n’avaient pas accepté d’entrer au service de la Communauté (arrêt Commission/Belgique, précité, point 19).
46
Or, tel est également le cas lorsqu’un État membre refuse de prendre en compte, aux fins de l’ouverture d’un droit à pension de retraite anticipée au titre de son régime, les périodes d’activité accomplies sous le régime de pension communautaire.
47
Force est, en effet, de constater qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, est susceptible d’entraver et, partant, de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union européenne, dans la mesure où, en acceptant un emploi auprès d’une telle institution, un travailleur ayant précédemment été affilié à un régime de pension national, risque de perdre la possibilité de bénéficier, au titre de ce régime, d’une
prestation de vieillesse à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas accepté cet emploi.
48
De telles conséquences ne sauraient être admises au regard du devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux États membres à l’égard de la Communauté et qui trouve son expression dans l’obligation, prévue à l’article 10 CE, de faciliter à celle-ci l’accomplissement de sa mission.
49
En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 10 CE, en liaison avec le statut, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas de tenir compte des années de travail qu’un ressortissant communautaire a accomplies au service d’une institution communautaire aux fins de l’ouverture d’un droit à une pension de retraite anticipée au titre du régime national.
50
Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de répondre à la question posée en ce qu’elle porte sur l’interprétation de l’article 18 CE.
Sur les dépens
51
La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
L’article 10 CE, en liaison avec le statut des fonctionnaires des Communautés européennes, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet pas de tenir compte des années de travail qu’un ressortissant communautaire a accomplies au service d’une institution communautaire aux fins de l’ouverture d’un droit à une pension de retraite anticipée au titre du régime national.
Signatures
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1 –
Langue de procédure: le français.