CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 10 mars 2005(1)
Affaire C-287/03
Commission des Communautés européennes
contre
Royaume de Belgique
«Manquement d'État – Libre prestation des services – Programmes de fidélisation des consommateurs – Application d'une législation nationale – Charge de la preuve du manquement incombant à la Commission»
1. En droit belge, les offres conjointes de produits ou de services sont en principe interdites. Il est toutefois fait exception à cette règle d’interdiction dans le cas où sont offerts gratuitement, conjointement à l’achat d’un produit ou d’un service principal, des titres donnant droit, après plusieurs achats, à une offre gratuite ou à une réduction de prix, à condition que cet avantage concerne un produit ou un service similaire et qu’il soit procuré par le même vendeur .
2. Dans le cadre du présent recours, la Commission des Communautés européennes demande, en substance, à la Cour de constater que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE, en appliquant de manière discriminatoire et disproportionnée ces conditions de «similitude» et de «vendeur unique» comme condition préalable pour la mise en œuvre, dans cet État membre, d’un programme de fidélisation des consommateurs.
3. Cette affaire concerne le domaine de la promotion des ventes, qui a déjà fait l’objet de travaux au niveau communautaire, même si, à ce jour, aucune réglementation n’a encore été adoptée par le législateur communautaire (2) .
4. De façon plus spécifique, le présent recours nous permettra de préciser quelles exigences recouvre, selon nous, la règle selon laquelle, dans le cadre d’une procédure mise en œuvre en vertu de l’article 226 CE, il incombe à la Commission d’apporter la preuve du manquement d’un État membre à ses obligations communautaires.
I – Le cadre juridique
A – Le droit communautaire
5. Aux termes de l’article 49, premier alinéa, CE:
«Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.»
B – La législation nationale
6. L’article 54 de la loi belge du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur (3) (ci‑après la «loi belge») interdit «toute offre conjointe au consommateur effectuée par un vendeur». Est entendue comme offre conjointe «l’acquisition, gratuite ou non, de produits, de services, de tous autres avantages, ou de titres permettant de les acquérir […] liée à l’acquisition d’autres produits ou services, même identiques». L’offre conjointe au
consommateur est également interdite lorsqu’elle émane de «plusieurs vendeurs agissant dans une unité d’intention».
7. Cette interdiction des offres conjointes connaît toutefois des exceptions. Ainsi, l’article 57 de la loi belge permet d’offrir gratuitement, conjointement à un produit ou à un service principal, des titres ouvrant droit à certains avantages pour le consommateur.
8. Les titres énumérés audit article, paragraphes 1 à 3, ne peuvent être émis que par les opérateurs économiques qui sont immatriculés auprès du ministère compétent, conformément à l’article 59, premier alinéa, de la loi belge.
9. En revanche, l’article 57, paragraphe 4, de ladite loi prévoit une exception à l’interdiction des offres conjointes dont les opérateurs économiques peuvent bénéficier sans être titulaires d’une telle immatriculation.
10. Plus précisément, cet article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la loi belge permet aux opérateurs économiques d’offrir, conjointement à un produit ou à un service principal, «des titres consistant en des documents donnant droit, après acquisition d’un certain nombre de produits ou de services, à une offre gratuite ou à une réduction de prix lors de l’acquisition d’un produit ou d’un service similaire, pour autant que cet avantage soit procuré par le même vendeur et n’excède pas le tiers
du prix des produits ou services précédemment acquis».
11. En outre, ledit article énonce que «[l]es titres doivent mentionner la limite éventuelle de leur durée de validité, ainsi que les modalités de l’offre», et que, «[l]orsque le vendeur interrompt son offre, le consommateur doit bénéficier de l’avantage offert au prorata des achats précédemment effectués».
12. L’offre gratuite de titres non conforme à cette législation peut, sur demande du ministère des Affaires économiques, d’un opérateur économique intéressé ou des associations ayant pour objectif la défense des intérêts des consommateurs, faire l’objet d’une ordonnance de cessation par des tribunaux de commerce.
II – La procédure précontentieuse
13. Par lettre du 31 mars 1999, la Commission a attiré l’attention du Royaume de Belgique sur la question de la compatibilité des articles 54 et 57 de la loi belge avec l’article 49 CE. Elle y indiquait avoir été alertée par une plainte déposée par une entreprise établie aux Pays-Bas, ayant pour activité l’organisation, pour le compte d’autres entreprises, d’un programme de fidélisation des consommateurs dénommé «Air Miles» qu’elle souhaitait étendre en Belgique (4) .
14. Ce type d’activité est mis en œuvre de la façon suivante: la société organisatrice du programme conclut un contrat avec des entreprises dites «sponsors» afin de créer et de gérer un programme destiné à fidéliser les clients de ces dernières. Ces clients sont alors équipés d’une carte à mémoire électronique qui leur permet d’enregistrer des points «Air Miles» accumulés à l’occasion des achats de produits ou de services effectués auprès des entreprises «sponsors». Lorsqu’ils atteignent un
certain nombre, ces points donnent droit, par exemple, à des voyages gratuits.
15. Le Royaume de Belgique a répondu à cette lettre de mise en demeure par lettre du 2 juin 1999. Il y indiquait notamment que la jurisprudence et la doctrine nationales ont interprété la notion de «similitude» comme présupposant que les produits ou les services principaux et les produits ou les services qui sont offerts gratuitement ou à prix réduit sont habituellement mis en vente par le même circuit de distribution et/ou appartiennent à la même branche d’activité industrielle ou commerciale.
16. Non satisfaite par les éléments d’explication contenus dans cette réponse, la Commission a adressé au Royaume de Belgique, le 1 ^er août 2000, un avis motivé dans lequel, en substance, elle lui faisait grief d’appliquer de manière discriminatoire et disproportionnée les conditions de «similitude» et de «vendeur unique» figurant dans la loi belge. Le Royaume de Belgique était invité à se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois.
17. Les autorités belges ont répondu à cet avis motivé par lettre du 16 octobre 2000. Dans cette lettre, elles ont indiqué, en substance, qu’il leur paraissait opportun d’attendre les orientations prises par la Commission quant à une proposition de réglementation communautaire dans le domaine de la promotion des ventes, afin de procéder à une réforme globale de la législation nationale sur les offres conjointes, plutôt que d’effectuer une modification ponctuelle du seul article 57, paragraphe
4, de la loi belge.
18. Cette réponse n’a pas non plus convaincu la Commission, qui a introduit, sur le fondement de l’article 226 CE, le présent recours par requête déposée au greffe de la Cour le 3 juillet 2003.
III – Le recours
19. Par le présent recours, la Commission demande à la Cour «de constater que le Royaume de Belgique, en appliquant, de manière discriminatoire et disproportionnée, les conditions de ‘similitude’ et de ‘vendeur unique’ entre des produits et services acquis par un consommateur, d’une part, et des produits ou services rendus accessibles à titre gratuit ou à des prix réduits dans le cadre d’un programme de fidélisation, d’autre part, comme condition préalable pour l’exercice d’un tel programme en
tant que prestation de services transfrontalière entre des entreprises, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE». La Commission conclut également à ce qu’il plaise à la Cour condamner le Royaume de Belgique aux dépens.
20. Quant au Royaume de Belgique, il conclut à l’irrecevabilité du recours, à son caractère non fondé et à la condamnation de la Commission aux dépens.
A – Sur la recevabilité
21. Le gouvernement belge fait valoir que le recours est irrecevable, étant donné la durée excessive de la période séparant la réponse du Royaume de Belgique à l’avis motivé et l’introduction de la requête devant la Cour, à savoir près de trois ans.
22. Un tel délai serait incompatible avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime. Le gouvernement belge estime, en particulier, qu’il a pu légitimement considérer que sa réponse donnée à l’avis motivé était satisfaisante à défaut d’avoir été contredite par la Commission dans ce délai. L’introduction de la présente requête devant la Cour aurait ainsi «surpris la confiance légitime» du Royaume de Belgique (5) .
23. Il nous semble que ces arguments sont dénués de pertinence au regard de la jurisprudence de la Cour relative à l’articulation entre, d’une part, le pouvoir discrétionnaire de la Commission quant au déroulement et à l’issue de la procédure précontentieuse et, d’autre part, la nécessaire sauvegarde des droits de la défense d’un État membre mis en cause au titre de l’article 226 CE.
24. En effet, nous savons que la Commission dispose d’une liberté d’appréciation non seulement quant à sa faculté de saisir la Cour, mais également quant au moment qu’elle estime opportun pour porter une affaire devant la Cour. Ce principe a étᄅ formulé par celle-ci de la façon suivante: «l’exercice du recours en constatation de manquement d’État […] n’est pas enfermé dans un délai préétabli, cette procédure comportant, en raison de sa nature et de son but, le pouvoir pour la Commission
d’apprécier les moyens et délais les plus appropriés en vue de mettre fin aux manquements éventuels» (6) .
25. Ce principe connaît toutefois un tempérament dans les hypothèses où «une durée excessive de la procédure précontentieuse […] est susceptible d’augmenter, pour l’État mis en cause, la difficulté de réfuter les arguments de la Commission et de violer ainsi les droits de la défense» (7) . Il incombe alors à l’État membre visé par le recours en manquement de prouver l’incidence négative de cette durée de la procédure précontentieuse sur l’organisation de sa défense.
26. À cet égard, et sans que la Cour ait à prendre position sur le caractère excessif ou non de la durée séparant en l’espèce la réponse de l’État membre à l’avis motivé et l’introduction du présent recours, il suffit à notre avis de relever que le Royaume de Belgique n’avance aucun argument spécifique de nature à démontrer que ce délai a eu une incidence sur la manière dont il a organisé sa défense (8) .
27. L’ensemble des arguments développés par le Royaume de Belgique tendent en réalité uniquement à critiquer, d’une part, l’exercice par la Commission de sa liberté d’appréciation quant au déroulement de la procédure introduite au titre de l’article 226 CE et, d’autre part, la façon dont la mise en œuvre de cette procédure a été coordonnée avec la réflexion engagée au niveau communautaire sur une proposition de réglementation sur les promotions des ventes.
28. Aussi, il apparaît que l’objection formulée par le Royaume de Belgique quant à la recevabilité du recours est principalement fondée sur l’argument selon lequel la Commission aurait dû répondre autrement que par l’introduction d’une requête devant la Cour à la lettre adressée le 16 octobre 2000 par cet État membre à la Commission, en réponse à l’avis motivé.
29. Or, la Cour a déjà jugé que, «à supposer même que la procédure contentieuse ait été ouverte par un recours de la Commission ne tenant pas compte d’éventuels nouveaux éléments, de fait ou de droit, avancés par l’État membre concerné dans sa réponse à l’avis motivé, les droits de la défense de cet État ne s’en sont pas trouvés lésés. En effet, celui-ci peut, dans le cadre de la procédure contentieuse, faire valoir pleinement lesdits éléments dès son premier acte de défense. Il appartiendra à
la Cour d’en examiner la pertinence aux fins de la suite à donner au recours en manquement» (9) .
30. Dès lors, il ne saurait non plus être reproché à la Commission de n’avoir pas pris position sur l’argumentation figurant dans la réponse du Royaume de Belgique à l’avis motivé.
31. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous estimons donc que l’objection du gouvernement belge quant à la recevabilité du recours doit être rejetée.
B – Sur le fond
1. L’objet du recours
32. L’appréciation des moyens développés par la Commission à l’appui du présent recours implique de cerner d’abord avec précision l’objet de celui-ci.
33. Comme nous l’avons déjà indiqué, la Commission reproche au Royaume de Belgique d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE en appliquant, de manière discriminatoire et disproportionnée, les conditions de «similitude» et de «vendeur unique» qui figurent à l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la loi belge comme condition préalable pour l’exercice d’un programme de fidélisation en tant que prestation de services transfrontalière entre des entreprises.
34. Il ressort donc expressément du dispositif de la requête introductive d’instance que le présent recours ne vise nullement la teneur littérale de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la loi belge, mais bien uniquement l’ application, prétendument discriminatoire et disproportionnée, des conditions figurant dans cette disposition.
35. Cet élément a d’ailleurs été explicitement confirmé par la Commission lors de l’audience, en réponse à une question posée par la Cour.
36. L’objet du présent recours, tel qu’explicité par la Commission, exclut donc que la Cour examine in abstracto la compatibilité de ladite disposition avec l’article 49 CE.
37. La Cour est ainsi uniquement saisie aux fins de constater que l’application qui est faite de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la loi belge par les autorités nationales, c’est-à-dire par l’administration nationale ainsi que par les tribunaux nationaux, est contraire à l’article 49 CE.
2. La preuve du manquement
38. La Commission ayant limité expressément son recours à l’application discriminatoire et disproportionnée en Belgique des conditions de «similitude» et de «vendeur unique» figurant dans la loi belge, il lui appartient d’apporter à la Cour des éléments de preuve suffisants pour démontrer, dans le cadre ainsi tracé, un manquement de cet État membre à l’article 49 CE.
39. Nous rappelons, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans que la Commission puisse se fonder sur une présomption quelconque (10) .
40. En l’espèce, nous estimons que la Commission ne fournit pas suffisamment d’éléments à la Cour pour prouver que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.
41. En effet, lorsque, comme c’est le cas ici, le recours vise l’exécution concrète d’une disposition nationale, la démonstration d’un manquement d’État nécessite la fourniture d’éléments de preuve d’une nature particulière par rapport à ceux qui entrent habituellement en ligne de compte dans le cadre d’un recours en manquement visant uniquement le contenu d’une disposition nationale.
42. Dans cette dernière hypothèse, qui est de loin la plus fréquente, la confrontation des termes de la disposition nationale contestée avec ceux de la norme communautaire de référence peut suffire à révéler l’existence d’un manquement d’État.
43. Au contraire, lorsque l’objet du recours en manquement concerne l’application d’une disposition nationale, le manquement ne peut être établi que grâce à une démonstration suffisamment documentée et circonstanciée de la pratique reprochée à l’administration et/ou aux juridictions nationales et imputable à l’État membre mis en cause.
44. Or, force est de constater que, en l’espèce, une telle démonstration de la part de la Commission fait défaut.
45. En premier lieu, s’agissant de la pratique administrative nationale reprochée au Royaume de Belgique, nous partageons l’opinion du gouvernement belge selon laquelle la circonstance que certaines entreprises établies en Belgique développent des programmes de fidélisation contestables au regard de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la loi belge, sans faire l’objet d’actions en cessation devant les tribunaux nationaux à l’initiative des autorités administratives compétentes, n’est
pas de nature à démontrer que ledit article serait appliqué de manière discriminatoire.
46. Nous estimons, en effet, que ces exemples relatés par la Commission ne prouvent pas que l’application par l’administration belge des conditions mentionnées dans ledit article varie selon que l’entreprise concernée se trouve sur ou en dehors du territoire belge.
47. En outre, d’autres exemples cités par le Royaume de Belgique dans son mémoire en défense tendent au contraire à démontrer l’existence d’actions engagées devant les tribunaux belges à l’encontre de campagnes promotionnelles contraires à la loi belge (11) .
48. En deuxième lieu, il importe de préciser que, si un comportement étatique consistant dans une pratique administrative contraire aux exigences du droit communautaire peut être de nature à constituer un manquement au sens de l’article 226 CE (12) , encore faut-il, selon la Cour, que cette pratique administrative «présente un certain degré de constance et de généralité» (13) .
49. Or, la Commission ne démontre pas dans le cadre du présent recours l’existence d’une pratique administrative remplissant les caractéristiques de constance et de généralité requises par la Cour.
50. Ainsi, la prise en compte des faits qui sont à l’origine de la plainte déposée par l’entreprise organisatrice du programme de fidélisation «Air Miles» ne suffit pas à démontrer l’existence d’un manquement d’État consistant dans une pratique établie d’application discriminatoire et disproportionnée des conditions de «similitude» et de «vendeur unique» (14) .
51. De plus, nous notons que la réponse, certes négative, qu’a fournie le ministère des Affaires économiques belge à l’entreprise organisatrice du programme de fidélisation «Air Miles», sur la question de la conformité dudit programme avec la législation belge, présentait seulement le caractère d’un avis et non d’une décision refusant l’extension du programme de fidélisation «Air Miles» en Belgique.
52. En troisième et dernier lieu, s’agissant de l’interprétation de la loi par les juridictions belges, il importe de rappeler que la Cour a très clairement fixé les conditions dans lesquelles une pratique judiciaire nationale est susceptible de constituer un manquement d’État au sens de l’article 226 CE (15) .
53. Ainsi, la Cour a-t-elle jugé que «des décisions de justice isolées ou fortement minoritaires dans un contexte jurisprudentiel marqué par une autre orientation, ou encore une interprétation démentie par la juridiction suprême nationale, ne sauraient être prises en compte. Il n’en est pas de même d’une interprétation jurisprudentielle significative non démentie par ladite juridiction suprême, voire confirmée par celle-ci» (16) .
54. Une jurisprudence nationale n’est donc susceptible de constituer un manquement d’État que si elle «est de nature structurelle» (17) .
55. Dans le cadre d’une action en manquement au titre de l’article 226 CE, il revient à la Commission de démontrer que tel est le cas.
56. Nous relevons que la Commission fonde dans une large mesure son analyse sur l’interprétation qui prévaudrait en droit belge, selon laquelle une offre conjointe répondrait à la condition de «similitude» lorsque les produits ou services principaux et les produits ou services offerts gratuitement ou à prix réduit sont habituellement mis en vente par le même circuit de distribution et appartiennent à la même branche d’activité industrielle ou commerciale.
57. Selon la Commission, la règle d’interdiction des offres conjointes de produits non similaires ferait l’objet d’un détournement en pratique au bénéfice des entreprises établies en Belgique et disposant de leur propre réseau de distribution. Elle indique que «[c]e détournement de la règle de principe a été facilité par l’interprétation qui a été faite par les tribunaux de la notion de similitude» (18) .
58. Or, en l’espèce, la Commission ne cite aucun jugement de tribunaux belges pour illustrer le courant jurisprudentiel sur lequel elle fonde son analyse.
59. Il est vrai que le Royaume de Belgique a lui-même fait état, dans sa réponse à la lettre de mise en demeure, de ce que la jurisprudence et la doctrine nationales ont interprété la notion de «similitude» comme présupposant que les produits ou les services principaux et les produits ou les services qui sont offerts gratuitement ou à prix réduit sont habituellement mis en vente par le même circuit de distribution et/ou appartiennent à la même branche d’activité industrielle ou commerciale. Il
évoque également, à l’appui de cette interprétation, une décision du tribunal de commerce de Bruxelles en date du 26 juin 1978 (19) .
60. Toutefois, nous estimons que cette circonstance ne dispensait pas la Commission d’apporter à la Cour des éléments précis afin d’établir et d’expliciter la tendance jurisprudentielle nationale dont elle se prévaut.
61. L’apport de telles précisions aurait été d’autant plus souhaitable en l’espèce que l’ensemble des développements que consacre le Royaume de Belgique dans son mémoire en défense à la notion de «similitude», ainsi que les déclarations de son représentant lors de l’audience accréditent en définitive l’idée selon laquelle l’interprétation qui est retenue de cette notion par les juridictions et la doctrine belges n’est pas univoque.
62. Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, nous estimons que la Commission n’a pas rapporté la preuve que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE, en ce qu’il aurait appliqué de manière discriminatoire et disproportionnée les conditions de «similitude» et de «vendeur unique» entre, d’une part, des produits et des services acquis par un consommateur et, d’autre part, des produits ou des services rendus accessibles à titre gratuit ou
à des prix réduits dans le cadre d’un programme de fidélisation comme condition préalable pour l’exercice d’un tel programme en tant que prestation de services transfrontalière entre des entreprises.
IV – Conclusion
63. En conséquence, nous proposons à la Cour de rejeter, pour insuffisance de preuve, le recours introduit par la Commission des Communautés européennes et de condamner celle-ci aux dépens, conformément à l’article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure.
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1 –
Langue originale: le français.
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2 –
Voir communication de la Commission du 2 octobre 2001, relative aux promotions des ventes dans le marché intérieur [COM(2001) 546 final], ainsi que proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2002, relatif aux promotions des ventes dans le marché intérieur [COM(2002) 585 final]. Le septième considérant de cette proposition de règlement indique que celui-ci «s’applique aux cartes de fidélité et aux programmes de fidélisation des compagnies aériennes».
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3 –
. Moniteur belge du 29 août 1991.
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4 –
L’entreprise en question avait interrogé le ministère des Affaires économiques belge sur la compatibilité de ce programme de fidélisation avec la loi belge. Par lettre du 7 avril 1998, ce ministère lui a répondu que la prime octroyée dans le cadre de ce programme ne pouvait pas être considérée «comme un produit similaire aux produits qui sont vendus par les sponsors pour lesquels la société en question intervient».
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5 –
Voir mémoire en défense, p. 11.
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6 –
Arrêt du 14 décembre 1971, Commission/France (7/71, Rec. p. 1003, point 5).
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7 –
Arrêt du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas (C-96/89, Rec. p. I-2461, point 16).
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8 –
Voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2000, Commission/Royaume-Uni (C‑359/97, Rec. p. I‑6355). Dans cette affaire, il s’était écoulé près de huit ans entre la réponse du Royaume-Uni à l’avis motivé et l’introduction de la requête.
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9 –
Arrêt du 19 mai 1998, Commission/Pays-Bas (C-3/96, Rec. p. I‑3031, point 20).
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10 –
Voir, notamment, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas (96/81, Rec. p. 1791, point 6); du 20 mars 1990, Commission/France (C-62/89, Rec. p. I-925, point 37); du 29 mai 1997, Commission/Royaume-Uni (C-300/95, Rec. p. I-2649, point 31); du 9 septembre 1999, Commission/Allemagne (C-217/97, Rec. p. I-5087, point 22), et du 29 avril 2004, Commission/Autriche (C-194/01, non encore publié au Recueil, point 34).
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11 –
Voir mémoire en défense, p. 21 et 22.
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12 –
Voir, notamment, arrêts du 14 juillet 1988, Commission/Belgique (298/86, Rec. p. 4343), et du 2 décembre 2004, Commission/Pays-Bas (C-41/02, non encore publié au Recueil).
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13 –
Arrêt du 29 avril 2004, Commission/Allemagne (C-387/99, non encore publié au Recueil, point 42).
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14 –
Certes, la Cour a pu juger que, dans le contexte particulier d’un marché caractérisé par la présence de quelques entreprises seulement, tel que celui des appareils d’affranchissement postal, l’attitude adoptée par l’administration nationale à l’égard d’une seule entreprise pouvait donner lieu à la constatation d’un manquement d’État (arrêt du 9 mai 1985, Commission/France, 21/84, Rec. p. 1355, point 13). Toutefois, l’affaire qui nous occupe concerne au contraire le marché de la promotion des
ventes qui comprend de nombreux opérateurs économiques.
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15 –
Arrêt du 9 décembre 2003, Commission/Italie (C-129/00, non encore publié au Recueil).
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16 –
Ibidem, point 32.
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17 –
Voir conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Commission/Italie, précitée (point 114).
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18 –
Voir requête, point 21.
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19 –
Voir mémoire en défense, p. 23.