CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. Philippe LÉger
présentées le 9 mars 2006 (1)
Affaire C‑346/04
Robert Hans Conijn
contre
Finanzamt Hamburg-Nord
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesfinanzhof (Allemagne)]
«Article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) – Fiscalité directe – Impôt sur le revenu – Exclusion des non‑résidents du droit de déduire les dépenses engagées pour la consultation d’un conseiller fiscal en vue d’établir leur déclaration de revenus»
1. Par le présent renvoi préjudiciel, la Cour est invitée à dire si le droit communautaire s’oppose à ce qu’un ressortissant d’un État membre, qui est partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu dans un autre État membre, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, soit dans l’impossibilité de déduire de son revenu imposable les frais de consultation d’un conseiller fiscal qu’il a exposés afin de remplir ses obligations fiscales dans ce dernier État membre, alors qu’un contribuable
assujetti à l’impôt sur l’intégralité de ses revenus dans ce même État membre pourrait bénéficier de la déduction de tels frais.
I – Le cadre juridique national
2. Selon la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz), dans sa version de 1997 (ci-après l’«EStG 1997») (2), il convient de distinguer les contribuables qui sont intégralement assujettis à l’impôt sur le revenu de ceux qui le sont partiellement. À la différence des premiers, les contribuables partiellement assujettis sont ceux qui n’ont ni leur domicile ni leur résidence habituelle en Allemagne et qui y sont imposés uniquement sur les revenus perçus dans cet État membre.
3. Parmi ces revenus de source allemande, l’article 49, paragraphe 1, point 2, sous a), de l’EStG 1997 mentionne les revenus tirés d’une activité artisanale, industrielle ou commerciale.
4. L’article 50, paragraphe 1, de l’EStG 1997 contient des dispositions particulières applicables aux contribuables partiellement assujettis à l’impôt sur le revenu en Allemagne. Il en résulte notamment que ces contribuables ne peuvent pas déduire de leur revenu imposable des «dépenses exceptionnelles», telles que des frais de consultation d’un conseiller fiscal (3), alors que les contribuables intégralement assujettis peuvent déduire de tels frais au titre de l’article 10, paragraphe 1, point
6, de l’EStG 1997.
5. Il convient par ailleurs de préciser que ce dernier article distingue les dépenses qui relèvent de la catégorie des «dépenses exceptionnelles» de celles qui constituent des «charges d’exploitation» ou des «charges professionnelles».
II – Le litige au principal
6. M. Conijn, qui est de nationalité néerlandaise et qui réside aux Pays-Bas, a perçu en 1998, au titre de sa participation dans une société en commandite de droit allemand à travers une indivision successorale, des revenus de source allemande à caractère industriel et commercial d’un montant de 146 373,50 DEM. Cette somme représentait moins de 90 % du revenu mondial total de M. Conijn.
7. Dans sa déclaration d’impôt pour 1998, ce dernier a inscrit en déduction la somme de 1 046 DEM, correspondant aux frais de consultation fiscale engagés par lui pour établir ladite déclaration en Allemagne, en tant que «dépenses exceptionnelles» en application de l’article 10, paragraphe 1, point 6, de l’EStG 1997.
8. Le Finanzamt Hamburg-Nord (ci-après le «Finanzamt») a refusé d’admettre la déduction de ces frais en se fondant sur l’article 50, paragraphe 1, cinquième phrase, de l’EStG 1997.
9. M. Conijn a formé un recours contre la décision du Finanzamt devant le Finanzgericht Hamburg. Ce recours a été rejeté par jugement du 11 novembre 2003.
10. Le demandeur au principal s’est pourvu en «Revision» devant le Bundesfinanzhof, en demandant à cette juridiction d’annuler ledit jugement et de juger que les frais de consultation fiscale sont déductibles. Quant au Finanzamt, il conclut au rejet du pourvoi.
III – Le renvoi préjudiciel
11. Dans sa décision de renvoi, le Bundesfinanzhof indique que la différence de traitement entre les contribuables résidents et non‑résidents, qui résulte des dispositions susmentionnées de l’EStG 1997, pourrait être contraire à la liberté fondamentale reconnue à l’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE), à savoir la liberté d’établissement.
12. Il constate d’abord que la Cour a jugé à plusieurs reprises que la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont en règle générale pas comparables, et que, par conséquent, le bénéfice des déductions liées à la situation personnelle du contribuable dans l’État d’origine des revenus ne devrait pas obligatoirement être étendu aux non-résidents.
13. Il observe ensuite que, au regard de la jurisprudence de la Cour, ce n’est que dans le cas où le contribuable partiellement assujetti perçoit la quasi-totalité de ses ressources dans l’État d’origine des revenus imposés que le principe d’égalité de traitement commande que les avantages fiscaux liés à sa situation personnelle ou familiale lui soient étendus. Selon la juridiction de renvoi, cette dérogation ne concerne toutefois directement que la catégorie limitée des avantages fiscaux liés à
la situation personnelle ou familiale du contribuable, et non pas «toutes les applications possibles dans la vie privée».
14. Le Bundesfinanzhof remarque à cet égard que la déductibilité des frais de consultation fiscale se justifie essentiellement par des objectifs de subvention et d’incitation qui n’ont rien à voir avec la situation personnelle du contribuable. Celui-ci devrait recevoir une certaine compensation parce qu’il a dû recourir à un conseiller fiscal en raison de la complexité du droit fiscal, cette compensation tenant compte des «dépenses obligatoires» qu’il a dû engager et qui viennent minorer ses
revenus. Or, de telles considérations n’expliqueraient pas pourquoi cet avantage fiscal devrait être refusé aux non‑résidents, tout au moins dans le cas où la consultation fiscale ne porte pas sur la déclaration d’impôts dans l’État de résidence du contribuable, mais uniquement sur la déclaration d’impôts dans l’État d’origine des revenus.
15. Selon la juridiction de renvoi, même en partant de l’hypothèse que les frais de consultation fiscale sont des frais exposés pour la vie personnelle, il faudrait considérer que, dans la mesure où le législateur allemand a décidé d’admettre la déduction de ces frais, il devrait s’y tenir sans contradiction. Ces frais constitueraient une charge grevant tout autant les revenus du non‑résident que ceux du résident. En effet, tous les deux seraient de la même manière tenus d’établir une déclaration
d’impôts.
16. Éprouvant, pour les raisons exposées, des doutes quant à la compatibilité avec le droit communautaire de la législation fiscale allemande applicable en l’espèce, le Bundesfinanzhof a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 52 du traité instituant la Communauté européenne [devenu, après modification, article 43 CE] s’oppose-t-il à ce que le ressortissant d’un autre État membre partiellement assujetti à l’impôt sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne se voie interdire de déduire du montant de ses revenus imposables les frais de consultation fiscale qu’il a exposés, en tant que dépenses exceptionnelles, alors qu’un contribuable assujetti à l’impôt sur l’intégralité de ses revenus le pourrait?»
IV – Analyse
17. Par cette question, le Bundesfinanzhof demande, en substance, si l’article 52 du traité s’oppose à ce qu’un ressortissant d’un État membre, qui est partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu dans un autre État membre, en l’occurrence en Allemagne, soit dans l’impossibilité de déduire de son revenu imposable les frais de consultation d’un conseiller fiscal qu’il a exposés afin de remplir ses obligations fiscales dans ce dernier État membre, alors qu’un contribuable assujetti à l’impôt sur
l’intégralité de ses revenus dans ce même État membre pourrait bénéficier de la déduction de tels frais.
18. Il convient au préalable d’indiquer, à l’instar de la Commission, que la description du cadre factuel effectuée par la juridiction de renvoi ne permet pas de savoir quelle est, en l’espèce, l’importance de la participation de M. Conijn dans la société en commandite de droit allemand.
19. Or, une telle indication pourrait s’avérer utile aux fins de déterminer quels sont les articles pertinents du traité applicables dans le cadre du litige au principal, à savoir ceux relatifs à la liberté d’établissement ou bien ceux relatifs à la libre circulation des capitaux.
20. Nous savons, en effet, que, aux termes de l’article 52, second alinéa, du traité, «[l]a liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises […] dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants […]». Selon la Cour, «[e]xerce ainsi son droit d’établissement le ressortissant d’un État membre qui détient dans le capital d’une société établie dans un autre
État membre une participation lui conférant une influence certaine sur les décisions de la société et lui permettant d’en déterminer les activités» (4).
21. En revanche, dès lors que cette dernière condition fait défaut, les règles relatives à la libre circulation des capitaux deviennent applicables.
22. En réponse aux doutes qui pourraient naître quant à l’applicabilité de l’article 52 du traité dans le cadre du litige au principal, et en l’absence de précisions suffisantes sur ce point dans la décision de renvoi, il y a lieu de rappeler que, selon la Cour, «dans le cadre d’une procédure visée à l’article 234 CE, fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national» (5). Il
suffit donc de constater que, en l’occurrence, la juridiction de renvoi paraît avoir conclu à l’applicabilité de l’article 52 du traité au litige qui lui est soumis et que, en l’absence d’éléments déterminants en faveur de l’applicabilité des règles relatives à la libre circulation des capitaux, il y a lieu pour la Cour de procéder à l’interprétation de la norme invoquée par cette juridiction.
23. Compte tenu de l’interprétation que la Cour donnera ainsi de l’article 52 du traité dans la présente affaire, il incombera ensuite à ladite juridiction de vérifier si la participation de M. Conijn dans la société en commandite de droit allemand confère à celui-ci une influence certaine sur les décisions de ladite société et lui permet d’en déterminer les activités. Si tel n’était pas le cas, la législation nationale en cause dans le cadre du litige au principal concernerait la liberté des
mouvements de capitaux au sens de l’article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE), et non plus la liberté d’établissement protégée par l’article 52 du traité (6). Il convient toutefois de souligner que, dans cette dernière hypothèse, la réponse de la Cour à la présente question préjudicielle vaudrait également en matière de libre circulation des capitaux, et ce dans la mesure où le cœur du problème est ici, comme nous allons le voir, de savoir si la réglementation allemande, qui exclut les
personnes partiellement assujetties de la possibilité de déduire des frais de consultation fiscale engagés à titre privé, constitue ou non une discrimination prohibée par le droit communautaire.
24. Il convient à présent de répondre précisément à la question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof.
25. Dans cette perspective, il importe d’abord de rappeler que l’interdiction pour les États membres d’établir des restrictions à la liberté d’établissement s’applique également aux dispositions fiscales. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, si, en l’état actuel du droit communautaire, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle de la compétence de la Communauté, il n’en demeure pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le
respect du droit communautaire (7).
26. Cela signifie, notamment, qu’ils doivent «s’abstenir […] de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité» (8). En effet, le principe d’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (9). Ainsi, la Cour a jugé qu’une réglementation d’un État membre, qui réserve des
avantages fiscaux aux seuls résidents sur le territoire national, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres, puisque les non‑résidents sont le plus souvent des non‑nationaux, de sorte qu’une telle réglementation est susceptible de constituer une discrimination indirecte en raison de la nationalité (10).
27. Selon une jurisprudence également constante de la Cour, «une discrimination consiste dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes» (11). Afin de vérifier l’existence d’une discrimination, la Cour part traditionnellement du postulat selon lequel, «en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non‑résidents dans un État ne sont, en règle générale, pas comparables dans la
mesure où le revenu perçu sur le territoire d’un État par un non‑résident ne constitue le plus souvent qu’une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non‑résident, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier le plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence
habituelle» (12).
28. Il s’ensuit que «le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est […], en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale» (13).
29. Aussitôt ce principe posé, la Cour a toutefois précisé, dès son arrêt Schumacker, précité, qu’un non‑résident et un résident ne se trouvent pas dans une situation objectivement différente dès lors que «le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans l’État de sa résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’État d’emploi, de sorte que l’État de résidence n’est pas en mesure de lui accorder les avantages résultant de la prise en compte de sa
situation personnelle et familiale» (14). Selon la Cour, «il n’existe entre un tel non-résident et un résident exerçant une activité […] comparable aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement en ce qui concerne la prise en considération, aux fins de l’imposition, de la situation personnelle et familiale du contribuable» (15).
30. Cette jurisprudence a reçu un certain nombre d’applications concernant des avantages fiscaux liés à la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables, tels que l’atténuation de la progressivité du barème de l’impôt au bénéfice des couples mariés (16), la déduction du revenu soumis à l’impôt des bénéfices investis dans la constitution d’une réserve‑vieillesse (17), ou encore des abattements fiscaux liés à des obligations personnelles telles que le versement d’une
pension alimentaire (18).
31. Contrairement au gouvernement allemand, nous estimons que la jurisprudence issue de l’arrêt Schumacker, précité, ne trouve pas à s’appliquer dans le cas de figure soumis à la Cour par le Bundesfinanzhof.
32. D’une part, en effet, en vertu de cette jurisprudence, le critère de comparabilité des non‑résidents et des résidents au regard de l’impôt sur le revenu repose sur le fait que les premiers, à l’instar des seconds, perçoivent la totalité ou la quasi‑totalité de leurs ressources imposables d’une activité exercée dans l’État d’imposition. Or, tel n’est pas le cas d’un ressortissant d’un État membre, tel que M. Conijn, dont les revenus perçus dans l’État d’imposition représentent, selon les
indications fournies par la juridiction de renvoi, moins de 90 % de son revenu mondial total (19).
33. D’autre part, cette jurisprudence a, dès son origine, été limitée aux avantages fiscaux liés à la prise en compte de la situation personnelle et familiale des contribuables. Or, nous ne pensons pas que des frais de consultation d’un conseiller fiscal puissent entrer dans cette catégorie d’avantages fiscaux, dans la mesure où ils ne sont nullement en relation avec ce qui caractérise la situation personnelle et familiale du contribuable imposé.
34. Peu importe à cet égard, selon nous, que la déclaration d’impôts établie avec l’aide du conseiller fiscal fasse mention de certains éléments relatifs à l’état civil ou à la situation familiale du contribuable. En effet, un tel constat ne nous paraît pas être de nature à remettre en cause le fait que la déductibilité des frais de consultation d’un conseiller fiscal n’a pas pour objet de prendre en considération la situation personnelle et familiale des contribuables.
35. Dès lors que nous considérons que la déductibilité de tels frais ne constitue pas un avantage fiscal lié à la prise en compte de la situation personnelle et familiale du contribuable non‑résident, il convient à présent de déterminer si et comment ce type d’avantage fiscal peut être appréhendé au regard du droit communautaire, et en particulier de l’article 52 du traité.
36. S’agissant de la nature de cet avantage fiscal, le gouvernement allemand indique, dans ses observations écrites, que les frais de consultation fiscale qui relèvent en droit allemand de la catégorie des «dépenses exceptionnelles» constituent des «dépenses engagées pour la vie privée», dans la mesure où c’est le contribuable qui décide, à titre privé, de s’adresser à un conseiller fiscal (20).
37. Le gouvernement allemand explique également que ces frais de consultation fiscale, envisagés en tant que dépenses privées, sont à distinguer de ceux qui sont exposés dans le cadre d’un engagement professionnel. En effet, si lesdits frais ont une origine professionnelle, ils peuvent être déduits fiscalement en tant que charges d’exploitation ou frais professionnels. Cette possibilité existe pour les personnes physiques comme pour les sociétés de capitaux, et ce indépendamment du point de savoir
si elles sont assujetties à l’impôt de manière partielle ou intégrale en Allemagne. Un contribuable non‑résident dans la situation de M. Conijn pourrait donc parfaitement déduire du revenu soumis à l’impôt des frais de consultation fiscale qui ont un caractère professionnel (21).
38. Enfin, le gouvernement allemand indique que, en droit allemand, les dépenses engagées pour la vie privée ne donnent en principe pas lieu à déduction fiscale. Les dépenses privées peuvent toutefois, à titre exceptionnel, être déduites de l’impôt sur le revenu lorsque la loi le prévoit expressément et qu’elles représentent «une charge inévitable grevant la capacité contributive et économique». Tel est le cas, selon ce gouvernement, des frais de consultation fiscale visés à l’article 10,
paragraphe 1, point 6, de l’EStG 1997. En effet, ces frais sont considérés comme des «dépenses exceptionnelles» pour les contribuables intégralement assujettis à l’impôt, «parce que ces frais peuvent souvent être rendus nécessaires par la complexité du droit fiscal et affecter en conséquence le pouvoir économique du contribuable» (22).
39. Nous avouons que ces explications ne nous paraissent pas être de nature à démontrer que le dispositif fiscal en cause est compatible avec le droit communautaire, et en particulier avec l’article 52 du traité.
40. En effet, il est constant que, en vertu de l’EStG 1997, le droit à déduction des frais de consultation fiscale en tant que «dépenses exceptionnelles» constitue un avantage fiscal réservé uniquement aux contribuables qui résident en Allemagne. Les contribuables non‑résidents sont donc, sur ce plan, placés dans une situation moins favorable que les contribuables résidents, ce qui peut contribuer à les décourager de s’établir en Allemagne (23).
41. Cette différence de traitement entre contribuables résidents et non-résidents repose-t-elle sur une différence de situation objective entre ces deux catégories de contribuables, de sorte qu’elle ne pourrait pas être qualifiée de discrimination indirecte en raison de la nationalité?
42. Nous ne le pensons pas.
43. En effet, nous estimons que, s’agissant de la déductibilité de frais de consultation fiscale, les contribuables résidents et non‑résidents se trouvent dans une situation objectivement comparable, de sorte que les traiter différemment à cet égard constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité.
44. Dans la présente affaire, la comparabilité entre la situation des contribuables résidents et celle des contribuables non‑résidents devrait, à notre sens, être examinée selon un raisonnement similaire à celui qu’a adopté la Cour dans son arrêt du 12 juin 2003, Gerritse (24).
45. Nous rappelons que, dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit qu’«une réglementation nationale qui refuse aux non-résidents, en matière d’imposition, la déduction des frais professionnels, accordée en revanche aux résidents, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres et comporte donc une discrimination indirecte selon la nationalité […]» (25).
46. Avant de parvenir à un tel constat, la Cour devait toutefois s’assurer de la comparabilité entre la situation des résidents et celle des non‑résidents au regard de la possibilité de déduire des frais professionnels. Dans cette perspective, elle a considéré que «les frais professionnels dont il s’agit sont directement liés à l’activité ayant généré les revenus imposables en Allemagne, de telle sorte que les résidents et les non‑résidents sont à cet égard placés dans une situation
comparable» (26).
47. Le critère de comparabilité entre les résidents et les non-résidents repose ici sur l’idée selon laquelle, s’agissant de revenus obtenus pour une même activité professionnelle exercée en Allemagne, ces deux catégories de contribuables subissent, de la même manière, une amputation desdits revenus en raison des frais professionnels qu’ils ont dû débourser en lien direct avec l’activité en cause. Dans la mesure où il n’existe, de ce point de vue, aucune différence objective entre eux, leur
appliquer un traitement différent au regard de la possibilité de déduire de tels frais constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité.
48. Ainsi, parallèlement à sa jurisprudence Schumacker, précitée, la Cour a admis que, s’agissant d’avantages fiscaux qui ne sont pas liés à la prise en compte de la situation personnelle et familiale du contribuable, d’autres critères de comparabilité entre résidents et non-résidents peuvent être dégagés.
49. Dans la présente affaire, nous sommes d’avis que la comparabilité entre la situation des résidents et celle des non-résidents découle des éléments suivants.
50. En premier lieu, les frais de consultation fiscale engagés par un contribuable, qu’il soit résident ou non‑résident en Allemagne, en vue d’établir sa déclaration de revenus dans cet État membre, sont directement liés aux revenus imposés dans ce même État membre, de sorte qu’ils grèvent de la même manière les revenus perçus par ces deux catégories de contribuables.
51. En second lieu, les contribuables résidents et non‑résidents sont, à notre avis, placés dans une situation comparable au regard de la complexité du droit fiscal.
52. Nous rappelons, à cet égard, que, selon le gouvernement allemand, la déductibilité des frais de consultation fiscale s’explique par le fait que ceux-ci peuvent souvent être rendus nécessaires par la complexité du droit fiscal et affecter en conséquence le pouvoir économique du contribuable. De l’avis de ce gouvernement, il convient donc «d’accorder au contribuable une compensation pour les dépenses venant diminuer ses ressources, en raison du droit fiscal» (27).
53. Nous estimons que ces considérations doivent également s’appliquer à un contribuable non‑résident qui, comme un contribuable résident, est tenu d’établir sa déclaration de revenus et se trouve donc, de façon comparable, confronté à la complexité du droit fiscal.
54. Par conséquent, nous considérons que, au regard de la possibilité de déduire des frais de consultation fiscale en tant que «dépenses exceptionnelles», les contribuables résidents et non‑résidents sont placés dans une situation comparable, d’une part, parce que ces frais sont directement liés aux revenus imposés en Allemagne et, d’autre part, dans la mesure où, afin d’établir leur déclaration de revenus, ces deux catégories de contribuables se trouvent confrontées à la complexité du droit
fiscal.
55. Dès lors, la différence de traitement entre les contribuables résidents et non‑résidents, telle qu’elle résulte des dispositions susmentionnées de l’EStG 1997, doit, selon nous, être considérée comme une discrimination indirecte en raison de la nationalité, contraire à l’article 52 du traité.
56. Dans la mesure où aucune justification à cette restriction à la liberté d’établissement n’a été invoquée dans le cadre de la présente procédure, nous considérons que la Cour devrait s’en tenir au constat selon lequel l’article 52 du traité s’oppose à ce qu’un ressortissant d’un État membre, qui est partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu dans un autre État membre, soit dans l’impossibilité de déduire de son revenu imposable les frais de consultation d’un conseiller fiscal qu’il a
exposés afin de remplir ses obligations fiscales dans ce dernier État membre, alors qu’un contribuable assujetti à l’impôt sur l’intégralité de ses revenus dans ce même État membre pourrait bénéficier de la déduction de tels frais.
V – Conclusion
57. Eu égard à l’ensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof de la manière suivante:
«L’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) s’oppose à ce qu’un ressortissant d’un État membre, qui est partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu dans un autre État membre, soit dans l’impossibilité de déduire de son revenu imposable les frais de consultation d’un conseiller fiscal qu’il a exposés afin de remplir ses obligations fiscales dans ce dernier État membre, alors qu’un contribuable assujetti à l’impôt sur l’intégralité de ses revenus dans ce même État membre
pourrait bénéficier de la déduction de tels frais.»
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1 – Langue originale: le français.
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2 – BGBl. 1997 I, p. 823 et suiv.
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3 – Voir article 50, paragraphe 1, cinquième phrase, de l’EStG 1997.
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4 – Arrêt du 13 avril 2000, Baars (C‑251/98, Rec. p. I‑2787, point 22). Voir également, en ce sens, arrêts du 5 novembre 2002, Überseering (C‑208/00, Rec. p. I‑9919, point 77), et du 21 novembre 2002, X et Y (C‑436/00, Rec. p. I‑10829, point 37).
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5 – Arrêt du 11 mars 2004, De Lasteyrie du Saillant (C‑9/02, Rec. p. I‑2409, point 41). Voir également, en ce sens, arrêt du 25 février 2003, IKA (C‑326/00, Rec. p. I‑1703, point 27 et jurisprudence citée).
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6 – Voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 8 juin 2004, De Baeck (C‑268/03, Rec. p. I‑5961, points 25 et 26).
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7 – Voir, notamment, arrêt De Lasteyrie du Saillant, précité, point 44 et jurisprudence citée.
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8 – Voir, notamment, arrêts du 11 août 1995, Wielockx (C‑80/94, Rec. p. I‑2493, point 16), et du 12 décembre 2002, De Groot (C‑385/00, Rec. p. I‑11819, point 75).
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9 – Voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11); du 21 novembre 1991, Le Manoir (C‑27/91, Rec. p. I‑5531, point 10), et du 14 février 1995, Schumacker (C‑279/93, Rec. p. I‑225, point 26).
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10 – Voir, notamment, arrêts Schumacker, précité (points 28 et 29), et du 27 juin 1996, Asscher (C‑107/94, Rec. p. I‑3089, point 38).
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11 – Voir, notamment, arrêt Wielockx, précité, point 17.
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12 – Voir, notamment, arrêt du 1^er juillet 2004, Wallentin (C‑169/03, Rec. p. I‑6443, point 15 et jurisprudence citée).
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13 – Ibidem, point 16 et jurisprudence citée.
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14 – Arrêt Schumacker, précité, point 36. Aussi, la Cour a-t-elle admis dans son arrêt Wielockx, précité, que «le contribuable non‑résident – salarié ou indépendant – qui perçoit la totalité ou la quasi‑totalité de ses revenus dans l’État où il exerce ses activités professionnelles se trouve, objectivement, dans la même situation, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, que le résident de cet État qui y exerce les mêmes activités» (point 20).
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15 – Arrêt Schumacker, précité, point 37.
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16 – Arrêt Schumacker, précité.
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17 – Arrêt Wielockx, précité.
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18 – Arrêt De Groot, précité.
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19 – Voir, à cet égard, arrêt du 14 septembre 1999, Gschwind (C‑391/97, Rec. p. I‑5451), dans lequel la Cour a admis qu’un État membre subordonne l’application à des non-résidents d’un avantage fiscal résultant de la prise en compte de leur situation personnelle et familiale à la condition que 90 % au moins du montant de leurs revenus mondiaux soient soumis à l’impôt dans cet État (point 32).
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20 – Point 22 des observations écrites. S’agissant de cette catégorie de dépenses, il convient de mentionner l’arrêt du 13 novembre 2003, Schilling et Fleck-Schilling (C‑209/01, Rec. p. I‑13389), qui porte sur un avantage fiscal consistant dans la déduction de dépenses engagées pour une employée de maison. Nous notons toutefois que cet arrêt s’inscrit dans un contexte spécifique marqué, notamment, par le fait que «les fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes sont soumis à des
règles particulières en matière fiscale, qui les distinguent des autres travailleurs» (point 29).
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21 – Point 21 des observations écrites.
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22 – Point 23 des observations écrites. Le gouvernement allemand précise que cette règle ne concerne pas seulement les frais de consultation relatifs au régime fiscal national, mais aussi les frais de consultation relatifs à un régime fiscal étranger. En effet, selon lui, «le droit fiscal étranger est bien souvent tout aussi complexe que le droit fiscal allemand» (même point).
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23 – Certes, les frais de consultation fiscale peuvent, comme dans le litige au principal, ne représenter qu’une faible part des revenus imposés. Nous rappelons toutefois que, selon la Cour, «même une restriction à la liberté d’établissement de faible portée ou d’importance mineure est prohibée par l’article 52 du traité» (voir, notamment, arrêt De Lasteyrie du Saillant, précité, point 43).
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24 – C‑234/01, Rec. p. I‑5933.
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25 – Ibidem, point 28.
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26 – Ibidem, point 27.
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27 – Point 29 de ses observations écrites.